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Note

La Philharmonie de Paris, bâtir bien plus qu’une simple salle de concert

L’arrêt actuel de la construction de la Philharmonie de Paris dans le Parc de La Villette est une situation intenable. Malgré les interrogations, notamment budgétaires, pesant sur son opportunité, Paris doit être capable d’accueillir les ensembles en tournée et de permettre des enregistrements de qualité. L’Etat doit honorer ses engagements comme l’ont déjà fait la Région Ile-de-France et la Ville de Paris. Mais pour réussir ce pari, il faut surtout développer un véritable projet culturel, en ouvrant la Philharmonie aux acteurs environnants.
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Projet ancien, la création d’une grande salle philharmonique dans le nord-est de Paris a pour objectif de doter la France d’un outil d’excellence au service, principalement, de la musique symphonique. Force est en effet de constater que, malgré le niveau de la capitale en équipements culturels, Paris ne figure pas parmi les grandes villes mondiales en matière symphonique et n’accueille que rarement les plus grandes phalanges dans leurs tournées, faute de lieu adapté. Si Paris est déjà riche en salles de concerts, de théâtres et d’opéras, aucune n’est véritablement adaptée aux conditions de travail d’un orchestre d’aujourd’hui.

Par ailleurs, les concepteurs du projet l’ont conçu pour amener de nouveaux publics vers ce type de musique, la localisation aux côtés de la Cité de la Musique étant particulièrement pertinente en ce sens. La réalisation de ce projet, relancé au début des années 2000, connaît actuellement une crise importante, à cause des hésitations de l’Etat quant au financement du projet, dont il supporte le coût à parité avec la Ville de Paris. Après que les travaux ont commencé en 2009, les incertitudes sur le financement ont conduit à leur interruption rapide, situation qui ne pourra durer pour de nombreuses raisons, juridiques et matérielles en particulier. Le contrat passé avec les constructeurs n’est en effet valide que jusqu’à cet automne et l’état du chantier ne tolèrera pas longtemps d’autres retards.Initialement prévue en 2012, l’ouverture de la Philharmonie de Paris interviendra plus probablement en 2013, voire en 2014. Il est même possible que l’Etat décide d’abandonner le projet, compte tenu de son coût pour les finances publiques et passe par pertes et profits les sommes déjà engagées, sans compter les dédommagements qui devront nécessairement être versés aux parties prenantes. Cette manière de gouverner et de ne pas prendre de décision, qu’expliquent en partie les rapports de force entre le ministère de la culture, Matignon, et l’Elysée, est très critiquable et conduit à l’enkystement d’un projet mobilisateur. Elle est aussi synonyme de dépenses inutiles tout à fait contraires à l’objectif de bonne gestion des deniers publics. Surtout, malgré les hésitations que l’on peut légitimement ressentir sur ce projet, son abandon aujourd’hui serait une mauvaise nouvelle pour la diffusion de la musique à Paris et en Ile-de-France et pour le rayonnement culturel de la France dans le monde. Car, par delà la seule construction d’un équipement culturel de haut niveau contribuant au rayonnement de la capitale, la Philharmonie peut donner les moyens d’inventer une nouvelle politique de diffusion et de pratique musicale et de renouveler véritablement les publics. Il faudra pour cela conduire une politique adaptée, notamment du point de vue tarifaire, aux objectifs de renouvellement du public, développer des pratiques musicales des plus jeunes avec des méthodes originales et diffuser le plus largement possible les concerts qui y seront accueillis. Si ces conditions sont satisfaites, c’est une chance historique qu’il faut saisir et un pari à relever.L’Etat, la ville de Paris et la Région ont soutenu ce projet et ont permis le démarrage des travaux. Des décisions rapides doivent désormais être prises : il faut mettre un point d’orgue aux tergiversations et remettre le dossier en marche, sous conditions. Il est aussi indispensable qu’en matière musicale, le ministère de la culture redevienne un pilote et un arbitre capable de penser sa politique et son financement comme un tout, en bonne intelligence avec les orchestres notamment parisiens, les salles et ceux qui font les programmations.

