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Note

Libye : les questions qui doivent être posées sans tarder

Débattue mardi 22 mars à l’Assemblée nationale, l’intervention française en Libye, suite à la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, se justifie moralement et politiquement. L’« opération de protection des populations civiles » et « l’organisation de la paix » évoquées par François Fillon et Alain Juppé peinent néanmoins à occulter la fragile légitimité de l’intervention, et n’envisagent qu’un unique scénario. Or l’enlisement du conflit et l’effritement du soutien de la communauté internationale sont des risques qui ne peuvent être écartés. Par ailleurs, la crise libyenne soulève le problème persistant de la méthode de gouvernement en matière de politique étrangère, et révèle de nouveau les limites de la construction européenne.
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SYNTHESE

L’intervention des troupes françaises en Libye nécessite un réel débat sur les motivations, les objectifs et les risques de l’engagement militaire de la France.

Si l’opération se justifie moralement (la défense de la population libyenne face à l’écrasement dans le sang de l’opposition par Kadhafi) et politiquement (le soutien aux démocrates arabes), sa légitimité n’apparaît pas bien assurée.

La résolution 1973 votée par le Conseil de sécurité, qui autorise les opérations militaires en Libye, comporte de nombreuses ambiguïtés, et n’empêchera donc pas l’effritement du soutien de la communauté internationale : aujourd’hui la Ligue arabe, l’Union africaine et la Russie s’opposent aux opérations engagées ; demain la Chine et sans doute d’autres pays émergents suivront.

L’engagement d’une guerre, même avec l’aval des Nations Unies, nécessite l’examen minutieux des objectifs, des différents scénarios possibles, et d’une stratégie de sortie. Le scénario vertueux prévoyant la chute rapide de Kadhafi, défait par l’opposition, est loin d’être le seul envisageable. L’enlisement du conflit et l’effritement du soutien de la communauté internationale font craindre une partition du pays, laissant Kadhafi jouer le rôle du résistant à l’invasion occidentale. Autant d’incertitudes qui expliquent la prudence de l’engagement américain, et obligent la France à préciser sa stratégie au plus vite.

La fragile légitimité de l’opération tient également aux valeurs humanistes qui la sous-tendent : salies lors de la guerre irakienne, elles sont loin d’entraîner l’adhésion de l’opinion publique arabe, ou plus largement des pays du Sud, qui voient dans l’opération en Libye un coup de force occidental. Cette intervention pourra-t-elle par ailleurs faire oublier les errements de la politique étrangère française face au printemps des peuples arabes, quand l’écrasement des révoltes bahreïni et yéménites ne donne lieu à aucune réaction de la France ? L’opération en Libye ne saurait masquer les incohérences de la politique française en Méditerranée, et la stratégie de la France en matière de ventes d’armes.

L’annonce unilatérale, par Nicolas Sarkozy, de la reconnaissance de l’opposition libyenne, avant même le vote du Conseil de sécurité, et alors qu’Alain Juppé négociait avec les partenaires européens une position commune constitue une prise de risque inutile, et pose le problème, persistant, de la méthode de gouvernement.

Enfin, l’absence de l’Union européenne dans la gestion de la crise libyenne signe l’échec de la construction d’une Europe de la défense ambitieuse, qui ne peut se limiter à la coopération franco-britannique.

NOTE 

Depuis le samedi 19 mars, les troupes françaises sont engagées dans un nouveau conflit, à 2 000 km de nos côtes méditerranéennes, en Libye. Les militaires français risquent encore une fois aujourd’hui leur vie pour accomplir la mission qui leur a été confiée par le gouvernement. Il faut saluer leur professionnalisme et leur courage, en Libye comme sur d’autres théâtres. Ils doivent être assurés que les missions qui leurs ont été confiées font bien l’objet du plus large consensus et que la nation est pleinement derrière eux. Il est donc essentiel que les Français soient parfaitement informés et qu’ils puissent s’interroger chaque jour sur les motivations des engagements de leur armée, en Libye comme en Afghanistan et sur tant d’autres théâtres d’opérations.

Un grand Etat démocratique doit à ses armées comme à ses citoyens la transparence sur des décisions aussi majeures. Il est par conséquent indispensable qu’un tel débat soit engagé dans les plus brefs délais, en particulier au Parlement pour que la représentation nationale, dûment informée sur les motivations de notre engagement militaire, sur nos objectifs et sur les risques encourus, puisse se prononcer par un vote sur la poursuite des opérations. Il est souhaitable qu’ensuite, l’opération puisse être régulièrement contrôlée pour s’assurer de la validité des objectifs et des moyens.

