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Note

Tunisie, de la Révolution à la Constitution de la nouvelle République

Terra Nova a suivi la Révolution tunisienne avec attention et sympathie depuis ses prémices, en particulier grâce aux nombreux contacts et partenariats locaux qui ont été noués. Une nouvelle phase s’est ouverte, à la fois politique et juridique, avec en ligne de mire les premières élections libres du 24 juillet prochain qui désigneront l’Assemblée nationale constituante. Le grand enjeu des mois qui viennent en Tunisie, c’est la préparation de la Constitution. Dans cette note, Sélim Ben Abdesselem, avocat au Barreau de Paris, et Béligh Nabli, maître de conférences en droit public à l’Université de Paris-Est et à Sciences Po Paris, dressent un premier bilan sur le paysage politique en recherche d’équilibre et esquissent quelques réflexions sur les grands principes fondateurs de la future Constitution.
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Le « printemps arabe » a accouché de la première Révolution du XXI e siècle. Par un acte de souveraineté, le peuple tunisien a décidé de mettre fin à un ordre politique, économique et social inique. La Tunisie s’inscrit désormais dans un processus de démocratisation ponctué notamment par trois échéances cruciales : l’élaboration d’un nouveau code électoral, l’élection de l’Assemblée, le 24 juillet 2011, constituante et l’adoption d’une nouvelle Constitution, celle de la Révolution, celle de la Seconde République tunisienne. Cet acte constituant devrait consacrer la rupture avec un ancien régime autoritaire, arbitraire et corrompu. Outre sa portée nationale, ce texte devrait bénéficier d’une force symbolique indéniable dans un monde arabe en mouvement.

Les citoyens de Tunisie vont donc être appelés à participer à la première élection libre de leur histoire. La mise en place de l’Assemblée constituante s’inscrira néanmoins dans un contexte fait de tensions persistantes et d’incertitudes. La transition démocratique s’apparente à une véritable course d’obstacles juridiques, politiques et économiques. Alors que les avancées politiques et les procédures démocratiques exigent du temps, les impératifs économiques et les attentes sociales se conjuguent au présent. La Révolution et la guerre en Libye pèsent sur la croissance de la Tunisie et placent le pays dans une situation d’urgence. En atteste l’augmentation continue du chômage des jeunes.

Le paysage politique post-révolutionnaire se dessine toutefois, lentement mais sûrement. Le système de parti unique – ou de domination hégémonique – du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) a laissé place à un multipartisme effréné. De nouveaux partis fleurissent tous les jours : plus de 70 sont désormais enregistrés ! Même si cette inflation rend l’offre politique peu lisible, les citoyens sont manifestement enclins à participer au jeu démocratique. Des personnalités émergent, des programmes prennent corps et des alliances et coalitions se dessinent dans une société politique animée à la fois par la passion et le romantisme révolutionnaire, mais aussi par l’éthique de responsabilité.

Dans ce contexte, l’expertise constitutionnelle et les techniques d’ingénierie électorale sont des instruments indispensables au processus de transition démocratique que tente de mener l’exécutif bicéphale. Afin de pallier leur faible légitimité, le président intérimaire et le Gouvernement transitoire s’appuient sur des organes consultatifs dont la composition tend à allier expertise et représentativité. Ainsi, l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique (ISROR) s’est prononcée en vue de l’élection de l’assemblée constituante, pour un scrutin proportionnel de listes en un seul tour avec un système des plus forts restes, pour l’inéligibilité de toute personne ayant occupé des postes de responsabilité au sein des gouvernements successifs ou des structures du RCD, pendant les 23 ans de pouvoir de Ben Ali et, enfin, pour le principe de la parité hommes-femmes. En outre, une Instance supérieure indépendante a été officiellement créée en vue de garantir des élections démocratiques, pluralistes et transparentes.

La Constitution de la Révolution devrait incarner l’identité de la Tunisie moderne. Norme juridique suprême, cette Constitution devra définir à la fois un contrat social rénové, un système de valeurs communes non uniforme et l’architecture institutionnelle d’un régime politique équilibré. La question des rapports entre l’Etat et l’Islam risque néanmoins de constituer un vrai point de crispation. Le problème réside ici dans la détermination même du « message révolutionnaire ». Les forces politiques et sociales qui ont participé à la Révolution étaient unies dans une posture de rejet du régime. Une telle unanimité dans un processus constituant est illusoire.

En conséquence, l’élaboration de la future Constitution devrait partir du triptyque caractéristique du régime précédent – autoritarisme, arbitraire, corruption – pour mieux en prendre le contre-pied, à travers l’affirmation et la garantie : de la liberté d’expression et du pluralisme politique, des droits fondamentaux de l’individu, ainsi que de la transparence administrative et économique. Autrement dit, pour un peuple qui a déjà fait montre de sa maturité politique, la consécration de la démocratie devrait aussi s’inscrire dans le cadre exigeant de l’Etat de droit.

Si la puissance de choc de la Révolution tunisienne fait vaciller le monde arabe, il est probable que ce pays pionnier connaîtra une évolution politique unique en son genre. Plutôt que de s’ériger en modèle, l’expérience tunisienne a vocation à jouer un rôle de laboratoire pour les mutations politiques dans le monde arabe. C’est une manière de mettre fin au fatalisme et au simplisme qui ont longtemps animé l’analyse des perspectives politiques des sociétés arabes.

Le « printemps arabe » a accouché de la première Révolution du XXI e siècle. Par un acte de souveraineté, le peuple tunisien a décidé de mettre fin à un régime autoritaire et corrompu ; plus rien ne sera comme avant. La chute brutale du « système Ben Ali » a ouvert la voie à un processus de démocratisation du pays, véritable laboratoire pour les mutations politiques dans le monde arabe. Ainsi, le 24 juillet 2011, les Tunisiens seront-ils appelés à participer à la première élection libre de leur histoire. Faute de tradition démocratique, ce scrutin représente un défi. L’Assemblée constituante élue sera chargée de rédiger la Constitution de la seconde République tunisienne qui, par delà sa portée juridique, jouira d’une force historique et symbolique indéniables.

