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Rapport

Rapport de la Convention scientifique étudiante sur l’hydrogène

Le texte qu’on va lire est l’œuvre d’une cinquantaine d’étudiantes et étudiants scientifiques tirés au sort pour participer à la première « Convention scientifique étudiante ». Lancée en 2023 par la Société des Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF) sous le haut patronage du ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Energie, elle avait pour tâche de dire dans quelle mesure « les technologies liées à l’hydrogène sont pertinentes pour atteindre les objectifs de développement durable » et quels devraient en être les usages prioritaires. Les pages qui suivent forment le corps du rapport final de cette convention, dont la version intégrale est accessible ici.

Publié le 

Préambule

La Convention Scientifique Étudiante (CSE) est une initiative lancée en 2023 par le Comité Jeunes Promotions (JP) de la fédération des Ingénieurs Et Scientifiques de France (IESF). Elle a pour but de réunir des étudiant·e·s scientifique·e·s – du master au doctorat – choisi·e·s au hasard pour représenter ce spectre de la population.

Sur le format des Conventions Citoyennes (Climat, Fin de Vie, …), encadré·e·s par des animateur·rice·s et des garant·e·s, nous avons participé à quatre sessions de deux jours, rythmées par des conférences et des débats rassemblant expert·e·s et intervenant·e·s issu·e·s de la recherche, de l’industrie, des institutions, des ONG et du monde politique.

La question qui a été posée à la Convention est la suivante :

Dans quelle mesure et à quelles conditions les technologies liées à l’hydrogène[1] sont-elles pertinentes pour atteindre les objectifs de développement durable, dans un monde aux ressources finies ? Quels devraient être les usages prioritaires ?

Les rencontres avec des spécialistes d’horizons variés ont éclairé notre compréhension des enjeux liés à l’hydrogène et enrichi les réflexions que nous avons menées collectivement. Le résultat de cette Convention est un ensemble de recommandations, établies à l’issue de débats animés entre nous et avec nos interlocuteur·rice·s sur la production et l’utilisation de l’hydrogène. Ce rapport a été exclusivement élaboré par notre assemblée de jeunes scientifiques.

Nous nous adressons à vous, décideur·se·s publics, notamment à vous Monsieur le ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Énergie, qui avez placé cette Convention sous votre haut patronage. Nos recommandations visent aussi à sensibiliser le grand public et le monde industriel aux enjeux de l’hydrogène, sujet crucial ayant sa place au cœur du débat public.

Avant de présenter nos recommandations, nous souhaitons exposer ici les principes qui ont guidé notre réflexion :

  • Nous sommes des scientifiques qui avons échangé avec des personnes représentant des cultures et des approches complémentaires des nôtres.
  • Nous avons mené cette réflexion avec les connaissances et données à date, à un moment où les communautés scientifique, industrielle, économique et politique disent être en phase d’exploration de ces technologies.
  • Notre engagement s’inscrit dans le cadre des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU qui motivent notre réflexion.

Nous avons répondu à la question de la priorisation des usages. Ces débats nous ont également amené·e·s à nous positionner sur les conditions de mise en place de la filière hydrogène en France, en particulier la production d’hydrogène, la gouvernance ou la réglementation.

 

Introduction

Dans un contexte d’alertes répétées et admises sur la scène internationale, il nous paraît important de rappeler l’urgence dans laquelle nous nous projetons.

Le sixième rapport du GIEC tire la sonnette d’alarme : les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont réchauffé le climat à un rythme sans précédent. Ce groupe estime que la température de la surface du globe s’est élevée de 1,1 °C par rapport à la période pré-industrielle. Ce réchauffement atteindra, peu importe nos actions, 1,5 °C dès le début des années 2030. L’utilisation massive d’énergie fossile contribue grandement à ce réchauffement mondial. En France, le mix énergétique (2 544 TWh en 2022[2]), bien que moins carboné par rapport à d’autres pays industrialisés, reste émetteur net de Gaz à effet de serre (GES). La part en énergie fossile représente toujours 50 % de l’énergie consommée en 2022 dans notre pays. La limitation du réchauffement climatique ne sera possible, selon les experts du GIEC, qu’en accélérant dès maintenant la baisse des émissions de GES. Il est donc crucial pour nous, jeunes générations, de nous impliquer dans cette transition énergétique.

Par ailleurs, dans la recherche de solutions futures aux besoins énergétiques, nous considérons qu’il est essentiel d’intégrer les objectifs de développement durable (ODD) à la recherche d’énergies décarbonées. L’engouement actuel pour l’hydrogène nous a particulièrement interpellé·e·s par son potentiel de décarbonation. Il nous a néanmoins semblé nécessaire de réaliser une évaluation globale des impacts du développement de ce nouveau vecteur d’énergie, ainsi que sa faisabilité. Nous en dégageons une vision systémique des atouts et points d’attentions du développement d’une filière hydrogène française.

Aujourd’hui, 95 % de l’hydrogène est consommé par le secteur industriel en France. Les trois marchés industriels les plus importants sont le raffinage de produits pétroliers (60 %), la synthèse d’ammoniac, principalement pour les engrais (25 %) et la chimie (10 %)[3]. Mais celui-ci est essentiellement issu d’une production carbonée. En effet, seul 2 % de l’hydrogène provient d’énergies renouvelables.

La molécule est perçue comme une promesse dans la transition énergétique mondiale, avec des stratégies ambitieuses déployées de par le monde. La Commission européenne a annoncé, en juillet 2020, un objectif de déploiement de 40 GW d’électrolyseurs d’ici 2030, permettant une production de 10 millions de tonnes d’hydrogène.

En France, dont la stratégie vise la souveraineté énergétique, une feuille de route claire est établie, avec l’installation prévue de 6,5 GW de capacité de production bas-carbone d’ici 2030, soutenue par un investissement de 9 milliards d’euros sur dix ans. D’autres stratégies sont adoptées par les pays voisins. L’Allemagne, par exemple, mise massivement, en plus d’une production locale (5 GW[4]), sur l’importation pour subvenir à ses besoins internes. La Chine, à titre indicatif, prévoit de produire des électrolyseurs pour l’exportation et d’investir dans la production d’hydrogène, y compris hors de son territoire.

Pour répondre à la question qui nous a été posée, il nous a semblé primordial de considérer le contexte, à la fois sociologique, économique, environnemental et politique du sujet. En raison de la pluralité des enjeux, nous avons défini le cadre de notre réflexion :

Cadre de travail – Au regard de l’état actuel de la filière hydrogène, nous avons exploré les avantages et inconvénients de chacun de ses usages. Parmi les usages, seuls les plus pertinents, étudiés par la Stratégie Nationale pour le Développement de l’Hydrogène Décarboné en France et faisant déjà l’objet d’un intérêt prononcé pour la décarbonation, ont été considérés. À savoir, l’industrie lourde, les mobilités routière, maritime et aérienne ainsi que l’équilibrage du réseau électrique.

Ainsi, nos recommandations :

  • Ne concernent pas la mise en place technique de la filière de production de l’hydrogène ;
  • Se veulent systémiques et ciblent l’utilisation de l’hydrogène produit ;
  • Proposent une priorisation des usages.

Faisant le constat que l’hydrogène et les ressources nécessaires à sa production ne sont disponibles qu’en quantités limitées et que, d’autre part, les intervenant·e·s rencontré·e·s témoignent de l’intérêt croissant que portent tous les secteurs économiques à cette filière, nous estimons qu’il faut anticiper cette demande future. La priorisation des usages de ce vecteur énergétique s’impose à notre réflexion.

Cadre géographique – Nous avons limité notre réflexion à l’échelle de la France et de ses interactions à l’international, en particulier au sein de l’Europe. Ainsi, les stratégies détaillées des autres pays ne sont pas étudiées, bien que les enjeux géopolitiques aient été pris en compte. Par la nature du sujet traité, il semble nécessaire de considérer les productions des pays voisins en faisant l’hypothèse que l’hydrogène s’y développera aussi.

Cadre temporel – Nos différentes recommandations sont à mettre en place au plus vite, pour respecter les objectifs de Net Zéro Carbone à horizon 2050, en accord avec les différentes stratégies de décarbonation dans lesquelles le développement de la filière hydrogène s’inscrit.

Cadre réglementaire et stratégique – Notre réflexion tient compte de la législation et des ambitions stratégiques françaises et européennes. Nous avons formulé des pistes d’évolution de ces documents pour promouvoir le développement de certains usages de l’hydrogène aux dépens d’autres.

Cadre de responsabilité – Par ailleurs, le développement d’une filière hydrogène doit prendre en compte certains des 17 Objectifs de Développement Durable définis et adoptés par les Nations Unies en 2015. (réf annexe : doc 17 ODD)

Ce rapport présente nos recommandations, qui sont le fruit de notre travail collectif et d’interactions avec une grande diversité d’intervenant•e•s[5] (Voir Annexe). Les recommandations que nous faisons sont de trois types :

  • Des recommandations principales qui concernent la priorisation entre les différents usages de l’hydrogène ;
  • Des recommandations spécifiques à chacun des usages de l’hydrogène ;
  • Des recommandations générales sur les conditions de développement de la filière.

