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Étude

Retenue à la source : le choc de simplification à l’épreuve du conservatisme administratif

Le prélèvement à la source est à nouveau en débat. Mais loin de se contenter d’explorer seulement les bénéfices d’une telle mesure, cette étude de Terra Nova offre une réponse aux obstacles techniques souvent évoqués pour ne pas favoriser sa mise en oeuvre.
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Introduction

Le prélèvement à la source (PAS) de l’impôt sur le revenu est une attente ancienne du contribuable français. Le débat, engagé dès les années 1930, rebondit d’alternance en alternance. L’idée est assez évidente : substituer à un régime de recouvrement totalement dépendant de ce qu’on appelle la « déclaration d’impôt » [1] un dispositif de prélèvement direct sur la feuille de paie (ou équivalent) des ménages qui réduise la « déclaration » à un simple rôle de régularisation ex post et d’ajustement à la marge. Il s’agit de réduire le poids des procédures et des contrôles administratifs, ainsi que le décalage existant entre la perception des revenus et le paiement de l’impôt correspondant.

En effet, l’organisation actuelle du prélèvement fait que le contribuable s’acquitte de l’impôt dû pour les revenus de l’année précédente, même si ses revenus ont significativement baissé entre-temps. Compte tenu des aléas professionnels – un tiers des contribuables subissent des pertes de revenu d’une année sur l’autre, dont 10% d’au moins 30% -, une telle organisation génère de l’incertitude, et accentue la constitution d’une épargne de précaution. Elle se traduit également par une moindre efficience de la politique fiscale, du fait des délais importants qu’elle induit entre le vote d’une disposition fiscale, dans le cadre du PLF en particulier, et sa répercussion financière lors de l’acquittement de l’impôt.

Ainsi le passage au prélèvement à la source, qui est appliqué par la très grande majorité des pays de l’OCDE [2] , a été envisagé par nombre de gouvernements de gauche comme de droite. Évoquée par le gouvernement Raffarin en 2006, puis reprise par le gouvernement Fillon en 2011, cette réforme constitue également un engagement du candidat Hollande en 2012 [3] . Elle répond surtout à une attente collective, 66 % des français s’y déclarant favorables [4] .

Toutefois, sa mise en œuvre suscite des oppositions particulièrement vives, en particulier au sein des administrations de contrôle et des services fiscaux. Certains arguent que la valeur ajoutée du PAS serait en réalité limitée du fait des mesures déjà adoptées pour simplifier le paiement de l’impôt sur le revenu. On relève que 73 % des contribuables français sont désormais mensualisés. Que le paiement soit effectué sur une base mensuelle ou par tiers provisionnel, il se fait par voie dématérialisée (prélèvement automatique, virements) dans 90 % des cas. Par ailleurs, la déclaration de revenus a été simplifiée, de nombreuses cases étant maintenant pré-remplies.

On objecte également que le PAS serait coûteux pour les entreprises qui dans le cas des salariés auront à effectuer le prélèvement pour le compte de l’État, ce qui pourrait également nuire à la confidentialité de données sensibles, en particulier pour la relation entre employeurs et salariés. De plus, le PAS n’éliminerait pas toutes les formalités administratives, le contribuable devant toujours transmettre diverses informations complémentaires pour finaliser le calcul de l’impôt. Enfin la transition du système actuel vers le PAS présenterait des difficultés techniques, nécessitant un lissage fiscal long et complexe.

Ainsi, prenant le contrepied des rapports officiels précédents [5] sur la question, le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) a estimé dans un rapport de 2012 [6] que le PAS était une réforme présentant plus d’inconvénients que d’avantages. Il y aurait des alternatives préférables, en améliorant par exemple les options offertes par le fisc pour moduler ses acomptes mensuels ou obtenir des délais de paiement, en cas de baisse des revenus. Dans l’ensemble, « certains des arguments historiquement avancés en faveur du prélèvement à la source » auraient « perdu de leur poids », selon le président de la Cour des Comptes, Didier Migaud.

Comment comprendre une telle divergence de points de vue ? D’un côté, on trouve les arguments de la simplification et de la rationalisation administratives, avec à la clé un impact macroéconomique sur la confiance des ménages. De l’autre les arguments du réalisme et les vertus du statut quo. Il s’agit de pouvoir trancher en confrontant ces logiques et arguments – ce que nous nous efforcerons de faire ici.

Mais il s’agit aussi de remettre en perspective ce débat sur le PAS dans le cadre plus large des réformes structurelles. Le PAS est-il une adaptation anodine de notre système fiscal, de nature essentiellement technique ? Ou ouvre-t-il des horizons plus larges, point de passage obligé de la refonte et de la rationalisation de notre fiscalité ? A en juger par l’intérêt collectif que suscite cette question, et les craintes qu’elle éveille notamment au sein de l’administration fiscale, il apparaît clairement que les enjeux de cette réforme comportent des dimensions variées, qu’il convient d’appréhender globalement pour juger de l’intérêt du PAS.

Il s’agit de déterminer en particulier à quelles conditions cette réforme pourrait générer des gains de bien-être collectif. Quel effort de rationalisation de l’administration fiscale pourrait-elle rendre possible ? Quelles étapes pourraient suivre dans la modernisation de notre système fiscal ?

L’objet de cette étude est aussi d’identifier les différents scenarii possibles concernant la mise en œuvre du PAS, et d’en mesurer les avantages et les inconvénients, y compris dans le cadre élargi de la refonte de la fiscalité des revenus et de la modernisation du travail de l’administration fiscale.

1 – Simplicité et efficience économique : les vertus du PAS

1.1 – Un système fiscal simplifié et plus lisible

L’obligation de déclarer ses revenus relève du consentement à l’impôt. Sous l’Ancien Régime, les sujets ne pouvaient que subir l’impôt, si bien que ce principe du consentement à l’impôt a correspondu à une avancée démocratique, garantissant à chacun de ne subir aucun prélèvement discrétionnaire. En France, ce principe a été acquis avec la Révolution française et la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Les citoyens consentent librement à la contribution publique par leurs représentants, et l’approche déclarative est venue conforter cette philosophie avec l’émergence de l’impôt sur le revenu des personnes physiques au début du XXème siècle.

Le système actuel se traduit ainsi par un double consentement, par la voix du Parlement, qui vote les lois de finances et exprime le consentement du peuple à l’impôt, et par le biais des déclarations individuelles. Cette vision de l’impôt participe des garanties démocratiques proclamées par la Constitution. Mais sa traduction dans notre organisation fiscale présente de gros inconvénients de complexité. Elle oblige le citoyen à attendre que l’administration ait liquidé son impôt, une fois l’année terminée. Ainsi non seulement lui faut-il épargner par anticipation lorsqu’il perçoit ses revenus, mais encore lui faut-il estimer le montant futur de cet impôt. Tout en prenant en compte l’évolution probable de sa propre situation ainsi que d’autres paramètres exogènes tels que la fiscalité locale.

