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Note

Après la décentralisation : 15 propositions pour refonder l’action territoriale

Ce rapport invite à se situer « après la décentralisation » autant d’un point de vue stratégique que chronologique. Il n’est plus temps de lancer un « nouvel acte » de décentralisation. Non parce que notre organisation territoriale serait sans défaut, loin de là ; elle fait d’ailleurs l’objet de remises en cause aussi récurrentes que familières. Mais parce qu’il est précisément vain de penser, comme le montre le présent rapport, qu’on pourrait trouver un nouvel équilibre territorial satisfaisant en cherchant à contenir nos espaces de vie dans un seul périmètre, gouverné par une seule autorité, dotée de compétences exclusives.
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Après la décentralisation :15 propositions pour refonder l’action territorialeSynthèse

1. L’enjeu des territoires : valeur refuge ou défi du XXI e siècle ? 10

Introduction : la « gÉographisation » du dÉbat public, une singularitÉ française

De l’illusion de la revanche des territoires…

Depuis le début des années 2010, la télévision, la radio, la presse, mais aussi hommes politiques, experts et intellectuels de tous bords mobilisent amplement des catégories issues de la discipline géographique : métropole, périurbain, espace rural, diagonale du vide, archipel. Il s’agit alors d’analyser les évolutions de la France, d’interpréter ses difficultés sociales et spatiales ou encore de décrypter les « mystères » du vote après chaque élection.

Carte 1 et graphique 1

Le vote : l’illusion des deux France

Source : Le Monde, 2017 [ https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/05/08/presidentielle-la-carte-des-resultats-du-second-tour-commune-par-commune_5124025_4355770.html ] ; Géconfluences, 2017 [ http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/revues-de-presse/cartes-presidentielle-2017 ]

L’analyse des suffrages en nombre de voix (graphique) met en évidence cinq grandes catégories d’électeurs et aucunement une France « coupée en deux » entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. La carte du vote Macron au second tour contredit, elle aussi, les interprétations binaires : le candidat centriste arrive en tête dans 26 000 communes sur 35 000 ; dans tous les départements à l’exception du Pas-de-Calais ; dans toutes les régions. Bien au-delà des centres métropolitains, il réalise ses meilleurs scores dans des villages de Corse, de la Drôme, des Pyrénées ; dans des banlieues populaires d’Ile-de-France comme Argenteuil (79 %), Sartrouville (80 %) ou Montreuil (87 %) ; dans des capitales régionales aussi différentes que Clermont-Ferrand (80 %) ou Orléans (80 %). Enfin, son score demeure au-dessus de la moyenne nationale dans des villes moyennes fragilisées comme Bar-le-Duc (69 %), Châteauroux (71 %) ou Bourges (75 %).

L’exemple le plus emblématique de cette « géographisation » du débat est l’usage désormais banalisé – et inconsidéré – de la notion de territoires . Qu’ils désignent les campagnes, les villes petites et moyennes, les franges périurbaines (ou tout cela à la fois) ; qu’ils soient opposés aux villes, aux métropoles, à l’Europe, aux réseaux de la mondialisation (ou à tout cela à la fois), les territoires incarnent désormais, bien au-delà de leur définition initiale (un espace approprié par une société humaine), une France de carte postale, celle des « petites patries » et de l’ancrage local, considérée comme « véritable », « authentique », sinon « éternelle ».

En quelques années, la « défense des territoires » s’est imposée comme le mainstream de la pensée politique en matière d’action publique et de lutte contre les inégalités socio-spatiales. L’installation du gouvernement Castex, en juillet 2020, a consacré cette évolution. Dans sa déclaration de politique générale, ponctuée par une trentaine d’occurrences de ce terme, le Premier ministre annonce vouloir « faire confiance à la France des territoires », assimilée à la « France des proximités », et réhabiliter de façon inédite le « couple maire-préfet de département », semblant ainsi mettre un terme à des décennies d’injonction à la modernisation territoriale autour du niveau régional et des intercommunalités.