La filière hydrogène

Parmi les éléments les plus abondants à la surface de la Terre, l’atome d’hydrogène est lié à d’autres types d’atomes dans l’eau, les hydrocarbures ou la biomasse. La molécule de dihydrogène (di pour “deux fois” et “hydrogène” pour l’atome, ce qui donne le nom de la molécule) n’existant pratiquement pas à l’état pur sur Terre, la majorité de l’hydrogène doit être produite à partir de sources d’énergie primaire. Il est utilisé en tant que vecteur énergétique pour transporter l’énergie et en tant que matière première comme molécule chimique.

Une des problématiques de l’hydrogène est sa faible densité énergétique : il prend 4,6 fois plus de place que l’essence pour stocker une même quantité d’énergie[6]. Un autre enjeu est la sécurité : l’hydrogène a beau être très peu dense, les explosions sont très dangereuses.

 

I. Production

Actuellement, d’après l’AIE, 95 Mt d’hydrogène[7] sont consommées à l’échelle mondiale, majoritairement par les industries chimiques et pétrolières. La France en consomme 1 Mt par an et l’Europe 8 Mt[8]. 94% de la production est effectuée à partir d’énergie fossile en France[9], un procédé très polluant puisque la production d’1 kg d’hydrogène génère plus de 10 kg de CO2e[10] : par exemple, la production d’hydrogène en France représente aujourd’hui 3 % des émissions de GES nationales[11]. Outre ce procédé, il existe d’autres méthodes, plus ou moins émettrices de GES. Elles sont présentées dans le tableau ci-dessous qui présente tous les modes de production de l’hydrogène.

Source : Revue de l’Énergie, Hors-série octobre 2021

L’hydrogène blanc, provenant de potentielles sources naturelles d’hydrogène, n’est pas pris en compte dans notre rapport au vu de sa très faible maturité.

Si beaucoup d’industriels considèrent l’hydrogène comme un vecteur énergétique clef dans leur stratégie de décarbonation, il est nécessaire que cette molécule soit produite de façon décarbonée. C’est pourquoi la production d’hydrogène vert, rose ou bleu apparaît pertinente.

Recommandation 1 : Ne pas développer de nouvelles capacités de production d’hydrogène par vaporeformage et captation du carbone (hydrogène bleu).

POUR : 80,5% ; CONTRE : 4,9% ; ABSTENTIONS : 14,6%

Cependant, la production d’hydrogène bleu ne nous permettra pas de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. Développer cette technologie immobiliserait des capitaux qui pourraient être alloués à la production d’hydrogène bas-carbone par électrolyse. Ainsi, le développement de nouvelles usines d’hydrogène bleu ne semble pas pertinent. Cependant, nous considérons que les installations existantes de vaporeformage (hydrogène gris) peuvent envisager de produire de l’hydrogène bleu grâce à l’ajout de moyens de captage et de stockage de carbone (CCS) en attendant leur fin de vie.

Recommandation 2 : Tendre uniquement vers le développement des filières de production d’hydrogène vert et rose.

POUR : 82,9% ; CONTRE : 9,8% ; ABSTENTIONS : 7,3%

La production d’hydrogène vert ou rose repose sur le procédé d’électrolyse. Contrairement au vaporeformage, l’électrolyse utilise de l’électricité et de l’eau pour produire de l’hydrogène. C’est un procédé peu émetteur s’il utilise de l’électricité décarbonée, dont nous disposons en France. L’hydrogène rose s’appuie sur les centrales nucléaires et permet d’obtenir une production quasi continue d’hydrogène, ce qui correspond aux besoins en volumes constants des gros industriels. L’hydrogène vert utilise de l’électricité issue d’énergies renouvelables ; sa production est par nature intermittente et ne peut pas assurer un flux de production continu, à moins de construire plus d’installations et d’envisager des moyens de stockage importants, augmentant les coûts. L’hydrogène vert reste pertinent pour d’autres usages, comme nous le verrons plus tard. Les deux méthodes sont donc complémentaires, les usages étant différents.

Ainsi, dans la suite de notre rapport, le terme “hydrogène bas-carbone” fait référence à l’hydrogène vert et rose, l’hydrogène bleu étant exclu.

Le déploiement et la pertinence d’une filière de production d’hydrogène bas-carbone reposent néanmoins sur certaines conditions.

Recommandation 3 : Accélérer l’investissement dans la R&D des électrolyseurs pour améliorer les rendements et développer des technologies de rupture, plus économes en ressources (électrolyse haute température, diminution de l’empreinte matière, gestion de l’eau, etc.).

POUR : 97,6% ; CONTRE : 0% ; ABSTENTIONS : 2,4%

Parmi les électrolyseurs, les technologies alcalines et à membrane échangeuse de protons (PEM) sont les plus matures et présentent un rendement proche de 70 %. Les électrolyseurs haute température, type SOEC[12], présentent un meilleur rendement mais sont encore à un stade pré-commercial.

La France, notamment à travers le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), se distingue mondialement par sa recherche de pointe sur les technologies liées à l’hydrogène, particulièrement sur les électrolyseurs. Dans un contexte international de course aux technologies, où l’enjeu est de créer des électrolyseurs de plus en plus puissants, il nous semble crucial de continuer à maintenir cette position de pôle scientifique de référence au niveau mondial. Pour cela, investir dans la recherche et le développement est nécessaire, autant sur le plan industriel que dans les centres de recherches.

Par ailleurs, la production de ces électrolyseurs nécessite des métaux rares, ce qui constitue un enjeu géopolitique, éthique et environnemental. La sécurité des approvisionnements, et des normes sociales et environnementales exigeantes concernant l’extraction, constituent un sujet majeur. Produire de futurs électrolyseurs sans matières premières rares, ou avec une quantité réduite, est un axe important pour la R&D.

De plus, la production d’hydrogène consomme aussi de l’eau claire : obtenir 1 Mt d’hydrogène, ce qui correspond à la consommation française actuelle, nécessite 0,25 % de l’eau prélevée dans l’hexagone[13]. Bien qu’il y ait une tension sur la disponibilité en eau et que celle-ci continue de s’aggraver à cause du changement climatique, la production d’hydrogène ne fait pas peser une pression forte sur la ressource en France. Il s’agira néanmoins d’un point de vigilance localement, notamment dans les zones du pays en stress hydrique.

Recommandation 4 : Déployer la formation professionnelle autour de la filière hydrogène.

POUR : 95,1% ; CONTRE : 0% ; ABSTENTIONS : 4,9%

La formation constitue un autre axe important concernant le développement d’une filière de production d’hydrogène en France : des formations sont requises pour assurer la cohérence entre les emplois créés et les compétences nécessaires. Cela inclut les formations initiales mais aussi les reconversions.

Recommandation 5 : Prioriser l’électrification des usages à l’utilisation d’hydrogène lorsque cela est possible.

POUR : 95,1% ; CONTRE : 0% ; ABSTENTIONS : 4,9%

Pour produire 1 Mt d’hydrogène, il faut environ 7 à 13 GW[14] d’électrolyseurs installés. Cela nécessite environ 55 TWh d’électricité par an, soit 11 % de la production électrique française en 2023 d’après RTE. Il s’agit d’un enjeu majeur puisque la demande en électricité est par ailleurs amenée à croître dans un contexte d’électrification des usages (véhicules électriques, procédés industriels, pompes à chaleur…).

Or, dans une perspective globale de baisse des émissions, l’électrification des usages s’avère plus pertinente que la production d’hydrogène. En effet, le rendement des électrolyseurs, aux alentours de 70 %, conduit à une perte énergétique. La priorité reste donc l’électrification des usages pour diminuer nos émissions.

Recommandation 6 : Favoriser l’hydrogène vert et rose dans le but de les rendre compétitifs, pour des usages prioritaires, par une action forte de l’État.

POUR : 87,8% ; CONTRE : 4,9% ; ABSTENTIONS : 7,3%

D’après les grands industriels du secteur, le coût de l’hydrogène par électrolyse se situe aux alentours de 4 à 6 € le kilo, contre 1,5 et 2,5 € le kilo pour de l’hydrogène produit par vaporeformage[15] sans capture de carbone. L’industrialisation de la production des électrolyseurs permettra cependant de diminuer, de l’ordre de 2 € par kilogramme[16], le coût de l’hydrogène produit par électrolyse. Ainsi, même avec une diminution des coûts des électrolyseurs, l’hydrogène vert et rose resteront plus cher que l’hydrogène gris : l’État doit favoriser l’émergence de la filière afin de le rendre compétitif pour des usages ciblés.

 

II. Distribution

Recommandation 7 : Développer la production d’hydrogène proche des lieux d’usage afin de minimiser les distances de transport.