Reste que la transition démocratique n’est pas un acquis, mais une construction à accomplir : «  la révolution n’est pas la démocratie, mais une porte ouverte sur la démocratie  » a reconnu le Premier ministre M. Caïd Essebsi. Le processus enclenché s’apparente à une véritable course d’obstacles juridiques, politiques et économiques. Après une période d’insécurité et d’instabilité, l’exécutif bicéphale qui dirige le pays reste confronté à une situation de crise : des conflits sociaux ponctuels continuent d’éclater, alors que certains signes (notamment l’effondrement du secteur touristique et l’augmentation mécanique du chômage) place l’économie nationale dans une situation d’urgence ; l’insécurité chronique [1] et le désordre administratif pèsent sur la vie quotidienne des citoyens ; enfin, la Tunisie gère – de manière remarquable – la crise humanitaire qui sévit dans la région frontalière avec la Libye, Etat voisin qui est le théâtre d’une guerre civile et d’une intervention militaire sous commandement de l’OTAN (sur la base d’un mandat onusien défini par la résolution 1973). La déstabilisation du régime du colonel Kadhafi rejaillit directement sur la situation économique, sociale et sécuritaire de la Tunisie.

C’est dans ce contexte de tension et d’incertitude que le paysage politique de la Tunisie moderne se dessine lentement mais sûrement. Les différents acteurs de la Tunisie post-révolutionnaire – président de la République par intérim et Gouvernement de transition, partis politiques, instances consultatives, associations, syndicats, médias – sont mobilisés pour les échéances aussi cruciales que l’élaboration d’un nouveau code électoral, l’élection de l’Assemblée constituante et l’adoption de la nouvelle Constitution. Pour marquer la rupture avec l’ancien régime, la « Constitution de la Révolution » devra incarner l’identité de la Tunisie moderne. Norme juridique suprême de l’Etat, cette Constitution aura vocation de définir à la fois un Contrat social rénové, un système de valeurs commun et l’architecture institutionnelle d’un régime politique équilibré.

L’atonie de l’administration et de l’économie nationales contraste avec l’effervescence qui agite une société civile condamnée au silence sous Ben Ali, malgré le difficile combat de certaines personnalités ou organisations comme la Ligue tunisienne des droits de l’homme. Aussi, la Révolution n’est pas le fruit d’une minorité agissante, d’une élite révolutionnaire mais a été portée par une union nationale contre le régime, qui était en cours de maturation. L’acte de désespoir du jeune Bouazizi a cristallisé une colère qui traversait les générations, les classes sociales et les territoires. Au-delà de ce mouvement général, il convient de garder à l’esprit que les figures symboliques de la Révolution tunisienne se situent indubitablement dans la jeunesse diplômée confrontée à un chômage de masse, à l’absence de perspectives et à l’injustice sociale (plus encore dans les régions défavorisées de l’intérieur du pays).

Le système de parti unique – ou du moins la domination hégémonique – du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) – le parti fondé en 1988 par Ben Ali et dissous par décision judiciaire – a laissé place à un multipartisme effréné. Les citoyens participent d’emblée au jeu démocratique dans une société politique en construction. Malgré la fébrilité encore perceptible du corps social, la société politique qui prend forme peut d’ores et déjà s’appuyer sur des acquis non négligeables – comme la liberté d’expression et le multipartisme – pour un peuple qui était condamné il y a encore quelques semaines à subir les lois d’un régime autoritaire et arbitraire. Après une si longue période de neutralisation de toute opposition, il est assez logique qu’un système de partis ait du mal à se structurer rapidement. L’émergence du pluralisme politique s’accompagne d’une reconfiguration du paysage médiatique : la liberté politique suppose aussi la liberté de communication. Alors que les premiers sondages ont fait leur apparition, l’un des enjeux de la campagne électorale réside dans la capacité à assurer un égal accès aux médias audiovisuels aux multiples formations politiques qui se sont déjà constituées.

Les citoyens tunisiens sont mobilisés par les échéances à venir. Ainsi, selon un premier sondage réalisé début février [2] , 95,4% des personnes interrogées disaient avoir l’intention de voter à l’élection présidentielle, mais 73,5% affirmaient ne pas savoir pour qui. Il est vrai que la lisibilité de l’offre politique est rendue difficile par l’inflation des partis, la barre des 50 partis politiques déclarés ayant été franchie à la fin du mois de mars [3] , si bien que leur nombre total devrait dépasser la soixantaine au jour des élections.

Les premiers sondages font ressortir la très faible notoriété de l’ensemble des partis. Sur la base de ce critère, le parti islamiste Ennahdha de Rached Ghannouchi est cité par 27% des sondés, suivi des principaux partis de centre gauche : le Parti démocrate progressiste de Ahmed Néjib Chebbi et de Maya Jribi, sa secrétaire générale [4] (25,8%), Ettajdid de Ahmed Brahim (ex-communiste, 11,1%), le Congrès pour la République (CPR) de Moncef Marzouki (7,1%), le Parti Vert pour le Progrès (écologistes progressistes, 5,2%), le Forum démocratique pour le travail et les libertés (membre de l’Internationale socialiste) de Moustafa Ben Jâafar (5%), suivis du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT, extrême-gauche) de Hamma Hammami (4,8%). Un sondage publié début mars confirme en partie ces premiers éléments [5]  : 61,4% des sondés déclarent ne connaître aucun parti politique, le parti islamiste Ennahdha restant le plus connu avec une notoriété de 29%, suivi du PDP (12,3%, en décalage par rapport au premier sondage), d’Ettajdid (7,5%), du PCOT (6,4%), et du PVP (5,9%). Quant aux préférences partisanes des sondés, 74,7% d’entre eux ne citaient aucun parti, 14,6% les islamistes d’Ennahdha, 3,2% le PDP et 2,6% Ettajdid. Enfin, 59,2% ne se prononcent pas sur la personnalité politique la plus apte à diriger le pays [6] .

