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Note

Sortir de l’OTAN : l’inconséquence diplomatique de Jean-Luc Mélenchon

Quelles seraient les conséquences de la sortie de l’OTAN que propose Jean-Luc Mélenchon ? Cette note fournit quelques éléments de réponse.
Publié le 

Le programme de la France insoumise et de son leader, Jean-Luc Mélenchon, propose de faire sortir la France de l’OTAN, une disposition rédigée plus précisément en ces termes : « Sortir de l’Otan et refuser la participation de la France à toute alliance militaire permanente à l’exception des opérations de maintien de la paix sous égide de l’ONU ». En décembre 2015, Jean Luc Mélenchon proposait que la France conclue une « alliance militaire altermondialiste » avec les BRCIS (Brésil, Russie, Chine, Inde, Afrique du Sud)[1]

Dans son programme, une telle alliance est maintenue, mais n’est plus explicitement qualifiée de « militaire ».

La rupture proposée par le candidat de la France insoumise concernant l’OTAN va au-delà de la décision du général de Gaulle en 1966. Le président de la République avait alors décidé le retrait du commandement militaire intégré, la France demeurant un membre de plein droit de l’Alliance et participant à ce titre à son organisation. Le « retour » opéré en 2009 par Nicolas Sarkozy n’a d’ailleurs été que partiel : il a exclu de participer à la planification nucléaire et ne s’est pas traduit par la mise à disposition permanente de forces, ni par une remise en cause de l’autonomie d’appréciation et de décision de la France.

La sortie radicale préconisée par Jean Luc Mélenchon présente l’apparence d’une forte déclaration d’indépendance. Mais elle aurait en réalité des conséquences largement contraires à nos intérêts nationaux et européens. A commencer par une perte d’influence totale sur les décisions prises par l’Alliance Atlantique (déploiements, engagements, conduites des opérations, programmes technologiques, …) et susceptibles d’affecter la stabilité régionale et internationale. Diplomatiquement, cela réduirait la capacité manœuvrière de la France en Europe et sur la scène internationale, y compris aux Nations Unies, car il lui serait encore plus difficile qu’aujourd’hui de mobiliser des partenaires européens pour des opérations extérieures (du type de celles du Mali ou de République Centrafricaine). Cela réduirait également sa capacité d’influence sur les Etats-Unis et leurs relais traditionnels en Europe, au Proche-Orient et en Asie – Pacifique.

Tout d’abord l’article 5 de la charte de l’OTAN prévoit qu’une attaque dirigée contre un membre de l’Alliance Atlantique est considérée comme une attaque contre tous, et que les autres membres portent donc assistance à la partie attaquée[2]. Si la France sortait de l’OTAN et si elle devait être l’objet d’une agression, elle perdrait donc le bénéfice de cette assistance.

Cet isolement pourrait être accru du fait du refus plus général de participer « à toute alliance militaire permanente à l’exception des opérations de maintien de la paix sous égide de l’ONU ». Cet engagement vaudrait-il retrait des parties du Traité sur l’Union européenne qui concernent les questions de défense ?Dans cette hypothèse, la France perdrait aussi l’assistance qui est inscrite dans l’article 42 paragraphe 7 dudit traité[3], lequel prévoit une aide et une assistance des autres Etats membres par tous les moyens en leur pouvoir à l’un des leurs qui serait l’objet d’une agression armée sur son territoire (cette dernière réserve « sur son territoire » n’est pas spécifiée en revanche dans le cas de la Charte de l’OTAN qui parle d’un attaque « survenant en Europe ou en Amérique du Nord »).

Symétriquement, le retrait de la France de l’OTAN, voire des dispositions du traité sur l’UE concernant la défense, signifierait qu’elle refuse de porter assistance automatique à un Etat européen (pays baltes, pays d’Europe Centrale et Orientale, pays nordiques…) qui serait victime d’une attaque de la Russie, par exemple. Un message évidemment désastreux pour la solidarité européenne, tant les mécanismes d’assistance l’expriment de façon concrète et peuvent jouer un rôle dissuasif. Mais le message ainsi envoyé serait également catastrophique pour la stabilité du front oriental et septentrional de l’Union, déjà entamée par l’annexion de la Crimée par la Russie, la modernisation accélérée de ses installations militaires à Kaliningrad et par l’intervention inavouée de ses troupes à l’est de l’Ukraine.