Une telle organisation crée donc, par sa logique bureaucratique, une incertitude et des contraintes importantes pour les ménages français. L’objet du prélèvement à la source est de remédier à ces difficultés, sans revenir sur le principe du consentement. Pour l’essentiel de leur impôt sur le revenu (IR), la réforme évitera aux ménages – et, au premier chef, aux salariés – de payer eux-mêmes et avec un an de décalage, en demandant aux personnes qui leur versent ces revenus de s’en acquitter pour leur compte lors et en proportion de ce versement. Elle offrirait donc un progrès considérable en termes de d’efficacité et de lisibilité de l’impôt en rapprochant les calendriers de disponibilité des revenus et du prélèvement fiscal, facilitant sa compréhension, et donc son acceptation.

Certes, dans cette conception française de la citoyenneté fiscale, le prélèvement à la source ne dispensera jamais le contribuable de certaines responsabilités administratives : signalement des changements dans sa situation personnelle et familiale, complètement et validation de sa déclaration de revenus, suivi de son compte fiscal en ligne et de l’avis d’imposition… Par construction, le PAS ne réduira pas la complexité intrinsèque de l’impôt, car comme le souligne le Conseil des prélèvements obligatoires « les démarches pour le calcul de l’impôt dépendent d’abord de la complexité de l’impôt lui-même, et non pas de son mode de paiement ». Toutefois, ces opérations déclaratives seront rendues entièrement automatiques, et donc singulièrement allégées, pour la grande masse des contribuables.

Cette modernisation représenterait donc un progrès majeur sur la voie d’un impôt citoyen. Sa personnalisation serait renforcée puisque le prélèvement sera ajusté en temps réel aux revenus effectivement perçus tandis que le foyer fiscal et le revenu global resteront pris en compte dans la déclaration annuelle, toujours nécessaire pour régulariser en tant que de besoin le solde d’impôt l’année suivante.

1.2 – Une réforme utile pour l’économie

Cette réforme serait utile à l’économie et contribuerait par plusieurs canaux à améliorer les performances macroéconomiques du pays :

Réduire l’épargne de précaution au profit de la consommation

La dette fiscale liée au paiement différé de l’impôt représente une source d’inquiétude, compte tenu des risques qui pèsent aujourd’hui sur l’emploi pour de nombreux contribuables et également de l’instabilité du système fiscal français. Elle constitue un motif d’épargne dite de « précaution ». Cette épargne qui vise à « constituer une réserve contre les circonstances imprévues » (Keynes) a d’autres motifs (couverture des aléas professionnels, de santé…), mais joue un rôle essentiel dans l’accumulation du patrimoine, à côté de la préparation de la retraite et de la transmission intergénérationnelle. Ainsi les modalités de paiement de l’impôt influent indirectement sur la répartition des revenus entre consommation et épargne.

Le PAS permettrait de réduire une partie de l’aléa financier qui pèse sur les ménages, et par suite de l’épargne de précaution qui en résulte. Cette réforme pourrait ainsi favoriser la consommation et l’investissement, dans des proportions qui restent cependant difficiles à évaluer. En effet les économistes ne s’accordent pas sur la mesure de l’épargne de précaution, les évaluations allant de 1 % à 50 % du total de l’épargne constituée [7] . Quant à connaître exactement la part de l’épargne de précaution motivée par l’aléa de la fiscalité des revenus, le pas reste sans doute infranchissable.

Dans ce cadre, il semble nécessaire d’émettre des réserves importantes quant aux conclusions du Conseil des prélèvements obligatoires sur les effets macroéconomiques du PAS. Celui-ci juge en effet que le PAS se traduirait par une baisse marginale de l’épargne de précaution, à hauteur de 0,2 % du PIB, en formulant des hypothèses sans rapport avec la littérature existante [8] . Selon les auteurs du rapport, l’épargne de précaution représenterait 2 % du patrimoine des ménages, si bien que, sur la base d’une hypothèse d’un taux d’épargne de 10 % du PIB et « d’une corrélation entre le taux d’épargne de précaution observé sur le stock d’épargne des ménages et la part des flux d’épargne annuels alloués à l’épargne de précaution », la baisse du taux d’épargne représenterait seulement 0,2 % du PIB (10 % de 2 %).

Or la littérature sur laquelle repose ce calcul conclut que l’épargne de précaution représente 10 % du patrimoine des ménages (et non pas 2 % [9] ). Par ailleurs, le taux d’épargne des ménages se situe aux alentours de 16 % (et non pas 10 %). Enfin, rien ne permet d’affirmer que le niveau de l’épargne de précaution s’ajustera aux évolutions du revenu : en cas de « choc de confiance » lié au PAS, il est envisageable que les ménages désépargnent de façon significative, au moins dans un premier temps. Rappelons que, selon l’INSEE, le patrimoine des ménages dépassait les dix trilliards d’euros en 2013 (environ cinq fois le PIB). Si bien que la valeur totale de l’épargne de précaution représente environ un trilliard d’euros, soit près de 50 % de la valeur du PIB. On imagine donc aisément que le PAS puisse impacter significativement la consommation, et contribue à ramener le niveau de l’épargne des ménages français plus près des moyennes observées en Europe. Il reste que l’évaluation de ces effets doit être menée avec plus de précision, les estimations proposées à ce jour par le CPO ne constituant pas une approximation satisfaisante.

Renforcer les effets stabilisateurs de la politique budgétaire

Le budget des administrations publiques joue un rôle de stabilisateur économique : il compense la baisse des dépenses et revenus des ménages en période de récession, et inversement en période faste. Cet effet est le produit des mécanismes d’amortissement dont la fiscalité des ménages fait partie. Ainsi les pertes de revenus se traduisent par une moindre pression fiscale du fait du caractère progressif du barème de l’impôt sur le revenu.

Toutefois, cet effet se trouve décalé du fait que le paiement de l’impôt est subordonné à la déclaration d’impôt : la première année (n) de la crise les ménages vont voir leur pression fiscale inchangée puisque celle-ci est calculée sur la base des revenus de (n-1). Si la baisse des revenus s’installe, il y a chaque année un décalage entre les impôts payés et les revenus perçus, qui seront en comparaison moindres que ceux ayant servi au calcul de l’impôt dû. Si bien que la pression fiscale peut rester inchangée -voire augmenter dans certains cas – malgré la baisse des revenus, et la politique fiscale perdre ses vertus contra-cycliques.

