Communauté citoyenne

Une campagne inaudible ou une campagne qui rend sourd ?

Une campagne inaudible ou une campagne qui rend sourd ?
Publié le 11 février 2022
Le septième rendez-vous de la communauté citoyenne de La Grande Conversation de Terra Nova et BVA a été l’occasion d’interroger les citoyens sur leur ressenti à l’égard de la campagne présidentielle et notamment sur ce qu’ils ont retenu des derniers jours.

Le silence et le néant

Interrogés, comme presque à chaque rendez-vous de la Grande Conversation, sur leur ressenti à l’égard de la campagne et notamment sur ce qu’ils ont retenu des derniers jours, les citoyens, dans leur grande majorité, font état d’un sentiment de vide, de creux.

« Ce que j’ai retenu de la campagne, ces derniers jours ? Et si je vous disais : « RIEN »… Un grand vide… Le néant… Je ne comprends pas ! »
« Il ne se passe pas grand-chose, rien de palpitant, on attend  »
« Je trouve que la campagne continue à stagner »

A quasiment deux mois jour pour jour du premier tour de la présidentielle, tout se passe comme si rien n’émanait vraiment de la campagne : le lexique du silence et son vocabulaire associé ponctuent les échanges de notre communauté.

« Une campagne sourde, un silence inouï, je n’ai jamais vu une campagne aussi triste, endormie, silencieuse »
« Eh bien, ces derniers temps, j’ai l’impression de ne pas avoir entendu parler de politique plus que ça »
« Pas de publicité dans les rues, pas de bruit sur cette élection contrairement aux années précédentes »
« Nous n’entendons pas beaucoup parler de cette campagne »
« Il y a un certain brouhaha, à gauche, à droite. Une guerre semble se livrer entre les trois candidats et un centre pour l’instant absent »

Plusieurs citoyens relèvent l’absence d’affiches dans les rues ou au bord des routes. Comme si le rituel habituel des campagnes présidentielles se dérobait.

Pour l’essentiel, deux faits récents retenus

La tenue des meetings, perçue par quelques-uns comme le signe d’une certaine vivacité de la campagne, en tous les cas sur son volet le plus à droite.

« J’ai remarqué que la campagne commence à s’accélérer ces derniers jours, il y a eu plusieurs gros meetings : Zemmour, Le Pen et Roussel qui a d’ailleurs réuni beaucoup de monde »
« Les derniers jours ont été marqués par les deux meetings de l’extrême-droite. Les thèmes développés n’ont pas été originaux. »
« Zemmour et Le Pen qui rivalisent lors de leurs meetings »
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Et ce, même si les propos retenus de ces meetings s’apparentent davantage à des promesses peu crédibles qu’à des éléments de contenu solides.

« Toujours beaucoup de promesses mais moi j’attends du réel »
« Ce qui me choque : les propositions toujours supérieures les unes les autres ici 5000 euros pour les uns ou les autres »

En dehors des joutes perçues comme animant l’extrême droite – et les déchirements au sein du clan Le Pen –, la droite elle-même et sa candidate Valérie Pécresse semblent, à quelques exceptions près, passer largement au-dessous des radars.

« Valérie Pécresse rien »
« Nous entendons peu parler de figures comme Valérie Pécresse »
« Valérie Pécresse pédale un peu dans la semoule et ressemble de plus en plus à M. Macron »

Sur le volet gauche, la « primaire Taubira » a été également évoquée mais pour lui associer immédiatement une forme de vacuité. 

« A gauche, rien de nouveau, c’est la débâcle … »
« Depuis sa victoire aux primaires, plus rien non plus »

Ses effets sont d’ailleurs plus souvent évoqués sur le registre de la perte (aggravation de l’émiettement et de la division de la gauche ; découragement de l’électorat ; chute de la maison PS…) que sur celui du gain.

« Taubira et Hidalgo ne pèseront pas dans cette élection, comme beaucoup, j’ai beau tendre l’oreille, j’ai du mal à percevoir un vrai projet »

Y a-t-il une campagne ?

