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Rapport

L’implication des hommes, nouveau levier dans la lutte pour l’égalité des sexes

Terra Nova publie le rapport final de son groupe de travail sur les inégalités hommes / femmes. La logique d’émancipation et de rattrapage à l’œuvre dans les années 1960 – 1980 s’essouffle, voire régresse, comme le révèle le piètre classement de la France au niveau européen en matière d’égalité professionnelle et salariale, de partage du pouvoir économique et politique, de répartition des tâches domestiques et parentales. Ce blocage ne saurait s’expliquer uniquement par la crise économique : l’hégémonie d’un modèle unique de réussite, d’une mentalité restée patriarcale oblige les femmes et les hommes à se plier à des règles et des structures de longue date définies par les hommes, sans considération pour les besoins du couple, de la famille, d’une vie extra-professionnelle. Pour Terra Nova, l’égalité des sexes ne doit pas être seulement l’affaire des femmes ou de l’Etat, mais également des hommes, qui subissent eux aussi le système de domination masculine. Cette démarche d’implication des hommes dans les stratégies d’égalité passe entre autres par un congé paternité prolongé et partiellement obligatoire, des actions de sensibilisation sur les stéréotypes masculins, la lutte contre le sexisme ordinaire, la lutte contre l’échec scolaire des garçons, un rééquilibrage de la vie professionnelle et de la vie familiale, un réel partage des responsabilités domestiques…

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Une idée répandue voudrait qu’en matière d’égalité femmes / hommes, l’essentiel soit acquis et que ce combat doive laisser place à des causes, sociales ou environnementales, plus légitimes et plus urgentes. Un simple examen des faits suffit à prouver le contraire : la logique d’émancipation et de rattrapage qui a prévalu dans les années 1960–1980 est à la peine. Dans les domaines de l’égalité professionnelle et salariale, du partage du pouvoir économique et politique, de la répartition des tâches domestiques et parentales, des violences et du sexisme, la France est bien souvent en queue des classements européens.  

Au rythme actuel, la parité ne serait atteinte à l’Assemblée nationale que dans un quart de siècle…

Ces chiffres nous placent au 18e rang dans l’Europe des 27. Dans la haute fonction publique, neuf préfets sur dix, neuf ambassadeurs sur dix sont des hommes. Dans le monde du travail, les femmes travaillent cinq fois plus que les hommes à temps partiel (subi pour 30 % environ d’entre elles) ; les écarts de salaire, à compétence et temps de travail égaux, sont de près de 10 %. Les femmes sont surreprésentées dans les métiers mal payés et peu qualifiés, dans les métiers du soin, de la vente, des services, de l’éducation, et majoritairement dans les tâches d’exécution, en somme tout ce qui est « prolongement des fonctions domestiques » selon les termes de Pierre Bourdieu.

Dans la sphère privée, malgré les discours modernistes sur les « nouveaux pères » et les nouveaux couples, les femmes continuent à assurer 80 % des tâches ménagères et des soins aux enfants. Le salarié est invité à se dévouer, la salariée à concilier. La domination masculine au quotidien se manifeste également dans les violences faites aux femmes : en France, une femme meurt de violences conjugales tous les trois jours, tandis qu’on estime à près de 48 000 par an le nombre de viols, sans compter les autres agressions, harcèlements et brimades à caractère sexuel.  

Dans tous les domaines, depuis le milieu des années 1990, il y a stagnation ou régression. Or la crise économique, la pression sur les salaires, la recherche de flexibilité, la persistance du chômage ne l’expliquent qu’en partie. Le problème est que les femmes sont certes entrées dans l’économie, mais que la société française n’est pas sortie d’une mentalité patriarcale. Il ne faut donc pas laisser croire que le féminisme serait un combat d’arrière-garde. Trop souvent, une cause jugée entendue est une cause qui régresse.  

Il est plus nécessaire que jamais d’exiger un service public de la petite enfance, une parité effective en politique, l’égalité salariale. Le travail à temps partiel doit être réglementé et déprécarisé, l’accès des femmes aux fonctions de direction doit être favorisé ; l’accès à la contraception et à l’avortement doit être facilité. Dès la petite enfance, le sexisme doit être combattu.  