Ainsi, en anticipant d’une année l’essentiel du paiement de l’impôt, le PAS permettrait de rendre à la politique fiscale ses effets stabilisateurs. Il pourrait à ce titre éviter bien des situations dramatiques dans lesquelles un foyer, dont l’un des membres se retrouve au chômage, doit continuer à acquitter le même niveau (élevé) d’imposition au titre des revenus perçus les années antérieures. En sens inverse, il soulage d’une incertitude le contribuable qui retrouve une activité.

Améliorer l’efficience de la politique fiscale

Lorsque Parlement adopte des dispositions relatives au calcul de l’impôt sur le revenu dans le cadre de la loi de finances, soit ces dispositions portent sur les revenus de l’année écoulée avec un effet de rétroactivité (ou de pure aubaine) qui est contesté ; soit elles entrent en vigueur l’année suivante (s’agissant notamment des mesures d’incitation comportementale), et leur effet ne sera donc perçu par le contribuable que deux ans plus tard, au moment de la liquidation de l’impôt. Ainsi, l’organisation actuelle de la décision publique se traduit par des délais très significatifs entre le moment où une mesure est décidée et celui où elle se matérialise pour le citoyen.

Ce décalage conduit à une déperdition d’efficience pour la politique fiscale, affaiblissant :

La crédibilité de la parole publique. Il renvoie, en effet, l’impression d’une inertie de l’action publique, voire même d’une rupture entre les engagements formulés et la réalité quotidienne. Le citoyen ne peut voir concrètement se déployer l’action au moment où elle initiée publiquement par les représentants élus ;

L’impact des mesures d’incitation sur les comportements individuels. En effet la contrainte déclarative introduit un délai de deux années entre le vote d’une disposition et sa répercussion financière. Il crée une incertitude d’ensemble, portant tant sur l’évolution de la situation individuelle que sur l’évolution globale de la fiscalité, qui réduit l’effet de ce type de mesure sur l’anticipation qui sera faite. Puisque d’autres paramètres viennent interférer dans le calcul individuel, l’élasticité comportementale par rapport au stimulus fiscal se trouvera réduite.

A l’inverse, le PAS permet si besoin de rendre quasi instantanés les effets de la politique fiscale. Le citoyen peut, dans ce cas, mesurer directement la réalité des annonces formulées par la majorité en place. Surtout, il peut tirer parti de ces annonces, sans avoir à intégrer des paramètres de moyen terme tels que ceux relatifs à l’évolution de ses revenus ou à l’évolution future de la fiscalité, qui pourrait rogner son pouvoir d’achat. Les mesures annoncées s’inscrivent alors dans une démarche transparente et lisible, avec un effet d’incitation d’autant plus fort que ses bénéfices sont immédiatement accessibles pour le contribuable.

2 – Une condition pour engager les réformes structurelles de la fiscalité des revenus ?

2.1– Des moyens administratifs rationalisés

Le passage au PAS autoriserait une simplification significative de la vie des contribuables ; mais il serait également source de gains d’efficience pour l’administration fiscale. Il s’inscrirait ainsi dans la logique des efforts engagés pour moderniser la gestion de l’impôt sur le revenu, avec des gains de productivité résultant :

(a) du basculement de la gestion de l’impôt « au guichet » vers une gestion « en ligne ». Grâce à l’automatisation des prélèvements dans le recouvrement de la plus grande part de l’impôt, la présence locale des services fiscaux à l’attention des particuliers perdrait l’essentiel de sa raison d’être. La relation entre l’administration fiscale et le contribuable se trouvant réduite aux ajustements qui pourront intervenir ex-post sur le calcul final de l’impôt, il deviendrait alors envisageable de centraliser complètement les fonctions d’accompagnement du contribuable et de réduire les ressources utilisées par les services des impôts des particuliers (SIP). Même si, compte-tenu des délais nécessaires d’adaptation des structures, cette réingénierie du modèle de gestion ne trouvera sa complète portée qu’à moyen terme, elle permettra enfin de mener à son terme le processus d’intégration automatisée du traitement de l’IR qu’ont engagé la déclaration pré-remplie et le compte fiscal en ligne ;

(b) de l’intermédiation des tiers payeurs , qui permettra à l’administration fiscale de réduire considérablement la charge de travail relative à la recherche d’assiette, et dans une moindre mesure ses activité de recouvrement, contrôle et contentieux [10] . Plus de 90 % des revenus – qu’il s’agisse des salaires, revenus de remplacement ou revenus du capital mobilier – font déjà l’objet d’un suivi en temps réel par le réseau de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) ou celui de la DGFiP, si bien qu’avec le PAS l’administration bénéficiera directement de cette collecte automatisée sans plus dépendre du préalable de la déclaration des revenus. Le nombre d’interactions nécessaires entre l’administration et les administrés en sera drastiquement réduit : on passera d’une logique centrée sur le contribuable (où la source ne sert qu’au recoupement) à une logique portée par le revenu (où la personnalisation du foyer fiscal ne sert plus qu’à l’ajustement final). Il faudra toujours gérer plus de 35 millions de foyers fiscaux, mais l’essentiel des données et des fonds aura été acquis auprès des trois millions d’entreprises ou organismes payeurs divers qui deviendront de fait les vrais percepteurs de l’impôt.

Ainsi le PAS permettrait de rationaliser progressivement les ressources publiques allouées au recouvrement d’une part de la CSG et d’autre part de l’impôt sur le revenu. La généralisation dès 2016 de la Déclaration sociale nominative (DSN) [11] devrait encore faciliter cette convergence administrative entre des organisations concourant à la même mission.

Il demeure difficile d’évaluer très précisément l’ampleur des gains de productivité envisageables. Une partie de la difficulté tient à l’opacité statistique concernant les ressources publiques aujourd’hui mobilisées pour liquider et recouvrer l’impôt sur le revenu. Tout au plus sait-on par l’entremise d’un rapport de l’Inspection Générale des Finances que le « taux d’intervention » de l’administration sur cet impôt (c’est-à-dire le ratio des ressources publiques utilisées pour lever l’impôt rapporté au total des recettes générées) est particulièrement élevé, encore supérieur aujourd’hui à 2 %. Si on le compare à celui de la CSG (sensiblement inférieur à 0,5%), ce taux met en évidence les gains d’efficience qui peuvent encore être réalisés dans le domaine de la fiscalité des particuliers, la performance de l’administration ayant nettement plus progressé dans les autres champs de la fiscalité (TVA et fiscalité des entreprises notamment).

