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Note

Tournée européenne de Xi Jinping : quelles opportunités pour la France ?

Deux chercheurs spécialistes de la Chine replacent la visite du Président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, dans sa dimension internationale. Malgré un contexte difficile, la France, grâce à plusieurs domaines d’expertise et d’excellence, pourrait avoir l’opportunité d’instaurer un certain nombre de partenariats, touchant notamment à des domaines économiques et financiers, energétiques, industriels ou encore à son action dans des pays tiers.

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Le président de la République populaire de Chine (RPC), Xi Jinping, effectue du 22 mars au 1er avril sa première visite en Europe depuis son accession au sommet de l’Etat et du Parti communiste chinois. Au cours de celle-ci, il visitera quatre pays, dont la France du 25 au 28 mars. La visite d’Etat de Xi Jinping intervient un an après celle de François Hollande à Pékin. Cela faisait quatre ans qu’un président chinois ne s’était pas rendu en France, la dernière visite en date étant celle de Hu Jintao en novembre 2010. 

Cette nouvelle visite est un événement diplomatique majeur pour la relation franco-chinoise. Xi Jinping séjournera trois jours en France et se rendra à Lyon et Paris, alors que son prédécesseur avait séjourné seulement deux jours dans le pays, et cela dans le contexte particulier du sommet du G20 à Cannes. Le président Hollande, pour sa part, ne s’était arrêté que 37 heures en Chine en avril 2013. Cette nouvelle visite s’inscrit en outre dans le cadre de la célébration des 50 ans de la reconnaissance par la France de la RPC, et du 10ème anniversaire du « Partenariat stratégique global » entre les deux pays.

Une tournée à dimension internationale

Toutefois, si la visite de Xi Jinping est effectivement un évènement majeur pour la France, il faut garder à l’esprit la dimension avant tout internationale de cette tournée. En effet, le président chinois visitera lors de ce déplacement pas moins de quatre pays, rencontrera cinq chefs d’Etat, s’entretiendra avec les principaux représentants de l’Union européenne, participera à une conférence internationale, et visitera le siège de l’Unesco.

Il débutera son parcours par les Pays-Bas (première visite d’un président chinois depuis l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays), où il participera au 3e sommet international sur la sécurité nucléaire (24–25 mars) à La Haye. En marge de ce sommet, il est prévu qu’il s’entretienne avec le président américain Barack Obama.

Il se rendra ensuite en France, où il visitera notamment le centre de recherche BioMérieux (spécialisé dans les diagnostics médicaux in vitro) et l’institut franco-chinois de Lyon, mais aussi l’Unesco à Paris, et rencontrera les principaux représentants de l’Etat français (Président de la République, Premier ministre, Président de l’Assemblée nationale et Président du Sénat), ainsi que des acteurs économiques, dont les responsables de PSA-Peugeot-Citroën pour la signature de l’accord de prise de participation du groupe Dongfeng (26 mars).

Xi Jinping se rendra ensuite en Allemagne, où il rencontrera le Président allemand Joachim Gauck et la chancelière Angela Merkel. A cette occasion, les chefs de l’Etat chinois et allemands ont prévu de travailler à l’élaboration d’un plan stratégique de développement des relations sino-allemandes sur le moyen terme (5 à 10 ans), avant que le Président chinois n’assiste à un banquet réunissant des chefs d’entreprises des deux pays.

Enfin, Xi Jinping achèvera son séjour à Bruxelles où il rencontrera le Roi de Belgique et le Premier ministre belge, et visitera le siège de l’Union européenne (première visite d’un président chinois depuis 1975). Dans le cadre de cette visite, des rencontres sont prévues avec le président du Conseil européen Herman Van Rompuy, le président du Parlement européen Martin Schulz et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso.

Un contexte difficile

La visite du président chinois intervient plus d’un an après la nomination de  Xi Jinping à la tête de l’Etat et du Parti communiste chinois, et un an après ses premières visites officielles, notamment en Russie et en Afrique (Tanzanie, Afrique du Sud, République du Congo). Ce choix de privilégier les relations non occidentales de la Chine est un signe fort envoyé à l’Europe, qui reste le premier partenaire commercial de la Chine (434 milliards d’euros en 2012) mais peine à traduire ce poids économique en influence et partenariat politiques.

A l’échelle internationale, cette visite intervient à un moment de tensions fortes entre l’UE et les Etats-Unis d’une part, et la Russie d’autre part. S’agissant de l’Ukraine, et alors que les relations sino-russes sont au beau fixe depuis plus d’un an, le Président chinois a exprimé son inquiétude, mais a demandé à son représentant permanent à l’ONU de s’abstenir lors du vote d’une résolution condamnant le référendum en Crimée. Ces tensions eurasiennes pourraient bien occulter l’aspect plus proprement sino-européen de la visite, qui représente pourtant une opportunité importante de renouer des liens bilatéraux Chine-UE, partiellement fragilisés par les disputes commerciales de l’année passée, notamment sur la question des panneaux solaires [1]. Il se pourrait ainsi que le contexte international accapare l’espace de discussion aux dépens de sujets pourtant importants, comme les négociations actuelles pour parvenir à un accord Chine-UE sur les investissements, en vue de négociations sur un potentiel accord de libre-échange [2].