Il est aussi temps de tenter des stratégies complémentaires. Le blocage est sans doute également dû à l’hégémonie d’un modèle unique de réussite, d’une mentalité restée patriarcale et que devrait adopter toute femme ambitieuse. Tout se passe comme si les femmes devaient, pour s’autonomiser et s’affirmer, imiter la socialisation masculine, adopter les règles du jeu mises en place dans une optique masculine, c’est-à-dire, à bien des égards, sans considération pour les besoins du couple, de la famille, d’une vie extra-professionnelle.

La question était d’intégrer les femmes dans un monde dont les règles et les structures ont été de longue date définies par les hommes, de faire des femmes « des hommes comme les autres », pour reprendre une expression courante sur ces sujets. En d’autres termes, on a tellement voulu offrir aux femmes les attributs d’un certain type de domination – en l’espèce masculine – que celle-ci n’a été que très peu contestée en tant que telle, sauf dans ses aspects machistes les plus violents.  

Il s’agit de faire de l’égalité des sexes non plus seulement l’affaire des femmes (comme activistes ou bénéficiaires) ou de l’Etat (en tant que relais des revendications et incarnation du progrès social), mais également des hommes eux-mêmes, comme sujets et acteurs. Les hommes ne doivent plus être considérés comme résistants aux conquêtes des femmes, mais comme acteurs et demandeurs d’une égalité globale, dont tous et toutes tireront profit.  

Ils doivent aussi s’interroger sur les coûts cachés de la masculinité pour eux-mêmes, pour leurs compagnes, leur famille et la société tout entière. Vulnérabilité physique et mentale, moindre longévité, violence contre soi et autrui, forte dépendance à l’identité professionnelle : les hommes ne sont pas que les vainqueurs du jeu social, à bien des égards ils sont dominés par leur domination. C’est aussi en les impliquant que ce combat pour l’égalité des sexes sera mené à bien. Contrairement aux femmes, la plupart des hommes n’ont toujours pas conscience de relever d’une logique genrée, ce qui les a empêchés d’évoluer aussi profondément qu’ont pu le faire les femmes.

Les hommes doivent faire leur révolution : eux aussi doivent sortir de la tyrannie patriarcale, qu’elle s’applique à la sphère publique, économique, sociale ou domestique. Telle n’est pas la voie actuellement préconisée par nos dirigeants actuels : le truisme du « travailler plus pour gagner plus », sans aucune réflexion sur l’équilibre personnel ou familial, domine le débat. Une certaine culture française du travail ostentatoire et une forme de cooptation professionnelle par le temps de présence restent en vigueur, incarnées par un modèle masculin « décomplexé »

. Parallèlement, l’essor des « services à la personne » marque le retour de la domesticité (massivement féminine) sous couvert de modernité. A supposer qu’elle dispose du même salaire que son alter ego, la femme cadre ambitieuse n’aura donc qu’à imiter les normes masculines et payer une autre femme pour pouvoir se consacrer exclusivement aux affaires : nous tenons l’exemple même d’une égalité sous le signe des hommes.  

De plus en plus prônée au niveau international, cette démarche d’implication des hommes dans les stratégies d’égalité passe par un congé paternité prolongé et partiellement obligatoire, car la paternité vécue mettra fin au patriarcat, mais aussi par un congé parental partagé et largement indemnisé.

Nous proposons également des actions de sensibilisation sur les stéréotypes masculins, dès l’école primaire et le collège ; une lutte contre le sexisme ordinaire, notamment en favorisant la mixité des métiers ; des actions systématiques de prévention ciblées sur les pathologies physiques et mentales masculines comme il en existe pour les femmes, les enfants, les adolescents, les personnes âgées ; des actions de soutien afin de lutter contre l’échec scolaire des garçons, source principale de violences ; un renforcement de l’éducation affective et sexuelle pour endiguer la banalisation silencieuse de la pornographie ; une vision moins sacrificielle des fonctions dirigeantes et électives par le non-cumul des mandats, l’accès au temps partiel de qualité et au télétravail ; un rééquilibrage entre vie professionnelle et vie familiale qui permette un partage des tâches – et des joies – domestiques. Impliquant les hommes, l’égalité femmes / hommes peut être relancée et ouvrir la voie à une société plus juste et plus humaine.

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