En recoupant cette estimation avec les autres sources connues sur les moyens des services, il est possible d’évaluer le coût d’administration de l’impôt sur le revenu à quelques 1.7 milliards d’euros pour la seule année 2013, soit environ 20 % des ressources de la DGFIP et près de 25 000 Equivalents Temps Plein Travaillés (ETPT). Ainsi il est possible de situer les économies potentielles du renversement de modèle associé au PAS autour de 10 000 emplois et une baisse du taux d’intervention de un point. Évidemment, les gains de productivité ainsi obtenus seront progressifs et dépendront fondamentalement des modalités de mise en œuvre du PAS, et en particulier i. du niveau d’intégration des circuits financiers ACOSS/DGFiP et ii. du choix qui sera fait de maintenir ou pas des guichets dédiés aux contribuables. Et il faudrait ajouter que la simplification des règles fiscales ne pourra qu’accélérer ce mouvement de rationalisation.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas douteux que les gains de productivité liés au PAS sont potentiellement décisifs. Même si de grands progrès ont déjà été réalisés à travers la dématérialisation des paiements et le développement des services en ligne, il n’en demeure pas moins que l’économie actuelle du système engendre par nature des coûts de transaction considérables qui expliquent ce taux d’intervention beaucoup plus important que celui des pays qui fonctionnent en retenue à la source. En automatisant la quasi-totalité des opérations et en rendant inutiles les contacts de proximité entre administration et contribuables, le PAS libère des ressources considérables, en particulier pour l’assiette (12 610 [12] agents publics mobilisés en 2015), et dans une moindre mesure pour le recouvrement et le contrôle de premier niveau de l’impôt (13 491 agents mobilisés) [13] .

Les progrès des technologies numériques ont permis une amélioration spectaculaire du suivi « en direct » des flux de revenus, notamment par les administrations de sécurité sociale, et cette évolution rend obsolescente la primauté opérationnelle du processus déclaratif, quand bien même il conserve toute sa fonction civique. La refonte des circuits financiers sous-tendant l’impôt sur le revenu au bénéfice d’une intégration des systèmes de recouvrement IR/CSG fait du PAS un levier déterminant nécessaire à l’effort de simplification et de rationalisation de la fiscalité des revenus, qu’une majorité des contribuables appellent de leurs vœux. Il permettra le basculement définitif de l’administration en charge de la fiscalité des particuliers dans l’ère de l’intégration financière – transformant à la fois sa relation avec les contribuables et son travail quotidien.

On comprend qu’après les coupes renforcées qu’a subies l’administration fiscale depuis les débuts de la disette budgétaire au tournant de 2010–2011 – une diminution de près de 10 % de ses effectifs sur la période [14] -, le PAS suscite des appréhensions au sein de la DGFIP, appréhensions qui ne sont pas étrangères aux difficultés à imaginer la réforme. Alors que les conditions de travail se sont tendues du fait de la recherche comptable de gains de productivité, une telle transformation est perçue comme un moyen d’accroitre la pression « productiviste » pesant sur les agents. Cette appréhension, qui s’ajoute aux rivalités que le PAS est susceptible d’engendrer entre administration de l’État et administration de la sécurité sociale, explique la difficulté qu’éprouve le pouvoir politique à franchir le Rubicon.

Cependant l’analyse de l’incidence potentielle du PAS sur le travail de l’administration fiscale souligne le caractère ambigu de cette appréhension. Si le PAS doit se traduire par des gains de productivité, c’est en raison des progrès technologiques qu’il induit, et non du fait d’une charge de travail accrue pour l’administration fiscale. Le PAS doit faciliter le travail de recherche d’assiette, de recouvrement et de contrôle, l’automatisation réduisant significativement les procédures attachées au système actuel. Avec le PAS, une bonne part de l’activité liée aux « campagnes déclaratives » qui visent à informer le contribuable chaque année sur leurs obligations déclaratives, aux millions de relance annuelles (10 millions pour la seule année 2013) et au recouvrement forcé (5,1 millions d’actions en 2013) ne sera plus nécessaire [15] . Ainsi le PAS apparaît davantage comme un outil utile à l’administration fiscale pour atteindre ses objectifs de gains de productivité et moderniser son activité, que comme un moyen d’accroître la pression sur des agents publics déjà mis à rude épreuve du fait des restrictions budgétaires [16] .

Par ailleurs, cette réforme n’impacterait pas les recettes de l’État puisque la retenue à la source viendrait prendre le relais progressivement de l’ancien système à due concurrence, sans baisses de recettes. Mieux, elle permettrait au contraire de dégager des gains d’efficacité et d’emplois dans les services de l’administration fiscale, où l’allègement massif des tâches est une condition indispensable pour rendre supportable la diminution prévue des effectifs, tout en dégageant des moyens supplémentaires en faveur d’autres chantiers d’utilité publique.

2.2 – Un prérequis pour la modernisation de la fiscalité des revenus

Le PAS constitue donc une rupture forte aussi bien pour les contribuables, qui se voient débarrassés des lourdeurs et de l’incertitude propres au système traditionnel, que pour l’administration fiscale, qui pourra rationaliser son action et ses moyens autour de circuits financiers déjà largement intégrés, en réduisant ses coûts d’interface avec les particuliers. Une telle réforme ouvre donc plusieurs perspectives nouvelles qui ne sont pas véritablement envisageables dans l’économie du système actuel.

(1) la dématérialisation de l’administration fiscale. L’expérience de nos voisins souligne en effet que la simplification du recouvrement par l’intermédiaire de tiers payeurs rend possible une intégration numérique de la quasi-totalité du travail fiscal. Parce qu’elle dépend moins du processus déclaratif (qui ne constitue plus qu’une boucle subsidiaire du système, indispensable à sa dimension démocratique mais accessoire dans la collecte de la recette), l’administration fiscale n’est plus soumise à la diversité des humeurs, des appétences technologiques et des habitudes qui exigent aujourd’hui de mobiliser un grand nombre d’agents publics aux seules fins pédagogiques d’information et de suivi de contribuables rendus anxieux par la complexité des règles à appliquer. Le PAS permettrait ainsi d’établir d’autres rapports entre cette administration et les contribuables, fondés sur davantage de simplicité, d’efficience et de confiance. C’est l’évolution qu’ont connue tous les services de réseaux.

(2) L’établissement d’un impôt sur les revenus modernisé. Le PAS apparaît comme un point de passage obligé de la remise à plat de notre fiscalité. D’abord parce que pour être encore plus efficace, la nouvelle organisation encouragera probablement à réduire le nombre de niches fiscales qui mitent aujourd’hui l’assiette de l’IR.