POUR : 82,9% ; CONTRE : 4,9% ; ABSTENTIONS : 12,2%

Le transport d’hydrogène par gazoduc constitue un défi. Du fait de sa petite taille, la molécule peut facilement fuir[17] : le réseau de transport de gaz actuel n’est pas adapté au transport d’hydrogène, sauf au prix de lourds investissements. L’autre solution de transport longue distance consiste à fabriquer un nouveau réseau de gazoducs, ce qui est encore plus onéreux et pose des enjeux d’acceptation et d’impacts sur la biodiversité. Ainsi est-il pertinent de minimiser les distances parcourues par l’hydrogène, en se concentrant sur des réseaux locaux d’échelles régionales. Le transport très longue distance, par voie maritime, constitue une option dans le cas d’importations. L’enjeu est alors de conserver l’hydrogène à l’état liquide à –253 °C, ce qui est très énergivore[18].

Les difficultés du transport de l’hydrogène soulignent la pertinence d’une production locale, permettant de réduire les distances parcourues.

 

III. Stratégies nationales

Recommandation 8 : Soutenir une production locale d’hydrogène en France en développant l’ensemble de la chaîne de valeur.

POUR : 90,0% ; CONTRE : 2,5% ; ABSTENTIONS : 7,5%

Dans le cadre du plan France 2030, 9 milliards d’euros sont prévus pour le développement de la filière Hydrogène au sein du pays. Cet investissement vise à développer une filière souveraine sur l’ensemble de la chaîne de valeur. La Stratégie Nationale Hydrogène prévoit ainsi 6,5 GW d’électrolyseurs installés en 2030, soit la puissance équivalente de 5 à 7 réacteurs nucléaires actuels, ce qui couvre environ les deux-tiers de la consommation actuelle d’hydrogène. L’objectif est ainsi d’assurer la sécurité énergétique française en produisant localement l’hydrogène et en recourant à un minimum d’importation.

La stratégie française se différencie largement de la stratégie allemande, celle-ci reposant grandement sur les importations d’hydrogène[19].

L’Union Européenne, pour sa part, veut favoriser les stratégies nationales en donnant un cadre à travers les IPCEI (Important Projects of Common European Interest), avec un objectif de 10 Mt d’hydrogène vert produit dans l’UE et 10 Mt importés en 2030, ce qui nous apparaît extrêmement ambitieux.

La stratégie française doit donc s’intégrer dans la stratégie européenne, en considérant que la France pourrait, à terme, exporter son hydrogène et/ou ses électrolyseurs auprès de ses voisins. Par ailleurs, produire de grandes quantités d’hydrogène nécessite un renforcement du réseau électrique et une augmentation des capacités de production d’électricité décarbonée.

Au regard de la consommation d’électricité, de matières premières et du coût de l’hydrogène, la production sera nécessairement limitée et ne permettra pas de satisfaire tous les besoins actuellement envisagés par les acteurs économiques pour décarboner leur filière. Ceci justifie d’une part, la priorisation des usages, et d’autre part le recours à la sobriété pour diminuer notre consommation d’énergie. De fait, c’est seulement dans un contexte de sobriété que les technologies liées à l’hydrogène apparaissent pertinentes pour atteindre nos objectifs de développement durable.

 

Les usages

Nous avons identifié trois domaines potentiels de développement de la technologie hydrogène :

  • Les mobilités, qu’elles soient routières, ferroviaires, maritimes ou aériennes
  • L’industrie
  • L’équilibrage du réseau électrique

Nous formulons nos recommandations par domaine avant de discuter des priorisations entre les différents usages en conclusion.

I. Mobilités

Nous exprimons ici quelques enjeux à prendre en considération avant de lire les recommandations concernant les mobilités. Ils constituent le cadre dans lequel nous avons construit notre réflexion :

  • La sobriété : pour parvenir aux ambitions de décarbonation nationales, la pratique de la sobriété dans les usages sera nécessaire. Cette affirmation est valide pour tous les vecteurs énergétiques, y compris l’hydrogène. Par exemple, si l’ensemble des véhicules légers fonctionnaient à hydrogène, plus de la moitié de la production électrique française actuelle[20] irait à la propulsion de ces véhicules (~260 TWh/an). De même, si tous les véhicules légers étaient électriques, la consommation électrique associée représenterait 20 % de la production électrique française (~100 TWh/an)[21]. Au regard de l’augmentation attendue de la consommation électrique dans les différents scénarios de transitions de l’ADEME, il nous semble que la sobriété sera nécessaire pour réussir la transition énergétique.
  • Le report modal vers des mobilités décarbonées et/ou collectives, telles que le train, le bus, le vélo et la marche doit être au cœur de toute politique concernant les mobilités lourdes et légères des personnes. Il faut prendre en compte l’accompagnement des parties prenantes dans cette transition, afin d’y intégrer la justice sociale comme élément central.
  • Il faut amorcer des discussions nationales sur les usages et anticiper l’adaptation des territoires vis-à-vis des surcoûts entraînés par les technologies hydrogène.
  • L’hydrogène devra être disponible pour les secteurs qui le nécessitent : assurer le développement sûr du transport et de la production d’hydrogène est primordial.
  • Concernant les véhicules électriques, il faut poursuivre les efforts de R&D afin de diminuer, par exemple, l’intensité matière de ces véhicules, et rendre son développement possible et acceptable.
  • La transition vers des usages moins carbonés va nécessiter plus d’électricité : il faut donc assurer une disponibilité de celle-ci pour l’ensemble des secteurs.

a) Mobilité ferroviaire

Recommandation 9 : Encourager le report modal de la mobilité routière vers le ferroviaire électrique, permettant ainsi de flécher les financements alloués à l’hydrogène vers d’autres usages prioritaires.

POUR : 92,7% ; CONTRE : 2,4% ; ABSTENTIONS : 4,9%

En France, 80 % des déplacements effectués par la SNCF sont réalisés par des trains électriques. Le ferroviaire représente moins de 0,5 % des émissions totales de GES du secteur du transport[22], ce qui en fait le mode de transport le moins émetteur de carbone.

Actuellement, les TER sont les trains qui émettent le plus de GES avec 401 000 tonnes de CO2e émises par an (50% des TER sont encore équipés de traction thermique (diesel)[23]). Afin de réduire ces émissions, il existe aujourd’hui diverses solutions : les TER au biocarburant, hybrides (carburant et électrique), à batterie et à hydrogène.

Recommandation 10 : Ne pas prioriser le développement du train à hydrogène en France.

POUR : 63,4% ; CONTRE : 12,2% ; ABSTENTIONS : 24,4%

Pour les trains à traction électrique, le coût de l’électrification (infrastructures) est de 1 à 3 millions d’euros par km[24]. Le coût des infrastructures associées à l’hydrogène est significatif, avec des stations nécessitant des investissements de l’ordre de 10 à 15 millions d’euros, et des centres de maintenance variant entre 500 000 et 3 millions d’euros[25]. Cela se traduira par une augmentation des prix pour les consommateurs.

L’infographie ci-dessous présente la place potentielle du train à hydrogène dans le trafic ferroviaire.

L’électrification des lignes existantes est la solution à mettre en place dès que l’intensité du trafic est suffisante. Pour les lignes moins fréquentées (moins rentables) ou pour lesquelles l’électrification n’est pas techniquement possible, la batterie doit être privilégiée. L’hydrogène trouve sa place dans cet écosystème (pour les trajets pour lesquels l’autonomie de la batterie ne sera pas suffisante), mais cette dernière est étroite. Néanmoins, étant donné la faible part du ferroviaire dans les émissions de dioxyde de carbone dans le domaine du transport, l’apparition du train à hydrogène en France ne doit pas être priorisée.

Source : Alstom, “Hydrogen trains”, Stéphane Kaba, 01/2024

 

b) Mobilité maritime

Aujourd’hui, plus de 80 % du volume de marchandises mondial transite par les mers et le secteur maritime est responsable de près de 3 % des émissions de GES soit environ 1 Gt CO2e. Ces chiffres ont augmenté de 20 % lors de la dernière décennie[26].

Recommandation 11 : Effectuer une transition vers des carburants de synthèse, à base d’hydrogène (e-carburants, hydrogène liquide, hydrogène gazeux) pour les navires marchands.

POUR : 95,1% ; CONTRE : 0% ; ABSTENTIONS : 4,9%

Il faut prioriser les efforts sur les usages les plus émetteurs, notamment pour les navires de fort tonnage (porte-conteneurs, vraquiers, tankers…). Ils représentent la majorité du trafic maritime mondial et sont responsables d’environ 75 % des émissions du secteur maritime.[27] Les prévisions sur l’usage de ces nouveaux carburants de synthèse annoncent une réduction d’émissions de GES entre 70 % et 100 %[28] mais cela représentera une demande très importante dans un futur proche. Il faudra donc, dans les années à venir, développer la chaîne de valeur des e-carburants. Notons également que l’usage de l’hydrogène sous ces trois formes révèle des échelles de prix différentes : les e-carburants sont plus coûteux que l’hydrogène liquide, lui-même l’étant davantage que l’hydrogène gazeux. Ces carburants présentent des caractéristiques de stockage différentes et plus ou moins adaptées aux usages.