Terra Nova souhaite tracer quelques repères et poser des questions qui paraissent essentielles dans la perspective du nécessaire débat que nous appelons de nos vœux.
 

1 – UNE OPERATION JUSTIFIEE MORALEMENT ET POLITIQUEMENT

Depuis des décennies, le colonel Kadhafi martyrise son peuple. Il a sur ses mains le sang de milliers d’hommes et de femmes, en Libye d’abord, mais aussi dans de nombreux autres pays. Nous nous souvenons aussi qu’il a été l’instigateur des attentats de Lockerbie et du DC10 d’UTA qui ont provoqué la mort de centaines d’innocents, parmi lesquels de nombreux compatriotes. Son régime, corrompu et raciste, n’a pas permis le développement économique et social du pays malgré ses importantes ressources pétrolières. Quand une grande partie du peuple libyen s’est courageusement soulevée, à la suite des Tunisiens et des Egyptiens, pour réclamer justice et liberté, la seule réponse du Colonel et de sa famille, passés les premiers moments de surprise, a été de promettre et de mettre en œuvre un bain de sang.

On peut certes émettre des doutes sur l’attachement aux valeurs démocratiques d’une partie de ceux qui conduisent le mouvement, plusieurs ayant été jusqu’à peu de fidèles serviteurs du guide libyen. On ne peut ignorer non plus les moteurs spécifiques de la révolte, en particulier tribaux, qui ne permettent pas d’assimiler à coup sûr la révolte en cours à une véritable révolution démocratique et sociale sur le modèle de celles intervenues en Tunisie et en Egypte. Mais en mobilisant toutes ses forces armées pour écraser son peuple, le colonel Kadhafi a clairement franchi une ligne rouge. La communauté internationale ne pouvait pas rester impassible et regarder un peuple se faire massacrer par son dictateur au nom du respect de la souveraineté nationale. Le paragraphe 138 de la résolution 60/1 de l’Assemblée générale des Nations unies du 24 octobre 2005 fixe à cet égard que « c’est à chaque État qu’il incombe de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. » C’eût été moralement inadmissible et politiquement dangereux, à l’heure où l’esprit de la liberté souffle dans le monde arabe. 
Il est également clair qu’un écrasement de l’opposition libyenne dans le sang, sous les yeux d’une communauté internationale impavide, aurait été un signal négatif adressé à tous les démocrates arabes engagés dans la lutte contre leurs dictateurs, voire un encouragement donné à ces derniers pour écraser les mouvements de révolte.

Ce sont là autant de justifications auxquelles nous souscrivons pleinement pour soutenir l’engagement de nos armées au service des valeurs auxquelles nous croyons. Et il faut se féliciter que l’ONU, à l’initiative de puissances européennes, ait mis en œuvre  
sa responsabilité de protéger.

2 – UNE LEGITIMITE MAL ASSUREE

La légitimité de l’opération « Aube de l’odyssée » n’apparaît pas bien assurée. Certes, jusqu’à présent, Kadhafi n’a guère de soutien dans le monde. Personne n’est dupe de la réalité de ses crimes, de la menace permanente pour la paix régionale qu’il représente depuis quarante ans. C’est ce qui explique sans doute que des puissances aussi réticentes à l’ingérence dans les affaires intérieures que sont la Russie et la Chine aient finalement accepté de voter d’abord une première résolution il y a une quinzaine de jours condamnant les actes du colonel Kadhafi et établissant des sanctions, avant finalement de s’abstenir lors du vote de la résolution 1973 autorisant des opérations militaires. C’est aussi sans doute la raison pour laquelle la Ligue arabe et l’Union africaine, sensibles aux opinions publiques, ont condamné les exactions de Kadhafi et finalement accepté le principe de la « no-fly zone ».

L’opération militaire lancée samedi matin a donc pu bénéficier de la justification d’un cadre juridique, mais il est très fragile. Français, Britanniques et Américains ont réussi à faire passer un texte qui leur permet d’aller bien au-delà des opérations nécessaires à l’établissement de la « no-fly zone ». La résolution 1973 comporte pour cela de nombreuses ambigüités constructives qui sont aussi des sources de contestation et donc de fragilité. Aussi, après seulement deux jours de bombardements, le soutien de la communauté internationale a commencé à s’effriter. La Ligue arabe, l’Union africaine et la Russie ont clairement fait connaître leur opposition aux opérations engagées. La Chine et sans doute d’autres pays émergents ne tarderont pas à les rejoindre.

