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Revue de presse

« Fiers » du travail accompli, les citoyens de la convention pour le climat adoptent leur rapport final

Les 150 Français tirés au sort ont adopté plus de 150 propositions pour réduire les émissions de CO2. Ils proposent notamment un référendum sur la révision de la Constitution.
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« Satisfaction », « soulagement », « fierté » aussi. Les mots ne manquaient pas, dimanche 21 juin, aux 150 membres de la convention citoyenne pour le climat pour exprimer le plaisir d’un « travail bien fait » et, surtout, d’avoir répondu, à l’issue de neuf mois de discussions, à une question très vaste : comment réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 dans un esprit de justice sociale ?

Au final, ce sont plus de 150 propositions – la seule rejetée concerne la réduction du temps de travail de 35 heures à 28 heures – qui ont été transmises à la ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne. Soit un rapport de quelque 600 pages pour « changer en profondeur la société »,  adopté solennellement lors d’une ovation debout, à 15 heures.

Les citoyens applaudissent après l’un des nombreux votes qui se sont succédé tout au long du week-end.

Les citoyens applaudissent après l’un des nombreux votes qui se sont succédé tout au long du week-end. KATRIN BAUMANN / CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT

L’accouchement fut parfois difficile, pendant les trois jours de conclusion, de vendredi à dimanche, avec des débats rendus malaisés par le manque de temps de délibération et l’organisation en cinq salles pour des raisons sanitaires, au siège du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Mais les citoyens tirés au sort – des lycéens, médecins, sapeurs-pompiers ou agriculteurs, âgés de 16 à 80 ans, et originaires de toutes les régions – ont eu plaisir à se retrouver pour cette dernière ligne droite.

Des débats fournis

Il y eut bien quelques tensions, comme sur le choix de voter finalement par objectifs regroupant des propositions, et non mesure par mesure. « C’est un problème de cohérence, un objectif repose sur plusieurs propositions, plusieurs paramètres, et en enlever un déséquilibrait l’objectif tout entier »,  a plaidé Thierry Pech, l’un des deux coprésidents du comité de gouvernance.

Au cours de trois jours de débats fournis, le débat sur le passage à 28 heures de travail hebdomadaire a été particulièrement nourri, la majorité expliquant que cette mesure serait « incompréhensible » pour les Français, alors que le pays vivait une crise économique.

« Cette réduction du temps de travail va entraîner des délocalisations et des fermetures d’entreprises », avançait une citoyenne, quand d’autres expliquaient que les citoyens de la convention passeraient « pour des guignols »« Les 28 heures sont hors mandat », « indéfendables dans le contexte actuel », ont renchéri d’autres citoyens.

Les défenseurs de la mesure ont multiplié les arguments : « Ce n’est pas pour tout de suite, mais pour 2030 ; il n’y a pas consensus entre nous, mais c’est bien de porter ce sujet pour le futur », a avancé Sylvie (la plupart des délégués souhaitent être appelés par leur prénom). La proposition a finalement été rejetée par 65 % des voix.

« On a simplement souhaité être ambitieux »

Les citoyens ont aussi âprement débattu la proposition visant à réduire de 130 km/h à 110 km/h la vitesse sur les autoroutes. Elle n’a été approuvée qu’à 60 %, bien moins que les larges consensus obtenus par ailleurs.

« Les gens vont basculer sur les routes nationales et départementales, qui sont gratuites, ce qui ne fera rien gagner au niveau de la consommation car on freine et on accélère davantage »,  jugeait Benoît, rejoint par plusieurs citoyens. A l’inverse, Brigitte a défendu la mesure « pour le climat, parce qu’on pollue moins, mais aussi pour qu’il y ait moins d’accidents de la route »« En passant à 110 km/h, on perd trois minutes sur 200 kilomètres. Arrêtez de dire qu’on limite nos libertés », s’est énervé Guillaume.