Recommandation 12 : Affecter les différentes formes de carburants de synthèse en fonction des besoins des différents types de navires.

POUR : 90,2% ; CONTRE : 0% ; ABSTENTIONS : 9,8%

En prenant en compte les dimensions économique et technique des différentes formes d’hydrogène et en les confrontant aux besoins d’autonomie énergétique des navires, certaines formes d’hydrogène apparaissent plus pertinentes que d’autres pour certains trajets :

  • E-fuels (e-methanol, e-ammoniac) pour les longs trajets (intercontinentaux) : Les navires engagés sur de longues rotations nécessitent une très grande autonomie et seuls les e-carburants remplissent cet impératif. La densité énergétique de ces carburants les rend adaptés à cet usage. Il faut cependant noter que le surcoût par rapport à l’hydrogène liquide et gazeux sera in-fine certainement répercuté sur les consommateur·ices.
  • Hydrogène liquide pour les trajets intra-continentaux : Pour les navires de moyenne autonomie, l’usage de l’hydrogène liquide est adapté. Il représente le meilleur compromis entre coût, densité énergétique et émissions de GES. Cependant, à date, la technologie n’est pas suffisamment mature pour être développée à grande échelle. Nous encourageons les recherches et les initiatives sur l’usage de l’hydrogène liquide comme carburant maritime.
  • Propulsion complémentaire pour les petits trajets (côtiers, trans-rade…) : Pour le transport maritime à courte distance (TMCD[29]), l’usage d’une propulsion multiple est la plus adaptée. Combiner la force du vent, les batteries électriques et l’hydrogène gazeux dans une pile à combustible permet de réduire au mieux les émissions de ce secteur[30].

On retrouve sur le graphique ci-dessous une répartition des carburants en fonction des types de navires prenant en compte la puissance nécessaire à la propulsion et les capacités de stockage à bord.

Optimum des options zéro-émissions pour différents navires
(Source : Hydrogen Europe, 2020)

 

Recommandation 13 : Repenser le trafic maritime global dans l’optique de décarboner au maximum la filière tout en intégrant l’hydrogène dans son mix énergétique.

POUR : 95,1% ; CONTRE : 0% ; ABSTENTIONS : 4,9%

Il est primordial d’effectuer une pluralité d’actions pour espérer atteindre les objectifs du GIEC et de l’accord de Paris. Bien que la transition vers les carburants de synthèses soit nécessaire pour décarboner le secteur, nous sommes convaincu·e·s qu’il faut agir en parallèle sur les aspects suivants :

  • Diminution des vitesses des navires (accepter et normer des délais de livraison plus lents aurait un impact majeur sur la diminution des émissions de GES[31]).
  • Optimisation logistique du trafic mondial (méthode du Right-On-Time, meilleure gestion des rotations, diminution des temps d’attente dans les ports…).
  • Intégrer la propulsion vélique, quel que soit le type d’embarcation (ratio investissements / gains très positif, avec une économie énergétique importante possible).
  • Optimisation technique de la flotte marchande (forme de coque, matériaux utilisés, taille des navires…).
  • Réduction du trafic maritime mondial.

Il est important de noter que l’Organisation Maritime Internationale (IMO) ainsi que l’Union Européenne (UE)[32] exigent une forte décarbonation du secteur à travers des pénalités économiques croissantes. Nos recommandations s’inscrivent donc dans celles des instances internationales.

Aussi, une telle transition s’accompagne nécessairement de chantiers majeurs dans les interfaces portuaires mondiales pour les adapter aux nouveaux besoins du secteur (nouveaux terminaux, présence de gazoducs, nouvelles normes sécuritaires, etc.). Une coopération internationale est nécessaire sur ce sujet.

 

c) Mobilité routière lourde et légère

La mobilité représente en France 30 % des émissions de GES, dont la moitié est imputable à la mobilité individuelle[33]. Le nombre de véhicules particuliers en France est aujourd’hui de l’ordre de 39 millions, et cette mobilité est entrée profondément dans la culture occidentale. La France a ainsi connu une dilatation des distances, avec un mode de vie centré autour des mobilités routières, que ce soit en ville, où la majorité de la nourriture est acheminée en camion, ou à la campagne, où l’accès aux mêmes services nécessite de se déplacer en voiture individuelle.

La transition vers des modes de consommation décarbonés et responsables passera nécessairement par une modification de ces mobilités et représente un défi de taille : accepter un changement technique, donc social, sera difficile s’il n’est pas clairement expliqué.

Dans la mobilité routière lourde, nous avons considéré uniquement les camions, cars et bus et, dans la mobilité légère, les véhicules particuliers et professionnels ainsi que les taxis.

En France, 16,8 % des nouvelles immatriculations de voitures sont 100 % électriques et 9,2 % sont hybrides rechargeables en 2023[34] ; cependant, 97 % des véhicules en circulation au 1er janvier 2022 étaient des véhicules thermiques (essence ou diesel)[35].

Recommandation 14 : Planifier, à l’échelle européenne, l’usage de l’hydrogène pour la mobilité routière lourde.

POUR : 78,0% ; CONTRE : 9,8% ; ABSTENTIONS : 12,2%

L’usage de l’hydrogène dans la mobilité routière lourde et légère doit être réfléchi et débattu au niveau européen et français, avec un plan cohérent qui prendra en compte les enjeux associés (sociaux, économiques, environnementaux, …).

Recommandation 15 : Ne pas développer l’usage de l’hydrogène pour les véhicules légers.

POUR : 87,8% ; CONTRE : 0% ; ABSTENTIONS : 12,2%

L’électrification permet la décarbonation des véhicules légers, dans l’hypothèse d’un système électrique décarboné. Les deux technologies (électrification ou usage de l’hydrogène) sont très différentes en termes de performances, cependant, la sûreté de la technologie hydrogène est un sujet qui doit être géré par des professionnels ; en outre, l’Analyse Cycle de Vie de la propulsion hydrogène est défavorable par rapport à l’électrique.

Recommandation 16 : Ne développer l’hydrogène pour les véhicules professionnels que sur les trajets de longue distance et réguliers, et pour les usages incompatibles avec l’électrification.

POUR : 75,6% ; CONTRE : 12,2% ; ABSTENTIONS : 12,2%

La majorité des véhicules professionnels (bus, camions, VUL, …) sont électrifiables. Un usage des technologies hydrogène pourra éventuellement être considéré dans certains cas très spécifiques, comme le transport longue distance non ferré réguliers. En effet, la majorité des camions transportent des marchandises sur une faible distance, ce qui rend leur électrification pertinente. Le seul usage qui nous paraît compatible avec l’hydrogène est celui des camions qui font de longues distances régulièrement. Si ce développement venait à arriver, l’installation de bornes de recharge uniquement sur les grands axes routiers nous semble pertinente.

Enfin, nous considérons qu’à terme, les transports ferrés devraient remplacer l’usage des camions sur des longues distances.

Recommandation 17 : La décarbonation du secteur du transport de marchandises passera nécessairement par un report modal vers le ferroviaire qui doit être encouragé par les politiques publiques.

POUR : 82,1% ; CONTRE : 2,5% ; ABSTENTIONS : 15,4%

Au début du 20e siècle, le fret ferroviaire représentait 80% du fret intérieur en France. L’essor du camion à pétrole allié à une augmentation des échanges relègue le ferroviaire à 10% des flux en France au début des années 2000 – contre 88% pour le routier et 2% pour le fluvial[36].

En Europe, la France est en retard sur ce sujet. La part modale du ferroviaire est en moyenne 2 fois plus élevée chez nos voisins (18% en Allemagne).

La “Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire” de 2021 – qui vise 25% de part modale pour le fret ferroviaire à l’horizon 2050 – reste insuffisante. La baisse du trafic routier, l’évolution de notre économie et de la demande en marchandises ne sont pas prises en compte.

Pour réduire nos émissions et pour ne pas mobiliser des capitaux visant à développer l’hydrogène dans le transport routier lourd, l’objectif est bien de réduire le trafic routier et pas seulement d’augmenter le fret ferroviaire.

Le fret ferroviaire doit être amélioré et encouragé par des investissements forts pour pouvoir concurrencer le routier.

 

d) Mobilité aérienne

L’aviation est responsable de 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, d’où l’importance de travailler sur la réduction des émissions de CO2e de ce secteur, cela pouvant passer aussi par une réduction de son activité. Nous nous concentrons ici sur le transport de passagers qui représente environ 80 % des vols.

Recommandation 18 : Privilégier la voie normative, plutôt que des subventions qui pourraient être fléchées sur d’autres secteurs plus socialement acceptables, pour forcer les investissements dans le développement des SAF (Sustainable aviation fuel).