Les opérations militaires pourront sans doute se poursuivre quelques jours mais leur légitimité va rapidement s’éroder.

3 – DES BUTS DE GUERRE A PRECISER RAPIDEMENT

L’engagement d’une guerre, fut-ce avec l’aval des Nations Unies, est une opération particulièrement grave qui suppose de s’être assuré auparavant que tous les scénarios ont bien été examinés, que l’enlisement sera évité et qu’au bout du compte les valeurs et les raisons que nous défendons sortiront victorieuses et non défaites. Là encore, les expériences irakienne ou afghane doivent nous instruire.

Il faut dès lors s’interroger sans tarder sur nos objectifs et sur notre stratégie de sortie.

Il est clair qu’en intervenant militairement massivement, nous n’avons pas cherché uniquement à protéger les populations civiles. Sans pouvoir le dire ouvertement, bien que le vœu ait été exprimé publiquement par N. Sarkozy comme par B. Obama, il est clair que notre objectif est le changement de régime en Libye et le remplacement par le gouvernement d’opposition qui s’est mis en place à Benghazi. Pour cela, nous espérons que l’opération en cours permettra la chute rapide de Kadhafi par une défaite militaire face à l’opposition – ce qui est peu probable compte tenu du rapport de forces sur le terrain -, par un coup d’Etat soutenu par une armée démoralisée ou victime « collatérale » d’un bombardement allié.

C’est là un scénario vertueux mais qui est loin d’être le seul envisageable, et sans doute l’un des moins probables si le conflit s’enlise, grâce à l’habileté politique et militaire du Colonel, et à cause de l’effritement du soutien aux opérations de la coalition. Si Kadhafi résiste suffisamment longtemps pour que le soutien passif de la communauté internationale se transforme en appel à l’arrêt des hostilités, nous irons sans doute vers une partition du pays pour un temps indéfini. Le régime de Kadhafi réussira à se faire passer comme résistant à l’invasion occidentale (« croisée » a dit Poutine) et il gagnera des soutiens dans l’opinion publique hors d’Occident. Les opinions publiques occidentales elles-mêmes ne finiront-elles pas par réclamer rapidement un arrêt des opérations ? Est-ce envisageable en laissant finalement Kadhafi en place ? Devrons-nous nous habituer à gérer dans la durée une situation qui ne manquera pas de déstabiliser la région (le Colonel ne s’en privera pas) ?

Faut-il donc au contraire dès maintenant accroître notre effort de guerre, pour espérer en finir rapidement avec Kadhafi, fut-ce en défiant le reste de la communauté internationale pendant quelques jours encore ?

Ce sont très certainement quelques-unes des questions que les militaires n’ont pas manqué de se poser, à Paris comme à Londres et à Washington. On notera à cet égard la relative prudence de l’engagement américain. On peut en avoir une lecture optimiste (Washington est plus sceptique que par le passé sur l’utilité et l’efficacité des opérations militaires) ou purement tactique (les Etats-Unis se tiennent en retrait pour faciliter l’opération au plan politique). On peut aussi se dire tout simplement que B. Obama, qui n’a pas manifesté un grand enthousiasme pour cette opération depuis le premier jour, se laisse la possibilité de se retirer très vite de l’opération si elle n’aboutit pas, après avoir fait preuve de loyauté vis-à-vis de ses alliés européens en assumant une grande partie des frappes durant les premiers jours.

Il est essentiel, tant d’un point de vue politique que militaire, que nous précisions notre stratégie rapidement en prenant en compte les différents scénarios envisageables, afin d’éviter de nous retrouver soit dans un remake pénible de l’opération franco-britannique de Suez en 1956, soit dans la situation toujours bien actuelle de notre enlisement en Afghanistan. 

4 – LA COHERENCE DE NOTRE POLITIQUE EST ENCORE FRAGILE

Une part importante de la fragile légitimité de l’opération engagée tient aux valeurs humanistes qui sont en jeu : défense d’un peuple contre son tyran, défense des droits de l’homme, promotion de la démocratie. Mais parce que ces valeurs ont été salies lors de la guerre irakienne, il ne suffit pas de s’y référer pour s’assurer le soutien d’opinions publiques aussi sceptiques au Sud qu’au Nord face à la communication de leurs gouvernements.

