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Note

Bouclier antimissile de l’OTAN : quelle politique française ?

Les technologies antimissiles balistiques ne sont plus aujourd’hui le monopole des ex-grandes puissances. Les Etats-Unis se sont dotés d’une capacité importante en la matière, et l’OTAN a décidé en 2010 de déployer un système de défense antimissile sur le territoire européen : la France et l’Europe peuvent-elles rester à l’écart de ces évolutions ?

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La construction et le développement d’une industrie de défense répondent avant tout à un impératif de souveraineté; en France, où cet impératif s’entend avant tout par rapport aux Etats-Unis, cette politique d’indépendance s’est traduite par le développement d’une industrie puissante et compétitive, dont le spectre couvre la quasi totalité des capacités et des technologies. Cette volonté farouche d’indépendance a été, jusqu’au milieu des années 2000, une exception dans une Europe où les industriels américains dominaient largement, avec environ 50% de part de marché.

Au Royaume-Uni, qui dispose du 1 er budget européen, les années 2000 ont été marquées par un profond changement d’attitude; en effet, sous l’effet conjugué d’une attitude américaine plus restrictive (ITAR), et surtout, de la prise de conscience de l’affaiblissement de ses capacités industrielles, le Royaume-Uni a mis en place, avec ce pragmatisme qui lui est propre, une vraie politique industrielle de défense DIS (Defence Industrial Strategy) puis DIP (Defence Industrial Policy).

Le problème d’une telle approche, comme de l’approche française des « champions nationaux », tient à son caractère national, et donc, dans le contexte budgétaire actuel, nécessairement limité et non pérenne.

Ainsi, sans une politique industrielle au niveau européen, ces initiatives se heurteront immanquablement à un problème de financement dans la durée. Or, pour mettre en œuvre une politique industrielle européenne efficiente et éviter le gaspillage inhérent à l’application des règles de juste retour, il faut des groupes industriels européens.

Le problème est que le mouvement ayant présidé à la création, à la fin des années 90 et au début des années 2000, de groupes européens transnationaux, semble s’être stoppé net ; depuis, on a vu se développer en Europe des politiques purement nationales, sans aucune coordination entre elles : la DIS/DIP au Royaume-Uni, les regroupements d’industriels nationaux en France, et, en Allemagne, le soutien étatique à des acteurs nationaux concurrents d’entreprises européennes installées de longue date.

Comment ne pas s’étonner du caractère incongru de ces replis nationaux, à l’aube d’une décennie où les budgets de défense des grands contributeurs européens vont être mis à mal, sous l’effet conjugué de l’accumulation de la dette et de l’explosion des régimes sociaux. Comment ne pas s’offusquer de ce gâchis dont il faudra bientôt assumer les conséquences économiques et surtout sociales.

Face à ces replis nationaux, il est urgent de relancer, avec nos partenaires privilégiés (britanniques et allemands surtout), une politique industrielle européenne, sans angélisme, mais avec détermination.

C’est à la France de prendre l’initiative d’une telle démarche, car la France est la seule à maîtriser en propre toutes les capacités industrielles de défense (terre, air, mer, armement, grands systèmes, nucléaire) et surtout les technologies de base rendant ces capacités crédibles et indépendantes.

En l’absence d’une politique industrielle concertée entre les nations européennes, l’effet conjugué de la pression budgétaire et des facteurs d’échelle aura raison des acteurs industriels les plus fragiles, qui seront la proie de groupes extra-européens, comme cela s’est déjà passé en Espagne (armement terrestre) et en Allemagne (chantiers navals).

1 – Européanisation et mondialisation d’une industrie duale

Parler de l’industrie de défense en Europe c’est parler d’une industrie répondant à des logiques spécifiques à la défense (confidentialité, clients gouvernementaux, autofinancement faible, …) mais également d’une industrie souvent duale, c’est-à-dire engagée à la fois dans la défense, l’espace, l’aéronautique civile, mais aussi, de plus en plus, dans la sécurité. Cette dualité est la résultante de cycles et de technologies communes à toutes ces activités (si l’on veut une preuve supplémentaire de cette dualité, il suffit de voir comment les Etats-Unis soutiennent l’activité civile de Boeing par des commandes militaires). Il convient donc de parler d’industrie Aéronautique, Espace, Défense (AED).