La création d’une grande salle de concert à Paris, adaptée aux nouvelles pratiques d’écoute musicale et à la musique symphonique, est une ambition ancienne. Berlioz déjà déplorait l’absence dans la capitale d’une salle de concert digne de cette ville et digne d’un grand pays. Ce constat a perduré jusqu’à la création d’une salle de concerts, la salle Pleyel, en 1927, mais les vicissitudes que cette salle a connues et son impossibilité de s’agrandir, malgré sa complète réhabilitation en 2006, n’ont pas permis de disposer d’une véritable salle de concert apte à accueillir des orchestres symphoniques devant un public large.

Le projet d’installation d’une salle philharmonique dans le nord-est de Paris, au sein du Parc de la Villette, est également ancien. Quand, en 1984, Christian de Portzamparc se voit confier la réalisation de la Cité de la musique, sur le site de la Villette, l’architecte dessine une salle de musique de chambre (800 places) et un grand auditorium pour la musique symphonique. Seule la première est finalement réalisée et inaugurée en 1995. A l’époque, ce recul provoqua de nombreuses protestations, notamment de la part de Pierre Boulez, fervent défenseur du projet.

Le projet est relancé en 2001, à l’initiative de la ministre de la culture et de la communication Catherine Tasca, et du Maire de Paris, Bertrand Delanoë. Soutenu de façon continue par le Maire de Paris et par les ministres de la culture successifs, il a débouché, en 2006, sur la création de l’association « La Philharmonie de Paris », pilotée par la Cité de la Musique et son directeur général Laurent Bayle, avec la participation de l’Etat et la Ville de Paris. L’association est chargée de construire le nouvel équipement musical qui devait initialement ouvrir en 2012.

Sur la base d’un programme défini par la Philharmonie de Paris, en accord avec l’Etat et la Ville de Paris, le maître d’œuvre de l’opération de construction et de mise en exploitation a été désigné dans le cadre d’un concours international lancé en 2006. 98 candidatures ont été reçues et 6 candidats ont été admis par le jury à présenter leur projet [2] . Au final, ce sont les ateliers Jean Nouvel qui ont été désignés en avril 2007.

- Un hall d’accueil-grand foyer unique desservant l’ensemble des fonctions accessibles au public (accueil, renseignement et vente de billets), dont la surface sera d’un peu plus de 1 000 m2 ;

- Des foyers répartis tout autour de la salle de concert directement reliés à ses accès et offrant un ensemble de services aux spectateurs (toilettes, bar, vestiaires…) ;

Après que la ville de Paris et la Région ont apporté leur contribution, les travaux ont pu commencer, à l’automne 2009, par des opérations de terrassement et de soutènement. Un vaste espace de 12 mètres de profondeur a été creusé et près de 40 Meuros dépensés. Les travaux ont toutefois été stoppés rapidement, faute de certitudes du côté de l’Etat sur la suite du projet. On attend, en cet automne 2010, des décisions du gouvernement sur l’avenir de la Philharmonie de Paris car la situation de point mort n’est pas tenable. La confirmation du projet comme son abandon définitif semblent possibles.

Ce projet est parfois contesté, à gauche comme à droite, principalement pour des motifs budgétaires et de suréquipement de la capitale, mais aussi à cause d’incertitudes quant au public susceptible de fréquenter la salle, y compris à cause de la concurrence susceptible d’exister avec d’autres salles (1).

Pourtant, compte tenu des caractéristiques du projet et aussi des dépenses déjà engagées, l’arrêt du projet marquerait un abandon sans doute définitif d’une ambition culturelle de haut niveau en matière musicale pour Paris. Surtout, l’occasion serait perdue de développer de nouvelles pratiques musicales et de nouveaux modes de diffusion (2). De fait, il est nécessaire, pour réussir la Philharmonie, de bâtir bien plus qu’une simple salle de concert.

1 – LA PHILHARMONIE DE PARIS : UN PARI AUDACIEUX … ET MENACE

Seul projet du Président de la République en matière culturelle susceptible d’avancer pendant son quinquennat, Maison de l’histoire de France mise à part, la Philharmonie de Paris a essuyé de nombreuses critiques de gauche comme de droite.

1.1 – Quel public pour la Philharmonie dans un contexte de suréquipement parisien ?