POUR : 85,4% ; CONTRE : 2,4% ; ABSTENTIONS : 12,2%

A travers les plans RefuelEU Aviation, l’Union Européenne a établi une feuille de route imposant aux États membres un taux d’incorporation minimum de SAF dans les carburants. Sans préciser les moyens à mettre en œuvre pour y arriver, chaque aéroport européen doit être capable de fournir de 2 % en 2025 à 70 % en 2050 de carburants durables dont un pourcentage minimum de 0,7 % en 2030 et 35 % en 2050 de carburants de synthèse (e-carburants).

Dans le Projet de Loi de Finance 2024, il était évoqué, pour s’aligner avec les objectifs européens, un crédit d’impôt sur les carburants comportant des taux de SAF. Nous pensons qu’il serait préférable de fixer des normes et d’interdire les carburants qui ne respectent pas ces normes. Ainsi, les objectifs seraient atteints sans coûter au contribuable et sans financer indirectement les voyages en avion qui, de manière générale, sont le fait des personnes les plus riches. De plus, cette mesure permet de donner un cap aux industriels facilitant le déploiement des investissements et de la recherche dans ce secteur.

Recommandation 19 : Pour atteindre les objectifs de décarbonation et tenant compte de la rareté de l’hydrogène, inciter au report modal lorsqu’il existe une alternative à l’avion, en alignant les prix de l’aviation sur ceux des autres modes de transport.

POUR : 73,2% ; CONTRE : 19,5% ; ABSTENTIONS : 7,3%

Une étude de l’Ademe indique que pour respecter les objectifs des plans européens, la production de SAF, en France en 2050, nécessiterait entre 25 et 108 TWh d’électricité suivant les scénarios envisagés[37]. Ainsi, il nous semble nécessaire d’ajouter des mesures de sobriété, avec le report modal, en complément des solutions technologiques. Ce report modal pourrait être encouragé par un alignement des prix du billet d’avion sur celui des alternatives moins carbonées (le train est souvent plus cher que l’avion). Plusieurs mécanismes pourraient permettre cet alignement (subventions, taxes, laisser le marché, …).

Recommandation 20 : Ne pas encourager les technologies fondées sur l’utilisation directe de l’hydrogène (piles à combustible et combustion directe) pour la mobilité aérienne.

POUR : 78,0% ; CONTRE : 9,8% ; ABSTENTIONS : 12,2%

Il ne s’agit pas d’interdire aux industriels qui ont lancé des programmes de recherche sur ces sujets de les poursuivre. Cependant, ces technologies ne sont pas matures. La pile à combustible ne peut servir que pour des vols de courte distance avec un faible nombre de passagers pour lesquels nous privilégions le report modal. La technologie à combustion directe présente quant à elle des effets non-CO2, tels que les traînées de condensation, encore peu évalués. Nous pensons donc qu’elles ne sont pas à prioriser par rapport à d’autres technologies avec des temps de développement plus courts (efficacité énergétique, SAF).

Recommandation 21 : Privilégier les e-carburants par rapport aux biocarburants dans le secteur aérien.

POUR : 53,7% ; CONTRE : 9,8% ; ABSTENTIONS : 36,6%

La technologie des e-fuels (carburants à base d’hydrogène et de carbone capturé) est actuellement à un stade moins avancé que les biocarburants (carburants produits à partir de biomasse). Cependant, nous considérons qu’il est important de développer la recherche dans le secteur des e-fuels car nous ne pourrons pas compter uniquement sur les biocarburants, en considérant le caractère limité de la biomasse et les tensions liées à l’usage des sols et des ressources.

 

II. Industrie

Les industries sont une priorité en matière de décarbonation en France. Elles représentent une part importante des émissions françaises de gaz à effet de serre (18 %[38]) qui sont concentrées sur des sites clés : Dunkerque, Fos-sur-Mer, Le Havre, vallée de la chimie à Lyon, etc. Les trois principaux secteurs industriels concernés par les émissions de gaz à effet de serre sont :

  • La sidérurgie ;
  • L’industrie chimique incluant les engrais et le raffinage ;
  • La cimenterie.

L’industrie constitue un moteur socio-économique majeur. L’enjeu sous-jacent est alors la décarbonation de ce secteur tout en maintenant sa compétitivité.

Recommandation 22 : Prioriser l’usage de l’hydrogène dans l’industrie, à des fins de décarbonation, en excluant l’utilisation d’argent public pour la branche industrielle de raffinage du fait de son incompatibilité avec les objectifs de décarbonation.

POUR : 87,8% ; CONTRE : 2,4% ; ABSTENTIONS : 9,8%

Couplé à l’existence de procédés décarbonés utilisant l’hydrogène bas-carbone, l’usage de ce vecteur énergétique y semble très optimal. Son implémentation dans la sidérurgie présente l’intensité décarbonante la plus forte[39], suivie par l’industrie chimique. En l’état, nous recommandons l’usage de l’hydrogène bas-carbone dans le secteur industriel à des fins de décarbonation. La suite du propos aura vocation à définir sa pertinence pour chacune des activités du secteur.

Aujourd’hui, la demande en hydrogène pour le raffinage s’élève à 40 Mt/an. Produit par vaporeformage il est responsable d’environ 20% des émissions de gaz à effet de serre du secteur[40], l’usage de l’hydrogène bas-carbone y serait donc pertinent. Cependant, nous ne recommandons pas l’encouragement de l’usage de l’hydrogène bas-carbone via des mécanismes utilisant de l’argent public pour cette branche industrielle du fait de son incompatibilité avec les objectifs de décarbonation.

Source : Carbone 4 – Étude Hydrogène

 

Opportunités d’usage de l’hydrogène pour le secteur industriel

Certaines des activités industrielles décrites plus haut utilisent déjà l’hydrogène dans leurs procédés, comme la chimie pour la production d’engrais. D’autres industries n’utilisent pas encore l’hydrogène, mais pourraient modifier leurs procédés dépendant d’énergies fossiles pour l’utiliser lorsque celui-ci représente une alternative optimale. Cette transition est conditionnée par le développement d’une nouvelle filière de production d’hydrogène bas-carbone (cf. recommandation 6, ci-dessus).

De plus, l’usage de l’hydrogène dans l’industrie ne constitue pas un nouvel enjeu de sécurité car ce secteur est déjà confronté à l’utilisation de substances dangereuses et a déjà intégré des référentiels de sûreté nécessaires à leur manipulation.

L’utilisation de l’hydrogène bas-carbone dans l’industrie peut se répartir en 3 cas typiques illustrés par les industries chimiques, de la sidérurgie et de la cimenterie, présentés ci-dessous ici.

 

a) Industries qui utilisent déjà l’hydrogène, cas de l’industrie chimique

Recommandation 23 : Remplacer en priorité l’hydrogène gris utilisé par les industriels par de l’hydrogène bas-carbone.

POUR : 95,1% ; CONTRE : 0% ; ABSTENTIONS : 4,9%

L’industrie chimique illustre ici les industries utilisant déjà de l’hydrogène (gris) dans leurs procédés. L’industrie chimique se répartit dans 2 filières : la production d’ammoniac et la production de méthanol. Elles combinent de l’hydrogène avec de l’azote pour produire de l’ammoniac (pour la fabrication d’engrais azotés) ou avec un oxyde de carbone pour la fabrication de méthanol.

Ces filières souhaitent voir la provenance de leur hydrogène changer, pour passer à un usage d’hydrogène bas-carbone. D’ici à 2050, les entreprises que nous avons rencontrées estiment que leur production d’ammoniac doublera pour satisfaire les nouveaux usages, notamment le transport maritime. Cependant, pour faire face à cet accroissement d’activité, elles comptent tout de même recourir à l’hydrogène bleu ou gris pour des raisons de coûts.

Ainsi, nous pensons qu’il est nécessaire aujourd’hui d’assurer la compétitivité de l’hydrogène bas-carbone par rapport aux hydrogènes bleu et gris (voir recommandation n°1) et de ne pas favoriser l’hydrogène bleu car il est en contradiction avec notre recommandation n°2.

b) Industries présentant une opportunité de transition, cas de la sidérurgie

Recommandation 24 : Augmenter la capacité du réseau électrique pour permettre le surcroît de consommation électrique industrielle tout en proposant une électricité à un prix compétitif.

POUR : 92,7% ; CONTRE : 0% ; ABSTENTIONS : 7,3%

L’industrie de la sidérurgie illustre les industries n’utilisant pas d’hydrogène aujourd’hui mais pour lesquelles un changement de procédé basé sur celui-ci permettrait leur décarbonation.

L’industrie de la sidérurgie changera entièrement son procédé de fabrication d’acier, passant, d’un procédé utilisant le charbon à un procédé utilisant de l’hydrogène et de l’électricité. Cela permet la réduction directe du minerai de fer par adjonction d’hydrogène (ou gaz naturel) au lieu de l’utilisation d’un haut fourneau fonctionnant uniquement au charbon.