Cette dualité, entraine des modèles de globalisation très différents qui vont cohabiter au sein d’une même entreprise :

Une mondialisation très avancée dans l’aéronautique civile conjuguant alliances internationales et implantations mondiales (chez Boeing les ailes du B787 sont produites au Japon, et Airbus possède une ligne d’assemblage A320 en Chine)

Une logique de retour industriel pointilleux pour l’espace, logique poussant à des regroupements européens permettant de bénéficier d’enveloppes budgétaires plus larges

Un modèle encore national pour les activités de défense, et ce, au prix de duplications que les contribuables de chaque pays sont chargés de subventionner.

En termes de gouvernance, l’internationalisation se fait principalement selon deux modèles divergents : le modèle multi-domestique et le modèle intégré.

Le modèle multi-domestique s’appuie sur une gouvernance « at arms length » : Français en France, Britanniques au Royaume-Uni, Coréens en Corée,…Concrètement, les synergies sont réduites à leur plus simple expression, et la cross-fertilisation assez limitée. BAe, Finmecanicca et maintenant Thales suivent ce modèle.

Ce modèle, très séduisant sur beaucoup d’aspects (citoyenneté, proximité client, confidentialité…), ne contribue pas à la création d’une industrie européenne de défense intégrée.

Le modèle intégré est, quant à lui très exigeant, tant sa mise en œuvre pour les activités de défense se heurte à de nombreux blocages, dont le contrôle des exportations de matériels sensibles n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ces blocages sont, pêle-mêle, fierté nationale, sécurité des approvisionnements, diversité des outils, des processus et des technologies, … . Ces freins sont tels que la mise en œuvre d’une politique industrielle transnationale nécessite à la fois du courage managérial, et un soutien sans faille du politique, se traduisant, entre autres, par le lancement de programmes multilatéraux.

En dépit de ces difficultés, les vraies succès du monde AED suivent ce modèle : Airbus, Eurocopter, Astrium (Ariane), MBDA, CFM (Safran-GE) et les avanies subies par EADS (A380, A400M) ou par ses anciens dirigeants, ne doivent pas masquer que c’est en suivant ce modèle que les industriels européens concernés se sont hissés au niveau de leurs concurrents américains et les ont même dépassés (Airbus-Boeing, Eurocopter-Bell, MBDA-Raytheon…), entrainant avec eux tout un tissu industriel d’équipementiers dont certains sont devenus des leaders mondiaux (Thales, Safran, Zodiac…).

C’est aussi, et on l’oublie trop souvent, un modèle qui créé des emplois en Europe, et surtout en France (EADS, depuis sa création en 2000, a créé 6000 emplois en France, alors que, dans la même période, d’autres acteurs industriels nationaux en détruisaient), preuve s’il en est que la préférence nationale prônée par le gouvernement actuel n’est pas aussi bonne pour l’emploi que les discours enflammés ne le laissent paraitre.

Au-delà, la nécessaire intégration au niveau européen doit s’accompagner d’une mondialisation industrielle pour accompagner le développement de notre industrie sur des marchés mondiaux en croissance, et dans ce cadre, l’approche industrielle « multi-domestique » de Thales a un vrai sens ; a contrario, il est temps que certains acteurs industriels, qui se reposent un peu trop facilement sur le lobbying des autorités étatiques, modernisent sérieusement leur approche des marchés mondiaux ; c’est par une véritable approche industrielle que l’Etat pourra mener des actions de soutien plus efficaces que l’agit-prop actuel.

2 – Des gouvernements schizophrènes…

En juillet 2000, six nations européennes (UK, France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède) signèrent un accord cadre « en vue de faciliter les restructurations de l’industrie européenne de défense … (de) créer le cadre politique et juridique nécessaire pour faciliter les restructurations industrielles afin de promouvoir une base technologique et industrielle de défense européenne plus compétitive et plus solide sur le marché mondial de la défense et de contribuer ainsi à la construction d’une politique européenne commune de sécurité et de défense »

Mais ce texte va plus loin et reconnaît explicitement  « …que les restructurations industrielles peuvent conduire … à l’acceptation d’une dépendance réciproque ». La volonté politique, forte et courageuse, puisqu’elle reconnaît une interdépendance dans l’approvisionnement des matériels de défense, n’a pas vraiment été suivie d’effet et les gouvernements européens ont vite oublié l’esprit de la loi et ont retrouvé des réflexes nationaux.