Si les islamistes d’Ennahdha apparaissent comme le parti le plus connu et le plus susceptible de compter sur un noyau dur de sympathisants, ces données sont susceptibles d’évoluer au fur et à mesure que les Tunisiens disposeront d’informations suffisantes sur les programmes des principaux blocs susceptibles de se constituer : islamistes, gauche [7] , ex-RCD et libéraux. À noter également que l’ensemble des partis existants souffre d’une réelle faiblesse en terme d’effectifs ou de base militante, sauf peut être les islamistes d’Ennahdha qui ont démontré une réelle capacité de mobilisation [8] .

Le rôle du bloc islamiste dans la stabilisation de la situation laisse de nombreuses questions ouvertes, surtout que les islamistes n’ont pas été à l’avant-garde de la Révolution tunisienne, ne l’incarnent pas et n’en tirent pas une légitimité renforcée.

Toutefois, le parti Ennahdha s’appuie sur le plus important réseau de sympathisants et de militants. Il a surtout l’avantage de représenter à lui seul l’essentiel du bloc islamiste, même si l’un de ses cadres historiques a récemment annoncé son intention de faire scission [9] . Son chef historique, Rached Ghannouchi, a officiellement annoncé qu’il ne serait pas candidat à la présidentielle, tout en n’excluant pas qu’Ennahdha soutienne un candidat (qui pourrait être un indépendant). Ennahdha apparaîtrait comme l’un des mouvements islamistes les plus modérés du monde musulman. De manière stratégique, cette ligne ne cesse d’être confirmée par les représentants du parti. Dans le souci de rassurer une partie de l’électorat modéré – issu de la classe moyenne – la direction de ce parti s’attache à présenter sa ligne comme inspirée de celle de l’AKP turque allant même jusqu’à rejeter toute intention de remettre en cause les droits des femmes acquis sous Bourguiba. Ainsi, reconnaît-il officiellement le code du statut personnel de 1956 qui accorde des droits importants aux femmes adopté avant même la Constitution de 1959. On note toutefois que certaines déclarations récentes sont bien plus « clivantes » [10] , mais conformes aux aspirations de sa base. Par ailleurs, M. Mourou, ancien numéro 2 du mouvement, a annoncé qu’il créait un nouveau parti (sans intention de s’allier à Ennahdha), en adoptant un discours modéré en apparence, tout en ne s’empêchant de tenir, dans le même temps, des propos stigmatisants à l’égard des « non croyants » ou des « mauvais musulmans ». Enfin, la présence de formations islamistes plus radicales [11] pourrait contribuer à renforcer le statut de parti islamiste modéré que s’est arrogé Ennahdha.

Au centre-gauche, une première ligne de fracture a été créée par la décision du PDP et d’Ettajdid d’entrer au Gouvernement de transition (avant d’en sortir après la nomination de Caïd Essebsi [12] ), alors que le FDTL [13] et la centrale syndicale UGTT [14] s’en sont retirés au bout d’un jour. Autre motif de friction : le FDTL et l’UGTT siègent au Conseil national de protection de la Révolution [15] , instance créée par plusieurs partis politiques et organisations de la société civile. Or, le PDP et Ettajdid sont restés en marge et en dénoncent l’absence de légitimité et de représentativité. Enfin, en vue de l’élection présidentielle, Moncef Marzouki (CPR) a d’ores et déjà déclaré sa candidature et Ahmed Néjib Chebbi (PDP) semble bien décidé à se lancer. Ces données ne favorisent pas l’union de ces formations de centre-gauche dont les programmes ne seraient toutefois pas si éloignés, alors qu’à l’extrême gauche le PCOT [16] ne semble pas envisager d’alliance avec le reste de la gauche et a dû faire face à une scission favorable à un tel rapprochement [17] .

Cependant, l’annonce de la création d’un Parti Travailliste par des cadres et des militants de l’UGTT [18] (mais non par l’ensemble du syndicat ni par sa direction actuelle [19] ), pourrait faire profiter la gauche de relais et de réseaux militants formés à l’action syndicale et à la pratique des élections. La question est aussi de savoir s’il favorisera une alliance des forces progressistes (notamment le FDTL et Ettajdid) ou de certaines d’entre elles, afin d’en éviter un morcellement trop important. La logique de surenchère est source de tension, notamment au sein de l’UGTT, principal syndicat dont le corporatisme est parfois vécu comme l’adversaire d’un processus pacifique et pluraliste de transition démocratique. Enfin, l’activisme politique de la centrale syndicale fait l’objet de critiques, étant considéré comme illégitime, source de confusion et expression d’une volonté d’instrumentalisation.

Toutefois, c’est la direction de l’UGTT qui fait l’objet de telles critiques. Du reste, l’UGTT tiendra un congrès – dans un mois environ – au cours duquel sa direction actuelle pourrait être écartée. Rappelons que ses militants et cadres locaux ont largement accompagné la Révolution, encadré les manifestations, ouvert leurs locaux aux manifestants, etc… Enfin, il convient d’éviter l’écueil d’une vision monolithique de l’UGTT, dont la réalité interne est complexe. La centrale syndicale est en effet traversée par 4 principaux courants : ex-RCD, gauche, islamistes, indépendants.

Concernant les autres blocs, trois partis ont déjà été fondés par d’anciens caciques de l’ex-RCD [20] . Ceux-ci compteraient surtout sur la réactivation des restes de leurs réseaux. Pour ce qui est de la droite libérale, elle compte déjà plusieurs formations [21] qui devraient tenter de s’organiser autour des réseaux patronaux [22] et de la bourgeoisie des grandes villes.

