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Chronique

Invasion de l’Ukraine par la Russie : que faire ?

L’analyse de Sylvain Kahn

L’invasion de l’Ukraine par l’Etat et l’armée russes est une catastrophe. Pour les Ukrainiens en premier lieu. Au moment de publier cet article, l’alternative des Ukrainiens est terrible : une défaite rapide qui enterrerait leur souveraineté et leurs libertés en limitant les destructions ; un conflit long, car moins déséquilibré qu’il n’y paraît ces premiers jours et sublimé par le patriotisme ukrainien, que l’armée russe voudra gagner par tous les moyens, y compris la destruction indistincte du pays par un feu roulant de bombardements aériens et terrestres comme pratiqué en Syrie en 2015 et en Tchétchénie en 2000.

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Une agression contre la société européenne

Pour les Européens en second lieu.  Dans leurs diversités sociales, culturelles, générationnelles, nationales et politiques, les habitants de l’Europe ont, depuis 1945, fait des choix collectifs qui les caractérisent au point qu’on peut désormais parler d’une société européenne. L’existence de l’Union européenne, cet ensemble politique, juridique et territorial partagé en est le témoignage et l’émanation.

Jusqu’à preuve du contraire, aucune communauté sociale ou nationale n’a participé ni ne participe de cette construction européenne par la contrainte ou la force. Depuis 1950, celle-ci s’est élargie par attraction et par libre volonté des sociétés de différents pays d’Europe. Les débats et les conflits peuvent y être vifs, voire incandescents et exprimant des rapports de forces compliqués. Pour autant, le recours à la guerre civile est devenu, dans cette Europe intégrée, très rare, et depuis la fin des empires coloniaux, le recours au conflit armé et à la guerre entre pays y est tombé en désuétude. Pour le dire schématiquement, le vivre-ensemble de la société européenne se caractérise d’une part par une préférence collective pour la délibération et le pluralisme et d’autre part par l’aversion pour la brutalisation de la société par la violence et le conflit militaires. Les Européens ne sont pas devenus pacifistes. Ils n’ont pas désarmé ni cessé d’envisager d’avoir à se défendre. Ils ont dans leur ensemble choisi de tourner autant que possible le dos à la guerre comme modalité de faire société et de la politique.  C’est ce fait de société total que contient la réalité inédite de la paix depuis 1950 sur le territoire de la CEE devenue UE. L’attribution du prix Nobel de la paix à l’UE en 2012 sanctionne ainsi une réalisation collective de très grande ampleur et une bifurcation très profonde dans l’histoire longue des Européens. 

Incluant le fait qu’elle n’est ni linéaire, ni homogène, ni régulière, cette évolution d’ensemble est désignée par le terme d’ européanisation.

La violence de l’Etat russe

Pour autant qu’on puisse l’évaluer, la société ukrainienne avait depuis près de vingt ans choisi l’européanisation. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a pour objectif de démolir ce choix par l’état de guerre et la force brute. Cette européanisation est insupportable aux yeux de Poutine. L’UE représente une alternative bien solide et bien réelle à son modèle d’un régime politique violent qui méprise le droit, le pluralisme, la société civile et l’individu. Ce choix par l’Etat russe de la violence, de l’invasion d’un pays libre et du fait accompli est injustifiable. Tout compromis diplomatique des Européens avec cette politique au nom d’un soi-disant réalisme serait une compromission. Il serait injuste et inefficace. Il serait un reniement de ce que les Européens sont devenus depuis trois quart de siècle et les constitue désormais depuis trois générations.

Pourtant, l’UE ne déclare pas la guerre à la Russie et ses Etats-membres n’envoie pas leurs armées défendre l’Ukraine. Pourquoi ? Car le coût d’un conflit entre l’Europe et la Russie pourrait être incommensurable. L’UE, qui partage 2 257 km de frontières avec la Russie, abrite au cœur de son territoire, sur la Baltique, l’enclave russe de Kaliningrad (460 000 habitants). Celle-ci est équipée de missiles de courte portée de type SS-26 : Berlin et Varsovie, par exemple, pourraient être anéanties par des bombes atomiques en 7 minutes. Poutine a très explicitement à au moins deux reprises depuis le 7 février dernier évoqué publiquement la possibilité d’une guerre nucléaire avec l’Ukraine et les pays de l’Otan – dans l’hypothèse, évoquait-il par exemple lors de sa conférence conjointe avec le président Macron, où l’Ukraine chercherait à reconquérir la Crimée. La Russie, héritière de l’URSS, est l’une des deux superpuissances atomiques du monde. L’administration Poutine a par ailleurs considérablement modernisé et professionnalisé l’armée russe tout au long des années 2010.

Alors, que faire ?

Les registres d’actions sont divers. L’UE, cet ensemble baroque d’Etats souverains, de sociétés civiles et de méta-Etat supranational dispose d’une panoplie de politiques publiques et de ressources assez intense, quand on y pense. L’hospitalité donnée aux réfugiés ukrainiens dans toute l’Europe va s’imposer. Ils fuiront par centaines de milliers (ou plus) soit l’atrocité des combats, soit la chape de plomb politique qui devrait s’abattre sur une société que l’Etat russe et le nouveau régime ukrainien qui lui sera inféodé voudra mettre au pas. L’aide humanitaire et le soutien matériel prend déjà la forme d’initiatives petites et grandes par les acteurs de la société civile européenne ; les Etats et l’UE, et les collectivités, ont des dispositifs dédiés à ces politiques. Les sanctions économiques ciblées, quelles que soient leurs limites et leurs effets en retour, sont un moyen de pression réel et nécessaire. Réduire la dépendance des Européens aux matières premières exportées par la Russie, notamment le gaz ; ce mouvement est en cours, et il n’est pas sans coût ; il convient de le voir comme une impératif supplémentaire de faire de la transition énergétique et de la décarbonation des économies et de l’agriculture une priorité résolue en Europe. Les Européens devront mettre en oeuvre les conclusions du rapport que vient de produire le parlement européen sur la lutte contre la désinformation pratiquée à grande échelle par des puissances souverainistes et illibérales dont, tout particulièrement la Russie. On vient de comprendre comment le dévoiement d’anciens dirigeants politiques des pays européens par des postes grassement payés dans des entreprises russes contribue à fissurer la cohésion des Européens et à semer le doute sur la fiabilité de la société politique européenne. En fait, l’Etat russe déploie vis-à-vis de l’Europe, davantage que de la propagande, les instruments militaires et non militaires d’une guerre hybride. On sait maintenant que l’intimidation et la déstabilisation peuvent n’être que les premières étapes qui précèdent l’agression militaire. Aussi, il est déterminant que les dirigeants européens fassent savoir discrètement aux dirigeants russes que les pays membres de l’Otan sont déterminés à employer l’arme nucléaire en cas d’agression militaire du territoire de l’UE – il convient de réaffirmer la dissuasion nucléaire dans toute sa profondeur stratégique. Ceci implique que les Européens doivent se saisir et délibérer de la proposition évoquée par Emmanuel Macron en 2019 d’inscrire la force de frappe nucléaire française dans un contexte européen. En deux mots, face à la guerre d’agression de l’Ukraine par la Russie, les Européens, pour rester eux-mêmes dans la durée, sont appelés en même temps à exercer sur le régime russe une tactique d’asphyxie ciblée, à soutenir les Ukrainiens par tous les moyens de l’hospitalité, de la solidarité et de la sobriété, et à se faire respecter avec détermination et fermeté.

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