Le résultat de ces replis nationaux, est un immense gâchis industriel, qu’il va falloir financer, soit par des budgets ad-hoc (mais lesquels ?), soit par des restructurations d’autant plus douloureuses qu’elles concerneront des emplois à forte valeur ajoutée.

Un rapide tour d’Europe donne une idée de ce gâchis :

Au Royaume-Uni, l’initiative DIS/DIP a été lancée dans le but de renforcer les entreprises et les compétences présentes sur le sol britannique (et non les entreprises de nationalité britanniques). Cette initiative, louable pour un pays qui avait laissé des pans entiers de son industrie en déshérence, va probablement se heurter au mur de la dette nationale.

En France, le gouvernement a poussé et continue d’encourager des rapprochements franco-français (DCNS – Thales, Thales – Dassault, Sagem-Thales). Dans les discours il s’agit de préparer un second round européen, mais dans les faits, qui, en Europe voudra se rapprocher de tels mastodontes ayant, de surcroit, l’Etat français comme actionnaire ? Un rapprochement de Thales avec EADS aurait abouti à la création d’un immense groupe européen dual, et la France n’y aurait rien perdu au change, alors que l’aventure avec Dassault pourrait coûter cher à Thales en termes de leadership commercial et technologique.

En Allemagne le gouvernement s’est systématiquement opposé à toute européanisation au-delà d’EADS, en favorisant des acteurs strictement nationaux (OHB, Diehl, Rheinmetall), et en allant jusqu’à préférer voir un fonds américain (OEP) prendre le contrôle de HDW plutôt que de favoriser un rapprochement avec DCNS. Et maintenant, ce sont les programmes européens qui vont faire les frais des coupes budgétaires (A400M, Tigre, NH90, Eurofighter).

En Italie tout a été regroupé, sous la bannière de Finmecanicca, société à capitaux partiellement étatiques, en quête, mais à quel prix, d’un destin transatlantique glorieux (exception faite d’Agusta-Westland et Thales-Alenia Space).

En Espagne, hormis l’industrie aéronautique et spatiale intégrée dans EADS, l’industrie navale est sous contrôle américain indirect, et l’armement terrestre sous contrôle américain direct.

En Suède la déliquescence de l’industrie AED nous éclaire sur ce qui peut arriver à une industrie sous-critique purement nationale : Saab survit à peine, sans activité civile et sans programmes, Kockums (Naval) est en faillite virtuelle, Häaglunds (Blindés) a été racheté par BAe. Le cas suédois pourrait bien, si l’on n’y prend garde, représenter en modèle réduit, l’avenir d’une industrie franco-française.

3 – Remettre l’industrie sur les rails de l’européanisation…sans programmes ou presque

Il ne faut pas se faire d’illusion : relancer la construction d’une industrie européenne de l’AED nécessitera des arbitrages budgétaires, mais surtout une volonté de fer de la part des gouvernements, et en premier lieu du gouvernement français, car c’est en France que l’industrie est la plus puissante et les capacités les plus complètes. Cette européanisation doit se faire sans angélisme, et surtout dans une grande transparence tant les sentiments nationaux sont exacerbés à tous niveaux, militaires, politiques, management, partenaires sociaux…

Pour cette industrie, il n’y a jamais eu d’intégration sans programme multilatéral pour l’initier et surtout la maintenir. C’est le programme franco-britannique de missile de croisière qui a porté MBDA sur les fonds baptismaux, le Tigre et le NH90 qui ont fait Eurocopter.

Bien entendu, l’existence de programmes structurants constitue une condition nécessaire mais pas suffisante (ainsi, deux programmes de frégates n’ont pas suffi à rapprocher DCNS et Fincantieri) ; en revanche l’impact de l’échec de grands programmes sur les rapprochements européens est patent (cf. VBM/GTK qui aurait du rapprocher Krauss Maffei et Nexter)

La bonne nouvelle, si l’on peut dire, c’est que la situation budgétaire des Etats européens ne permet plus de réaliser des programmes majeurs sur une base purement nationale. Si les Etats veulent acquérir des capacités militaires conséquentes, autrement que sur étagère auprès de sociétés américaines ou israéliennes, ils doivent mutualiser leurs moyens et les capacités de leurs industriels soit en favorisant ceux qui ont un pied dans chaque nation majeure, soit en poussant des rapprochements d’acteurs nationaux.