L’analyse des propos des citoyens permet d’esquisser plusieurs hypothèses explicatives :

  • La faute à la pauvreté de l’offre politique ?
« La campagne reste enlisée à gauche, Macron continue de faire comme de rien, et à droite c’est la course au pire. Culminant avec les deux meetings Le Pen et Zemmour à qui sera le pire »
« Macron ne s’est toujours pas déclaré candidat, les lieutenants de Marine le Pen s’en vont les uns après les autres chez Zemmour ; Mélenchon pense qu’il peut encore être au 2ème tour avec 9 % des intentions de vote ; pas de débat entre les candidats ; Taubira qui est très brouillonne et qui ne sait même pas parler en public ; Hidalgo qui n’en finit pas de chuter dans les sondages (3%) ; et du coup avec tout cela, nous, on n’a pas l’impression qu’il y ait une campagne »
  • La faute à l’absence d’entrée en campagne officielle du Président (qui agace certains) ?
« Je reste sur ma faim par rapport à M. Macron qui se présente sans se présenter. Ira, n’ira pas. Il profite de cela pour faire sa campagne sans temps décompté »
  • La faute à l’absence de contenu programmatique détaillé ?
« Non vraiment, rien de nouveau concernant les programmes proprement dit ! »
« Enfin, je n’ai toujours pas l’impression que les programmes soient présentés, on n’en sait toujours pas plus précisément, et le temps presse. »
  • La conséquence de la « désidéologisation » des esprits et de l’absence de débats quant aux visions de fond qui conduit à rester sur la crête au détriment du fond ?
« La campagne s’enlise… je perds de plus en plus d’intérêt pour cette campagne. On ne parle que de petits évènements pour en faire des prétextes à telle ou telle orientation. Mais le fond me semble occulté au bénéfice de ce qui excite le voyeurisme ou le pathos »
  •  Un désarroi des citoyens, qui peut préfigurer un « abandon de la partie » ?

Au sein de notre communauté de citoyens (recrutés – rappelons-le – parce qu’intéressés par les enjeux politiques et par la présidentielle), les signes de désarroi sont tangibles et la bascule vers une forme d’abandon de la partie n’est pas loin. Comment imaginer dès lors la forme que pourrait prendre ce « retrait du jeu » chez des citoyens plus distants ?

« Je n’ai ressenti que de l’indifférence, de la lassitude, presque du dégoût face à cette surenchère de promesses plus débiles les unes que les autres. J’avoue que… si je ne participais pas à ce forum, plutôt que de rester scotchée devant ma télévision pour écouter les discours de ces Messieurs et Dames, candidats à la Présidence de la République, il y a belle lurette que je serais allée voir ailleurs, là où l’herbe me paraîtrait plus verte. »
« Je suis un peu déconnectée, décontenancée par la tournure que prennent les choses. Les débats politiques se font maintenant chez Hanouna ; Fabien Roussel qui a bientôt plus de potentiels électeurs à droite qu’à gauche ; Christiane Taubira, vainqueur d’une primaire à laquelle toute la gauche participait sans le vouloir, qui se voit attribuer la meilleur note (?) et qui arrive en mode « Jeanne d’Arc » (qui va-t-elle bouter où ??) ; Anne Hidalgo de plus en plus ridicule et de moins en moins audible ; Valérie Pécresse qui a disparu de mes écrans radars (?) ; Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon qui refusent une union de la gauche qui serait incarnée par Taubira ; Marine Le Pen qui devient presque sympathique à force de se faire trahir et à côté d’un Éric Zemmour toujours aussi populiste, ignoble nabot. Enfin, Emmanuel Macron qui donne le sentiment de laisser les enfants (ci-dessus nommés) jouer dans la cour de récréation avant de se décider à venir en siffler la fin… quand bon lui semblera. »

Ce paysage d’ensemble donne le sentiment que la dramaturgie de cette campagne ne s’est toujours pas nouée et que les citoyens n’ont aucune idée des dilemmes et des choix qu’on va leur demander de trancher au mois d’avril.

Dans ces conditions, il est à craindre qu’un certain nombre d’entre eux se démobilisent et finissent par s’abstenir. C’est du reste ce que suggèrent les chiffres rendus publics vendredi 11 février par BVA : seulement 69% des Français inscrits sur les listes électorales se disent intéressés par l‘élection, soit 4 points de moins qu’il y a semaines et 6 points de moins qu’en 2017 à la même échéance. Ce niveau d’intérêt est plus faible qu’en octobre dernier lors de notre première vague. Assez logiquement, l’intention de participer au premier tour se tasse de nouveau légèrement (70% contre 71% il y a deux semaines, 74% début janvier et 74% en 2017 à la même échéance).

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La rédaction de La Grande Conversation