La Philharmonie de Paris ambitionne de fédérer deux types de public: prendre appui sur le public actuel de Pleyel et de la Cité de la musique, constitué majoritairement de mélomanes ; s’ouvrir au grand public et aux jeunes qui ne fréquentent que rarement les concerts symphoniques. La Philharmonie de Paris s’est fixée un objectif de départ de 400 000 spectateurs et espère accueillir 600 000 spectateurs par an à moyen terme.

C’est un pari audacieux, pour plusieurs raisons qui sont autant d’arguments pour les opposants au projet.

– Rien ne garantit que le public actuel de Pleyel se rendra à la Philharmonie de Paris . Les porteurs du projet considèrent que la qualité de l’offre musicale et la réussite architecturale de la nouvelle salle suffiront à attirer le public de Pleyel (250 000 spectateurs par an en moyenne) qui est un public de mélomanes habitués. Cependant, en cas de réorientation de la programmation de Pleyel sur des répertoires non classiques, il est possible de penser qu’une part de ce public, dont plus d’un tiers vient de l’Ouest de Paris (8 ème , 15 ème , 16 ème et 17 ème arrondissements), ne fera pas le déplacement jusqu’à la Philharmonie de Paris, et se dirigera vers d’autres salles de concert, la concurrence étant permanente (un soir de semaine à Paris, au moins quatre concerts/récitals/opéras de haut niveau se déroulent à la même heure).

En effet, Paris ne manque pas de salles de concert. Si tous les projets initiés à ce jour aboutissent, Paris comptera au moins trois salles dédiés en partie à la musique symphonique : la Philharmonie de Paris (2 400 places), le nouvel auditorium de Radio France (1 400 places) et le Théâtre des Champs Elysées (1900 places). Par ailleurs, sur l’île Séguin, l’ancien site des usines Renault, pourrait accueillir une salle de concert. Il faut également compter avec l’existence de salles, non spécifiquement dédiées à la musique symphonique, mais qui proposent une programmation musicale classique ou lyrique de haut niveau, pouvant concurrencer indirectement la Philharmonie de Paris. Il s’agit notamment du Théâtre du Châtelet (2 000 places), de l’Opéra Bastille (2 700 places), de l’Opéra Garnier (1 900 places), de l’Opéra comique (1 100 places), et de la Salle Gaveau (1 000 places). Reste la Salle Pleyel (entre 1700 et 1900 places selon la configuration), propriété de la Cité de la Musique, dont il est parfois envisagé qu’elle se réoriente vers un répertoire de variétés et de jazz.

Par ailleurs, le fait que l’Orchestre de Paris soit accueilli de façon permanente en résidence au sein de la Philharmonie de Paris ne suffira probablement pas à en garantir l’attractivité pour les mélomanes parisiens, compte tenu de la densité et de la variété de l’offre musicale classique à Paris. En effet, en plus des trois grandes institutions symphoniques les plus soutenues par les pouvoir publics que sont l’Orchestre de Paris, l’Orchestre national de France et l’Orchestre Philharmonique de Radio France, côtoient à Paris l’Orchestre national d’Ile-de-France, l’Orchestre de l’Opéra de Paris, l’Orchestre Colonne, l’Orchestre Pasdeloup et l’Orchestre Lamoureux. En outre, hors champ strictement symphonique, Paris accueille plusieurs formations dites spécialisées : l’Ensemble Intercontemporain, l’Ensemble Orchestral de Paris, Les Arts florissants, l’Orchestre des Champs-Elysées, le Concert d’Astrée et les Talents Lyriques. Même si ces phalanges ne sont pas tout à fait comparables, l’offre sur Paris est d’une richesse certaine.

– Rien ne garantit que la création de la Philharmonie permettra la conquête de nouveaux publics . Les porteurs de projet considèrent que la Philharmonie pourra drainer le public actuel de la Cité de la musique (100 000 à 120 000 spectateurs par an en moyenne), une partie de celui de la Salle Pleyel (de manière plus évidente, les mélomanes n’habitant pas dans les quartiers voisins de Pleyel et pour lesquels le déplacement à la Villette ne posera pas de difficulté particulière) et attirera de nouveaux publics des arrondissements de l’Est parisien et des communes voisines, compte tenu de l’évolution sociologique de ces quartiers, de l’amélioration des transports et des effets de la politique d’éducation artistique. Cependant, s’il est effectivement possible de penser que le public de la Cité de la musique constituera le cœur du public de la Philharmonie de Paris, il faut craindre que la conquête de nouveaux publics ne soit pas si facile. En effet, comme le montre notamment Olivier Donnat dans Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique , l’écoute de la musique classique et la fréquentation des concerts de musique classique ne cessent de reculer en France et notamment chez les jeunes générations et au sein des catégories populaires.