Ensuite, parce que le PAS suppose un rapprochement entre les administrations en charge du prélèvement de la CSG, qui, à travers le réseau ACOSS, a déjà mis en place les outils nécessaires au prélèvement à la source, et l’administration fiscale. Dès lors que ces circuits financiers auront été intégrés, et que les inquiétudes auront été levées au sein des administrations concernées, la voie vers une autre articulation IR-CSG sera facilitée [17] . Comme le soulignait Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT, peu après l’annonce d’une grande « remise à plat » fiscale par le précédent gouvernement : « S’il y a fusion, il vaut mieux prélever à la source le nouvel impôt, comme l’est la CSG aujourd’hui » [18] .

Le PAS est donc une étape intermédiaire en vue d’une simplification plus structurelle de la fiscalité des revenus en France. Dans son esprit comme dans sa mise en œuvre, il préfigure un peu de ce que pourrait être une imposition modernisée des revenus en France. Articulée autour d’une administration resserrée et entièrement numérisée d’une part, et des tiers payeurs d’autre part, cette imposition intégrée offrirait aux contribuables une vision cohérente de la contribution des revenus du travail, du capital et des inactifs au financement de l’action publique. Il resterait assurément aux pouvoirs publics à s’engager sur l’équilibre et les règles garantissant que cette vision soit conforme à l’idéal de justice et aux aspirations exprimées par la voie démocratique.

3 – Les obstacles liés à la mise en œuvre du PAS sont surmontables

Les arguments qui militent en faveur du PAS expliquent l’intérêt que suscite cette proposition de réforme depuis au moins une décennie. D’autant que le prélèvement à la source existe déjà en France pour une part très significative des prélèvements obligatoires, ayant fait la preuve de ses vertus : la contribution sociale généralisée (CSG), l’imposition des indemnités des élus locaux, certaines cotisations sociales ou le prélèvement forfaitaire libératoire sur les revenus du capital. Les grands pays ont basculé vers ce système depuis longtemps : le Canada en 1917, l’Allemagne en 1925, les Pays-Bas en 1941, les États-Unis en 1943, le Danemark en 1970, l’Espagne en 1979… Si bien que le recouvrement par voie déclarative apparaît de plus en plus comme une curiosité attestant de l’ancienneté de notre système fiscal, subsistant à sa marge comme il subsiste à la marge au sein de la zone OCDE. La France est ainsi le seul pays avec la Suisse et Singapour à recourir aux déclarations de revenu pour collecter l’intégralité de l’impôt correspondant.

Il reste cependant des obstacles pratiques à la mise en œuvre du PAS, lesquels ont pu justifier certaines réticences de l’administration fiscale. Deux arguments ont ainsi semé le doute dans les esprits, et méritent d’être interrogés. Le premier porte sur la confidentialité des données, qui se verraient compromises dès lors que des tiers payeurs pourraient avoir accès aux informations personnelles de l’administration fiscale. Le second concerne le coût d’administration du PAS pour les tiers payeurs eux-mêmes, la crainte étant de les voir supporter une partie de la charge déclarative qui aura été enlevée aux contribuables.

3.1 – Préserver la confidentialité des données personnelles: deux approches

Le PAS donne un rôle accru aux Tiers Payeurs dans le recouvrement de l’impôt.

Ainsi dans l’hypothèse où ces derniers effectueraient les prélèvements pour le compte de l’Administration fiscale, comme ils effectuent les prélèvements de la CSG pour les URSAFF, on peut craindre que certaines informations relatives à la situation fiscale des contribuables leur soient automatiquement transmises et éventuellement utilisées contre les intéressés. Par exemple, un employeur informé des revenus complémentaires perçus par un salarié (ou des revenus de son conjoint) pourrait être tenté d’arguer de cette information pour résister à une augmentation salariale. En ce sens, on a longtemps cru que la conjugalisation de l’IR et la progressivité des barèmes rendraient particulièrement délicate l’intermédiation des Tiers Payeurs (TPs) dans son recouvrement.

Toutefois, le PAS ne menace pas nécessairement la confidentialité des données personnelles, différentes modalités étant envisageables dans sa mise en œuvre (voir section 4). Il n’est pas incontournable que le contribuable ou l’administration fiscale soient contraints de transmettre des informations personnelles « sensibles » aux employeurs, et ces derniers n’ont pas forcément besoin de connaître ces informations importantes sur la vie du salarié, notamment la tranche marginale dans laquelle il se situe (information qui risquerait d’être utilisée lors des négociations salariales) pour appliquer un prélèvement même assez fidèlement représentatif de son imposition finale.

Deux approches permettraient ainsi de lever les risques relatifs à la transmission d’informations confidentielles vers les employeurs (la problématique étant moins contraignante s’agissant des revenus de remplacement ou des revenus de capitaux mobiliers – RCM).

Dans la première, la plus simple, il y bien retenue à la source appliquée par le tiers payeur reposant sur un échange de données où le barème progressif de l’IR est exprimé en taux effectif (dit encore « synthétique ») appliqué au montant brut de la rémunération versée. Un taux de ce type (de même nature que le taux moyen qui est désormais affiché sur les avis d’imposition) donne à chaque contribuable une idée claire de la réalité de son impôt bien mieux que le taux marginal.

Le taux moyen d’imposition est une donnée qui révèle assez peu d’informations sur la composition du foyer fiscal du contribuable, le niveau de ses revenus annexes ou bien le recours à certaines mesures dérogatoires. À un même taux peuvent correspondre des situations extrêmement variées du fait que ce taux combine des éléments très divers (quotient conjugal et familial, charges diverses, …). En outre, la concentration des taux moyens d’imposition étant très forte (environ 50 % des contribuables imposables ont un taux moyen inférieur à 5,5 %), l’utilisation d’un tel taux synthétique est préférable en termes de confidentialité à celle d’un barème qui oblige à prendre en compte la multitude des paramètres personnels qui entrent en jeu.

Partant de là, il est aisé de concevoir un système d’échange entre entreprise et administration où, par défaut, l’employeur appliquera le taux dérivé de la rémunération contractuelle qu’il connaît (le « taux instantané » : Ti) et, par exception un taux (qui ne saurait être supérieur) tel que le lui aura transmis (par voie de téléchargement automatisé) un serveur de l’administration chaque fois que celle-ci est en mesure d’anticiper que l’imposition finale de l’intéressé sera plus avantageuse (le « taux optimisé » : To). Ainsi le Tiers Payeur ne sera en aucun cas informé des revenus additionnels dont bénéficierait le salarié, et ne verra de sa situation fiscale que le Ti – ou le To s’il est plus favorable (voir figure 1).