La mauvaise nouvelle, c’est que ces nouveaux programmes sont rares. En effet, les plus importants ont déjà été lancés soit en transnational (A400M, FREMM, …), soit en national (Scorpion, FRES, F125,…); les projets restant sont le drone MALE entre la France, l’Allemagne et l’Espagne, l’hélicoptère lourd entre la France et l’Allemagne et la défense anti-missile balistique (DAMB) pour le moment encore en franco-français.

Le rôle des agences européennes doit faire l’objet d’un arbitrage : soit l’OCCAR et l’AED sont dotées de budgets propres et des compétences de base (conduite de programmes, achats, …) nécessaires (comme c’est le cas avec l’ESA pour les programmes spatiaux), soit on laisse les agences nationales conduire ensemble (en bi- ou multilatéral) les grands programmes européens ; sur ce sujet il faut privilégier une approche pragmatique et « cost-conscious ».

On peut d’ailleurs légitimement se poser la question de l’utilité de telles instances européennes, avec des états-majors nationaux qui n’ont pas encore pris l’habitude de définir leurs besoins ensemble de façon plus systématique.

4 – Pas d’industrie européenne sans technologies européennes

Les grands groupes, poussés par leurs agences d’armement se sont concentrés sur le développement de grands systèmes. Ce mouvement est inéluctable tant les systèmes aéronautiques espace défense, civils et militaires, sont devenus des monuments de complexité ; en effet, il n’y a plus rien de commun entre l’A380 (2000) et l’A300 (1972) ou entre les frégates Lafayette des années 80 et les FREMM. L’industrie est, comme on dit, montée en gamme en délaissant les technologies de base au profit des activités d’intégration des systèmes (aux Etats-Unis, l’équipementier/technologue L3COM est né de ce recentrage des grands maitres d’œuvre de la défense).

Poussant cette tendance plus loin, les grands groupes souhaitent développer des activités de service afin de bénéficier de revenus réguliers et prévisibles, ce qui est louable et stratégiquement pertinent.

Pourtant, les technologies restent au cœur de ces systèmes et il serait illusoire et suicidaire de considérer que leur développement puisse se faire ailleurs qu’en Europe :

Illusoire car c’est bien l’innovation technologique (matériaux, logiciels embarqués…) qui a permis à Airbus et Eurocopter de supplanter les Américains sur leur marché et c’est l’apathie technologique qui a fait perdre à ces Américains leur leadership.

Suicidaire car si nous externalisons les technologies de base dans les pays émergents, ceux-ci feraient peser sur nous la menace directe d’un accès restreint à ces technologies, réduisant notre souveraineté spatiale et militaire à néant. Ainsi, les industriels européens doivent rester maîtres des inévitables transferts de technologies inhérents aux programmes export, en choisissant quelles technologies sont transférées (cf doctrine US « one gap with allies, two gaps with foes »), et à chaque fois que cela sera possible, le faire au travers d’entreprises leur appartenant (local footprint).

Développer une industrie européenne impose de soutenir sans faiblesse l’innovation technologique sur laquelle cette industrie va s’appuyer.

Soutenir la technologie impose d’une part, que nos PME innovantes aient les moyens de grandir afin d’atteindre la taille critique garante de leur pérennité et, d’autre part que nous nous dotions, à la fois des instruments réglementaires empêchant leur prise de contrôle par des prédateurs, et d’une vraie politique industrielle au niveau européen (par exemple en s’inspirant de l’approche britannique, DIS).

Bien entendu, une telle approche ne pourra être mise en œuvre sans une unification des règles d’exportation de matériel militaire, voire la création d’un espace commun de libre échange entre les nations signataires.

5 – Des acteurs souffrant d’actionnaires désengagés

Le talon d’Achille des industriels français de l’AED est leur actionnariat; en effet, si l’on excepte Dassault que la famille verrouille encore solidement, tous les acteurs souffrent de disposer d’actionnaires qui, hormis l’Etat français (mais l’Etat a-t-il vocation à être actionnaire ?), ne sont pas engagés dans leur développement.

Cette situation est le résultat d’une approche colbertiste, celle qui, d’Edouard Balladur à Lionel Jospin, a mis en place des actionnaires de référence (« noyaux durs »), dont la seule vertu était d’être français. Cette approche a clairement atteint ses limites :

Thales est piloté par un Dassault dont on peut s’interroger sur l’intérêt à développer la plupart des activités de cette pépite de l’industrie nationale. Que se passera-t-il quand il faudra soutenir les filières navales, avionique civile, défense anti-aérienne, ou contrôle du trafic aérien ? Dassault ne s’intéresse qu’à très peu de choses chez Thales, principalement ce qui était Dassault Electronique dans les années 90, et peut être les grands systèmes de commandement, ce qui représente 10% de Thales.