Ainsi, il faut être extrêmement prudent quant à la fréquentation attendue et il est même possible de craindre que le public ne soit pas au rendez-vous, compte tenu principalement de la localisation de la salle, de la concurrence d’autres salles dédiées à la musique classique dans l’Ouest de Paris et de la difficulté à fédérer de nouveaux publics autour de la musique classique.

1.2 – Une pertinence urbaine à relativiser

Quand le Parc de la Villette fut réalisé progressivement, au cours des années 1980, le nord-est parisien souffrait d’un grave déficit d’équipements publics, notamment dans le domaine culturel. Trente ans plus tard, les équipements implantés dans le parc ont fait leur preuve, notamment grâce à l’action fédératrice de l’Etablissement public du Parc et de la Grande Halle de la Villette. Par ailleurs, la Ville de Paris, depuis 2001, a investi massivement pour rénover le nord-est de Paris et pour rééquilibrer l’offre culturelle sur l’ensemble du territoire parisien. Dans le domaine culturel, de nombreux équipements ont été ouverts ou le seront prochainement : CENTQUATRE, Maison des Métallos, Médiathèque Marguerite Duras, MK2 Quai de Seine, cinéma de la Porte des Lilas, UGC de la ZAC Claude Bernard ou encore cinéma de la 4 ème travée de la Cité des sciences et de l’industrie. Si des efforts sont encore nécessaires pour réhabiliter certains quartiers, la situation s’est donc nettement améliorée et l’implantation de la Philharmonie ne créera pas à elle seule une révolution urbaine dans le nord-est de Paris.

1.3 – Un coût problématique en période de restrictions budgétaires

Depuis 2006, la Ville de Paris et l’Etat ont déjà engagé d’importantes sommes (environ 40 millions d’euros) pour financer les premiers travaux, notamment de terrassement, et le fonctionnement de l’association chargée de piloter les travaux et de préparer l’ouverture de la Philharmonie de Paris.

Estimé à 150 millions d’euros en 2006, le coût total des travaux devrait finalement atteindre 230 millions d’euros aujourd’hui, voire 350 millions d’euros en intégrant des modifications du cahier des charges, notamment à cause de certaines exigences en matière énergétique et environnementale, et l’ensemble des autres dépenses de toute nature (y compris l’obligation pour le constructeur d’assurer la maintenance du bâtiment pendant 15 ans). Le coût devrait reposer sur l’Etat à hauteur de 165 millions d’euros, sur la ville également pour 165 millions d’euros et sur la Région Ile-de-France pour 20 millions d’euros. Cette augmentation des coûts prévus initialement était malheureusement prévisible, compte tenu de l’ambition culturelle du projet, du projet architectural retenu et de la dérive des coûts observée par le passé pour la création d’établissements culturels.

Enfin, une fois le lieu ouvert, les coûts d’exploitation de la Philharmonie de Paris seront également très importants. Ils pourraient s’élever à environ 20 millions d’euros par an, en rythme de croisière, soit 10 millions d’euros pour l’Etat et 10 millions d’euros pour la Ville de Paris, sans doute compensés en partie par le redéploiement des subventions actuelles destinées à la salle Pleyel.

