Réélection de Barack Obama : défis pour l’Amérique et perspectives pour les Européens
Réforme fiscale, réforme des dépenses publiques, du système de santé et des retraites : les chantiers du second mandat d’Obama seront vastes et particulièrement tournés vers les affaires intérieures. Dans ce contexte, la politique extérieure américaine risque bien d’être marquée par un certain désengagement, notamment au Moyen-Orient. C’est pour l’Union européenne l’occasion d’intensifier la coopération transatlantique, et surtout d’émerger comme un acteur important sur la scène internationale. En particulier en Asie, il y a pour l’Europe une carte à jouer, avec les Etats-Unis, pour élargir son champ d’influence.
La réélection de Barack Obama, en se soldant par un statu quo dans la répartition et l’équilibre des pouvoirs entre les deux chambres et entre pouvoirs législatif et exécutif, n’a pas permis à Washington de sortir du blocage politique lié à la « séquestration » du budget militaire et à l’expiration des déductions d’impôts de l’ère Bush. Ces questions feront, avec la réforme des dépenses publiques, du système de santé et des retraites, l’objet d’un « grand marchandage » en 2013.
Au niveau de la politique étrangère, un deuxième mandat Obama permet cependant d’anticiper une continuité sur les grands dossiers internationaux, et une certaine stabilité dans la relation franco-américaine. Le repositionnement américain vers l’Asie-Pacifique devrait se poursuivre, sur fond de restauration des bases internes, notamment économiques et financières, de la puissance américaine (« nation building at home »). Cette priorité devrait se traduire par une décroissance du budget militaire et, compte tenu du déficit et de la dette américaine, également d’une baisse du budget du département d’Etat.
Au Moyen-Orient, l’implication des Américains aux côtés des rebelles syriens peine à s’affirmer, alors qu’un engagement dans le processus de paix israélo-palestinien semble difficile, dans une région qui a valu à Obama les plus importants revers de son premier mandat. Dans ce contexte, il existe de nombreuses aires potentielles de coopération transatlantique : au Moyen-Orient, l’Iran, les pays du « printemps arabe », le Sahel ; en Europe, la Russie et l’Afghanistan. L’Union européenne est également au cœur de la reprise économique mondiale, et Washington a tout intérêt à une résolution rapide de la crise de l’euro.
Mais l’Europe peine à émerger comme acteur important de la scène internationale, et les Etats-Unis risquent fort de poursuivre dans la voie actuelle : utiliser l’UE pour débloquer de l’argent, notamment pour les Palestiniens ; traiter en bilatéral les questions sécuritaires où certaines Européens sont plus utiles que d’autres ; poursuivre de manière unilatérale et secrète le contre-terrorisme.
L’Asie demeure un champ potentiel de coopération : les Etats-Unis éviteraient ainsi de se laisser enfermer dans un face-à-face avec la Chine, avec le risque d’une militarisation à outrance. Pour cela, les Européens doivent densifier leur présence au sein des instances multilatérales régionales, et élargir leur champ d’influence. C’est, en tous cas, pour la France, une opportunité d’action.
Le président américain Barack Obama aura donc réussi l’exploit de se faire réélire après un mandat de récession économique et alors que le chômage n’est jamais descendu sous la barre des 8 %, jusqu’à cinq semaines de l’élection. De ce côté-ci de l’Atlantique, le sort des sortants a été moins enviable face à la crise, qu’il s’agisse de Nicolas Sarkozy, Gordon Brown ou Jose Luis Zapatero.
La campagne américaine, particulièrement agressive des deux côtés, a coûté le chiffre record de 6 milliards de dollars, et mis en évidence le fait abondamment commenté de l’évolution démographique du pays, en particulier le poids des minorités, latinos en tête, et des femmes, paramètres que le parti républicain devra prendre en compte s’il ne veut pas devenir structurellement perdant.