Selon les industriels du secteur, le changement de procédé multipliera par 12 la consommation d’électricité[41] si le gaz utilisé est l’hydrogène (en comptant la production par électrolyse). À titre de comparaison, en utilisant du gaz naturel, cette multiplication sera de 3,5. L’usage de l’hydrogène bas-carbone permettrait la réduction des émissions du secteur de 90 %.

Aujourd’hui les acteurs concernés envisagent d’utiliser du gaz naturel à court terme pour des raisons d’incertitude sur la disponibilité de l’hydrogène bas-carbone et de l’électricité à des prix compétitifs.

Ainsi, nous pensons qu’il est nécessaire d’augmenter la capacité du réseau électrique pour permettre le surcroît de consommation électrique industrielle tout en proposant une électricité à un prix compétitif.

 

c) Industries présentant un usage incertain de l’hydrogène, cas de l’industrie cimentière

Les 2/3 des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie du ciment sont liées à son procédé industriel, qui rejette inévitablement du CO2 (par clinkérisation du calcaire). Le tiers restant est lié à la consommation énergétique des fours fonctionnant au gaz naturel[42].

Bien que possible, l’usage de l’hydrogène pour l’alimentation des fours non électrifiables est débattu par les acteurs concernés pour des raisons de coût et de disponibilité. L’alternative envisagée consiste en l’utilisation de biocombustibles plutôt que des combustibles fossiles dans les fours et la réduction de l’utilisation des produits issus du procédé émetteur (réduction de l’usage de clinker).

Ces acteurs espèrent atteindre la neutralité carbone en se reposant sur des technologies de CCU/CCS. Le CO2, issu notamment du procédé, serait alors stocké ou utilisé pour produire de l’e-méthanol.

Recommandation 25 : Exiger des entreprises une stratégie de décarbonation qui ne repose pas sur l’usage du Carbone Capture and Storage[43] (CCS) dans le cas d’un procédé utilisant une combustion d’origine fossile.

POUR : 69,7% ; CONTRE : 6,1% ; ABSTENTIONS : 24,2%

Il nous semble très pertinent de rendre l’usage de CCS moins attractif que la décarbonation d’un procédé ou que l’usage d’hydrogène produit à partir d’une électricité décarbonée. Nous pensons que la technologie de CCS ne doit pas se substituer à une décarbonation, en raison des paris technologiques ambitieux sur lesquels elle repose.

Le but premier étant de diminuer les émissions carbones, nous pensons que le cadre réglementaire relatif aux stratégies de CCS et CCU[44] doit être évolutif en fonction de la maturité technologique de ces solutions.

d) Le cas de la chaleur industrielle, englobant de nombreuses industries

Recommandation 26 : Envisager l’hydrogène comme vecteur de décarbonation uniquement si l’électrification des fours n’est pas possible.

POUR : 83,3% ; CONTRE : 4,8% ; ABSTENTIONS : 11,9%

La chaleur est nécessaire dans de nombreux secteurs​ : agroalimentaire, chimie, papèterie, verrerie, ciment… Cette chaleur est généralement obtenue à partir de carburants fossiles, notamment le charbon (65 %) et le méthane (20 %)[45]. Les fours électriques ne permettent pas toujours d’atteindre des températures suffisantes ou sont trop coûteux. Les alternatives de décarbonation reposent sur l’hydrogène (seul ou combiné au méthane​) ou les biocombustibles. Il nous semble important de prioriser l’électrification lorsque cela est possible, la ressource en hydrogène étant limitée.

 

e) Priorisation des filières industrielles

L’usage de l’hydrogène bas-carbone est prioritaire pour le secteur de l’industrie. Les exigences du domaine en matière de sécurité simplifient sa mise en œuvre par rapport à une utilisation par des particuliers. Parmi les différentes activités industrielles, l’hydrogène bas-carbone doit être prioritaire pour l’industrie chimique (ammoniac et méthanol) et pour la sidérurgie. L’industrie chimique, utilisant déjà de l’hydrogène (gris) dans son procédé est particulièrement propice à effectuer cette transition. Quant à la sidérurgie, l’usage d’hydrogène bas-carbone présente une intensité décarbonante importante justifiant cette transition.

 

III. Équilibrage réseau

Le réseau électrique comprend la production, le transport, la distribution et la régulation de l’électricité. La production en électricité doit être égale à la consommation à tout instant. Deux temporalités sont à prendre en compte : quotidienne et saisonnière. Actuellement, l’hydrogène n’est pas utilisé pour équilibrer le réseau électrique français.

En revanche, l’hydrogène peut avoir un rôle à jouer dans l’équilibrage du réseau électrique. En effet, il peut être utilisé comme tampon pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables. Lors des pics de production dus aux énergies renouvelables, la quantité d’électricité produite est supérieure à la demande. Le surplus d’électricité est ainsi transformé grâce au Power To Gas (P2G) qui permet de transformer le surplus l’électricité en hydrogène grâce à des électrolyseurs. Son rendement est situé autour de 70 %.

Le P2G2P (Power to gas to power) est un processus P2G suivi d’un stockage de l’hydrogène en cavité saline, puis d’une reconversion de l’hydrogène en électricité (processus inverse dénommé G2P : Gas to Power) grâce à une pile à combustible. Le rendement du P2G2P est faible au regard d’autres moyens de conversion d’énergie, de l’ordre de ~ 30 %[46].

Nous manquons de données et de visibilité sur l’avenir du réseau électrique français pour conclure quant à la composition future du mix électrique. Par conséquent, nous introduisons par la suite des pistes de réflexion, lorsque nous ne pouvons pas nous prononcer avec assurance sur des recommandations. Nous avons, cependant, deux certitudes que nous traduisons en recommandations.

Recommandation 27 : Ne pas utiliser le P2G2P mais privilégier le développement des STEPs[47] ou des batteries électriques pour l’équilibrage quotidien du réseau électrique.

POUR : 56,1% ; CONTRE : 19,5% ; ABSTENTIONS : 24,4%

Le rendement du P2G2P est faible et demande de nouvelles installations et de nouveaux raccordements au réseau électrique. Le stockage quotidien est assuré par des alternatives comme les STEPs déjà existantes ou des batteries. En outre, en considérant un mix énergétique électrique avec moins de 75 % d’EnR et une part relativement importante de nucléaire, comme prévu par la plupart des scénarios de l’ADEME[48], le P2G2P quotidien ne sera pas justifié. Le faible surplus d’électricité journalier ne permettra pas de produire une quantité suffisante d’hydrogène pour pallier l’intermittence des EnR au regard des pics de consommation quotidiens. L’hydrogène serait plus adapté pour répondre à des besoins saisonniers, particulièrement aux pics de consommation hivernaux.

Piste de réflexion : Le P2G2P pourrait être utilisé comme un moyen de stockage saisonnier pour pallier les pics de consommation hivernaux pour lesquels les batteries et les STEP ne sont pas toujours adaptés.

L’hydrogène est produit avec de l’électricité à bas coût car il s’agit d’électricité en surplus lorsque la production est plus élevée que la demande. Cet hydrogène peut être converti en électricité lors des pics de consommation (P2G2P), lorsque le prix de l’électricité est le plus haut. Le faible volume d’hydrogène, la faible vitesse de remplissage du réservoir ainsi que l’irrégularité de la production ne permettrait pas d’envisager l’utilisation stable de cet hydrogène pour d’autres usages (industriels, transport…), ce qui pourrait le valoriser pour un équilibrage saisonnier du réseau électrique.

Recommandation 28 : Ne pas envisager l’importation d’hydrogène pour l’équilibrage du réseau électrique.

POUR : 82,9% ; CONTRE : 17,1% ; ABSTENTIONS : 0%

Le mix électrique français, peu carboné grâce au nucléaire, permet déjà la production d’un hydrogène bas-carbone. De plus, la France s’oriente vers une souveraineté vis-à-vis de la production de l’hydrogène. L’intérêt de l’import est donc limité pour l’équilibrage du réseau électrique.

Conclusion

Nous, jeunes étudiant·e·s scientifiques de la Convention Scientifique Étudiante sur l’hydrogène, considérons que l’hydrogène n’est pas une solution miracle, mais une technologie pertinente nécessitant d’être développée pour des usages prioritaires, à condition de respecter les objectifs de développement durable et de sobriété.

En effet, le déploiement de la filière hydrogène doit respecter les Objectifs de Développement Durable notamment : les droits humains, la justice sociale et la préservation de la biodiversité. Pour cela, nous préconisons la mise en place d’un cadre réglementaire imposant systématiquement l’étude des impacts sociaux, environnementaux et économiques des projets liés à l’hydrogène.

De plus, nous concluons que la sobriété est une condition nécessaire et préalable à l’implémentation réussie de l’hydrogène à l’échelle nationale pour décarboner les usages non-électrifiables. En effet, l’électricité étant nécessaire à la fois pour l’électrification des usages et pour la production d’hydrogène, cette ressource sera limitante, rendant la sobriété indispensable pour assurer une transition de tous les secteurs.

