La dimension européenne de l’élection présidentielle française de 2022

La dimension européenne de l’élection présidentielle française de 2022
Publié le 11 avril 2022
  • Directeur CIDOB (Centre d'affaires internationales de Barcelone)
🇬🇧 Cet article est disponible en anglais.
Confrontée à la crise sanitaire et à l’invasion de l’Ukraine, l’Union européenne fait face à des défis majeurs dans les mois qui viennent. Une convergence exceptionnelle semble possible : la prise de conscience de l’ampleur des défis et la volonté de gouvernements capables d’agir dans l’intérêt européen. Mais, pour cela, la France doit être présente au rendez-vous du 24 avril et reconduire Emmanuel Macron dans ses fonctions.

1. Pensez-vous que la prochaine élection présidentielle française pourrait avoir un impact majeur sur le fonctionnement et l’avenir de l’Union européenne ?

Emmanuel Macron a été le leader le plus mobilisé pour défendre la nécessité d’aller dans deux directions simultanées au sein de l’UE : renforcer l’intégration tout en réformant son fonctionnement et ses institutions. Ces deux orientations ont gagné en popularité à la suite des crises récentes, notamment la pandémie et la guerre en Ukraine.

Plusieurs tabous ont été brisés lors de la réponse à la pandémie (mesures de relance budgétaire importantes, emprunts communs, achat et distribution conjoints de vaccins et mesures en faveur d’une Union de la santé), et tout autant face à la guerre en Ukraine (ressources de l’UE pour la fourniture d’armements par le biais de la Facilité européenne de soutien à la paix, augmentation des dépenses militaires, accélération de l’élargissement de l’UE à l’Ukraine et possibilité d’un nouvel emprunt commun pour faire face aux conséquences économiques de la guerre). En deux ans seulement, l’UE a évolué plus rapidement qu’au cours de la décennie précédente. Toutes les politiques adoptées comportent une combinaison simultanée de renforcement de l’intégration et de réforme des mécanismes existants.

Toutefois, ces mesures ont été prises de manière réactive et extraordinaire : de nombreux États membres insistent sur le fait que la méthode qui sous-tend l’initiative « Next Generation EU » reste un effort unique. Par conséquent, les prochaines élections présidentielles françaises auront des conséquences durables sur la transformation de ces objectifs en discussions et réformes politiques plus structurelles. En particulier, la réforme des traités et des institutions de l’UE, l’avenir de l’élargissement et les débats sur l’Europe à plusieurs vitesses et l’intégration différenciée ont tous été absents des récents débats et de la gestion de la crise, mais ils reviendront tôt ou tard comme des aspects essentiels de l’avenir de l’UE. Celui-ci dépendra en grande partie de la personne qui siège à l’Elysée.

2. Comment percevez-vous les positions et les initiatives de la France dans les domaines de la politique étrangère et de la défense et ses interactions avec ses voisins dans l’UE comme l’Espagne ?

Les Etats-Unis se sont révélés être le partenaire indispensable de l’Europe en matière de sécurité et de défense, et la complémentarité avec l’OTAN a remplacé les discussions quasi théologiques sur le sens de « l’autonomie stratégique ». Pour autant, la France est et restera l’acteur indispensable de l’UE afin de renforcer les politiques de défense et de sécurité de l’Europe. La position de la France est à la fois unique et nécessaire pour avancer vers une plus grande contribution de l’UE à la stabilité de ses voisinages et à la résolution des crises de sécurité majeures, comme la guerre en Ukraine.

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Cependant, la France devra aussi accepter l’idée que les ambitions et les priorités françaises ne seront pas suffisantes si elles ne sont pas intégrées dans un cadre européen plus large. Le prochain Président de la République devra maintenir, créer et construire de nouvelles alliances au sein de l’UE si son ambition est de renforcer sa souveraineté et son autonomie stratégique dans tous les domaines, de la sécurité et la défense au commerce en passant par la technologie et l’énergie.

Les désaccords antérieurs sur des conflits tels que la Libye devront s’intégrer dans un processus d’européanisation plus poussé. Et, si le réveil géopolitique de l’Europe après l’Ukraine n’est pas destiné à disparaître, la France devra travailler davantage avec les principaux États membres, y compris ceux du sud comme l’Italie ou l’Espagne, afin de construire ensemble une politique étrangère et de défense européenne plus forte.

3. Diriez-vous que la coïncidence entre la guerre en Ukraine et la présidence française du Conseil de l’UE conduira à des initiatives européennes constructives ?

La présidence française, la guerre en Ukraine et la reprise post-pandémique ont coïncidé avec un moment « ça passe ou ça casse » pour l’UE. Si Macron est réélu (en particulier contre les candidats eurosceptiques), il y aura un élan pour des réformes, des initiatives et une projection de puissance ambitieuses de l’UE.

Non seulement Macron sera accompagné par d’autres dirigeants pro-européens dans les principaux États membres de l’UE, mais aussi par une compréhension commune que les priorités et les cadres institutionnels actuels doivent être réévalués. Il existe une vision commune selon laquelle les règles budgétaires, le pacte de stabilité et de croissance de l’UE, les politiques de migration et d’asile et la politique étrangère de l’UE, pour ne citer que quelques domaines, doivent tous être réformés. L’orientation de ces réformes reste inconnue, mais les prochaines années seront le témoin d’un phénomène inimaginable lors des périodes précédentes d’euroscepticisme croissant : la combinaison de dirigeants pro-UE forts dans de nombreux États membres et d’une compréhension commune que l’UE doit s’engager dans des réformes sérieuses. C’est une occasion à ne pas manquer et, en cas de succès, tous les États membres devront retrouver le sens d’une dynamique à somme positive dans l’intégration européenne, des négociations transactionnelles pour des résultats communs et de la flexibilité dans les alliances. On attendra beaucoup de la France en tant que partenaire clé pour tous ces objectifs.

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Pol Morillas