Il est vrai que les deux crises majeures qui ont touché la France au cours des derniers mois (le mouvement des Gilets jaunes et la pandémie de Covid-19) ont constitué des temps forts de cette incantation territoriale. Ainsi, quelques jours à peine après les manifestations de novembre 2018, de très nombreux commentateurs ont interprété l’irruption des Gilets jaunes comme l’expression d’une « revanche des territoires ». La contestation ne consacrait-elle pas le divorce entre deux France, celle des métropoles dynamiques et mondialisées, d’une part, et celle des espaces « périphériques » laissés pour compte (et rassemblant le gros du « peuple ») de l’autre ? En réalité, loin de conforter ces hypothèses, ce mouvement social atypique en a montré toutes les limites et impasses, au gré des rapports de police, des sondages des grands instituts et des nombreuses enquêtes de terrain réalisées par les chercheurs en sciences sociales sur la base d’échantillons significatifs.

Encadré 1 Les Gilets jaunes : une mosaïque sociale et territoriale, des revendications convergentes Les nombreuses enquêtes menées sur les Gilets jaunes ont mis en évidence la grande diversité sociale et résidentielle des personnes mobilisées. Ainsi, les premiers Gilets jaunes, ainsi que plusieurs coordinateurs nationaux, sont originaires de l’agglomération parisienne, métropole mondiale située au sommet de la France métropolitaine. Et pour cause : si les Franciliens utilisent un peu moins leur voiture et réalisent des trajets un peu plus courts que le reste des Français, ils passent en moyenne 75 minutes par jour dans leur véhicule, contre 45 minutes pour les habitants de l’espace rural. Autrement dit, leur épuisant budget-temps compense les moindres dépenses liées au carburant.Les différents rapports des services de police et de renseignement intérieur ont montré que si le mouvement s’était enraciné dans les fractions les plus populaires des classes moyennes, il résistait à toute tentative de catégorisation sociale et spatiale. Les Gilets jaunes sont aussi bien des chefs d’entreprise vendéens que des ouvriers d’Amiens, des petits commerçants du périurbain toulousain que des fonctionnaires du centre de Moulins, des retraités bretons que des jeunes cadres franciliens au pouvoir d’achat plombé par le coût du logement ; en somme, une véritable mosaïque socio-professionnelle imperméable aux représentations binaires.Par ailleurs, la cartographie des lieux de blocage et d’action des Gilets jaunes montre que la grande majorité des communes concernées est située au sein des grandes aires urbaines définies par l’INSEE (notamment autour de Bordeaux et de Toulouse, deux places fortes du mouvement). Bien sûr, on ne manifeste pas toujours là où l’on habite. Et de fait : le mouvement reflète moins des frontières infranchissables que le rôle central des interdépendances territoriales dans les pratiques sociales des Français ! Ainsi, les Gilets jaunes dits de la « périphérie » se retrouvent bien souvent pour manifester au « centre », c’est-à-dire là où ils ont fait leurs études, où ils vont faire leurs courses le week-end, où ils emmènent un proche à l’hôpital ou leur famille au cinéma. À ce titre, l’automobile est moins le symbole d’une « France périphérique » marginalisée qu’un outil – certes coûteux – qui permet aux ménages de tirer parti des ressources et des services offerts par ces différents espaces. Enfin, les revendications des Gilets jaunes ont progressivement convergé vers des enjeux de justice fiscale, sociale et spatiale : augmentation des bas salaires, revalorisation du pouvoir d’achat, égalité face à l’impôt, maintien des services publics sont les seuls mots d’ordre partagés par l’ensemble des manifestants. Or, la fragilité sociale traverse les territoires autant que les origines ou les générations. La diversité du mouvement, ainsi que l’absence de revendication de type identitaire, montrent que les visions binaires et/ou ethnicisées des divisions des classes populaires relèvent avant tout de la récupération idéologique. Source : A. Delpirou, « La couleur des Gilets jaunes », La Vie des Idées, 23 novembre 2018 [https://laviedesidees.fr/La-couleur-des-gilets-jaunes.html]

Malgré leur diversité de registres et de focales, tous ces travaux convergent vers un triple constat quant aux origines et aux objectifs de la mobilisation : (1) le primat de la question sociale sur la question territoriale ; (2) une profonde aspiration à un renouvellement de l’exercice de la démocratie, tant au niveau national [2] qu’à l’échelon local ; (3) le caractère prédominant de l’insécurité économique sur l’« insécurité culturelle ».