Après avoir tenté de jouer la carte du désordre et de la contre-révolution, une minorité des anciens soutiens au régime de Ben Ali a opté pour l’exil (temporaire ?), tandis que la majorité s’adapte désormais à la nouvelle donne et tente de trouver une place dans la redistribution des cartes à venir. La police politique n’a pas été réellement démantelée. Les forces du RCD sont encore à l’œuvre au sein de l’appareil d’Etat.

2. LE CHOIX DU MODE DE SCRUTIN : UN ENJEU POLITIQUE POUR LA TRANSITION DEMOCRATIQUE

Le choix du mode de scrutin est éminemment politique. Dans un contexte de reconfiguration du paysage politique, cette décision est cruciale et contribuera dessiner le visage politique de la Tunisie moderne.

2.1 Le mode de scrutin : un enjeu démocratique, de représentativité et de légitimité pour l’Assemblée constituante

Au-delà de la répartition des sièges, le choix du mode de scrutin traduit une conception de la vie politique et en influence la structuration. Le choix du mode de scrutin est aussi fonction de la nature du régime politique et de son fonctionnement réel. Ainsi, dans un régime parlementaire où l’efficacité gouvernementale est fonction de l’existence d’une majorité parlementaire stable, le scrutin majoritaire paraît le plus adéquat. Cependant, s’il existe d’autres mécanismes de stabilisation, notamment par la mise en jeu de la responsabilité politique, le régime parlementaire peut aussi s’accommoder de la représentation proportionnelle.

Dans le cas de la Tunisie, l’enjeu est démultiplié : il s’agira d’élire la première assemblée démocratiquement élue de l’histoire du pays, en vue d’élaborer la Constitution de la révolution.

La légitimité des représentants du peuple souverain dépendra de leur capacité à refléter les équilibres territoriaux, sociaux et politiques qui structurent le pays. Ainsi, malgré un probable émiettement du paysage politique, la proportionnelle apparaît sans doute comme le mode de scrutin le plus adapté au contexte propre de la Révolution tunisienne. En effet, dans cette première expérience démocratique, les électeurs doivent pouvoir se reconnaître dans la future Assemblée constituante en y retrouvant les représentants du courant de pensée pour lequel ils auraient voté, dès lors que celui-ci aura prouvé une certaine représentativité. A ce propos, l’argument de l’émiettement du paysage politique doit être relativisé, étant donné que nombre de « micro-partis » risquent fort de se retrouver « hors course » faute de militants, de réseaux, d’expérience et de financement.

Les débats autour des modes de scrutin s’expliquent souvent par la difficulté de concilier plusieurs buts et par des contingences politiques. La commission de réformes institutionnelles a proposé deux modes de scrutin : un scrutin majoritaire uninominal à 2 tours et un scrutin proportionnelle de liste à 1 tour. Le choix demeure ouvert et doit être apprécié sous l’angle des impératifs de représentativité et donc de légitimité de la future Assemblée constituante.

2.2 Le scrutin majoritaire : le choix de la stabilité au détriment du pluralisme ?

Dans son principe, le scrutin majoritaire consiste à attribuer un (lorsque le scrutin est uninominal) ou plusieurs (en cas de scrutin plurinominal) sièges à celui ou ceux qui ont obtenu le plus de voix. En cela, ce type de mode de scrutin est réputé efficace; dans la mesure où il facilite l’émergence d’une majorité d’élus capable de gouverner. Toutefois, le scrutin majoritaire, par l’effet amplificateur de la sur-représentation des partis dominants, risque d’aboutir à un monopole de la représentation en faveur de quelques grandes formations, voire à accorder une majorité « artificielle » à la formation arrivée en tête. Dans ce cas de figure où un seul parti obtiendrait la majorité, celui-ci déciderait seul du contenu de la future Constitution ou pourrait y assoir sa domination par une alliance avec quelques forces d’appoint, sans que cette majorité en sièges ne représente une majorité en voix dans le pays. Le sentiment de confiscation serait alors justifié et pourrait donner lieu à contestation quant à la légitimité de la constitution adoptée.

Le scrutin majoritaire uninominal à 2 tours pourrait avoir certaines conséquences prévisibles : favoriser la ou les formations les mieux structurées (Ennahdha, voire les réseaux ex-RCD) ; les partis de gauche, en raison de leur division, risqueraient de se faire concurrence et d’être très peu représentés à défaut d’accord pré-électoral ; de nombreuses familles politiques pourraient ne pas être présentes à l’Assemblée constituante malgré des résultats respectables, ce qui serait de nature à susciter chez certains citoyens un sentiment d’injustice faute d’être représentés ; une majorité « artificielle » pourrait bénéficier à un ou deux grands partis (dont Ennahdha) qui décideraient seuls du contenu de la Constitution ; les notables locaux seraient largement favorisés, avec le risque d’une absence de diversité sociologique.

2.3 Le scrutin proportionnel : le choix de la représentativité et le risque d’éparpillement ?

Le mode de scrutin proportionnel est simple dans son principe : les sièges sont attribués selon le nombre de voix, mais complexe dans sa mise en oeuvre. Il n’empêche, son application donne une image plus fidèle de la situation politique et du corps électoral et répond en principe mieux à l’exigence de pluralisme politique, social et territorial. En ce sens, il favorise le multipartisme et permet une plus forte représentativité de l’Assemblée élue.

L’émiettement des voix fait toutefois obstacle à la formation d’une majorité claire, stable et cohérente, éléments qui risquent de jouer contre la stabilisation politique du pays. Une autre difficulté prévisible réside en la difficulté pour les partis existants – et notamment à gauche- de créer des coalitions. Chacun voudra sans doute « se compter » lors de ce premier vote, quitte à constituer des blocs cohérents une fois l’assemblée élue. A cette intention, il pourrait être envisagé que des listes se déclarent « apparentées » avant le scrutin, afin que les électeurs soient informés à l’avance des alliances susceptibles de se nouer, gage de transparence et aussi d’efficacité. De plus, sachant qu’il est fort probable que soit mis en place un Gouvernement d’union nationale à l’issue de l’élection de la Constituante, le chef de file de la liste ou de la coalition arrivée en tête serait ainsi appelé en priorité pour constituer ce Gouvernement.