A l’échelle européenne ensuite, la France fait face à la compétition avec l’Allemagne, qui entretient déjà des relations étroites avec la Chine, en matière économique et technologique bien sûr, mais en termes diplomatiques également. Alors que la visite de Xi Jinping est la première visite d’un Président chinois en Allemagne depuis plus de huit ans, les relations sino-allemandes sont alimentées par les visites régulières de la Chancelière Merkel en Chine – six visites officielles depuis 2005, auxquelles s’ajoutent les nombreuses rencontres bilatérales lors de sommets internationaux.

Des opportunités néanmoins nombreuses

Malgré cela, la France ne doit pas ignorer son potentiel ou sous-évaluer les opportunités que font naître cette visite. Tout d’abord, l’intérêt de la Chine pour la France est réel, comme en témoigne l’envoi de deux délégations d’experts chinois de la France et de l’UE  à Paris un mois avant la visite d’Etat, pour préparer un rapport de fond sur la situation économique française et les opportunités de coopération entre les deux Etats.

Ensuite, un certain nombre de domaines d’expertise et d’excellence français pourraient faire l’objet d’un partenariat franco-chinois, avec des retombées potentiellement bénéfiques pour les deux partenaires :

Réformes administratives et économiques

Dans un contexte de réforme et de réorientation économiques, la Chine pourrait être amenée à solliciter l’expertise française. Le modèle économique et social français, marqué par une tradition d’interventionnisme étatique et par l’existence de services publics de qualité, suscite en effet l’intérêt des dirigeants chinois. Alors que la Chine a annoncé sa détermination à entamer – très graduellement – la réforme de ses entreprises d’Etat, la France pourrait, par exemple, partager ses expériences de privatisations opérées au sein du paysage économique français. Alors que la Chine cherche à réformer son système de sécurité sociale et de santé, et bien que ses experts aient plutôt tendance à se tourner vers le modèle du National Health System britannique, elle pourrait bénéficier des enseignements français sur les modalités possibles d’édification d’un système moderne de santé et de sécurité sociale.

Coopération financière

La Chine cherche actuellement à développer ses partenariats monétaires avec l’Europe dans le but d’internationaliser progressivement sa monnaie, par l’intermédiaire notamment d’accords de swap[3]. Dans ce contexte, Paris aurait beaucoup à gagner en devenant la place forte du Yuan off-shore[4] en Europe. La concurrence est certes rude, avec Londres et Francfort notamment, mais la France dispose d’atouts nombreux, notamment en matière de stabilité et d’expertise financières. La capacité de la France à s’être dotée d’un secteur financier moderne, fortement internationalisé et relativement résilient aux crises, pourrait d’ailleurs constituer un sujet de discussion intéressant à l’heure où la Chine se fixe pour objectif de réformer son système financier.

Normes et standards

La Chine est ensuite confrontée à des défis internes importants, en particulier en matière de sécurité alimentaire et sanitaire, d’environnement et d’agronomie, ou encore de responsabilité sociale des entreprises. Dans ces différents domaines, la Chine se montre intéressée par le savoir-faire français. Le secteur laitier français est, par exemple, déjà plébiscité par les consommateurs et investisseurs chinois, en raison d’une demande chinoise considérable et d’une qualité de production française reconnue. Là encore, des discussions intéressantes pourraient avoir lieu sur les normes et standards appliqués en France dans les secteurs mentionnés.

Energie

Dans le domaine énergétique également, et du nucléaire en particulier, la coopération franco-chinoise semble déjà porter ses fruits avec le projet de centrale EPR à Hinkley Point au Royaume-Uni, attribué à un consortium franco-chinois (EDF-Areva-CGN-CNNC). Ce type de coopération entre la France et la Chine en vue de mener des projets dans des pays tiers pourrait constituer un modèle de coopération mutuellement bénéfique à l’avenir, d’autant que les investissements chinois en Europe, et notamment en France, ont une forte composante énergétique[5].