Nous voyons bien qu’une part de l’opinion publique arabe, voire au-delà dans les pays du Sud, voit surtout dans l’opération engagée une nouvelle intervention occidentale contre un pays qui a toujours tenu tête, qui plus est doté de réserves pétrolières. Dans nos propres pays, nous ne pouvons ignorer les motivations de politique intérieure qui ont guidé cet engagement. Nous acceptons de le voir dans le cas d’A. Merkel pour expliquer qu’elle n’ait pas engagé l’Allemagne. Nous savons aussi qu’à l’inverse, N. Sarkozy comme D. Cameron au Royaume-Uni avaient de bonnes raisons de prendre une position de pointe sur le dossier libyen pour des raisons de politique intérieure. S’agissant de notre pays, il s’agissait notamment de faire oublier les errements de la politique étrangère française, en particulier depuis le début de l’année face au printemps des peuples arabe. N. Sarkozy espère aussi un succès rapide de politique étrangère, après avoir effectivement mis la France en première ligne.

Au fond, pourquoi ne pas, si cela permet de redorer le blason terni de notre pays, relancer une politique étrangère guidée par des valeurs fortes ? Il y a cependant tant de chemin à parcourir encore, tant vis-à-vis des opinions publiques du Sud que de celles de nos pays. En effet, alors même que nous nous engageons vigoureusement contre le colonel Kadhafi, nous sommes totalement passifs à l’égard de l’écrasement des révoltes bahreïni (avec l’intervention des troupes saoudiennes) et yéménites.

Il faut également s’attendre à ce que rapidement les opinions publiques arabes qui semblent nous soutenir aujourd’hui critiquent le double standard permanent des Occidentaux, prompts à intervenir contre un pays arabe, mais qui refusent d’exercer les moindres pressions sur Israël lorsque celle-ci mène des opérations à Gaza, au Liban, ou poursuit la colonisation.

L’intervention en soutien au peuple libyen ne doit pas non plus faire oublier les incohérences de la politique française en Méditerranée depuis de nombreuses années, ni celles de notre stratégie de ventes d’armes. Notre pays a trop souvent mis son mouchoir sur ses propres valeurs, au nom de la compétition internationale et de la défense de la stabilité. Nous n’avons pas hésité, depuis les années 1970, comme les Britanniques, les Américains et d’autres, à fournir en armes les armées de la plupart des pays de la région. La France, après la pénible réception solennelle accordée à Kadhafi par N. Sarkozy, s’était engagée dans un programme de rénovation des armes déjà vendues et espérait pouvoir décrocher quelques gros contrats. Nous savons maintenant à quoi ces armes peuvent servir. Quelles conclusions allons-nous tirer de ces errements pour l’avenir ?

5 – LES INQUIETUDES PERSISTANTES SUR LA METHODE DE GOUVERNEMENT

Le vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité est un succès dont notre diplomatie, dirigée à nouveau par un ministre compétent et engagé, à la manœuvre, peut être fière. On ne peut que saluer ce résultat. Il a montré que le savoir-faire diplomatique existait bien, pourvu qu’il soit bien utilisé, et qu’il permettait à notre pays de toujours peser sur la scène internationale. A. Juppé a confirmé les espoirs qui étaient placés en lui, à droite comme à gauche, pour redresser une situation catastrophique, emportant certainement par sa présence à New York les dernières hésitations qui auraient pu bloquer le passage de la résolution.

Au-delà de ce satisfécit sur une diplomatie retrouvée, on ne peut qu’être soulagé par ce vote au Conseil de sécurité, qui a permis d’éviter ce qui aurait pu tourner à une véritable nouvelle catastrophe pour notre politique étrangère. Certes, dans l’action il y a toujours une part d’imprévisible, et l’homme d’Etat doit savoir prendre des risques. Mais lorsque N. Sarkozy a fait annoncer il y a une dizaine de jours par BHL et les représentants du gouvernement d’opposition libyen, que la France reconnaissait ces nouvelles autorités, cela n’a pas été seulement l’ouverture d’une nouvelle phase de la « diplomatie de perron », ainsi que l’a très justement décrite le journal Le Monde. Le Président a en fait engagé notre pays dans une partie de poker risquée au lieu de construire une partie d’échec.

Certains relativiseront la critique, considérant d’une part que c’est là le tempérament du Président, d’autre part que le résultat obtenu efface toute critique rétrospective. On peut cependant estimer aussi, sans tomber dans l’anti-sarkozisme primaire, que cette méthode ne nous a pas permis d’obtenir les meilleurs résultats, en particulier sur le plan européen. L’annonce unilatérale de la reconnaissance de l’opposition libyenne, alors qu’A. Juppé négociait avec les partenaires européens une position commune, ne pouvait être perçue que comme un camouflet par les 26 autres pays de l’UE. Certes, nous y reviendrons, l’attitude de nos partenaires européens peut légitimement apparaître très décevante. Mais nous ne pouvons pas dire que notre façon bien française de tirer la couverture à nous, fut-ce avec quelques bonnes raisons, ait aidé à ménager les susceptibilités et à convaincre du bien fondé d’un engagement des 27. Nos partenaires ont finalement fait bonne figure en venant à Paris le 19 mars. Mais il est à craindre qu’une fois encore l’arrogance française laisse des traces qui seront autant d’entraves pour l’avenir.

