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Chronique

La « rivalité coopérative » peut-elle fonctionner ?

La rivalité entre la Chine et les Etats-Unis s’impose désormais dans l’agenda international. Pourtant, sans une coopération des grandes puissances, nous ne pourrons pas surmonter les défis communs. Comment inventer la compétition adaptée au besoin de travail en commun ? 

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Le 20 mars dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiait son dernier rapport sur l’urgence d’une action climatique. Le même jour, le président chinois Xi Jinping rendait visite, à Moscou, au président russe Vladimir Poutine, et les deux dirigeants publiaient une déclaration critiquant l’Occident et soulignant leur intention d’approfondir le partenariat stratégique sino-russe.

Cette coïncidence révélatrice met en lumière l’extrême tension qui caractérise aujourd’hui les relations internationales. D’une part, la préservation des biens publics mondiaux – tels que le climat, la biodiversité, ainsi que les institutions et les procédures visant à prévenir les pandémies futures – nécessite une action coordonnée urgente. D’autre part, la fragmentation géopolitique et l’intensification de la rivalité sino-américaine rendent la coopération de plus en plus difficile.

Cette tension n’est pas nouvelle. Certes, la rivalité géopolitique entre les États-Unis et l’Union soviétique n’a pas empêché les deux puissances de la guerre froide de coopérer pour éviter une confrontation directe et freiner la prolifération nucléaire. Mais la hiérarchie des enjeux n’était pas la même à l’époque. Les architectes de l’ordre international de l’après-guerre n’avaient pas pour priorité la gestion des biens communs mondiaux, mais plutôt le renforcement des liens économiques par le biais du commerce et des investissements. Leur but, à ce moment-là, était de consolider une alliance politique fragile entre anciens rivaux ou adversaires. La prévention du changement climatique, la préservation de la biodiversité et la lutte contre l’épuisement des ressources halieutiques en haute mer n’étaient pas à l’ordre du jour.

Plus surprenant encore, les biens communs mondiaux n’étaient guère plus prioritaires au début des années 1990, après que l’effondrement de l’Union soviétique avait offert l’occasion de reconstruire le système mondial. Bien que le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 ait marqué la prise de conscience des limites de la planète, l’essentiel de l’attention s’est porté sur l’intégration de nouveaux arrivants au système préexistant d’accords de commerce et d’investissement. Aux entrants sur la scène mondiale – Chine, Russie et pays d’Europe centrale et orientale – il fallait offrir de rejoindre le club. Des discussions eurent bien lieu sur la création d’une institution environnementale mondiale, mais elles n’aboutirent à rien.

L’obstacle ne résidait pas tant dans l’héritage de la guerre froide que dans le fossé nord-sud. En 1997, le protocole de Kyoto sur le changement climatique allait traiter la Russie, la Pologne, la Hongrie et d’autres pays ex-communistes sur un pied d’égalité avec les économies avancées ; mais, au nom du développement, il allait exempter des pays émergents comme la Chine et l’Inde d’objectifs similaires de réduction des émissions.

L’équilibre entre la coopération et les rivalités géopolitiques n’est pas un défi entièrement nouveau mais la majorité des leçons tirées du passé sont ambiguës. Si, par exemple, les États-Unis et l’Union soviétique ont évité une confrontation nucléaire, ils n’ont en revanche pas su créer une Organisation mondiale de la santé suffisamment forte pour surmonter les tensions géopolitiques et nous protéger des pandémies émergentes. Au contraire, l’OMS est devenue un espace de confrontation idéologique.

A moins que les États-Unis et la Chine ne parviennent à coopérer efficacement, malgré leur rivalité croissante, il n’y aura guère d’espoir de relever les défis mondiaux. Les deux pays ont déjà coopéré par le passé. La déclaration commune publiée par le président américain Barack Obama et Xi en novembre 2014 a très largement contribué à préparer l’accord de Paris sur le climat l’année suivante. Plus récemment, John Kerry, Envoyé Spécial du président Joe Biden pour le climat, a continué à échanger avec son homologue chinois.

Cette dualité entre rivalité et coopération a été explicitement formulée par Jake Sullivan, le conseiller de Biden en matière de sécurité nationale. Comme il l’a clairement indiqué en présentant la nouvelle mouture de la stratégie de Sécurité Nationale des États-Unis, « nous sommes arrivés à un point où nous pouvons et tout simplement nous devons nous attaquer à la fois, sur un même plan, à la concurrence géopolitique et aux défis transnationaux communs… C’est pourquoi, nous construisons une stratégie adaptée à la fois à la concurrence que nous ne pouvons pas ignorer et à la coopération mondiale sans laquelle nous ne pouvons pas réussir ». Il ajoute très explicitement que la coopération ne nécessite pas d’alignement géopolitique ou de croyance dans les vertus de la démocratie.

Ce sont d’excellents principes. Mais les actes seront-ils à la hauteur des paroles ? Les événements récents mettent en évidence la difficulté de trouver un compromis. Prenons par exemple le différend sur les origines du COVID-19, qui demeure un sujet de discorde entre la Chine et l’Occident. Les États-Unis et leurs alliés soupçonnent la Chine de dissimuler des preuves, tandis que la Chine considère la demande d’une enquête internationale indépendante comme un empiètement sur sa souveraineté. Les vaccins restent également une pierre d’achoppement, la Chine payant un lourd tribut pour avoir refusé (pour des raisons de souveraineté) d’acheter des vaccins à Pfizer/BioNTech ou Moderna. La Chine a également brouillé les pistes en insistant pour que les États-Unis cèdent sur des questions sans rapport avec le sujet en échange d’une coopération sur les efforts d’atténuation du changement climatique.

Les bonnes intentions ne durent jamais longtemps dans un environnement de méfiance. Malheureusement, aucun mot ne décrit aussi bien l’état actuel des relations entre les États-Unis et la Chine. Le mois dernier, l’apparition d’un ballon chinois au-dessus des États-Unis a conduit le secrétaire d’État Antony Blinken à annuler une visite prévue à Pékin, qui devait arrêter les principes de la nouvelle coexistence entre les deux puissances. Les démocrates et les républicains à Washington tentent désormais de rivaliser de fermeté à l’égard du régime chinois. Comme l’a montré la récente audition du PDG de TikTok par le Congrès, aucun des deux partis ne veut être perçu comme étant indulgent à l’égard du principal rival de l’Amérique.

L’état des biens communs mondiaux est pourtant une question trop sérieuse pour être l’otage de querelles politiques permanentes. La Chine et les États-Unis doivent trouver les moyens de séparer la coopération de la rivalité. Il y a vingt ans, l’ancien Premier ministre israélien Yitzhak Rabin déclarait, dans un discours resté célèbre, qu’il combattrait le terrorisme comme s’il n’y avait pas de pourparlers de paix et ferait la paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme. Pour sauver la planète, les dirigeants d’aujourd’hui devraient méditer ses paroles, et prendre un engagement similaire.

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