La production d’hydrogène étant contrainte, il est nécessaire de prioriser ses usages. Nous proposons la hiérarchisation suivante :

Dans un objectif de priorisation des usages, nous préconisons l’utilisation de l’hydrogène d’abord pour les industries lourdes, en particulier la sidérurgie et la chimie. C’est dans ces secteurs que le pouvoir décarbonant de l’hydrogène est le plus fort, et les opportunités économiques amenées par l’hydrogène les plus intéressantes.

Ensuite, le transport maritime inter et intra-continental nous apparaît comme la mobilité dont l’accès à l’hydrogène est prioritaire afin de produire des e-carburants. En effet, le transport maritime de longue distance n’est pas électrifiable alors même que le transport de marchandises bénéficie au plus grand nombre et est vital pour l’économie, ce qui nous conduit à le prioriser.

Les e-fuels sont aussi essentiels pour décarboner le secteur aérien. Cependant, cet usage n’est pas prioritaire par rapport au secteur maritime, car l’aviation est économiquement et socialement inégalitaire.

Les mobilités routières lourdes pourraient aussi avoir accès à l’hydrogène pour les trajets réguliers et de longues distances. Cela concerne cependant une petite partie du parc actuel de camions et non pas l’intégralité des véhicules, la majorité du fret routier pouvant être électrifié. Toutefois, le report modal reste la solution la plus efficace pour décarboner le secteur.

Concernant l’équilibrage du réseau électrique, nous préconisons de ne pas utiliser l’hydrogène pour l’équilibrage quotidien du réseau via le power-to-gas-to-power (P2G2P), qui peut être assuré par des alternatives. Cependant, l’équilibrage réseau saisonnier par hydrogène est un sujet à approfondir.

La décarbonation du transport maritime de courte distance (TMCD) n’a pas besoin des solutions de carburants de synthèse envisagées pour le fret maritime longue distance. En effet, des solutions alternatives sont déployables et plus pertinentes. L’hydrogène pourrait éventuellement s’intégrer à ces solutions au travers des piles à combustible.

En matière de mobilité ferroviaire, l’utilisation de l’hydrogène se révèle pertinente pour certains cas spécifiques. Cependant, étant donné la part relativement faible du ferroviaire dans les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports en France, prioriser le développement de trains à hydrogène semble moins judicieux par rapport à d’autres applications. En outre, l’augmentation du trafic ferroviaire due au report modal encourage plutôt l’électrification de nombreuses lignes.

Enfin, nous recommandons de ne pas favoriser le développement de l’hydrogène pour la mobilité routière légère. En effet, les véhicules à batteries sont plus adaptés en termes d’efficacité énergétique et d’impact environnemental sur l’ensemble du cycle de vie du véhicule, tout en offrant une autonomie satisfaisante.

Nous mettons en garde contre un soutien inconditionnel à l’hydrogène bas-carbone, malgré son potentiel pour atteindre les objectifs climatiques. Son expansion incontrôlée peut aggraver la crise environnementale, notamment par la surexploitation de ressources critiques comme l’eau et les métaux rares, et par les impacts socio-environnementaux de l’exploitation minière, nécessaires tant pour cette technologie que pour l’électrification par batteries.

Par ailleurs, le développement de l’hydrogène dépend étroitement de la progression des infrastructures et du réseau électrique. Que ce soit pour répondre aux nouveaux besoins en électricité et en hydrogène de l’industrie lourde ou pour répondre à la demande grandissante liée aux mobilités électriques, une tension sans précédent pèsera sur la demande en électricité. Ainsi, anticiper sur le long terme le dimensionnement du réseau électrique et les raccordements aux différents usages est un enjeu majeur de la mise en place de l’hydrogène.

De plus, le prix de l’électricité étant déterminant dans le développement des usages de l’hydrogène bas-carbone, il nous paraît obligatoire de conduire une réflexion sur les tarifications de l’électricité. En effet, notre rapport n’aborde que partiellement les enjeux économiques et les coûts liés à l’hydrogène. Il est important de prendre en compte l’augmentation inévitable des coûts pour les politiques publiques, les industriels et les consommateurs. Toutefois, dans le cadre d’une décarbonation réussie, cette augmentation des coûts devrait être contrebalancée par la baisse des externalités négatives liées à l’utilisation des énergies fossiles.

C’est uniquement dans un contexte de sobriété et pour des usages ciblés que les technologies liées à l’hydrogène apparaissent pertinentes pour atteindre nos objectifs de développement durable.

Annexes

Les membres de la Convention Scientifique Étudiante sur l’hydrogène

Le tirage au sort n’a pas été purement aléatoire. L’équipe de pilotage a choisi une représentativité équilibrée en fonction de trois critères clés : genre (femme/homme), localité (Île-de-France/autres régions) et type de formation (Master universitaire/diplôme d’ingénieur/doctorat).

Amine Benkarroum, Noé Blévin, Louise Bomfim Magalhães França, Arthur Bonnefoy, Géraldine Bouvier, Weize Chen, Déhélia Chettouf, Yasmine Daouia, Héloïse de Gaulmyn, Oriane Devigne, Amaury Dufour, Basile Fayard, Sylvain Febvre, Valentine Fiot Mornand, Marion Fresneau, Eva Gainette, Emmanuelle Girard, Juliette Gohin, Eric Hilolle Sagna, Henri Hunot, Sana Ibourka, Alexis Iung, Romain Kremer, Khalid Lahbabi, Pauline Lang, Matthieu Le Bian, Vi Le Hanh, Benoît Libault de La Chevasnerie, Ugo Magot, Lison Marzeliere, Gianna Milena Cardo, Céleste Mougard Champion, Matthieu Ostertag, May Ouir, Yves Pain, Dario Panicacci, Felix Praderie, Mateo Raphaël, Anna Rohart, Koumai Sali, Camille Schuster, Jérémy Tessier, Bilatou Traoré, Quentin Velard, Justin Vermaut, Antonin Violet, Justin Wilday, Antoine Williot, Louis Ziller

 

Écoles et Universités représentées :

École AgroParisTech, École Centrale Lille, École Centrale Lyon, École CentraleSupélec, École Mines Saint-Etienne, École Mines Paris – PSL, École Mines de Nancy, École Nationale Supérieure des Arts et Métiers, École Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Poitiers, École Normale Supérieure Paris-Saclay, École Normale Supérieure ULM, École ELISA Aerospace, École Grenoble INP Phelma, École IMT Atlantique, École IMT Nord-Europe, École INSA Centre Val de Loire, École INSA Rennes, École Institut d’Optique Graduate School, École ISAE Supeméca, École Supérieure d’Agro-Développement International (ISTOM), École polytechnique universitaire de Grenoble-Alpes (Polytech Grenoble), École d’ingénieurs Sup’EnR, Vetagro-sup Clermont Ferrand, Université CY Cergy Paris, Université de Strasbourg, Université d’Orléans, Université Paris Saclay, Universidad Nacional de Córdoba

 

Nos recommandations

Nous récapitulons ici l’ensemble des 28 recommandations que nous avons élaborées au cours de nos travaux. Elles ont trait à la production et à l’usage de l’hydrogène dans différents secteurs.

 

Production

Recommandation 1 : Ne pas développer de nouvelles capacités de production d’hydrogène par vaporeformage et captation du carbone (hydrogène bleu).

Recommandation 2 : Tendre uniquement vers le développement des filières de production d’hydrogène vert et rose.

Recommandation 3 : Accélérer l’investissement dans la recherche et développement (R&D) des électrolyseurs pour améliorer les rendements et développer des technologies de rupture, plus économes en ressources (électrolyse haute température, diminution de l’empreinte matière, gestion de l’eau, etc.).

Recommandation 4 : Déployer la formation professionnelle autour de la filière hydrogène.

Recommandation 5 : Prioriser l’électrification des usages à l’utilisation d’hydrogène lorsque cela est possible.

Recommandation 6 : Favoriser l’hydrogène vert et rose dans le but de les rendre compétitifs, pour des usages prioritaires, par une action forte de l’État.

 

Distribution

Recommandation 7 : Développer la production d’hydrogène proche des lieux d’usage afin de minimiser les distances de transport.

 

Stratégie

Recommandation 8 : Soutenir une production locale d’hydrogène en France en développant l’ensemble de la chaîne de valeur.

 

Mobilité ferroviaire

Recommandation 9 : Encourager le report modal de la mobilité routière vers le ferroviaire électrique, permettant ainsi de flécher les financements alloués à l’hydrogène vers d’autres usages prioritaires.

Recommandation 10 : Ne pas accorder la priorité au développement du train à hydrogène en France.

 

Mobilité maritime

Recommandation 11 : Effectuer une transition vers des carburants de synthèse, à base d’hydrogène (électro-carburants, hydrogène liquide, hydrogène gazeux) pour les navires marchands.

Recommandation 12 : Affecter les différentes formes de carburants de synthèse en fonction des besoins des différents types de navires.

