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Revue de presse

TRIBUNE. Arrêtons les faux débats sur la Convention Citoyenne

Thierry Pech, directeur général de Terra Nova et co-président du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat, répond aux critiques qui ont accompagné le processus de débat des 150 citoyens. Dans ce texte cosigné avec Clara Pisani-Ferry, il défend la méthodologie de la CCC.
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La tribune : "Le 4 octobre 2019, 150 citoyens tirés au sort se réunissaient pour la première fois : c’était le début de la Convention Citoyenne pour le Climat. 9 mois durant, ils ont travaillé collectivement pour remplir le mandat que leur avait confié le gouvernement : proposer un ensemble de mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030.

En juin dernier, ils ont remis à l’exécutif un rapport et 149 propositions. Une grande partie des Français ont alors découvert la Convention Citoyenne pour le Climat.
Cela a entrainé un débat dont nous nous sommes réjouis… dans un premier temps! Car assez vite, ce débat est devenu caricatural, polarisé et malheureusement pollué par de nombreuses fausses informations. Certains faisaient d’une proposition, pourtant rejetée par la Convention, l’étendard d’une troupe de dangereux idéologues de l’écologie, quand d’autres leur reprochaient de ne pas avoir réintégré la taxe carbone, pourtant chère au cœur de nombreux écologistes. Ils ont été étiquetés 'khmers verts’ ou au contraire accusés de manquer d’audace. D’autres leur ont reproché un défaut d’originalité et d’ambition ou au contraire d’être complétement irréalistes.

Un autre débat aurait pu se tenir : sur l’objet même de la convention citoyenne (…) Débat essentiel, mais qui n’a pas eu lieu
Un autre débat aurait pu se tenir : sur l’objet même de la convention citoyenne. Débat essentiel face à cette innovation démocratique qui, pour des raisons souvent voisines, compte de nombreuses sœurs un peu partout à l’étranger : rien qu’en 2019, l’OCDE en recensait 25 à travers le monde et 30 à 40 sont encore en cours ou à venir. Débat essentiel dans un contexte où 70% des Français considèrent que le système démocratique fonctionne mal et qu’ils sont mal représentés. Débat essentiel quand 57% des Français pensent qu’il faut généraliser ce type d’exercice contre 43% qui s’en méfient. Débat essentiel, donc, mais qui n’a pas eu lieu.

En lieu et place de cette discussion, les caricatures se sont multipliées. Combien se sont horrifiés que de 'simples citoyens’ puissent prendre la parole dans un débat d’experts, oubliant au passage l’article 6 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen : 'Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à [la] formation [de la loi]'? Qu’il faille forcer le trait pour être entendu est regrettable mais semble être devenu usuel. Mais ici, des autorités intellectuelles, philosophiques, scientifiques, politiques ont, sans l’ombre d’une hésitation, émis des jugements péremptoires sans même prendre la peine de vérifier leurs informations. Celui qui parle d’opacité de la sélection des membres de la Convention, celui qui parle de fiasco méthodologique, celui qui pointe cette convention comme un encouragement au désaveu de la parole scientifique : tous ceux-là ont-ils seulement pris le temps de regarder le programme des 9 mois de travail des membres de la Convention? Ont-ils consulté la liste de tous les experts mis à disposition des membres de la Convention? Nous en doutons beaucoup.

Les citoyens ne se sont pas substitués aux experts, ils ne s’y sont pas non plus opposés : ils se sont appuyés sur eux pour façonner leurs propositions
Dans un rapport publié lundi 8 décembre, nous montrons que parce qu’elle repose sur un ensemble de choix méthodologiques déterminants, une Convention citoyenne est pourtant l’occasion de débats riches et instructifs sur la participation citoyenne. En effet, à chaque étape, face à des dilemmes multiples, plusieurs options s’offraient aux organisateurs. Comment représenter la diversité de la société française sur un échantillon aussi étroit? Comment contrôler le biais lié au volontariat? Comment permettre aux citoyens d’acquérir individuellement les connaissances nécessaires? Comment leur apporter de l’information sans les influencer?

Arrêtons-nous sur la question du lien entre citoyen et expert qui a fait l’objet de nombreuses suspicions. Le citoyen des conventions citoyennes n’est pas et ne peut pas être une figure de pureté quasi virginale dont une forme de spontanéisme démocratique ferait le porteur naturel de la vérité. La délibération citoyenne doit nécessairement s’enrichir d’informations extérieures, mais en prenant garde de préserver les citoyens de toute forme d’emprise ou de capture. Ainsi, près de 130 intervenants extérieurs ont été auditionnés par les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat ; un bureau de vérification composé de fact-checkers répondait à toutes leurs questions et demandes ; et un groupe d’appui assistait les citoyens pour tester, chiffrer ou comparer leurs propositions. L’expertise a donc été étroitement associée au processus : les experts ont été mis au service des citoyens, non comme les détenteurs d’une vérité mais comme un cabinet de conseillers. Le risque d’influence était par ailleurs réduit par le pluralisme de l’expertise. Les citoyens ne se sont pas substitués aux experts, ils ne s’y sont pas non plus opposés : ils se sont appuyés sur eux pour façonner leurs propositions. Loin de désavouer la parole scientifique, l’expérience de la Convention Citoyenne montre que participation citoyenne et expertise peuvent être étroitement conjuguées. A une époque de remise en cause de l’expertise et de la parole scientifique, c’est un enseignement précieux qu’il serait fâcheux d’ignorer.

Il nous semble essentiel de tirer les enseignements de cette première expérience à l’échelle nationale
A l’heure où des régions, des municipalités ou même le Président de la République annoncent d’autres exercices de ce type, il nous semble essentiel de tirer les enseignements de cette première expérience à l’échelle nationale, d’avoir un débat apaisé et instruit pour déterminer ce qu’on doit en attendre et les grands principes qui devraient animer les exercices futurs. Cela commence par une juste connaissance de ce qu’a fait la Convention Citoyenne pour le Climat. Dans notre rapport, publié sur le site de Terra Nova, nous tirons de premiers enseignements et appelons experts et citoyens à un débat constructif pour poser les jalons des expériences futures dans notre pays."

* Par Thierry Pech, directeur général de Terra Nova et co-président du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat, et Clara Pisani-Ferry, chargée d’études de Terra Nova et conseillère auprès du co-président du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat.

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