L’obligation de rénovation globale des bâtiments d’ici à 2040 a, elle aussi, suscité quelques mécontentements. « C’est une mesure totalitaire »,  a lâché Brigitte. « C’est un sujet sensible, car c’est parfois compliqué de dépenser un peu plus d’argent pour certains ménages,  a reconnu Jean-Pierre. Mais on a simplement souhaité être ambitieux. » « L’intérêt, c’est aussi d’éliminer les logements indécents, c’est l’intérêt général »,  a abondé Samir.

D’autres thématiques ont donné lieu à des oppositions, comme sur les énergies renouvelables ou la diminution de l’usage des produits phytosanitaires de 50 % d’ici à 2025 – la proposition finale étant jugée par certains trop timorée.

KATRIN BAUMANN / CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT

Les autres mesures ont, elles, été votées largement, balayant de nombreuses thématiques depuis la réduction de la place de la voiture individuelle à la régulation de la publicité, en passant par la réduction de la consommation de viande, l’éducation à l’environnement et la lutte contre l’artificialisation des sols. Même des propositions moins consensuelles dans la société française ont remporté un large soutien, telles que la « limitation des effets néfastes du transport aérien » ou la taxation des entreprises qui distribuent plus de 10 millions d’euros de dividendes annuels, à hauteur de 4 %.

Un processus qui a favorisé le consensus

« Ce qui est très marquant, ce sont les votes ultramajoritaires, qui traduisent une confiance entre les groupes thématiques, au sein de chaque groupe, et la formation d’un esprit de convention, note Maxime Gaborit, doctorant à l’Université Saint-Louis, à Bruxelles, qui a suivi l’ensemble des travaux de la convention. Il y a une vraie volonté de paraître unis, qui est liée à l’organisation du processus qui a depuis le début privilégié le consensus. »

Les 150 citoyens ont eu à cœur, durant ces trois jours, mais aussi tout au long de leurs longs mois de travail, de concilier l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre avec la justice sociale, soit les termes exacts de la mission fixée par le président de la République, en avril 2019.

Ainsi, sur de nombreuses propositions susceptibles de pénaliser les plus démunis, les conventionnels ont trouvé des outils pour éviter une mise en œuvre pénalisante. L’ombre du mouvement des « gilets jaunes » et de leur refus de voir augmenter le prix des carburants a plané sur la convention citoyenne.

KATRIN BAUMANN / CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT

Pour orienter les achats alimentaires vers le bio et promouvoir « une alimentation saine et durable » accessible au plus grand nombre, des chèques alimentaires « pour les plus démunis, à utiliser dans les AMAP [Association pour le maintien d’une agriculture paysanne] ou pour des produits bio », sont proposés. « Consommer et se nourrir ne doivent pas être des gestes militants, mais une réalité quotidienne pour tous », a plaidé Angela. Les 150 Français ont aussi contrebalancé l’obligation de rénovation énergétique des bâtiments par une aide minimale pour tous. Pour les ménages les plus modestes, le reste à charge doit être réduit à presque zéro, ont-ils précisé.

L’écocide pour les atteintes graves à l’environnement

Après avoir adopté leurs 46 objectifs, les citoyens ont décidé de proposer à référendum trois de leurs mesures phares : celles d’une révision constitutionnelle (modification du préambule et de l’article 1er afin de renforcer la prise en compte de l’environnement), ainsi que l’introduction dans le droit français d’un crime « d’écocide » – visant à réprimer les atteintes graves à l’environnement. Ils se sont en revanche opposés à un référendum sur leurs mesures concrètes, comme la lutte contre l’artificialisation des sols ou la régulation de la publicité.

Le sujet du référendum a mis au jour de nombreuses divisions, craintes et interrogations, les citoyens ressentant une forte pression. Les uns ont défendu un passage nécessaire pour « emmener le débat dans la société » et chercher « une légitimité auprès des citoyens »,  les autres un procédé « casse-gueule » car risquant de « réduire à néant neuf mois de travail » en cas de rejet. « Il faut tenter notre chance et faire confiance au peuple français », a plaidé Amel. « Pour la Constitution et l’écocide, d’accord pour le référendum, mais pour le reste, c’est au pouvoir de prendre ses responsabilités »,  a affirmé un citoyen.