EADS est limité dans son développement par des actionnaires industriels, qui vont être tentés de réserver leurs capacités d’investissement à leurs cœurs de métier, les médias pour Lagardère et l’automobile pour Daimler.

Safran a comme actionnaire de référence Aréva, dont les priorités dans les prochaines années ne paraissent pas être l’aéronautique

Pour les autres acteurs, ceux dont l’Etat est l’actionnaire majoritaire (DCNS, Nexter,…), la même logique semble prévaloir, ce qui nous ramènera au problème précédent.

Devant l’impossibilité de trouver des acteurs industriels français crédibles et engagés pour jouer le rôle d’actionnaires de référence, et le risque majeur de démantèlement que représenterait un adossement à des investisseurs financiers, il faudra à la fois :

Ouvrir le capital des grands groupes au marché pour leur donner les capacités de développement.

Vendre certains petits acteurs (Nexter, …) pour préparer une fusion européenne

Assurer un contrôle efficace de l’Etat, soit par une golden share, soit, comme c’est le cas en Allemagne, par une loi protégeant les industries stratégiques de toute prise de contrôle non souhaitée

Renforcer l’actionnariat salarié (à ce jour, seul Safran dispose d’un actionnariat salarié d’un niveau crédible)

6 – Conclusion

Il ne faut pas se voiler la face, la conjonction de la dette et de l’explosion des régimes sociaux entrainera une décrue des budgets de défense qui risque de fragiliser une industrie, qui n’est pas seulement un outil indispensable de souveraineté et d’indépendance de notre politique extérieure, mais représente également un atout majeur de la balance commerciale française.

Il convient donc de s’assurer que cette décrue n’affecte pas les capacités clés nécessaires pour fournir aux forces armées les matériels dont elles ont vraiment besoin, et selon des calendriers acceptables ; ainsi la pratique des décalages de programmes dans le temps, véritable fléau des années 90, doit être minimisée tant elle représente à la fois un danger sur le plan opérationnel et une bombe à retardement budgétaire.

Pour faire face à ces défis, il nous faut une industrie européenne intégrée et compétitive sur le marché mondial, disposant à la fois d’un ancrage national et régional fort, et d’implantations mondiales garanties d’un accès aux marchés internationaux. Cela aura pour conséquence d’accepter des interdépendances industrielles entre nations européennes, mais aussi de gérer des situations monopolistiques pour certaines capacités rares (missiles, …).

Les acteurs industriels autour desquels une telle politique pourra être mise en œuvre sont peu nombreux : BAe, de par son tropisme transatlantique et sa position dominante au Royaume-Uni est hors champ, Finmecanicca est dans une situation proche (quoique sa position de faiblesse actuelle en ferait une bonne cible d’acquisition) ; c’est donc autour des acteurs industriels français et allemands, et en premier lieu d’EADS et de Thales, mais également de Rheinmetall/KMW et de Nexter/Panhard que ce rapprochement franco-germano-britannique (Thales est la 2 ème entreprise de défense au Royaume-Uni) devra se faire. C’est par de tels rapprochements que l’on préparera l’avenir dans les grands systèmes de défense et de sécurité, les drones, et le spatial.

Le principal obstacle à ces rapprochements, mais il est de taille, réside dans l’attitude de défiance réciproque des deux gouvernements.

Les relations difficiles entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, mais encore plus, les annonces récentes de coupes budgétaires de la part du gouvernement allemand, coupes affectant presque exclusivement des programmes multilatéraux européens (Tigre –50%, NH90 –30%, A400M…), et la quasi-décision d’acheter des drones aux Israéliens plutôt que de les réaliser en franco-germano-espagnol, sont des signes que ce n’est pas avec ce gouvernement que l’on relancera la politique de défense européenne ; c’est peu dire que l’alternance de part et d’autre du Rhin devient une condition sine qua non de la mise en œuvre d’une vraie politique industrielle européenne de défense.

  1. Gregoire Montory est le pseudonyme d’un spécialiste des stratégies industrielles de défense

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