Figure 1 : « Taux instantané et taux optimisé » pour protéger la confidentialité des données transmises aux TPs

Sylvain et Amina à l’heure du prélèvement à la source

une illustration de la première approche

Sylvain et Amina, jeune couple trentenaire de la région parisienne, vont servir de cas pour illustrer les effets du passage au PAS [19] . Sylvain reçoit un salaire de 1.700 € par mois (stable sur toute l’année), soit 1.700*12*0,9 = 18.360 de revenu imposable (après déduction forfaitaire de 10 %). Amina, elle, touche en moyenne 2.800 € par mois (2.700 de base, plus 200 de complément en avril, 300 en février et août, et 400 en décembre), soit un revenu imposable de 30.240.

Sylvain et Amina déposent des déclarations séparées, et n’ont pas d’enfant.

Il suffira alors du seul « taux instantané » (Ti) :

L’employeur de S. applique tous les mois sur sa paye une retenue identique de 101 € (soit le douzième de l’IR afférent pour une personne seule à un revenu imposable de 18.360 = 1.214). La synchronisation est donc complète entre le revenu et le PAS, sans qu’il y ait lieu à complément ou restitution lors de la régularisation en n+1.

L’employeur d’A. applique sur sa paye une retenue ajustée au fil des mois en fonction des variations de la rémunération courante [20] – comme suit:

De la même façon, la synchronisation est complète, puisqu’à la fin de l’année aura été appliquée une retenue totale égale à l’IR afférent au revenu imposable (3.433 pour 30.240 après déduction forfaitaire). On note que Sylvain et Amina n’ont plus à se soucier de leurs impôts futurs, puisqu’ils sont intégralement prélevés à la source. Et que leur charge déclarative se réduit désormais à une simple validation ex-post, leur employeur ayant transmis les informations nécessaires au fisc pour leur compte.

Sylvain et Amina se marient…

Le taux du prélèvement est alors ajusté à la source par prise en compte du « taux optimisé » (To < Ti) puisqu’ils déposent une déclaration commune. Et comme le petit Léo est né de leur union, il y a désormais une personne à charge (2,5 parts).

Alors que les Ti (annuels) de S. et A. sont respectivement de 6,0 % et 10,2 % (rapportés au revenu déclaré, soit 8,6 % en moyenne pour le foyer), le taux moyen du foyer sera ramené à 6,3 % (3.413 d’impôt commun au lieu de 4.647) après conjugalisation et familialisation.

Le téléchargement du To mis à disposition mensuellement par l’administration (au travers d’un serveur DGFiP/ACOSS à l’occasion de la télédéclaration de la DSN par les employeurs) va permettre au foyer de bénéficier de manière quasi synchrone de l’essentiel de l’effet du quotient sans attendre la régularisation en n+1 [21] .

A l’occasion de la télédéclaration de fin novembre n-1, les SI (systèmes d’information gérant la paye) des employeurs auront reçu du serveur communication de cet avantage relatif (connu de l’administration à raison des informations collectées par elle au fil de l’exercice précédent via la DSN [22] , soit au cas particulier – 26,1 %) qu’ils vont appliquer à Ti pour le calcul de la paye de janvier. De même (téléchargement à l’occasion de la DSN pour décembre) pour la paye de février. Puis, à partir de mars (téléchargement à l’occasion de la DSN pour janvier), le To communiqué par le serveur pourra être recalé sur les informations collectées par l’administration pour l’année courante, et ce en cumul jusqu’à la fin de l’exercice.

Ce dispositif anticipé au fil de l’eau de l’imposition finale du foyer aura donc bien permis de manière totalement automatisée de réduire à presque rien la régularisation à effectuer en n+1 après validation de la déclaration en ligne (17 € sur 3.430 retenus à la source). Et ce sans que jamais les employeurs ne reçoivent d’autre information qu’un taux synthétique To qui ne leur révèle rien qui porterait atteinte à la vie privée du couple S./A., ou risquerait de biaiser les relations salariales.

La seconde approche, plus sophistiquée, consisterait à laisser la charge même du recouvrement à l’administration fiscale par prélèvement sur le compte bancaire du destinataire des revenus , les Tiers Payeurs n’ayant d’autre rôle que de transmettre en temps réel les informations relatives aux revenus versés, ce qu’ils font depuis longtemps sur une base annuelle (voir figure 2).

Cette alternative a en commun avec la première solution de s’appuyer sur la capacité prochaine d’un ordinateur central alimenté de mois en mois par toutes les données de revenus transmises à l’administration [23] d’anticiper au fil de l’eau ce que sera l’imposition future du foyer et sa déclinaison optimale entre les membres qui le composent, algorithmique qui est aujourd’hui triviale pour n’importe quel infocentre.

Par hypothèse, en contrepartie de l’inconvénient d’introduire dans le dispositif un quatrième acteur (la banque) vers lequel sont déplacés tous les enjeux de confidentialité, de liquidation de la retenue et de recouvrement, la seconde solution a le mérite au moins théorique d’en exonérer complètement les TPs eux-mêmes (et d’être bien adaptée au traitement des revenus qui ne sont pas versés par des tiers). À moyen/long terme, elle pourrait être d’autant plus intéressante dans une logique d’intégration des prélèvements et des prestations publiques.

Figure 2 : Mise en œuvre du PAS par recouvrement direct de l’impôt sur les comptes bancaires des contribuables (seconde approche)

3.2 – Un coût d’administration réduit

Un enjeu clé de la réussite du passage à la RAS réside dans son acceptation par les TPs, et en premier lieu les employeurs. Il est donc essentiel de maîtriser le « coût administratif » supporté par les entreprises en écartant a priori toute procédure qui contraindrait celles-ci à acquérir les données nécessaires à leur intervention autrement que de manière totalement automatisée, et même à supporter la charge de nouveaux circuits déclaratifs. Dès lors, l’adossement de la retenue à la source au circuit de déclaration et de recouvrement de la CSG et des cotisations sociales s’impose naturellement, qu’il s’agisse avec la première solution d’intégrer un protocole d’échange de taux effectifs dans le SI (système d’information) de la paye, ou avec la seconde d’exploiter plus complètement les déclarations sociales.

Au-delà des coûts fixes d’initialisation de ces nouveaux modules de traitement (comme il s’en introduit constamment dans ces SI), la charge supplémentaire reposera donc exclusivement sur les services de l’administration.

4 – Quel scénario pour un basculement réussi vers le PAS ?