De la même manière, pour la classe politique et la plupart des médias, la récente crise sanitaire aurait révélé une « double question territoriale » : d’une part, la fracture entre des métropoles exposées au virus en raison de leur densité et des territoires ruraux davantage à l’abri ; d’autre part, du point de vue de l’action publique, le décalage entre un État rigide et inefficace et des collectivités locales réactives et agiles car proches du terrain. Pourtant, plusieurs analyses étayées ont largement remis en cause ces constats d’évidence : la géographie de l’épidémie renvoie à une articulation complexe de facteurs à la fois contextuels et conjoncturels, tandis que les réponses apportées par les pouvoirs publics ont surtout mis en évidence le déficit de coopération entre les acteurs et l’absence d’autorité organisatrice, tant du côté de l’État que des collectivités locales [3] .

De façon emblématique, les citoyens et les élus locaux eux-mêmes expriment leur lassitude grandissante face aux grilles de lecture simplistes et caricaturales. Les premiers n’emploient jamais le terme de territoire pour désigner leurs lieux de vie ; ils se sentent rarement « périphériques » ; ils demandent de pouvoir vivre, étudier, travailler de façon décente partout. Quelles que soient leurs situations territoriales, ils exigent de la considération de la part des médias et des responsables politiques. Les seconds prennent leurs décisions en regardant les réalités socio-spatiales en face, dans toute leur complexité, et en forgeant des réponses concrètes aux problèmes des Français. En effet, aucun responsable ne peut aujourd’hui construire des politiques de solidarité susceptibles de concilier innovation, transition écologique et respect des idéaux de justice sociale et spatiale sur la base de représentations binaires et purement victimaires ! Opposer grossièrement territoires « gagnants » et « perdants », habitants « de quelque part » et de « nulle part » (Goodhart, 2017), et finalement « bons pauvres » et « mauvais pauvres », permet de faire un tri pour réduire le nombre de ceux qui « méritent » d’être aidés. Mais cela n’a jamais réglé leurs problèmes.

… à l’effacement des repères territoriaux

Au-delà de cette complexification des inégalités socio-spatiales et des situations géographiques, l’action publique territoriale est aujourd’hui confrontée à une profonde déstabilisation de ses cadres et de ses référentiels, en lien avec une recomposition rapide, sinon un effacement progressif des repères territoriaux. Dans un pays durablement marqué par la force de l’ancrage local et par la dimension spatiale de la définition des identités individuelles et collectives, le déploiement d’une société ouverte et mobile entraîne un brouillage de la relation tissée avec les territoires.

Or, en dépit de grands bouleversements socioéconomiques et des lois successives de décentralisation, la rhétorique de l’aménagement des territoires n’a presque pas changé ! Elle réside au premier chef dans la double invocation de l’égalité, comme horizon indépassable des politiques publiques, et de la proximité, envisagée comme l’unique support de la légitimité démocratique.

Tableau 1

La France, championne d’Europe des communes

Nombre de communes

(1950)

Nombre de communes

(2018)

Population moyenne par commune (2018)

Italie

7 781

7 954

7 300

Espagne

9 214

8 131

5 800

Allemagne

14 338

11 054

7 000

Royaume-Uni

1 116

238

270 000

France

38 600

34 968

1 700

Source : Eurostat

Dans une singulière ambition, il ne s’agit pas seulement de garantir au mieux l’égalité sociale entre les citoyens ; il faut aussi que ce principe soit projeté au sol et que l’égalité sociale corresponde à une égalité entre les territoires. En retour, dans ce modèle, l’équilibre du système politique marqué par le jacobinisme étatique trouve son équilibre au travers du poids exceptionnel accordé au niveau communal et plus encore au maire. En France, la commune constitue une sorte d’« État en petit format » disposant de prérogatives sans commune mesure avec celles de nos voisins européens.