Sur le plan plus directement opérationnel, un retrait de l’OTAN signifierait que les matériels militaires de la France et des autres membres de l’Alliance ne seraient plus automatiquement conçus en amont pour être interopérables, et que les armées des différents pays ne feraient plus systématiquement de manœuvres communes, ce qui compliquerait considérablement d’éventuelles opérations militaires communes, fût-ce dans le cadre des opérations de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU que le programme de Jean-Luc Mélenchon prévoit cependant de poursuivre.

Par ailleurs, un tel retrait signifierait vraisemblablement que les autres membres de l’OTAN, à commencer par les Etats-Unis, ne seraient plus aussi enclins qu’aujourd’hui à faire bénéficier la France de certains de leurs moyens techniques (transports aériens, renseignement satellitaire…) dont celle-ci ne dispose pas en quantité et en qualité suffisantes, mais dont elle a absolument besoin pour mener des interventions extérieures comme l’opération de 2013 contre les groupes djihadistes qui avaient alors conquis le nord Mali. Cette opération aurait été impossible sans le soutien américain. L’alternative à ce soutien serait d’équiper la France de tels moyens, ce qui exigerait une augmentation considérable du budget de la défense, laquelle ne pourrait pas être compensée par un renoncement à l’arme nucléaire, renoncement qui n’est pas explicitement prévu dans le programme du candidat. Au contraire, si la France se retirait de l’OTAN en perdant le bénéfice de l’assistance prévue par l’article 5, elle serait plus dépendante encore de sa force de dissuasion nucléaire pour sa défense contre une éventuelle agression.

Sur le plan industriel, le retrait de l’OTAN mettrait en cause l’existence même de MBDA, d’Airbus Group et de Thales dans les domaines de la défense. Cela se traduirait par des déports de centaines d’emplois vers l’Allemagne, l’Italie voire la Grande Bretagne notamment dans le domaine des industries spatiales. Cela rendrait plus difficiles les exportations d’équipements de défense vers les Etats membres de l’Alliance atlantique et like-minded (Australie, Corée du Sud…) y compris du monde arabe (Emirats arabes unis, Egypte, Maroc…). Cela induirait aussi un renchérissement mécanique des coûts d’acquisition des équipements dévolus aux forces armées françaises et l’interdiction d’accès à certaines technologies aujourd’hui employées.

A court terme, ce retrait se traduirait également par une remise en cause des programmes d’armement du futur (drones d’observations et de combat, avions de combat, missiles antinavires, outils de surveillance maritime…). De manière plus globale, un tel choix remettrait en cause les acquis des accords franco-britanniques de Lancaster House et donnerait un rôle central à l’Allemagne dans la défense européenne y compris à son industrie, surtout si Berlin devait concrétiser son projet d’augmenter très sensiblement la part de son produit intérieur brut consacrée à la défense (elle est aujourd’hui de 1,19% contre 1,78% pour la France, la cible fixée par l’OTAN étant de 2%).

L’option proposée par Jean-Luc Mélenchon mettrait donc un terme à tout projet européen, laissant à l’OTAN toute latitude en Europe. Elle rendrait de fait les normes industrielles américaines hégémoniques en Europe et réduirait de manière significative les capacités d’action françaises en particulier sur le pourtour méditerranéen (transport aérien, défense du groupe aéronaval, renseignement…).

La France en se plaçant à l’écart de la seule alliance militaire crédible en Europe, quelles que soient les réserves que l’on puisse exprimer sur le poids dominant des Etats-Unis en son sein, apparaîtrait repliée sur elle-même, comme étant devenue un allié objectif de la Russie contre les Etats-Unis et les Etats limitrophes de la Fédération russe, et ne comprenant pas les préoccupations croissantes de sécurité de ses partenaires d’Europe du Nord non-membres de l’OTAN (Finlande, Suède), rétive en outre à l’application de l’article 222 du Traité sur l’Union européenne concernant la solidarité en cas d’attaque terroriste contre un Etat membre.

Outre qu’elle affaiblirait la France et son influence régionale et internationale, la ligne officiellement pacifiste défendue par Jean-Luc Mélenchon conduirait à fragiliser un peu plus les équilibres qui ont permis au continent de connaître une certaine stabilité ces dernières décennies. Pas sûr que ce soit le chemin d’une paix durable…


[1] https://www.youtube.com/watch?v=CyKPKPpprQo&feature=share

[2] http://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm

[3] http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A12012M%2FTXT

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