Vu du Congrès, ce sont des élections statu quo puisque la répartition et l’équilibre des pouvoirs ne change pas, ni entre les deux chambres, ni entre les pouvoirs législatif et exécutif. C’est évidemment problématique face à l’urgence de la « falaise fiscale » à laquelle Washington est confronté : certaines mesures, dont la première tranche de la « séquestration » sur le budget militaire, soit une coupe de 50 milliards de dollars sur le budget du Pentagone, et l’expiration des déductions d’impôts de l’ère Bush, entreront automatiquement en vigueur au 1 er janvier 2013 faute d’accord politique bipartisan. Or chacun à Washington espérait justement que le vote permettrait de sortir du blocage politique qui prévaut sur ces questions depuis près de deux ans. Avec le statu quo reconduit au Congrès, et en l’absence pour le moment de concessions majeures côté républicain, on peut légitimement s’attendre à un nouveau suspense à Washington pour la fin 2012, comme à l’été 2011, même si nombre d’échéances pourraient finalement être repoussées. Toutes ces questions, allant de la séquestration à la réforme fiscale, seraient alors traitées en 2013 dans le cadre d’un « grand marchandage » incluant également une réforme des dépenses publiques, du système de santé et des retraites en particulier.
Perspectives pour la politique étrangère du second mandat Obama
La politique étrangère n’a pas été un enjeu de la présidentielle et l’on ne saura jamais si Romney aurait gouverné avec les néoconservateurs ou avec les réalistes de son équipe de politique étrangère. Quoi qu’il en soit, la réélection d’Obama est a priori une bonne nouvelle pour l’Europe, car la vision démocrate du système international est plus proche de la vision du monde qui prévaut dans nombre de capitales européennes. Au-delà, un deuxième mandat Obama permet d’anticiper une continuité sur les grands dossiers internationaux, et une certaine stabilité notamment dans la relation franco-américaine, puisque les deux présidents savent qu’ils travailleront ensemble jusqu’à la fin de leurs mandats actuels.
L’idée dominante du premier mandat Obama était de solder l’héritage de George W. Bush, en particulier en mettant fin à deux guerres considérées comme désastreuses pour le crédit de l’Amérique, au sens propre comme au sens figuré. Cette ligne directrice n’a pas changé, et elle est essentielle aussi pour interpréter le fameux pivot vers l’Asie, justification stratégique « positive » de ce qui demeure un retrait de deux guerres perdues par l’Amérique, et plus largement un désengagement américain voulu, si ce n’est possible, du Moyen-Orient. On notera d’ailleurs que ce mouvement est déjà largement engagé sur le plan des intérêts énergétiques et sécuritaires des Etats-Unis dans la région.
Dans cette optique, la deuxième administration Obama devrait poursuivre ce repositionnement américain vers l’Asie-Pacifique, où s’est déplacé le centre de gravité des intérêts des Etats-Unis, une fois soldé l’engagement en Afghanistan. Surtout, le deuxième mandat devrait permettre au président américain, largement soutenu sur ce point par l’opinion, de mettre à profit ce retrait relatif pour se concentrer sur le « nation building at home », la « reconstruction à la maison ». Car c’est bien là la grande ambition, exprimée à maintes reprises, de Barack Obama : donner la priorité à la restauration des bases internes (notamment économiques et financières) de la puissance américaine. Cette priorité devrait se traduire aussi par une décroissance du budget militaire, déjà entamée, et en phase avec les tendances cycliques caractéristiques des Etats-Unis depuis 1945 : une décennie de guerres et d’aventurisme extérieur, suivie d’une décennie de fin de guerre et de baisse du budget militaire pour engranger quelques « dividendes de la paix ». La décennie 2010 devrait donc voir une décroissance militaire plus ou moins comparable à celle qui a suivi la fin de la Guerre froide (années 1990), la fin de la guerre du Vietnam (années 1970), et la fin de la Seconde guerre mondiale et de la guerre de Corée (années 1950).