En période de restriction budgétaire, tant pour l’Etat que les collectivités territoriales, l’importance de ces coûts suscite des interrogations légitimes. En effet, sauf si le financement des crédits d’investissement et de fonctionnement nécessaires à la réalisation de la Philharmonie de Paris s’accompagne d’une augmentation substantielle du budget du ministère de la culture et de la communication (7,5 milliards d’euros en 2011) et du budget culturel de la Ville de Paris (350 millions d’euros par an en moyenne depuis 2001), ce qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’est pas garanti, il faut craindre que le financement de la Philharmonie se fasse, en tout ou partie, par redéploiement de crédits et soit donc préjudiciable aux autres secteurs culturels. Or, les besoins en la matière sont nombreux, compte tenu des investissements à réaliser dans les domaines du patrimoine et de l’accompagnement de la révolution numérique des établissements et des industries culturels et du soutien à apporter à l’éducation artistique, aux pratiques amateurs, aux secteurs en voie de paupérisation, comme le spectacle vivant, et aux secteurs plus fragiles, comme les musiques actuelles ou le cirque et les arts de la rue. A minima, une discussion avec l’architecte et les constructeurs.

2 – AU DELA D’UNE SIMPLE SALLE DE CONCERT, REUSSIR LA PHILHARMONIE

Ces arguments défavorables ont leur pertinence, en particulier au regard de la situation des finances publiques [3] et du paysage culturel français, marqué par une concentration d’équipements dans Paris intra-muros. Ils pourraient même emporter la conviction si la Philharmonie n’était qu’une salle de concert de plus. Même si le projet, mûrement réfléchi, présente d’indéniables atouts, réussir la Philharmonie exige d’aller bien au-delà et d’inventer de nouveaux modèles de diffusion et de pratique de la culture. C’est à ce prix que l’investissement aura été justifié.

2.1 – Un projet architectural et urbanistique de haut niveau, dans l’Est parisien

Deux caractéristiques du projet conservent toute leur pertinence.

– D’abord, un projet architectural au niveau des ambitions musicales et culturelles

La jauge de la salle de concert, de 2400 places, est parfaitement adaptée aux enjeux culturels, musicaux et sociaux. Elle sera, pour ce type de musiques, sans aucun équivalent en région parisienne. Sur le plan acoustique, la salle de concert répondra aux normes internationales les plus exigeantes. Elle devra se démarquer des modèles strictement frontaux et privilégiera un enveloppement de la scène par le public afin de renforcer le sentiment d’intimité entre les interprètes et leur auditoire (aucun auditeur ne se trouvera éloigné de plus de 32 mètres de l’orchestre). La scène pourra accueillir des formations allant jusqu’à 120 musiciens et 240 choristes et faire jouer indifféremment des orchestres symphoniques, des récitals de musique de chambre ou d’instruments solistes, les musiques du monde, du jazz, des créations contemporaines ou encore de la musique amplifiée.

Les espaces connexes, et en particulier ceux consacrés aux temps de répétition, sont un des arguments les plus forts. Aujourd’hui, si des lieux existent pour que les phalanges les plus importantes se produisent à Paris, ils n’offrent pas de conditions de travail au niveau des lieux comparables dans le monde (cf. infra ).

Avec la Philharmonie, Paris se doterait, comme Berlin, comme Rome, comme Los Angeles, d’un nouveau lieu emblématique.

- Le projet urbain inscrit dans le Grand Paris, argument toujours valide

Le choix d’une implantation au nord-est de Paris, dans le Parc de la Villette, sur un site de 19 600 m2, ne doit rien au hasard et vise trois séries d’objectifs :

Conduire à son terme le projet culturel, architectural et urbain imaginé pour le Parc de la Villette, qui prévoyait depuis le départ la création d’une grande salle symphonique ayant vocation à collaborer avec les autres institutions culturelles déjà présentes sur le site : Cité de la Musique, Conservatoire national supérieur de musique et de danse, Grande Halle, Théâtre Paris-Villette, Zénith, Cité des Sciences, Géode et Folies.

Participer au renouveau du nord-est parisien qui est moins doté en équipements et infrastructures publics que le reste de Paris. On peut du reste noter que, pour favoriser l’accueil d’artistes de haut niveau, le renforcement des structures hôtelières est également prévu et participera au développement du quartier.

Favoriser le développement de la métropole parisienne, au-delà du boulevard périphérique, la Philharmonie de Paris ayant vocation à attirer les publics des communes voisines de Seine-Saint-Denis, notamment Pantin, Montreuil et Aubervilliers. Les communes et les structures de coopération intercommunale de l’Est parisien voient la Philharmonie comme un élément de rééquilibrage dont elles pourront tirer parti, en collaboration avec la Cité de la Musique.