À mesure que ce modèle a été rendu inefficient et obsolète par les mutations des dynamiques et des enjeux territoriaux s’est organisée une fuite en avant dans la catégorisation des territoires qu’il s’agit d’aider, voire de « réparer » : politique de la ville pour les banlieues ; zones de revitalisation et agenda rural pour les campagnes ; programme « Action cœur de ville » pour les villes moyennes ; dispositif « Petites villes d’avenir », etc. Cette logique d’inventaire a entraîné de regrettables « concurrences victimaires » et a dénaturé le sens même de l’action publique territoriale.

Refonder l’action publique territoriale

Dans ce contexte, la question n’est pas celle d’une reconnaissance des territoires comme on l’entend en permanence, ni, par contrecoup, d’une nouvelle étape de la décentralisation. L’enjeu est de prendre acte du changement de nature de l’objet territorial et de notre rapport aux territoires, des rapports multiples et inédits entre les lieux et les liens sur la base desquels notre société se construit aujourd’hui.

Il faut ensuite, face aux exigences contemporaines de cohésion sociale et territoriale et de transition écologique, construire à la fois un nouveau modèle d’action publique vis-à-vis des territoires et un nouveau mode d’organisation politique, à même de réinventer (et pas seulement d’« approfondir ») la décentralisation.

C’est donc à un changement profond des paradigmes et des outils de l’action publique territoriale qu’invite ce rapport. Si celui-ci ne peut advenir d’un seul coup ni être imposé d’« en haut », de nombreux leviers sont disponibles et des pratiques nouvelles se structurent pour répondre aux aspirations des acteurs locaux et aux exigences d’une action moderne des pouvoirs publics. Ces apprentissages locaux doivent maintenant se généraliser.

Encadré 2 Covid-19 : haro sur les métropoles ! La crise sanitaire inédite que traverse l’ensemble de la planète a suscité de nombreuses analyses dans le champ des sciences sociales, y compris sur le registre territorial. Plusieurs chercheurs, mais aussi des responsables et des intellectuels, ont pointé du doigt le rôle de la densité dans les dynamiques de contamination par la Covid-19. Pour l’architecte Jacques Ferrier, la « ville dense » aurait « trahi ses habitants [4]  », tandis que le géographe Guillaume Faburel estime que la « métropolisation […] est une cause de la pandémie [5]  ». Au-delà de ces imprécations peu étayées, Jean-Pierre Orfeuil a établi une corrélation statistique entre densité brute d’habitants et surmortalité sur la base de données à l’échelle départementale [6] .À ce jour, nous ne disposons pourtant d’aucun modèle interprétatif stabilisé des modalités de diffusion du virus dans l’espace. En fonction des échelles et des indicateurs retenus, on observe des situations contrastées, qui invitent plus au doute qu’à l’affirmative. Ainsi, à l’échelle mondiale, seuls les pays industrialisés asiatiques, qui comptent parmi les plus denses du globe, ont réussi à contenir le virus et ses effets à des niveaux très bas. À l’échelle européenne, exception faite de l’Angleterre, qui a opté initialement pour une stratégie sanitaire totalement différente, les pays de « ville compacte » (Allemagne, Pays-Bas, Suisse) s’en tirent beaucoup mieux que la France, l’Espagne et l’Italie, pays latins marqués par un fort étalement urbain. À l’échelle française, parmi les départements les moins touchés par la Covid sur la base du nombre d’hospitalisations par habitant, on trouve des écarts de densité de 1 à 12 ; certaines métropoles, comme Toulouse ou Nantes, demeurent très largement épargnées ; de nombreux espaces littoraux densément urbanisés affichent des résultats bien meilleurs que leur arrière-pays : Alpes-Maritimes (250 hab./km²) contre Hautes-Alpes (25 hab./km²), Hérault (178 hab./km²) contre Aveyron (31 hab./km) – et ces écarts se sont accentués, parfois considérablement, lors de la deuxième vague épidémique (automne 2020). À l’échelle régionale, enfin, le cas francilien souligne le rôle déterminant des situations locales, des conditions de vie : lors du premier pic épidémique, en mars 2020, la surmortalité était de 130 % en Seine-Saint-Denis, contre 85 % dans l’hypercentre (ville de Paris) comme dans le périurbain (Essonne).Plus largement, toutes ces analyses se heurtent à des biais méthodologiques et/ou conceptuels. Les données disponibles ne permettent pas de rendre compte des profondes mutations du fonctionnement des territoires depuis trente ans. À quoi bon accuser les villes alors que 91 % de la population française vit dans une aire urbaine, selon des modes de vie presque totalement urbanisés ? Et qu’est-ce qui serait alors en cause : la densité brute (mesurée en nombre d’habitants rapporté à une surface donnée) ? Les formes urbaines ? Les effets d’agglomération ? Les pratiques et les mœurs ? Les conditions de logement ? De nombreux travaux récents invitent à la prudence en matière de liens entre densité résidentielle et interactions sociales. Dans ces conditions, opposer de façon binaire des villes supposées pathogènes et des campagnes saines idéalisées est non seulement peu pertinent mais susceptible d’alimenter les vieilles rengaines urbaphobes qui trouvent en France, encore célébré comme un « vieux pays de paysans », un écho constant depuis la fin du XIX e siècle.