La proportionnelle apparaît également comme la meilleure réponse à apporter en vue de garantir la place des femmes dans la future assemblée, alors que toutes les expériences démontrent que le scrutin majoritaire aboutit très souvent à une sous-représentation féminine. Le scrutin de liste sera également plus à même d’assurer une réelle diversité sociologique et régionale avec des circonscriptions peu étendues, à l’échelle desquelles pourrait être prévu un seuil de voix minimal conditionnant l’octroi de sièges, afin de ne pas pénaliser des listes à connotation locale ou indépendantes.

Le bilan d’un scrutin de liste proportionnel à un tour est somme toute équilibré : un éparpillement des voix sans doute, mais avec une large représentation des familles politiques ; une structuration autour de coalitions rendues nécessaires pour dégager une majorité sans donner de majorité « artificielle » à une ou deux formations ; une forme d’équilibre entre les principales formations ; une meilleure diversité sociologique et un équilibre femmes/hommes. Un seuil de voix minimal pourrait être fixé pour éviter l’éparpillement, à condition qu’il le soit au niveau local et non national pour ne pas pénaliser des listes locales ou indépendantes.

Enfin, à l’objection d’un manque de stabilité d’une assemblée élue à la proportionnelle, il convient de rappeler que la future Assemblée constituante aura pour mission première de rédiger une Constitution, et qu’un large accord et une large représentativité sont des atouts essentiels. Le « régime de croisière » qui sera trouvé pour la suite pourra, au vu de cette expérience, être modifié.

3. L’INGENIERIE ELECTORALE AU SERVICE DE LA TRANSITION DEMOCRATIQUE

Les projets de textes proposés par l’ISROR, instance consultative au rôle fondamental, et adoptés par le gouvernement, relatifs à l’élection de l’Assemblée nationale et à la création d’une Instance supérieure indépendante chargée de la préparation et du contrôle des opérations électorales, posent de très lourdes questions.

3.1 Le rôle décisif de l’ISROR dans la définition des règles du jeu

Placée sous l’autorité du professeur de droit public Yadh Ben Achour et composée de 71 membres, l’ISROR est un organe dont la composition hybride a fait sa force : aux côtés des experts (juristes constitutionnalistes issus des universités tunisiennes) siégent des personnalités issues de la société civile sensées refléter différentes sensibilités politiques.

Malgré cette ouverture, l’ISROR a fait l’objet de critiques sur sa représentativité et sa légitimité, notamment parce qu’elle ne procède pas du suffrage populaire. L’interrogation n’est pas infondée, mais il faut garder à l’esprit le caractère purement consultatif de sa fonction. Les textes qu’elle adopte ont valeur de projet de décret-loi, il ne s’agit pas d’actes juridiques ayant force obligatoire. C’est au Président par intérim et au conseil des ministres que revient ensuite la responsabilité de délibérer et de confirmer ou non les propositions par l’ISROR . Or celles-ci ont été loin de faire l’unanimité dans l’opinion publique. Les débats qu’elles ont suscités expliquent les reports successifs de l’adoption définitive du décret-loi quant au mode de scrutin et aux conditions des élections de l’Assemblée constituante.

Après plus d’une dizaine de séances ponctuées par certains échanges houleux et l’adoption de multiples amendements au projet initial, les travaux de l’ISROR ont arrêté le 11 avril 2011 le projet de décret-loi relatif à l’élection de l’Assemblée constituante. Un vote a été nécessaire sur trois sujets essentiels : le choix du mode de scrutin, la durée de l’inéligibilité des ex-responsables du RCD et le principe de parité « homme-femme » dans les listes électorales.

Sur le premier point, l’ISROR devait a priori trancher entre deux options : un scrutin majoritaire à deux tours et un scrutin proportionnel à un tour dans des circonscriptions de petite taille (2 à 4 sièges) à la plus forte moyenne. Ces deux options posaient plusieurs problèmes [23] . D’abord, un découpage électoral prend en général des mois voire des années, alors que le Gouvernement et le président Yadh Ben Achour tenaient à ce que les élections aient bien lieu à la date fixée (le 24 juillet), avant le Ramadan. Ensuite, la proportionnelle dans de petites circonscriptions entraîne un seuil naturel extrêmement élevé pour participer à l’attribution des sièges, et de ce fait l’élimination des petites formations politiques. Ces contraintes techniques, à l’origine largement ignorées au sein de la société civile et au sein même de l’ISROR, ont été progressivement prises en compte dans les débats et se sont avérées déterminantes dans le choix final. L’article 32 du décret-loi tranche en faveur du mode de scrutin à un tour avec une répartition des sièges à la proportionnelle de listes, avec le mécanisme des plus forts restes [24] . Ce choix est sensé favoriser a priori les petits partis, suivant le souci de garantir le pluralisme politique. Cette option devrait donc répondre à l’exigence de représentativité de l’Assemblée élue. Malgré ses efforts, les propositions de l’ISROR font l’objet de débats. L’Instance écarte l’idée d’ expérimenter le vote en ligne lors des élections de l’Assemblée constituante pour évaluer sa faisabilité et l’élaboration d’un cadre juridique régissant ce mode de scrutin pour l’utiliser lors des prochaines échéances électorales.