2.2 – Un projet culturel qui dépasse la seule musique symphonique

– Le besoin incontesté d’une salle symphonique de haut niveau

Les orchestres symphoniques ont vu leurs modes de travail, de fonctionnement, de « vie » profondément modifiés depuis la fin du XIXème siècle. La composition des pupitres, le rôle du chef et de chaque musicien ont évolué : répétitions séparées par pupitres, travail en formations de chambre, apprentissage des instruments anciens, adaptation aux œuvres récentes… Toutes ces exigences, vitales pour un orchestre moderne de qualité internationale, nécessitent des espaces de travail diversifiés, notamment au niveau des salles de répétition.

Or, si de nombreux théâtres conçus pour le genre lyrique se sont adaptés aux évolutions de leurs métiers (construction de Bastille, modernisation de Garnier, adaptation du Théâtre des Champs-Elysées, du Châtelet, et de l’Opéra-Comique à leurs répertoires respectifs), Paris ne dispose d’aucun lieu de référence en matière de concert symphonique permettant d’accueillir plus de 2000 personnes. La salle Pleyel, comme le théâtre des Champs Elysées, sont les seules à avoir continué à proposer une programmation symphonique cohérente. Pourtant, même rénovée, la salle Pleyel, construite sur une parcelle étroite, sans possibilité de développement, ne propose aux musiciens que le plateau de sa salle de concert pour leurs répétitions, ce qui n’offre des conditions favorables ni pour l’Orchestre de Paris en résidence ni pour les orchestres invités. Quant au futur grand auditorium de Radio France, prévu pour 2013, sa jauge de 1400 places n’est pas non plus adaptée, à la fois d’un point de vue acoustique et d’un point de vue économique. Il devra en outre servir de studio d’enregistrement régulier. Pleyel constitue d’autant moins le modèle de l’avenir que les nombreux auditoriums [4] construits à l’étranger au cours des dernières années forment de grands complexes, dotés de plusieurs salles de concert et de répétition et, surtout, de nombreux espaces destinés à la pédagogie et à l’initiation musicale, notamment pour les jeunes. De fait, Paris a aussi à peu près disparu des projets d’enregistrements de concerts proposés par les grandes maisons d’éditions discographiques (alors même que les concerts live sont devenus, pour des motifs de coût évidents, les occasions privilégiées pour « graver » des disques).

Ces grands complexes musicaux modernes sont venus s’ajouter aux salles historiques dont elles étaient déjà dotées, preuve que ces dernières ne répondaient plus aux attentes des professionnels et du public. Les localisations choisies, parfois éloignées du centre (au Nord de Rome pour le Parc de la Musique de Renzo Piano ; pour Berlin, près de Potsdamer Platz et de Tiergarten, côté Est, à l’époque du Mur), n’ont pas été un obstacle à leur succès.

Paris doit donc combler un retard par rapport aux standards internationaux : pour des raisons liées à l’acoustique, au confort du public et à la part des recettes de billetterie dans le budget, la jauge optimale pour une salle moderne est estimée entre 2 200 et 2 400 places, avec un volume global de 26 000 à 30 000 m3. Aucune salle parisienne n’atteint ce niveau. Même rénovée, la Salle Pleyel ne dispose que de 18 000 m3 pour une jauge limitée à 1 900, voire 1 700 places, selon les configurations. En outre, le projet imaginé par la Cité de la Musique placerait la Salle Pleyel sur un autre créneau non concurrent de la Philharmonie (variétés, jazz…), dont la pertinence reste à examiner mais qui constitue une perspective nouvelle.

Pour combler ce retard et mettre Paris au niveau des grandes capitales mondiales, la Philharmonie de Paris a vocation à offrir les meilleures conditions de répétition et de diffusion pour les orchestres et pour le public.

Elle sera principalement consacrée à l’accueil de grandes formations symphoniques, mais elle présentera d’autres formes d’expression musicale, faisant notamment appel à la sonorisation, tel que le jazz ou les musiques du monde.