Recommandation 13 : Repenser le trafic maritime global dans l’optique de décarboner au maximum la filière tout en intégrant l’hydrogène dans son mix énergétique.

 

Mobilité routière

Recommandation 14 : Planifier, à l’échelle européenne, l’usage de l’hydrogène pour la mobilité routière lourde.

Recommandation 15 : Ne pas développer l’usage de l’hydrogène pour les véhicules légers.

Recommandation 16 : Ne développer l’hydrogène pour les poids lourds que sur les trajets de longue distance et réguliers, et pour les usages incompatibles avec l’électrification.

Recommandation 17 : La décarbonation du secteur du transport de marchandises passera nécessairement par un report modal vers le ferroviaire qui doit être encouragé par les politiques publiques.

Mobilité aérienne

Recommandation 18 : Privilégier la voie normative, plutôt que des subventions qui pourraient être fléchées sur d’autres secteurs plus socialement acceptables, pour forcer les investissements dans le développement des Sustainable Aviation Fuel[49] (SAF).

Recommandation 19 : Pour atteindre les objectifs de décarbonation et tenant compte de la rareté de l’hydrogène, inciter au report modal lorsqu’il existe une alternative à l’avion, en alignant les prix de l’aviation sur ceux des autres modes de transport.

Recommandation 20 : Ne pas encourager les technologies fondées sur l’utilisation directe de l’hydrogène (piles à combustible et combustion directe) pour la mobilité aérienne.

Recommandation 21 : Privilégier les e-carburants par rapport aux biocarburants dans le secteur aérien.

 

Industrie

Recommandation 22 : Faire de l’usage de l’hydrogène une priorité dans l’industrie à des fins de décarbonation, en excluant l’utilisation d’argent public pour la branche industrielle de raffinage en raison de son incompatibilité avec les objectifs de décarbonation.

Recommandation 23 : Remplacer en premier lieu l’hydrogène gris utilisé par les industriels par de l’hydrogène bas-carbone.

Recommandation 24 : Augmenter la capacité du réseau pour permettre le surcroît de consommation électrique industrielle tout en proposant une électricité à un prix compétitif.

Recommandation 25 : Exiger des entreprises une stratégie de décarbonation qui ne repose pas sur l’usage du Carbon Capture and Storage[50] (CCS) dans le cas d’une combustion d’origine fossile.

Recommandation 26 : Envisager l’hydrogène comme vecteur de décarbonation uniquement si l’électrification des fours n’est pas possible.

 

Équilibrage réseau

Recommandation 27 : Ne pas utiliser le power-to-gas-to-power (P2G2P) mais privilégier le développement des STEPs[51] ou des batteries électriques pour l’équilibrage quotidien du réseau électrique.

Recommandation 28 : Ne pas envisager l’importation d’hydrogène pour l’équilibrage du réseau électrique.

 


[1] Comme admis par la communauté scientifique, nous parlerons d’hydrogène dans l’ensemble du document bien que c’est un abus de langage et qu’il est bien question de dihydrogène

[2] Source : Bilan énergétique de la France | Chiffres clés de l’énergie – Édition 2023 (developpement-durable.gouv.fr)

[3] Source : Plan de déploiement de l’hydrogène (ecologie.gouv.fr)

[4] Source : Revue de l’Energie, Hors-série octobre 2021

[5] Présentation des principes ODD

[6] Source : L’hydrogène, un vecteur d’énergie (cea.fr)

[7] Aux alentours de 2% de la consommation totale d’énergie mondiale.

[8] Source : Global Hydrogen Review 2023 (International Energy Agency)

[9] Source : Plan de déploiement de l’hydrogène (ecologie.gouv.fr)

[10]L’équivalent CO₂ (CO2e) d’une émission de gaz à effet de serre est la quantité de dioxyde de carbone qui provoquerait le même forçage radiatif cumulé sur une période de temps donnée, c’est-à-dire qui aurait la même capacité à retenir le rayonnement solaire.

[11] Source : Plan de déploiement de l’hydrogène (ecologie.gouv.fr)

[12] Solid Oxide Electrolysis Cell : Electrolyseur à oxyde solide.

[13] D’après la consommation moyenne d’eau en France sur la période 2010–2020, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

[14] La production annuelle d’un électrolyseur alcalin d’un mégawatt dépend de son taux d’utilisation. Avec un taux de 50 %, assimilé à une fourniture en électricité renouvelable et donc intermittente, la production atteint 80 tonnes par an. Avec un taux de 90 %, par exemple avec de l’électricité nucléaire, nous atteignons 140 tonnes par an.

[15] Source : Plan de déploiement de l’hydrogène (ecologie.gouv.fr)

[16] Source : Plan de déploiement de l’hydrogène (ecologie.gouv.fr)

[17] Le transport de la molécule doit être étroitement surveillé puisque le pouvoir de réchauffement global de l’hydrogène est 11 fois supérieur à celui du CO2.

[18] La consommation énergétique liée à la liquéfaction au maintien en température de l’hydrogène représente l’équivalent de 30 % de l’énergie transportée.

[19] Source : Communiqué de presse du Ministère fédéral de l’économie et de la protection du climat, Développement international de l’hydrogène

[20] Production électrique française en 2023 : 494,3 TWh, source : RTE.

[21] Calculs réalisés avec les données constructeurs et les chiffres du Ministère de la Transition écologique

[22] Source : Rapport Secten 2023, Citepa

[23] Source : SNCF – “Quel avenir pour l’hydrogène dans le secteur ferroviaire ?”, Yann Harcouet

[24] Source : Alstom – “Hydrogen Trains”, Stéphane Kaba

[25] Source : SNCF – “Quel avenir pour l’hydrogène dans le secteur ferroviaire ?”, Yann Harcouet

[26] Source: United Nations Conference on trade and development, Review of maritime transport, 2023

[27] Aujourd’hui, moins de 1% de la flotte fonctionne avec des carburants alternatifs

[28] Source: Transport & Environment, 2021, “Decarbonizing European Shipping: Technological, Operational and Legislative Roadmap”

[29] Le trafic fluvial est inclus dans le TMCD

[30] Exemple de l’Energy Observer : navire à hydrogène autonome en énergie grâce à un mix d’énergies renouvelables (solaire, éolien, hydrolien), de batteries et d’hydrogène produit à bord à partir de l’eau de mer

[31] La consommation énergétique, et donc les émissions de GES, augmente au cube de l’augmentation de la vitesse.

[32] Via le Carbon Intensity Index et la taxation carbone.

[33] Source : Données clés | Chiffres clés du climat 2023 (developpement-durable.gouv.fr)

[34] Source : Le marché de la voiture électrique a fini l’année 2023 pied au plancher | Les Echos

[35] Source : 38,7 millions de voitures en circulation en France au 1er janvier 2022 | Données et études statistiques (developpement-durable.gouv.fr)

[36] Source : SDES d’après Eurostat, DGEC, VNF

[37] Source : Électro-carburants en 2050 : quels besoins en électricité et CO2 ? (ademe.fr)

[38] Source : Données clés | Chiffres clés du climat 2023 (developpement-durable.gouv.fr)

[39] L’intensité décarbonante correspond au nombre de kg de CO2e évité par kg d’hydrogène utilisé, le concept a été introduit par le cabinet Carbone 4. L’intensité décarbonante de l’hydrogène utilisé dans l’acier est de 24, contre 12,5 pour l’ammoniac et 10 pour le méthanol.

[40] Source : Hydrogène bas-carbone : quels usages pertinents à moyen terme dans un monde décarboné ? (Carbone 4)

[41] Soit l’équivalent d’un EPR supplémentaire par usine. EPR : European Pressurized Reactor (Réacteur Pressurisé Européen)

[42] Source : Feuille de route de décarbonation de la filière Ciment (entreprises.gouv.fr)

[43] Captage et stockage du dioxyde de carbone

[44] CCU (Carbone Capture and Usage – captage et utilisation du dioxyde de carbone), CCS (Carbone Capture and Storage – captage et stockage du dioxyde de carbone)

[45] Source : The Shift Project

[46] Le rendement du P2G est d’environ 70 %, celui de la pile à combustible est d’environ 50%. Le stockage induit aussi quelques pertes. Le rendement final du P2G2P est donc de l’ordre de 30 %. A titre de comparaison, les barrages hydroélectriques ont un rendement d’environ 80 %.

[47] Une STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage) est une centrale hydroélectrique de pompage-turbinage. Afin d’équilibrer le réseau électrique, ces barrages spécifiques ont la possibilité d’absorber les surplus d’électricité en pompant l’eau du lac de retenue en aval.

[48] Rapport “Transition(s) 2050” de l’ADEME.

[49] Carburants durables d’aviation

[50] Captage et stockage du dioxyde de carbone

[51] Une STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage) est une centrale hydroélectrique de pompage-turbinage. Afin d’équilibrer le réseau électrique, ces barrages spécifiques ont la possibilité d’absorber les surplus d’électricité en pompant l’eau du lac de retenue en aval.

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