Le choix du découpage électoral constitue en soi un enjeu pour l’efficacité du dispositif alors que ce type d’exercice est politiquement très sensible, dans toutes les démocraties, du reste. Ainsi, la Tunisie sera-t-elle découpée en 26 circonscriptions électorales (Tunis et Sfax auront deux circonscriptions). Le choix du scrutin de listes à la proportionnelle s’inscrit dans le cadre des circonscriptions correspondant à l’échelon administratif du Gouvernorat. La taille de ces circonscriptions risque néanmoins de pénaliser les zones les plus reculées. La base d’attribution des sièges est de un pour 60.000 avec divers modes de bonification pour favoriser la représentation des gouvernorats sous-peuplés. Ainsi, un minimum de quatre sièges est attribué à chaque circonscription, même les plus petites comme Tozeur, Kebili ou Zaghouan, dont la population dépasse à peine les 120.000 habitants. Les gouvernorats moyennement peuplés bénéficieront, eux-aussi, de bonification pour favoriser leur représentativité au sein de la Constituante et faire parvenir leurs voix. Cette technique aboutirait à une assemblée formée de près de 260 membres.

Ensuite, la question du traitement de la classe dirigeante de l’ancien régime a fait l’objet d’un débat tendu, dont la conclusion est contenue à l’article 51 du projet de décret-loi. Les membres du Conseil ont en effet opté pour l’inéligibilité de toute personne ayant occupé des postes de responsabilité au sein des gouvernements successifs et des structures du RCD, pendant les 23 ans de pouvoir de Ben Ali. Cette proposition a été critiquée : certains estiment en effet que c’est aux citoyens, par leur vote, de faire échouer les anciens membres du RCD de la compétition électorale, tandis que pour d’autres, il revient à la justice de statuer sur l’éligibilité des candidats. Finalement, le gouvernement provisoire tunisien a décidé de réduire cette durée à 10 ans, mais en étendant la sphère des personnes concernées aux membres de l’ex-cabinet présidentiel (Ministres-Conseillers, Conseillers, Attachés, etc.). Une liste des personnes devant être exclues sera fixée par un décret-loi du président de la République par intérim Fouad Mébazzaâ.

Enfin, l’article 16 du décret-loi consacre le principe de la parité : la présentation des candidatures doit tenir compte de la parité entre femmes et hommes, avant un classement des candidats dans les listes, sur la base du principe de l’alternance, avec annulation des listes qui ne respectent pas cette règle. En adoptant la parité assortie d’une alternance obligatoire sur les listes électorales, l’article 16 fait peser une contrainte juridique et politique sur des partis à peine structurés. Cet article a fait l’objet de débats qui ont finalement abouti à un consensus intégrant notamment les représentants du mouvement islamiste Ennahdha. Alors que cette proposition avait été jugée inapplicable (en particulier dans certaines régions, où, par tradition, les femmes ne participent pas à la chose publique), le gouvernement transitoire a exprimé son soutien au principe des listes paritaires.

3.2 La préparation et le contrôle de l’élection de l’Assemblée constituante par une Haute Instance indépendante

Outre l’ISROR, une Haute Instance indépendante pour les élections joue le rôle essentiel dans la mise sur les bons rails du processus électoral.

Créée par le décret-loi du 18 avril 2011, elle est chargée de préparer, de superviser et de contrôler les opérations de vote pour l’élection prévue le 24 juillet 2011. Techniquement, elle sera appelée à appliquer les dispositions du décret-loi relatif à l’élection de l’Assemblée nationale constituante, à proposer la répartition des circonscriptions électorales fixée par décret, sur proposition de l’ISROR, à préparer le calendrier des élections et de la campagne, à fixer les listes électorales, à garantir le droit de vote à tout citoyen et citoyenne, à garantir le droit de candidature selon les conditions légales, à enregistrer les candidatures, à suivre la campagne, y compris localement grâce à ses représentants sur tout le territoire, et à garantir l’égalité entre les différents candidats et candidates. Des campagnes de sensibilisation seront organisées pour inciter les électeurs à participer au scrutin. Elle sera également chargée de contrôler les opérations électorales le jour du scrutin et à suivre les opérations de vote et de tri, à recevoir et à trancher les recours en irrégularités, à affecter des observateurs tunisiens aux bureaux de vote, ainsi que des observateurs internationaux pourvu qu’ils représentent des associations et des organisations internationales. Elle annoncera les résultats à la sortie des urnes et publiera les résultats définitifs du scrutin. Un rapport sur le déroulement des élections sera en outre publié.

4. LA MISSION HISTORIQUE DE L’ASSEMBLEE CONSTITUANTE : FONDER UNE NOUVELLE REPUBLIQUE

Pour fonder la nouvelle République et parachever la période révolutionnaire de l’hiver, ’Assemblée constituante devra avant tout respecter la volonté populaire – si tant est qu’elle soit systématiquement univoque – et donner au pays des institutions efficaces.

Une question persiste : le texte qui sera rédigé sera-t-il soumis au peuple par la voie référendaire ? Autrement dit, l’Assemblée constituante aura-t-elle la double fonction d’élaboration et d’adoption de la nouvelle Constitution ou son rôle se limitera-t-il à la première étape, le peuple étant appelé à exercer directement son pouvoir souverain ? S’il s’agit de donner une force historique à la hauteur de son origine révolutionnaire, la nouvelle Constitution devrait être adoptée par la voie référendaire. Quoi qu’il en soit, ces premières interrogations supposent de clarifier le rôle et les prérogatives de cette assemblée dès l’adoption de la loi électorale. Cette assemblée va-t-elle élire un chef de gouvernement en son sein ou désigner une personnalité de consensus non élue en vue de composer un Gouvernement d’union nationale aux couleurs de cette assemblée ?

Une contradiction devra être résolue : si l’Assemblée constituante doit en principe s’interdire de se transformer en organe législateur omnicompétent, il sera sans doute indispensable qu’elle reçoive des pouvoirs législatifs lui permettant de « gérer les affaires courantes » avant l’élection d’un Parlement doté de pouvoirs législatifs. Les impératifs de stabilisation politique et de relance économique du pays commandent que l’Assemblée élue soit chargée d’exercer à la fois les fonctions de constituante et d’organe législatif. Dans cette perspective, il serait sans doute nécessaire de définir clairement ce pour quoi les électeurs vont voter le 24 juillet afin d’éviter toute ambiguïté et tout dérapage de l’assemblée nouvellement élue.