Souhaitant devenir une véritable maison des orchestres , porteuse d’un projet pédagogique et culturel fort, la Philharmonie de Paris accueillera plusieurs formations musicales en résidence permanente et temporaire :

- l’Orchestre de Paris sera le résident principal de la Philharmonie de Paris et pourra ainsi franchir un nouveau palier qualitatif, grâce à des conditions de répétitions optimisées ;

- des orchestres régionaux et internationaux seront également accueillis et invitées à se produire sur place (environ 170 concerts par an seront proposés en sus des 80 représentations assurées par les orchestres résidents). Ces orchestres, qui resteront peu de temps sur place, devront pouvoir rapidement prendre leurs marques au sein de la Philharmonie de Paris, disposer de salles de répétition et de locaux adaptés pour ranger leurs instruments en toute sécurité.

- D’autres candidatures pour des résidences permanentes se sont semble-t-il manifesté, y compris pour l’orchestre philharmonique de Radio France, démontrant la pertinence du projet. Au final, la Philharmonie de Paris organisera plus de 250 concerts par an et ambitionne de devenir une référence internationale, au même titre que la Philharmonie de Berlin, conçue en son temps par Herbert Von Karajan, ou le Walt Disney Hall de Los Angeles, et d’attirer les meilleures formations musicales du monde.

- La philharmonie, outil de renouvellement du public

La localisation de la salle ne suffira pas, à elle seule, pour renouveler le public de la musique dite classique et en particulier de la musique symphonique. Une politique tarifaire ambitieuse devra être conduite et la jauge de la salle est à cet égard un outil efficace : pour un budget donné, déterminé pour l’essentiel par le cachet des artistes, disposer d’une salle de 2400 places permettra à l’organisateur de jouer sur les prix des places de manière plus souple et, en particulier, de multiplier le nombre de billets à prix réduit, compensé par le nombre de billets plus chers, lui aussi plus élevé que dans une salle moins importante.

On peut aussi imaginer que des projets soient élaborés avec des conservatoires, des écoles de musique et avec les collectivités locales environnantes pour drainer un nouveau public à des conditions tarifaires favorables.

Enfin, la diffusion des concerts en ligne, dans la lancée de ce que réalise la Cité de la Musique, et leur enregistrement, voire la recherche de nouveaux modes de diffusion à l’instar de ce que commencent à faire les grandes maisons d’opéra, pourront constituer un champ à explorer.

– Transmettre le patrimoine musical par l’éducation artistique : le véritable défi

Afin de rénover le public de la « grande musique », susceptible de connaître un vieillissement certain, la Philharmonie de Paris doit inventer un nouveau modèle d’éducation artistique en s’inspirant, notamment, de l’exemple du London Symphony Orchestra qui développe avec ses musiciens professionnels une intense activité pédagogique dans un lieu dédié, ouverte en premier lieu aux scolaires, mais également aux amateurs et aux jeunes professionnels. Décomplexer les publics potentiels en ouvrant largement les portes de la salle doit faire partie de la mission de la Philharmonie.

En pratique, le projet pédagogique de la Philharmonie de Paris doit s’appuyer sur des programmes d’initiation aux répertoires et aux instruments de l’orchestre symphonique pour les enfants de plus de 7 ans et les adolescents, un programme d’éveil musical pour les enfants de 3 à 7 ans et l’organisation de résidences pour les amateurs, qu’ils soient adolescents ou adultes, qui auront les moyens de se former auprès d’artistes renommés et de se produire au sein de la Philharmonie, dans des formations de type orchestral, mais aussi dans le cadre d’autres ensembles, comme les chœurs ou les big bands de jazz.

Par ailleurs, afin de développer une écoute active de la musique classique et former le goût musical des jeunes publics, la Philharmonie de Paris devra s’appuyer sur les programmes multimédias déjà expérimentés à la Cité de la musique et sur l’organisation de concerts éducatifs, utilisant la médiation d’un présentateur (musicien lui-même) entre l’orchestre et la salle.

Certains arguments, principalement financiers, peuvent plaider pour l’arrêt du projet de Philharmonie de Paris, compte tenu des interrogations pesant sur son opportunité et ils sont relayés à gauche comme à droite.