Nous avons surtout frôlé la pire des situations en manquant de voir notre pays placé en porte-à-faux à l’égard de l’opposition libyenne. Après l’avoir reconnu unilatéralement, nous avons en effet annoncé attendre un vote du Conseil de sécurité pour lui apporter un soutien. C’était un non sens. Si le Conseil de sécurité n’avait pas voté la résolution 1973, nous aurions été placé devant le dilemme insupportable d’assister au massacre du peuple libyen, ou d’intervenir sans l’accord des Nations Unies, en ouvrant à notre tour la boîte de Pandore.

Il faut souhaiter pour les mois qui viennent que, face à un président qui sera tenté de multiplier les coups de poker, son ministre des Affaires étrangères continuera d’affirmer son autorité, en éliminant les réseaux parallèles et les visiteurs du soir qui ont tant fait de mal à notre politique étrangère en Méditerranée comme en Afrique.

6 – L’OTAN INUTILE ET LA PESD INEXISTANTE

Le gouvernement français a fort justement plaidé pour que l’opération conduite en Libye ne le soit pas sous la houlette de l’OTAN. C’était effectivement la bonne position à adopter et il est heureux que les divisions et hésitations de nos alliés (allant jusqu’à l’opposition turque) nous aient aidés à convaincre Washington qu’il fallait éviter d’agiter le drapeau de l’Alliance atlantique sur des terres arabes. Le choix de ne pas utiliser l’OTAN, de la part d’un gouvernement qui a voulu le retour de la France dans toutes les structures intégrées de l’organisation, est une forme de reconnaissance du fait que l’Alliance est une organisation de sécurité qui doit être réservée au théâtre européen, en priorité sinon exclusivement en application de l’article V prévoyant la défense du territoire des alliés. L’OTAN présente certes des avantages opérationnels, voire budgétaires, que certains regretteront de ne pas pouvoir utiliser. Mais la dimension fonctionnelle doit clairement rester subordonnée aux considérations politiques.

A l’inverse, il est tout aussi clair qu’il y avait là une opération pour l’Union européenne et son absence d’un bout à l’autre de la crise est consternante. Elle est la révélation des divisions encore profondes entre ses membres, dont les intérêts sont loin d’être convergents. Elle montre aussi l’absence, chez beaucoup de nos partenaires, de volonté d’agir véritablement sur la scène internationale. Cela ne pourra que donner raison à ceux qui ont toujours manifesté leur scepticisme, voire leur opposition, au développement d’une Europe politique.

Il est certain que la crise libyenne ne peut que nous convaincre de la nécessité de préserver des capacités d’action diplomatique et militaire nationales fortes.

Nous ne pouvons cependant nous satisfaire de ce constat lapidaire, critique à l’égard de nos partenaires européens, et volontiers cocardier. D’une part, parce que les arguments développés contre une intervention militaire par les opinions publiques chez plusieurs de nos voisins ne peuvent pas être écartés d’un revers de main, et parce qu’il faut, malgré tout, se féliciter que bon nombre de nos partenaires ne soient pas des va-t-en guerre. D’autre part, et surtout, parce que depuis plusieurs années – et en particulier depuis 2008 -, la France a cessé d’être un moteur de la construction d’une Europe de la défense ambitieuse. La coopération franco-britannique, dont nous voyons aujourd’hui une nouvelle manifestation, ne réussit pas à être à la PESD ce que l’axe franco-allemand a longtemps été pour la construction européenne dans son ensemble. L’élan de Saint-Malo, qui visait à entraîner nos partenaires européens, a été perdu. Nous l’avons encore vu lors du dernier sommet franco-britannique, dont la portée est exclusivement binationale. Aucune dynamique n’a été créée avec l’Allemagne, et nous en voyons une des conséquences aujourd’hui, même si la position du gouvernement Merkel tient aussi à d’autres contingences très nationales.

La crise libyenne est donc aussi une très mauvaise expérience pour la construction et pour l’avenir de l’UE. Un immense chantier est ouvert devant nous.

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