1. L’enjeu des territoires : valeur refuge ou dÉfi du XXI e siÈcle ?

Le terme de « territoires » est d’abord et avant tout mobilisé pour décrire les inégalités socio-spatiales – voire culturelles – qui opposeraient les grandes métropoles et le reste de la France. Dans cette première acception, les territoires ne recouvrent que partiellement les espaces locaux ; ils sont plutôt synonymes d’une France populaire et reléguée, telle que l’a décrite par exemple Christophe Guilluy dans La France périphérique (2014) . Dans une seconde acception, les territoires sont aujourd’hui assimilés au « fait local », par opposition à la mondialisation généralisée. Ils incarnent alors les valeurs et les modes de vie de la proximité et interpellent l’action publique sur les politiques à déployer pour la réactiver. Enfin, le terme de territoires est également, quoique plus rarement, utilisé dans une perspective plus contemporaine : celle d’une exigence de transition face aux défis environnementaux et climatiques globaux, lesquels justifieraient un retour à une organisation locale en territoires autonomes et autosuffisants (aux plans alimentaire, énergétique, parfois social).

Mais qu’ils cristallisent des aspirations à une France plus égalitaire d’avant la mondialisation, à des modes de vie davantage fondés sur la proximité ou à une autonomie des espaces locaux, c’est bien comme valeur refuge que les territoires sont aujourd’hui mobilisés au cœur du discours politique. C’est précisément cette conception que ce rapport prétend contester, en refusant la nostalgie et les mythes du retour en arrière ; le changement de nature de l’objet territorial et de notre rapport doit être envisagé comme un défi pour le monde qui vient.

1.1. Les territoires ou les « perdants » de la mÉtropolisation ?

La rhétorique des deux France s’inscrit dans une histoire longue : l’Est urbain et industrialisé contre l’Ouest rural et paysan au XIX e siècle ; Paris et le « désert français » au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; la « diagonale du vide » des années 1970. Ces lignes de fractures se fondaient, au moins partiellement, sur des observations objectives et rendaient compte au moins autant des oppositions que des complémentarités entre les territoires. Au contraire, la notion de « France périphérique » et ses variantes, forgées par Christophe Guilluy et d’autres essayistes, puis amplement utilisées par les journalistes et les responsables politiques, se bornent à postuler un clivage irréductible entre des territoires « gagnants » et des territoires « perdants ». Pourtant, des dizaines de travaux de sciences sociales ont documenté de manière beaucoup plus précise et rigoureuse les effets inégalitaires de la mondialisation sur les sociétés et sur les territoires. On peut rappeler ici quatre de leurs principaux résultats.

Les grandes transformations socioéconomiques des quarante dernières années, comme la tertiarisation de l’économie et la polarisation de la société, ont concerné tous les types de territoires dans des proportions assez comparables, y compris entre les métropoles (hors Ile-de-France) et le reste du pays. Ainsi, la part des ouvriers et des employés a décliné de manière continue et régulière depuis 1980 dans les espaces ruraux aussi bien qu’urbains. Contrairement à de nombreuses idées reçues qui voudraient faire des franges périurbaines et rurales les lieux d’ancrage des nouvelles classes populaires, le cœur des villes accueille encore, en stock, une large majorité d’entre eux.