Au bout du compte, il paraît pourtant peu raisonnable de prendre aujourd’hui une telle décision d’abandon. Elle priverait la France, sans doute définitivement, d’une opportunité historique de se doter de la grande salle moderne permettant enfin aux orchestres philharmoniques de répéter et d’interpréter leur répertoire dans des conditions adaptées. A moyen terme, cet abandon contribuerait inéluctablement au déclin des orchestres français et de la place de Paris, ainsi qu’à l’affaiblissement de la musique dite classique.

Par ailleurs, une telle décision constituerait une nouvelle preuve de l’incurie de l’Etat dans la conduite des grands projets et de l’absence de pilote dans l’avion, en matière culturelle. Baptisée grand projet du quinquennat, alors que l’on ne connaît pas au Président de la République un goût particulier pour la musique classique, la Philharmonie souffre en réalité de la faiblesse sans cesse aggravée du ministère de la culture, d’un poids très relatif du cabinet du Premier ministre dans ce domaine, et de divisions au sein même de l’entourage élyséen (le rôle de Raymond Soubie, président du théâtre des Champs Elysées, concurrent direct de la salle Pleyel qui dépend de la Cité de la Musique, n’est pas des plus clairs…).

En cas d’abandon, les travaux de la Philharmonie de Paris auront conduit à engager des dépenses pour l’Etat et la Ville de Paris (près de 40 millions d’euros) purement et simplement inutiles. Outre les travaux de remise en état, des indemnités importantes devraient être versées pour compenser le préjudice subi par les prestataires retenus, notamment les ateliers Jean Nouvel et les entreprises de travaux publics, pour la mise en œuvre du projet.

Ce projet, dont la pertinence reste entière, ne doit donc pas être abandonné. L’Etat doit honorer les engagements pris, comme l’ont déjà fait la Ville de Paris et la région Ile-de-France. Il est plus que jamais urgent qu’il fasse connaître sa décision et confirme son engagement, sauf à condamner définitivement ce projet ambitieux pour la musique classique et pour la métropole parisienne.

Surtout, pour réussir la Philharmonie, pour enlever dans quelques années tout regret à ceux qui l’ont défendue et pour donner tort à ses contempteurs, il faut développer un véritable projet qui dépasse sa seule construction. Le développement de la pratique musicale avec des méthodes modernes, de nouveaux outils de diffusion des concerts et une politique tarifaire ambitieuse, en liaison avec les partenaires du Grand Paris, constituent des points essentiels pour gagner le pari de la Philharmonie. Si l’Etat décide de débloquer le projet, il conviendra de veiller à ce que la solution de facilité – les seuls murs et les concerts de prestige – soit dépassée. Il est aussi indispensable qu’en matière musicale, le ministère de la culture redevienne un pilote et un arbitre capable de penser sa politique et son financement comme un tout, en bonne intelligence avec les orchestres notamment parisiens, les salles et ceux qui font les programmations.

  1. Nicolas Delatour est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire spécialiste des questions culturelles

  2. Ces six équipes sont : Coop Himme(l)blau (Autriche), Zaha Hadid (Royaume-Uni), MVRDV (Pays-Bas), Christian de Portzamparc (France), Jean Nouvel (France) et Francis Soler (France).

  3. Relevons toutefois, pour mémoire, que le Walt Disney Concert Hall Los Angeles a coûté environ 270 millions de dollars en 2003 (soit à peu près, avec un taux de change d’environ 0,90 euros pour 1 $, de 300 millions d’euros).

  4. Depuis 20 ans, de très nombreux auditoriums ont été construits, sous la direction d’architectes reconnus (Franck Gehry, Jean Nouvel, Jacques Herzog et Pierre de Meuron, Christian de Portzamparc, Rem Koolhaas, Renzo Piano…). Entre autres, on peut citer Seattle, Philadelphie, San Francisco, Dallas et Los Angeles aux Etats-Unis, Nagoya, Fukuyama, Hiroshima, Kyoto, Sapporo et Tokyo au Japon, Londres, Birmingham, Manchester, Glasgow et Cardiff au Royaume-Uni, Hambourg, Cologne, Leipzig, et Munich en Allemagne, Barcelone, Madrid, Valence et Saragosse en Espagne, mais aussi Rome, Porto, Luxembourg, Lucerne, Belfast, Copenhague, Athènes et Budapest.

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