Coopération dans les pays tiers

La France et la Chine ont toutes deux d’importants intérêts à l’étranger, et notamment en Afrique, mais les projets de coopération franco-chinois à l’international sont encore très rares. Or la Chine est consciente de la proximité de la France avec l’Afrique francophone et recherche, sans surprise, sa coopération pour pénétrer ces marchés. En outre, la sécurisation des intérêts chinois à l’étranger est devenue une priorité explicite du nouveau gouvernement chinois, en particulier la sécurité des ressortissants et des sites à l’étranger. Sur ce point, les récentes interventions françaises, et notamment l’opération Serval au Mali, ont démontré, aux yeux des dirigeants chinois, l’engagement de la France en faveur de la sécurité en Afrique sub-saharienne. Ces interventions n’ont pas laissé la Chine indifférente, comme l’a montré l’envoi d’un contingent de 400 casques bleus dans le cadre de la mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

Industrie

La France détient enfin, avec les secteurs du luxe et du tourisme, deux atouts majeurs dont l’attractivité ne se dément pas auprès des consommateurs chinois. De même, la France reste l’un des premiers pays de destination des investissements chinois en Europe6 ce qui s’explique par le fait que ses entreprises sont efficaces, innovantes, internationales et disposent d’un fort capital technologique et scientifique. Ces atouts ne doivent pas être sous-estimés, alors que les investissements chinois pourraient ouvrir aux entreprises françaises de nouveaux marchés. Cela vaut d’ailleurs aussi pour les PME françaises, dont il serait opportun de souligner le dynamisme auprès des dirigeants chinois.

En définitive, la France, en dépit d’une conjoncture économique difficile et d’un positionnement moins favorable que son partenaire allemand, conserve un potentiel de coopération certain avec la Chine. Il existe beaucoup d’opportunités à tirer de la relation franco-chinoise. Elle s’inscrit en outre dans un cadre nouveau : la rencontre (une première historique pour un président chinois) entre Xi Jinping et les dirigeants de l’UE montre que Pékin considère pour la première fois l’Union comme un véritable interlocuteur politique. Au sein de cette jeune relation sino-européenne, la France pourrait jouer un rôle clé, celui de pilier de la politique européenne chinoise. Alors que l’Allemagne conserverait son statut de partenaire technologique et économique privilégié, la France se positionnerait comme partenaire politique et stratégique – n’oublions pas que les deux Etats siègent au Conseil de sécurité. Un tel partenariat ne pourra faire l’impasse sur la question des droits de l’homme en Chine, sur laquelle il est indispensable que les dirigeants français se prononcent, sans toutefois mettre en péril les pistes de coopération esquissées ci-dessus.

A tous égards, la visite du président Xi Jinping constitue une opportunité bienvenue, dans un contexte favorable de la relation franco-chinoise, dont la France doit se saisir.

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Antoine Petit et Juliette Fichter sont les pseudonymes de deux spécialistes de la Chine.
Cette note a bénéficié de l’expertise d’Asia Centre.
 
[1] Le 4 juin 2013, la Commission européenne a annoncé la mise en place de droits anti-dumping de 11% sur les importations de panneaux solaires en provenance de Chine, soupçonnant les entreprises photovoltaïques chinoises de dumping illégal. Ces droits ont été relevés à 47% le 6 août en l’absence de compromis avec Pékin. Suite à cette attaque, la Chine a lancé une contre-offensive en annonçant le lancement d’une enquête antidumping contre les vins en provenance d’Europe, entre autres produits. Depuis, des négociations ont été menées entre l’UE et la Chine, qui ont abouti à un accord amiable mettant en place un prix de vente plancher de 0,56 euro par watt de puissance produite. Il est à noter que le prix plancher consacré par l’accord est loin de satisfaire les fabricants européens, mais évite un conflit commercial coûteux. Par ailleurs, Bruxelles n’a pas renoncé à l’autre volet de son offensive : une enquête sur les subventions d’État illégales dont auraient bénéficié les fabricants chinois de panneaux solaires.
[2] Pour l’instant, l’UE et la Chine ne sont engagées que dans des discussions sur un futur traité d’investissement bilatéral. Si ce traité aboutit, et si la Chine remplit certaines conditions, ayant notamment trait à la libre compétition et à la suspension de son soutien à certains secteurs, les deux partenaires pourraient s’engager dans la négociation d’un traité de libre-échange, comparable à celui conclu récemment avec la Corée du Sud.
[3] Un accord de swap est un accord d’échange de devises entre deux pays. Dans le cas de la Chine, le Yuan n’étant pas convertible, mais la Chine occupant une place importante dans le commerce mondial et pour les entreprises européennes et françaises, le pays peut proposer à ses principaux partenaires commerciaux de tels accords pour faciliter les transactions commerciales.
[4] Yuan échangé, en quantités limitées et fortement contrôlées, hors des frontières chinoises.
[5] En 2012, les entreprises chinoises ont investi plus de 7 milliards de dollars dans les secteurs du charbon, du gaz et du pétrole au sein de l’Union européenne (source : http://rhg.com/notes/chinese-investment-europe-vs-the-united-states)
[6]  En 2012, l’Union européenne a attiré deux fois plus d’investissements directs chinois que les Etats-Unis (12 Mds contre 6,3 Mds de dollars). Au sein de l’Union européenne, la France est le premier Etat destinataire d’investissements directs chinois, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne (source : China invests in Europe – Patterns, Impacts and Policy Implications, p. 38, 
http://rhg.com/wp-content/uploads/2012/06/RHG_ChinaInvestsInEurope_June2012.pdf).

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