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Chronique

Une feuille de route pour la Communauté politique européenne

Le 6 octobre a lieu à Prague la première réunion de la Communauté Politique européenne. Elle réunira les dirigeants de l’Union européenne et ceux de 17 pays européens (R-U, Turquie, les 6 pays des Balkans occidentaux, la Suisse, la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein, l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan). Voici pourquoi ce sommet doit se donner des objectifs ambitieux.

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On ne sait pas encore si l’Histoire retiendra le 6 octobre 2022 comme la date de naissance d’un nouveau projet pour le continent, la Communauté Politique Européenne (CPE), ou si celui-ci tombera dans l’oubli comme tant de précédents projets mort-nés.

L’objectif de la CPE, tel qu’Emmanuel Macron l’a esquissé, est de réunir les dirigeants européens en vue de « trouver un nouvel espace » de coopération en matière politique et sur les enjeux de sécurité, ainsi que de discuter les questions d’intérêt commun comme la politique énergétique et les infrastructures.  Le sommet de Prague rassemblera les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, ceux des pays candidats à l’intégration – y compris l’Ukraine et la Moldavie – et d’autres pays non-membres de l’UE comme Israël, la Suisse et la Turquie. Toute championne du Brexit qu’elle soit Liz Truss, la nouvelle Première ministre britannique, en sera elle aussi.

La guerre en Ukraine souligne le besoin de repenser l’architecture des relations entre l’UE et ses voisins. La politique de voisinage de l’Europe est un échec, et l’élargissement est d’une lenteur insupportable. En donnant le statut de candidats à l’Ukraine et à la Moldavie, les Européens ont montré en juin dernier qu’ils comprenaient qu’une situation géopolitique nouvelle exigeait une action rapide et déterminée.  Pour autant, cette décision a débouché sur un casse-tête : soit l’UE prend le risque d’accélérer l’élargissement, soit elle s’en tient à la procédure et au calendrier en vigueur, et elle laisse les candidats à la porte pour au moins une décennie.

Aucune de ces solutions n’est satisfaisante : une UE à 36, sans réforme institutionnelle, serait paralysée par les droits de veto, un Parlement pléthorique et un exécutif désespérément fragmenté. Mais laisser le processus d’élargissement avancer à la vitesse de l’escargot transformerait l’engagement à l’égard de l’Ukraine et de la Moldavie en une décourageante course d’obstacles.

L’idée de Communauté politique européenne (CPE) est née de cette impasse. D’abord avancée par l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta, elle a rapidement été reprise par le Président français Emmanuel Macron, le Chancelier allemand Olaf Scholz et la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Mais la mission de la CPE n’a pas été définie. Les dirigeants européens doivent prendre l’occasion du sommet de Prague pour se donner des objectifs ambitieux et s’accorder sur un calendrier. Faute de quoi la CPE restera une coquille vide et le sommet de Prague ne laissera d’autre souvenir que la photo de famille.

Dans un article récent co-écrit avec Franz Mayer et Shahin Vallée, nous expliquons en quoi une Communauté politique européenne bien conçue pourrait être une réponse adaptée à la nouvelle situation géopolitique. Mieux, elle pourrait également aider à faire face aux défaillances internes de l’Union européenne.

Pour tous les clubs, la question de l’adhésion est délicate. En raison du conflit avec la Russie, la CPE devra avoir une cohésion géopolitique. Pour s’assurer de cette cohérence, il faudra que les critères d’entrée reposent sur un ensemble partagé de valeurs fondamentales, dont la démocratie, le respect de l’État de droit et l’adhésion aux principes qui sous-tendent l’ordre international.

Au lieu s’en tenir à des règles rigides et prédéterminées, nous proposons cependant que la charte de la CPE soit préparée par une demi-douzaine de pays membres et non-membres de l’UE, de manière assez exigeante pour que les pays qui ne souscrivent pas à ces principes s’excluent d’eux-mêmes de ce projet.

Nous considérons la CPE à la fois comme une passerelle vers une Union européenne élargie et comme un cadre pour un partenariat continental permanent. Pour cela, il faut qu’à Prague, les responsables politiques européens jettent les bases d’une plateforme qui associe dialogue politique et résultats concrets de manière rapide et flexible. La CPE pourrait être lancée comme un accord fondé sur le droit souple et se donner pour règle de décider par consensus approximatif (rough consensus), sans vétos[1]. Elle pourrait ainsi servir de test pour faire évoluer le système de décision de l’UE et l’aider à se débarrasser du fléau de l’unanimité.

L’énergie et le climat pourraient être de bons sujets pour donner un contenu à la CPE. La crise actuelle offre l’opportunité de mettre en place de nouveaux projets de coopération, de redéfinir les rôles relatifs de l’Union et des États membres et d’impliquer les voisins dans un projet fédérateur. La connexion de l’Ukraine au système électrique européen, la négociation de nouveaux accords gaziers avec la Norvège et le besoin de nouvelles infrastructures pour l’hydrogène vert appellent à des formes de coopération plus larges.

Un deuxième domaine devrait être la sécurité et la défense. La guerre en Ukraine a révélé les faiblesses de l’architecture européenne en ces matières et souligné la nécessité d’une coopération dans les domaines du contre-terrorisme, de la cybersécurité et des réseaux numériques. Permettre à des pays comme l’Ukraine de partager avec l’Europe leur savoir-faire et leur expérience technologique avancée montrerait que ces partenariats ne sont pas à sens unique.  

Enfin, la CPE pourrait aider à dépasser l’asymétrie entre centre et périphérie qui caractérise l’actuelle relation entre l’UE et les candidats à l’adhésion. Tous les pays y participeraient sur un pied d’égalité et auraient les mêmes droits et obligations. Bien évidemment enfin, la CPE ne doit pas être considérée comme une alternative à l’adhésion, mais devrait au contraire servir d’accélérateur de celle-ci.

La déclaration finale du sommet du 6 octobre devra engager les pays participants à signer un document fondateur au printemps 2023. Celui-ci devra spécifier les domaines de coopération, les ressources budgétaires, la gouvernance, les règles de décision et les critères d’entrée. Parallèlement, il faudra que l’UE mette en chantier la réforme des institutions européenne et des règles de décision. Ce dossier devra être ouvert dès après les prochaines élections européennes de 2024, en sorte que les deux processus – élargissement et réforme institutionnelle – soient achevés en 2030.

Parce qu’elle reposera sur le droit souple, la création de la CPE n’exigera pas de procédure de ratification formelle par les États. Toutefois, un tel arrangement ne pourra être que temporaire et la CPE devra, à un moment donné, prendre une forme juridique formalisée. Mais ce n’est pas la priorité. La tâche immédiate est de lancer, à l’échelle du continent, un partenariat pragmatique et ciblé entre pays d’orientations similaires. Il est grand temps.   


[1] La règle du consensus approximatif a été expérimentée dans la gouvernance d’internet. Celui-ci est atteint lorsque toutes les parties ont pu se faire entendre et que leurs objections à une certaine décision ont pu être prises en compte.

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