4.1 – Les conditions d’un basculement réussi

Le passage à la retenue à la source constitue un chantier à multiples composants, nécessitant une période de transition et des choix organisationnels stratégiques. Le succès de cette transition et de la nouvelle organisation repose sur plusieurs conditions :

Le PAS ne doit pas augmenter la charge administrative supportée par les Tiers Payeurs (TPs) , mais la section 3 a montré comment ce prérequis était aisément accessible ;

Le PAS doit demeurer sans incidence sur les relations entre contribuables et TPs , ce pourquoi on a aussi montré que plusieurs options étaient aujourd’hui ouvertes alors que cette exigence a longtemps été perçue comme bloquante ;

Ce paiement de l’impôt contemporain de l’encaissement des revenus pourrait être circonscrit, au moins dans un premier temps, aux revenus transitant par les TPs (traitements, salaires, revenus de remplacement et revenus du capital). En l’absence de TPs, comme c’est le cas pour les travailleurs indépendants ou les revenus fonciers, le mécanisme déclaratif assorti d’une procédure d’autoliquidation (comme c’est déjà le cas pour les cotisations et la CSG) permettent en tout état de cause de prendre en compte la forte variabilité de ces revenus ;

La transition vers le PAS doit permettre de lisser les effets de « l’année blanche » fiscale. En effet, l’année (n) où le PAS entrerait en vigueur dans l’hypothèse d’un basculement instantané, par construction celui-ci porterait à pleine charge sur les revenus contemporains (perçus en n). L’année qui précède, l’impôt aura été liquidé selon l’ancien système déclaratif, donc sur la base des revenus perçus en (n-2). Pour éviter une double charge de prélèvement sur le même exercice, il a d’abord été imaginé que les revenus perçus en (n-1) ne fassent l’objet d’aucun prélèvement, n’étant pris en compte ni dans l’ancien ni dans le nouveau système : (n-1) serait une « année blanche » pour l’administration fiscale, correspondant à un abandon de créance immédiat de l’État sur les contribuables à hauteur de plus de 60 Mds€.

Cet abandon brutal aurait des vertus économiques, améliorant la confiance des ménages, mais il poserait des difficultés majeures, créant des déséquilibres entre gagnants et perdants et favorisant des comportements opportunistes. Faute de lissage, les contribuables seraient incités à concentrer le maximum de leur revenu sur cette année (n-1), ce qui aurait un effet redoutable sur les comptes publics et la crédibilité de la réforme.

4.2 – Une période transitoire de 48 mois

Dans ce contexte, la réforme paraît réalisable sur une période de 48 mois [24] , au cours de laquelle le PAS monterait en puissance progressivement, alors que le recouvrement de l’impôt dû sur le revenu de l’année précédente dans le cadre traditionnel (acomptes mensuels ou trimestriels et solde de l’automne) verrait sa part diminuer à due concurrence. Parallèlement, pendant toute la période transitoire, cet IR liquidé au titre de l’année précédente donnerait lieu à une réfaction forfaitaire destinée à compenser le ressaut de la retenue de l’année courante par rapport à celle appliquée sur l’exercice antérieur. Cet étalement, dont le séquencement est illustré à titre d’exemple dans le tableau 1, permettrait de lisser l’abandon de créances de l’Etat sur quatre ans réduisant les déséquilibres entre citoyens ainsi que les risques d’aubaine que pourrait induire un basculement instantané.

La mise en œuvre du dispositif, qui repose sur l’intégration de la DSN et du compte fiscal en temps réel, passe par des développements informatiques et le déploiement du circuit ACOSS/DGFiP qui pourraient demander de l’ordre de deux années. D’où l’intérêt d’articuler cette évolution technique avec la montée en régime progressive du PAS qu’exige la maitrise fiscale de l’effacement de « l’année blanche » (proposée sur quatre ans de 2016 à 2019).

En considérant qu’avec une décision prise à l’été 2015 la combinaison Ti/To sera opérationnelle à partir de janvier 2018, une solution plus « rustique » pourrait s’appliquer sur les deux années 2016 et 2017, permettant de mieux tester la « tuyauterie » aussi bien que les équilibres budgétaires.

En 2016, les employeurs ne connaitront que le Ti, qui ne serait retenu qu’à hauteur de 15 % de son montant nominal. Cette amorce du PAS serait équilibrée par une réfaction au même taux des acomptes et du solde d’impôt toujours dus au titre des revenus de 2015.

En 2017, deuxième année de régime « rustique » (sans intervention du taux optimisé), il est proposé de porter le PAS de 15 à 40 % de son montant nominal, ce ressaut étant compensé par une nouvelle réfaction (de 25 %) sur l’IR du au titre de 2016.

On comprend que dans cette première phase de la transition, le bénéfice du quotient (conjugal et familial) serait, en principe, reporté sur la régularisation en n+1. Sauf qu’il est possible d’imaginer d’emblée un dispositif simple de neutralisation de ces décalages de trésorerie, initié par l’administration sous forme d’un crédit-relai, complémentaire de la réfaction forfaitaire et adapté à la situation des intéressés [25] . Et dès 2017, il sera facile de prendre en compte d’autres situations particulières documentées par les contribuables eux-mêmes, grâce à l’affichage sur leur compte en ligne des retenues effectuées par les employeurs qui permettra aux intéressés de justifier leurs demandes dans les cases d’un formulaire préformaté [26] .

En 2018, par construction, le basculement en régime « optimisé » asséchera ces enjeux de trésorerie attachés au bénéfice du quotient (voire à d’autres dispositions que le législateur souhaiterait intégrer dans le To sans attendre la régularisation en n+1). Le nouveau ressaut du PAS (à 70 %) sera compensé par une réfaction de 30 % appliquée à la liquidation de l’IR du au titre des revenus de 2017.

En 2019 enfin, le dernier ressaut du PAS (désormais entré définitivement en régime de croisière) serait compensé par une ultime réfaction de 30 %.

Tableau 1 : Transition vers le prélèvement à la source étalée de 2016 à 2019

Conclusion

Le PAS constitue une opportunité pour la France de tirer pleinement parti de l’intégration des systèmes d’information et des progrès technologiques qui l’ont rendue possible. Cette réforme permettrait de libérer les contribuables d’une part importante de leurs obligations administratives et des incertitudes propres au système existant des acomptes mensuels et du solde subordonnés au régime déclaratif. Elle garantirait la réactivité du prélèvement, renforçant la confiance des citoyens aussi bien que l’efficience de la politique économique.

Comme toute réforme structurelle, le passage au PAS pose des difficultés techniques. Mais ces dernières sont surmontables dès lors que l’administration fiscale conserve la maitrise des données et du prélèvement dans le cadre des circuits financiers déjà mis en place par les URSSAF. Dès lors, les Tiers Payeurs ne verront pas leur charge administrative augmenter, et les risques de transmission d’informations confidentielles seront écartés.

Ainsi, le PAS est une réforme qui paraît prioritaire. Utile pour notre société, elle permettra d’accélérer la mutation de l’administration fiscale, et son basculement de la culture du guichet vers les services en ligne. Elle constitue surtout la pierre angulaire de la refonte de la fiscalité des revenus, ouvrant la voie à une intégration accrue entre IR et CSG.