Tableau 2

Des villes-centres plus pauvres que leurs périphéries

Catégorie de communes

dans le zonage INSEE

Niveau de vie médian

(en euros)

Taux de pauvreté

(en %)

Répartition de la population pauvre

(en %)

Grands pôles urbains

19 887

16,1

65,2

Dont villes-centres

18 731

19,5

31,4

Dont banlieues

20 619

13,9

33,8

Couronne des grands pôles urbains

20 975

8,8

12,1

Communes multipolarisées

19 377

12,1

4,5

Moyens pôles

18 447

15,7

3,1

Couronne des moyens pôles

19 350

10,6

0,4

Petits pôles

18 231

15,6

4,0

Couronne des petits pôles

19 012

12,3

0,2

Autres communes multipolarisées

18 607

13,3

5,1

Communes isolées hors influence des pôles

17 941

16,9

5,3

France métropolitaine

19 786

14,3

100,0

Source : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, Fichier localisé social et fiscal 2012 et ERFS 2012

Tableau 3

Les classes moyennes et populaires vivent majoritairement dans les pôles urbains

Source : Girard (2014) d’après Insee

Les disparités territoriales ne distinguent plus nettement telles ou telles catégories (urbain/rural, Paris/province, métropoles/« France périphérique ») et s’inscrivent désormais à des échelles fines au sein de tous les territoires. Ainsi, les grandes villes sont à la fois des lieux privilégiés de concentration des richesses et des points de fixation de la pauvreté ; les ménages aux faibles niveaux de vie y sont fortement surreprésentés, y compris dans les métropoles régionales les plus dynamiques, comme Lyon ou Toulouse [7] .

Carte 2

Les métropoles : si riches, si pauvres

Source : La Dépêche du Midi (2020) d’après Insee [ https://www.ladepeche.fr/article/2018/07/18/2837939-pauvrete-une-agglomeration-toulousaine-a-deux-vitesses.html ]

Si le niveau de vie médian des ménages de l’unité urbaine de Toulouse est le plus élevé d’Occitanie, il recouvre des réalités très disparates. Aux banlieues bourgeoises traditionnelles du Sud (Rouffiac-Tolosan) et de l’Est (Balma), aux communes dynamiques de l’Ouest (Tournefeuille) qui accueillent les cadres de l’industrie aéronautique, s’opposent six quartiers centraux dont le niveau de vie médian est inférieur à 13 500 euros annuels (Bourbaki, Empalot, Les Izards-La Vache, Négreneys, Rangueil et Pradettes). Dans le grand ensemble du Mirail, à moins de 5 km du Capitole, les 40 000 habitants vivent avec 1 000 euros par mois en moyenne par unité d’emploi.

Les villes moyennes présentent, pour leur part, des situations très contrastées.

Carte 3

Les villes moyennes : des situations contrastées

Source : CGET (2018)

[ https://www.cget.gouv.fr/actualites/regards-croises-sur-les-villes-moyennes ]

Les villes moyennes françaises sont souvent présentées comme faisant partie des plus touchées par les difficultés urbaines et socioéconomiques. Fortement enracinées dans le récit territorial national, elles ont connu de profonds bouleversements au cours des trente dernières années : les réorganisations postfordistes ont fragilisé leur base productive, souvent faiblement diversifiée, tandis que le double effet de la métropolisation et de la contraction des dépenses publiques a affaibli leur capacité historique de polarisation de leur environnement rural.Toutefois, de nombreux travaux récents invitent à nuancer et à contextualiser ces représentations. Non seulement la plupart des villes moyennes sont en relative bonne santé démographique, mais les pertes de population sont presque toujours concentrées dans les villes-centres, tandis que les communes de banlieue et les couronnes périurbaines voient leur population stagner ou augmenter, même dans des aires urbaines hâtivement qualifiées de décroissantes. Entre 1962 et 2012, la population des aires urbaines centrées autour des villes moyennes a augmenté de 37 %, de telle sorte que leur poids relatif dans la population nationale est resté stable (environ 20 % de la population et 30 % des citadins du pays). Par ailleurs, la désaffection résidentielle et commerciale des cœurs d’agglomération n’est pas l’apanage de cette catégorie de villes. Son moteur principal, le fonctionnement spéculatif de l’urbanisme commercial, provoquant un double découplage à la fois entre offre et demande et entre centre et périphérie, concerne la quasi-totalité des villes françaises non métropolitaines.En réalité, les trajectoires contrastées des villes moyennes sont moins déterminées par le poids démographique que par des facteurs locaux et régionaux, en lien notamment avec leur profil fonctionnel et les systèmes territoriaux au sein desquels elles s’inscrivent.