Les contraintes : la dette et le Moyen-Orient
Le risque est que, compte-tenu de l’ampleur du déficit et de la dette américaine, le budget du département d’Etat ne s’oriente également à la baisse. Tout dépendra du contenu de l’accord qui devrait être négocié plus ou moins rapidement entre la Maison Blanche et le Congrès, et en particulier de la nature des compromis qui devront être passés par les deux partis, les républicains contrôlant toujours la Chambre des représentants. Or les deux chambres du Congrès ont des pouvoirs égaux et doivent voter dans les mêmes termes pour qu’un projet devienne loi. Il est tout à fait envisageable que la diplomatie et surtout l’aide extérieure américaine fassent les frais du « grand marchandage » visant à rétablir durablement les bases économiques et financières de la puissance des Etats-Unis, un objectif considéré comme prioritaire par l’ensemble de la classe politique américaine aujourd’hui. Or le budget militaire, de par ses retombées immédiates en termes de dépenses et d’emplois sur le sol américain, est toujours davantage défendu par les parlementaires américains, qui contrôlent les cordons de la bourse. A l’inverse, le budget du département d’Etat a le gros défaut d’être dépensé pour l’essentiel à l’étranger, ce qui lui donne peu de défenseurs au Congrès américain. Le danger pour la politique étrangère américaine est qu’elle demeure trop militarisée, une tendance dominante depuis la fin de la Guerre froide, alors même que la plupart des crises et des problèmes internationaux actuels appellent une approche diplomatique plus qu’une solution militaire.
L’autre contrainte majeure à laquelle la seconde administration Obama devra faire face viendra, sans nul doute, du Moyen-Orient. N’en déplaise aux stratèges du pivot, le Moyen-Orient risque de ne pas se laisser oublier si facilement. En Syrie, Obama a décidé depuis longtemps déjà qu’il n’était pas question que les Etats-Unis interviennent directement dans le conflit. Le peu d’empressement à reconnaître le Conseil national syrien, alors même que l’unification de l’opposition syrienne était l’objectif principal de Washington, augure mal de l’implication à venir des Américains aux côtés des rebelles syriens, dont on craint, sans doute avec quelques bonnes raisons, qu’ils soient de plus en plus noyautés par des éléments radicaux, salafistes pour ne pas les nommer. S’agissant de la reprise du processus de paix israélo-palestinien, le dernier affrontement entre Israël et le Hamas en a illustré une nouvelle fois l’urgence, mais on peut se demander si Obama voudra à nouveau risquer son crédit et surtout son temps dans une région qui lui a valu les plus importants revers de son premier mandat. Concernant l’Iran enfin, il faut s’attendre à ce que la possibilité d’une confrontation violente redevienne aigüe à l’été 2013 en l’absence de progrès sur le front diplomatique, progrès qui supposeraient des pourparlers directs entre Washington et Téhéran, que les deux parties ont nié avoir eus jusqu’ici.
Opportunités de coopération transatlantique
Dans cette optique de pivot vers l’Asie et de désengagement relatif américain du Moyen-Orient, il y a de nombreuses aires potentielles de coopération transatlantique. La première administration Obama a constamment insisté dans ses documents stratégiques officiels sur le fait que les Européens sont « les meilleurs alliés des Etats-Unis » et que la coopération transatlantique reste « un catalyseur de la puissance américaine dans le monde ». Le dernier document stratégique américain ( Defense Strategic Guidance de janvier 2012) a enfoncé le clou en désignant les Européens comme désormais « producteurs de sécurité ».
A la limite, on pourrait dire que la condition de la réussite du pivot vers l’Asie passe par l’Europe. Shadi Hamid, de la Brookings, a bien exprimé la nouvelle philosophie américaine au Moyen-Orient : « engage where we must, disengage when we can » [2] , « s’impliquer où nous le devons, se retirer quand nous le pouvons ». L’expression pourrait presque résumer l’ensemble de la stratégie internationale d’Obama pour un second mandat. Or, pour pouvoir se désengager, les Américains espéraient notamment que les Européens prendraient le relai dans leur environnement proche.