« Les citoyens ont conscience du chemin qu’ils ont parcouru au sein du processus, ce qui les a conduits à être plus mesurés sur le référendum. Cela traduit une incertitude, exprimée dans les débats, sur le fait d’être encore des citoyens comme les autres »,  juge Maxime Gaborit.

Les citoyens ont abordé, à la fin de la convention et dans un temps très restreint, le financement de leurs mesures, le point le moins abouti de leurs travaux. Ils ont adopté une synthèse comprenant 78 pistes, allant d’un impôt écologique sur la fortune sur le modèle de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au renforcement de la taxe sur les transactions financières, parmi les orientations les plus soutenues.

La synthèse intègre également l’idée d’un moratoire pendant cinq ans sur l’évolution de la taxe carbone,  « le temps que les ménages soient informés de l’urgence climatique et aient les moyens de changer leurs habitudes », mais cette proposition a été moins consensuelle. Pour Marie-Hélène, cela montre que leurs orientations ont été « réfléchies même avec leur financement ». « Il faut désormais laisser l’arbitrage à l’exécutif », juge Samir.

Les citoyens avaient la possibilité d’exprimer des opinions minoritaires lorsqu’ils étaient en désaccord avec des mesures, à condition de pouvoir les signer des noms de trois personnes.

Les citoyens avaient la possibilité d’exprimer des opinions minoritaires lorsqu’ils étaient en désaccord avec des mesures, à condition de pouvoir les signer des noms de trois personnes. KATRIN BAUMANN / CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT

La convention a-t-elle répondu à son mandat de départ ? « La majorité de ces mesures n’est pas nouvelle, mais les citoyens sont allés plus loin que ce qui existait déjà. Leur ensemble est cohérent, ambitieux et technique », se félicite Laurence Tubiana, la coprésidente du comité de gouvernance. Un tiers des 150 propositions ont été traduites juridiquement, c’est-à-dire préparées à faire l’objet d’une proposition de loi, d’un projet de loi ou d’un règlement.

« Le paquet de mesures permet globalement de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 », estime celle qui fut ambassadrice de la France pour le climat – mais aucun chiffrage précis n’a été fourni. L’objectif de 40 % risque en outre de se révéler bientôt caduc car le Green Deal de l’Union européenne prévoit que les ambitions soient revues à la hausse.

« L’expérience était géniale »

Après la remise de leur volumineux rapport, c’est bien Emmanuel Macron qui devra trancher et dire, le 29 juin, ce qu’il en retient – il avait promis une traduction « sans filtre » au départ. « On a essuyé les plâtres de cette forme de démocratie citoyenne, ce n’est pas parfait, mais le bilan est positif »,  juge Yolande Bouin, ex-travailleuse sociale et enseignante. Pour Danièle de Saleneuve, retraitée de l’Assistance publique, « l’expérience était géniale, on a balayé tous les sujets pertinents avec des propositions assez fortes, mais c’est à Emmanuel Macron de dire ce qu’il prend, c’est de sa responsabilité maintenant ».

KATRIN BAUMANN / CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT

« Nos mesures peuvent être applicables rapidement,  veut croire Amandine Roggeman, une Parisienne de 27 ans. Elles pourraient permettre de corriger le plan de relance du gouvernement, notamment nos mesures pour un parc automobile plus propre, pour limiter les effets néfastes du trafic aérien et l’obligation de rénovation des bâtiments. »

Après la réception des citoyens par le chef de l’Etat, le 29 juin, ces derniers se retrouveront une ultime fois, après l’été, pour peaufiner leur réponse à l’exécutif. En créant l’association Les 150, les citoyens ont déjà clairement indiqué qu’ils veilleraient à la mise en œuvre de leurs propositions.

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