La réforme du prélèvement met encore plus en évidence le problème des multiples niches fiscales qui font de notre code des impôts un modèle de complexité administrative. Si la mise en œuvre du PAS rend possible l’automatisation intégrale de la gestion de l’IR et des relations entre administration et contribuables, comment aider ceux-ci à intégrer tous ces éléments de personnalisation ou de modulation de la politique fiscale dans un système automatisé sans qu’ils se trompent ?

Certains avantages fiscaux ne posent pas de difficulté, soit parce que leur caractérisation est aisée ou parce qu’ils ont un objet récurrent. D’autres resteront plus délicats à formaliser dans une interface en ligne. Ainsi la dématérialisation intégrale des procédures permise par le PAS doit constituer une opportunité pour rationaliser l’économie générale de l’impôt sur le revenu et encourager le législateur à privilégier son accessibilité pour les usagers.

Références

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Le Clainche, M., 2012. « Le débat sur les ressources publiques pendant la campagne pour les élections présidentielles du printemps 2012 », Revue française d’administration publique, n° 144, p. 1035–1041, 2012

Perrotin, F., « Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : un avis réservé du Conseil des prélèvements obligatoires » ; Les Petites affiches, n° 39, p. 3–6, 23 février 2012

Persini, C., « Fiscalité : à l’aube d’une révolution », Cahiers Français. Paris, La documentation française, n° 373, mars-avril 2013

Vapaille, L., Refonder l’impôt sur le revenu ? Paris, l’Harmattan, 2013

Wolf, M., « Recouvrement de l’impôt sur le revenu : actualité de la retenue à la source », Revue de droit fiscal, n° 46, p. 8–16, 14 novembre 2013

Wolf, M., 2014. « La retenue à la source, une avancée gagnante pour tous », CFDT – La Revue – n° 6 juillet-août 2014

  1. En fait une déclaration des revenus suivie d’un avis d’imposition.

  2. Le PAS est appliqué, par exemple, aux Etats-Unis et dans tous les États de l’UE.

  3. Engagement 14.1 : « La fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG dans le cadre d’un prélèvement simplifié sur le revenu »

  4. Sondage Ipsos Public Affairs publié lundi 14 octobre 2013 par Le Monde, BFMTV et la Revue française des Finances publiques

  5. Voir notamment le rapport de F. Auvigne, C. Bébéar et R. Viricelle « Les modalités de mise en œuvre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu »en 2007.

  6. Conseil des Prélèvements Obligatoires, fév. 2012, « Prélèvements à la source & impôt sur le revenu ».

  7. Luc Arrondel* et Hector Calvo Pardo, Les Français sont-ils prudents ? Patrimoine et risque sur le marché du travail , 2008

  8. Y compris la littérature à laquelle l’étude du CPO se réfère pour avancer ce résultat.

  9. Ajoutons que le CPO ne dit mot sur la clé de répartition utilisée pour estimer la part de l’épargne de précaution motivée par les incertitudes engendrées par le système déclaratif.

  10. Ainsi, par exemple de la fonction de recensement des contribuables. Dès lors qu’un revenu est versé par un tiers, le bénéficiaire sera ipso facto identifié et localisé de manière unique par le lien entre son NIR connu du tiers payeur et son numéro fiscal individuel ; son enregistrement fiscal sera donc anticipé à la source, alors que l’administration ne peut aujourd’hui compter que sur sa bonne volonté ou de coûteux travaux d’identification des « défaillants ».

  11. Voir note 19 infra.

  12. PLF 2015, justification au premier euro, programme n. 156

  13. Que l’on pense à ces millions de journées-agents consacrées à chaque printemps, puis à chaque automne, à recevoir les contribuables, souvent non imposables. Ou à l’énergie déployée pour rappeler à ses obligations ce parlementaire souffrant de « phobie administrative » dont la situation aurait été réglée par les seuls ordinateurs du PAS.

  14. Entre 2009 et 2015, les effectifs de la DGFIP sont ainsi passés de 124.255 « équivalents temps plein travaillé » (ETPT) à 111.990, soit une baisse 12.265 (- 9.8 %).

  15. Il restera tout de même une part de contentieux et la nécessité d’expliquer/justifier les choix fiscaux aux contribuables. Le consentement à l’impôt exige des efforts de pédagogie et d’explication qu’on ne peut pas totalement dissoudre dans l’efficacité technologique.

  16. Il faut souligner cependant qu’il n’est pas certain que les services en charge de la fiscalité des particuliers aient été autant exposés aux restrictions de moyens que les autres depuis 2009–2010. Le nombre d’ETPT affectés à la « fiscalité des particuliers et fiscalité directe locale » tel que recensé au titre de l’action 3, programme 156 du PLF est ainsi passé de 32.028 à 35.600 (+11 %) entre 2009 et 2015, sans qu’un probable changement du périmètre ait été documenté.

  17. Cette meilleure articulation constitue d’ailleurs selon le CPO (2015) la « clé de voûte » des réformes de l’impôt sur le revenu.

  18. Le Nouvel Observateur, « Prélever l’impôt à la source : pourquoi ça bloque », 12 décembre 2014

  19. Sur la base d’un barème constant tiré de celui de la LFI 2015 (applicable aux revenus de 2014), et en supposant que les revenus des intéressés sont également constants (salaire net déclaré, après réintégration de la CSG non déductible et sans prise en compte des frais professionnels).

  20. Selon la solution déjà envisagée pour le calcul de l’exonération dégressive de cotisations sociales dans le PLFSSR du 16 juin 2014 (cf. étude d’impact de l’article 1, page 2) : calcul de la retenue sur le revenu cumulé depuis le premier mois de l’exercice prorata temporis sur 12 mois (par application du barème de l’IR) et déduction des montants de retenue prélevés sur les mois précédents.

  21. L’algorithme ici appliqué (avec un décalage de deux mois) consiste à partager le bénéfice du quotient proportionnellement entre les deux contribuables, mais plusieurs autres solutions sont envisageables.

  22. Et des informations qui ont pu être transmises en temps réel par les contribuables via leur compte fiscal en ligne, telles un mariage ou une naissance.

  23. Ce sera le cas à partir de 2016 avec la généralisation de la DSN (déclaration sociale nominative) qui aura notamment pour effet de remplacer sur une base mensuelle la déclaration annuelle des salaires qui alimente déjà les déclarations de revenus préremplies des contribuables.

  24. De date à date, depuis le mois de janvier de l’année de démarrage de l’année 1 au mois de décembre de l’année 4 où la retenue achève de s’appliquer avec son plein effet.

  25. Puisque l’administration a connaissance de leur situation familiale dans ses fichiers.

  26. Exemples parmi d’autres, l’augmentation des charges de famille ou l’évolution des revenus.

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