Les domaines potentiels de coopération transatlantique incluent au Moyen-Orient l’Iran bien sûr, où l’Europe est en pointe sur les sanctions, et les pays dits du « printemps arabe » au sens large, à commencer par la Libye ; en Afrique, le Sahel et tout particulièrement le Mali ; en Europe même, si Obama décide de relancer son initiative « Global zero », la reprise des négociations avec la Russie concernera aussi les Européens ; et en Afghanistan il faudra bien gérer ensemble la fin de cette opération « transatlantique ». Enfin, l’UE est évidemment au cœur de la reprise économique mondiale, notamment par sa présence au sein du G8, et Washington a tout intérêt à une résolution rapide de la crise de l’euro. Au-delà, les discussions pourraient reprendre sur un accord de commerce transatlantique, qui pourrait être un outil essentiel pour les Américains face à la Chine et, pour l’Europe, un moyen de rehausser la relation transatlantique. Sur la question israélo-palestinienne, s’il y a reprise du processus de paix, il faudra que les efforts soient soutenus par les Européens, en termes d’assistance économique, voire de présence de soldats sur le terrain dans une force de maintien de la paix.
Le problème principal, et il n’est pas nouveau, réside dans l’incapacité de la Commission européenne, malgré un volume d’aide qui atteint près de 4 milliards d’euros par an en moyenne dans le monde, à traduire en influence politique cette manne économique. C’est ce qui fait, en particulier, que l’UE n’est pas un réel acteur du processus israélo-arabe, alors qu’elle pourrait légitimement le devenir. Par ailleurs on peut douter dans le contexte actuel que les Européens veuillent déployer des forces à Gaza.
Plus généralement, s’agissant de la relation transatlantique et du rôle de l’UE, le premier mandat Obama avait déjà été caractérisé par l’ampleur des attentes et des désillusions. Malgré Lisbonne et la mise en place d’un service diplomatique européen, l’Europe n’a pas émergé comme acteur important de la scène internationale, et les Américains semblent presque résignés aujourd’hui. L’Europe est toujours attendue, mais sur le plan stratégique c’est de plus en plus en termes de capacité à acheter américain et à fournir des débouchés aux industries américaines de défense que nos partenaires raisonnent. Or les Européens, comme les Américains, ont des problèmes budgétaires et fiscaux pressants, et le retranchement serait tout aussi logique de leur part.
Dès lors, Washington pourrait poursuivre sur la voie actuelle : s’adresser à l’UE pour « obtenir des chèques » quand cet argent peut soutenir les objectifs américains (en particulier l’argent destiné aux Palestiniens, plus difficile à obtenir du Congrès américain notamment avec la Chambre républicaine) ; traiter en bilatéral les questions sécuritaires où certains Européens sont plus utiles que d’autres (la France sur le Mali) ; et poursuivre de manière unilatérale et secrète leur priorité internationale numéro 1, le contre-terrorisme, sous forme de frappes de drones et de collaboration étroite entre CIA et forces spéciales.
Reste l’Asie, où tout est à faire et où Washington demeure attentif à ne pas militariser à outrance le face-à-face annoncé avec la Chine, objectif qui laisse une latitude d’action aux Européens s’ils veulent bien s’en saisir. A cet égard, le télégramme envoyé au printemps dernier par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton à son homologue européenne Catherine Ashton semble indiquer une ouverture américaine, qui permettrait aux Etats-Unis d’inclure une dimension transatlantique dans leur relation avec l’Asie et de ne pas se laisser enfermer dans un face-à-face avec la Chine, avec le risque que la dimension militaire finisse par primer sur toute autre. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’encouragement adressé aux Européens pour qu’ils densifient leur présence au sein des instances multilatérales régionales, et qu’ils appuient les Américains sur différents dossiers, y compris mais pas seulement commerciaux. Cela peut être compris comme un encouragement à élargir les prérogatives de l’OTAN, ou donner à l’UE l’occasion d’élargir son champ d’influence pour autant qu’elle en ait la volonté. Quoiqu’il en soit, c’est une opportunité d’action pour la France, dont la présence dans la région est ancienne et qui peut compter sur son réseau d’amis et d’alliés.
Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire ↑
Shadi Hamid, « Middle East Lost », Foreign Policy , 5 novembre 2012 :
http://www.foreignpolicy.com/articles/2012/11/05/middle_east_lost ↑