4.1 Une Constitution porteuse d’un nouvel ordre social et politique

Trois enjeux majeurs se posent dont dépendra la portée historique de la Révolution.

D’abord, la future Constitution devra être porteuse d’un nouvel ordre politique et social. La volonté de rompre avec le « Benalisme » appelait logiquement une « rupture constitutionnelle », c’est-à-dire la fin d’un « ancien » ordre constitutionnel et politique et donc l’adoption d’une Constitution nouvelle. En cela, l’Assemblée constituante aura pour mission d’élaborer un acte de rupture, certes, mais au sens constructif du terme : il s’agit de mettre fin à un ordre et de consacrer ou stabiliser un ordre nouveau. L’adoption de la nouvelle Constitution va permettre à la fois de clore la période révolutionnaire et de transition, et d’affirmer la légitimité du nouveau régime. La fixation de nouvelles règles communes représentent donc un élément de stabilisation. Cette « Constitution de la Révolution » permettra de formaliser et d’ancrer la Révolution dans un texte écrit particulier au sommet de la hiérarchie des normes. Loin d’être irrationnelle, cette volonté s’inscrit dans le sens de l’histoire : la Révolution doit accoucher de sa propre Constitution, une norme porteuse à la fois d’un contrat ou pacte social, d’un système de valeurs commun non uniforme et des principes fondamentaux du jeu démocratique.

Les débats de l’Assemblée constituante ne sauraient faire fi du contexte socio-économique dans lequel s’inscriront ses travaux et débats. C’est pourquoi les principes de justice sociale, de redistribution des richesses et de solidarité nationale devraient être au cœur du dispositif constitutionnel.

Enfin, la question des rapports entre l’Etat et l’Islam risque de constituer un vrai point de crispation. Il convient néanmoins de préciser que la référence constitutionnelle à l’Islam – comme religion officielle de l’Etat – n’avait pas empêchée le président Bourguiba [25] d’impulser une politique d’égalité en faveur des droits de la femme. Le futur acte constitutionnel pourrait donc refléter cet équilibre prégnant de l’identité tunisienne, en consacrant à la fois l’Islam et le principe d’égalité. En revanche, la constitutionnalisation de la notion de « laïcité » est illusoire dans le contexte actuel. Le mot constitue un véritable repoussoir pour une partie importante de la population qui vit mal l’instrumentalisation de ce principe dans le débat politique franco-français.

4.2 Constitutionnaliser le message de la Révolution

L’élaboration du texte devra permettre ainsi de « constitutionnaliser » le message de la Révolution.

Toutefois, le problème réside ici en la détermination même de « ce message révolutionnaire », qui, par définition, ne saurait être purement uniforme et cohérent. Les forces politiques et sociales qui ont participé à la Révolution étaient unies dans le rejet du régime. En conséquence, l’élaboration du contenu de la future Constitution devrait partir des caractéristiques du régime précédent : autoritarisme, arbitraire, corruption.

Il faut répondre à ce triptyque par un autre triptyque porteur du message de la Révolution tunisienne fondé sur la garantie de trois principes essentiels de la vie démocratique et économique : garantie de la liberté d’expression et du pluralisme politique (les libertés de réunion et de la presse doivent donc être sanctuarisées) ; garantie des droits fondamentaux (à travers un juge indépendant et des « autorités administratives indépendantes ») ; garantie de la transparence administrative et économique (dans les secteurs privé comme public). Ainsi, l’enjeu réside moins dans la proclamation de tels principes, que de prévoir des mécanismes de garantie ou de protection de ces principes. Ici se pose la question de l’institution d’un Conseil constitutionnel repensé et restructuré, pour être digne d’assurer sa fonction de gardien de la Constitution.

Après le temps de la passion et du romantisme révolutionnaire, le temps est à l’éthique de responsabilité pour un peuple qui a déjà fait montre de sa maturité politique. Si la puissance de choc de la Révolution tunisienne fait vaciller le monde arabe, il est probable que ce pays pionnier connaisse une évolution politique unique en son genre. Plutôt que de s’ériger en modèle, l’expérience tunisienne a vocation à mettre fin au fatalisme/simplisme qui a longtemps animé l’analyse des perspectives politiques des sociétés arabes.

  1. L’insécurité est sans doute due aux ex-miliciens non encore arrêtés et aux 10.000 détenus de droit commun échappés de prison. Elle est aussi attribuée aux réseaux « dormants » de l’ex-RCD qui auraient intérêt à déstabiliser le pays, à l’image des manifestations qui ont dégénéré et de l’arrestation de suspects ayant avoué avoir été payés pour fomenter des troubles. Les répercussions de la situation en Libye inquiètent également la population. Par ailleurs, en février, le ministère de l’Intérieur avait été la cible d’une attaque d’environ 2000 hommes, à la suite de laquelle une épuration au sein des directions de la police a été opérée, avant que la police politique ne soit récemment dissoute.

  2. Soit avant qu’il ne soit décidé que l’élection de l’Assemblée constituante précéderait la présidentielle. Sondage de l’institut SIGMA effectué par téléphone du 30 janvier au 3 févier 2011 selon la méthode des quotas sur un échantillon auto-pondéré de 1250 individus proportionnel à la démographie sur une population de de tunisiens âgés de 18 ans et plus selon les données récentes de l’Institut national de la statistique (INS) : habitants des 24 Gouvernorat, sexe (H/F), 6 tranches d’âge, catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage.

  3. Les lois de l’ancien régime n’ayant pas été modifiées, les partis politiques ne peuvent être légalisés qu’après dépôt d’une demande d’enregistrement et délivrance d’un récépissé par les autorités. Toutefois, les conditions drastiques imposées sous l’ancien régime ne sont plus appliquées.

  4. Maya Jribi est, à ce jour, la seule femme à diriger un parti politique en Tunisie. Elle avait succédé à la tête du PDP à Ahmed Néjib Chebbi, son dirigeant historique entré par la suite au Gouvernement de transition.

  5. Sondage de l’institut « EMRHOD Consulting » précité, réalisé entre le 28 février et le 5 mars 2011 sur un échantillon de 1021 personnes.

  6. Les personnalités les plus souvent citées ne devrait pas se présenter aux prochaines élections : Mohamed Ghannouchi, Premier ministre démissionnaire, cité par 9% des sondés, Béji Caïd Essebsi par 6,1%, le Général Rachid Ammar par 4,2%, Frahat Errajhi, Ministre de l’Intérieur et ancien magistrat, par 3% et 1,2% pour le Président de la République par intérim, Foued Mebazâa. Les autres dirigeants politiques ne seraient crédités que de 2% pour Ahmed Néjib Chebbi (PDP) et 1,3% pour Rached Ghannouchi (Ennahdha).

  7. Une formation politique issue du mouvement syndical, le « Parti Travailliste », dont la création est attendue après le dépôt de sa demande d’enregisterment, pourrait apporter à la gauche un réseau militant qui lui fait encore défaut.

  8. Le 30 janvier 2011, M. Rached Ghannouchi a été accueilli à l’aéroport de Tunis par des dizaines de milliers de sympathisants, sans commune mesure avec toute autre manifestation en faveur d’un dirigeant politique.

  9. Abdelfatah Mourou, ancien numéro deux du mouvement.

  10. Rached Ghannouchi a affirmé que l’une des solutions contre le chômage des hommes serait que les femmes cessent de travailler et se consacrent à la famille ; il a également estimé que le rétablissement de la polygamie pouvait être envisagé compte tenu du fait que nombre de jeunes femmes ne trouvaient pas de mari en raison de l’exode massif des jeunes gens à l’étranger ; M. Jendoubi s’est dit favorable au rétablissement des peines corporelles.

  11. Notamment le Hizb-ut-Tahrir d’obédience salafiste et ouvertement hostile à la démocratie, ainsi qu’aux influences occidentales et au tourisme, sans pour autant prôner l’action terroriste dans ses textes.

  12. Béji Caïd Essebsi, ancienne figure de l’époque bourguibienne âgé de 84 ans, a remplacé le Premier ministre démissionnaire, Mohamed Ghannouchi, dont le maintien à ce poste avait donné lieu à une forte contestation en raison de sa qualité d’ancien Premier ministre du Président déchu Ben Ali.

  13. Dirigé par Moustapha Ben Jâafar et membre de l’International socialiste.

  14. Union générale des travailleurs tunisiens.

  15. Le Conseil de protection de la Révolution a été créé le 14 janvier 2011 par 28 organisations dont l’UGTT, le FDTL, l’Ordre des avocats, l’association des magistrats, le comité contre la torture, les islamistes d’Ennahdha, le PCOT (extrême gauche), l’UGET (Union générale des étudiants tunisiens), l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (présidée par Radhia Nasraoui, avocate et épouse de Hamma Hammami, leauder du PCOT), et de petites formations politiques d’opposition, mais sans le PDP, Ettajdid ni la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH, première ligue des droits de l’Homme créée dans le monde arabe).

  16. Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT).

  17. Le Parti socialiste de gauche (PSG).

  18. Voir interview de Ali Romdhane, secrétaire général adjoint de l’UGTT, pour « l’Economiste maghrébin » sur le site : www.leconomiste.com.tn semaine du 14 au 20 mars 2011 ; voir aussi opinion de Moncef Guen, ancien conseiller économique de l’UGTT sur www.lapresse.tn 10 mars 2011.

  19. Voir interview de Abdesselam Jrad, actuel secrétaire général de l’UGTT sur www.realites.com.tn

  20. Kamel Morjane, ancien ministre des affaires étrangères présenté comme proche des Etats-Unis, Mohamed Jgham, ancien ministre, et Mezri Haddad, ancien ambassadeur à l’UNESCO et très proche du président déchu, ont chacun fondé leur parti politique.

  21. En dehors du Parti social-libéral, légalisé sous l’ancien régime, de nouvelles formations ont vu le jour : Parti libéral tunisien, Parti libéral maghrébin, Al Moustakbal (« L’avenir » en arabe).

  22. L’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) était jusqu’alors la seule organisation représentant le patronat. Une organisation concurrente vient d’être créé : l’Union des industriels et commerçants libres (UICL), Voir notamment « La Presse », 8 mars 2011.

  23. Les auteurs tiennent à remercier Gilles Saphy pour son éclairage et les précisions apportées sur ce point.

  24. Les sièges à l’assemblée constituante seront attribués à chaque liste proportionnellement au nombre de voix qu’elle aura obtenue. Dans la pratique, on obtient le nombre de sièges attribués à chaque liste en divisant le nombre de voix obtenues par le quotient électoral. Le quotient électoral est le nombre de voix nécessaires pour obtenir un siège. Lorsque les sièges restant à pourvoir sont déterminés selon la méthode du plus fort reste, les sièges restant sont attribués aux listes ayant le plus de restes après déduction des voix de la première attribution. Il est important de noter qu’avec ce mode de scrutin, le seuil fixé pour avoir le droit à la répartition des sièges et la taille de la circonscription sont des variables déterminantes. En effet, plus le seuil est élevé et le nombre de circonscriptions important, plus l’accès des petits partis aux sièges sera difficile.

  25. L’Assemblée constituante de 1956 a élevé l’islam au rang de religion de l’Etat et l’arabe au rang de sa langue officielle suite à un équilibre trouvé à l’époque entre les deux tendances laïque et islamique.

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