Enfin, de très nombreux territoires non-métropolitains sont en bonne santé démographique et économique.

Carte 4

L’espace rural : désertification ou repeuplement ?

Source : Observatoire des territoires (2019) d’après INSEE

[ https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/outils/cartographie-interactive/#c=indicator&i=insee_rp_evol_1968.var_dens_pop&s=2011–2016&view=map26 ]

Depuis les années 1970, l’espace rural a vu sa population progresser régulièrement, jusqu’à atteindre un rythme de croissance de + 0,7 % par an, plus soutenu que celui du cœur des grandes aires urbaines. Cette vigueur démographique est essentiellement liée au solde migratoire ; autrement dit, ces territoires supposés délaissés attirent chaque année de nouveaux habitants, ce qui n’est pas le cas de très nombreuses villes. Si cette attractivité concerne prioritairement les couronnes rurales des pôles d’emplois, elle s’est étendue à de nombreuses campagnes éloignées des bassins métropolitains (Vendée, Hautes-Alpes, Aveyron, etc.).

Carte 5

Le dynamisme productif : l’espace rural autant que les métropoles

Source : Le Monde, avril 2019 d’après CGET (2018)

[ https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/30/les-zones-periurbaines-viviers-de-creations-d-emplois-industriels_5443511_3234.html ]

En 2019, l’industrie emploie 3,7 millions de personnes en France, soit 14 % de la population active occupée. Elle connaît depuis 2015 un léger rebond, après presque trois décennies de déclin. Cette reprise s’accompagne d’une recomposition du paysage industriel français : les zones d’emploi du quart nord-est, anciennement industrialisées, sont celles qui ont perdu le plus d’emplois au cours des dernières décennies. À l’inverse, dans les régions de l’Ouest et du Sud, l’industrie a plutôt eu tendance à progresser, tout particulièrement dans les zones d’emploi éloignées des métropoles (Charentes, Dordogne, Manche, etc.). La réindustrialisation est ainsi portée principalement par le dynamisme de PMI fortement spécialisées et qui, tout en étant ancrées territorialement, ont su s’adapter aux exigences nouvelles de la concurrence mondialisée.Encadré 3 Paris / Les Herbiers : on refait le match ! « Paris a gagné la coupe de France, on n’en attendait pas moins, et puis tout le monde est reparti joyeux, donc tout va bien. Sur le terrain économique, pourtant, l’histoire n’est pas la même.« Question taille et densité, qui font rêver certains, le match est plié depuis longtemps : 19 000 habitants aux Herbiers, avec une densité de 165 habitants au kilomètre carré, 12 millions sur Paris, densité supérieure à 700. « Côté attractivité, cependant, les Herbiers tiennent la barre : 1 % de croissance de la population sur 2009–2014, contre 0,5 % sur Paris (données à l’échelle des aires urbaines, idem pour la suite). 1–0. Supplément de croissance qui n’est pas le produit du solde naturel, supérieur à Paris (0,9 %) à ce qu’il est aux Herbiers (0,5 %), mais d’un solde migratoire sensiblement plus fort : + 0,8 % aux Herbiers, – 0,4 % sur Paris. Les Herbiers attirent, Paris repousse. 2–0 .« Non contents d’attirer plus de population, les Herbiers créent aussi plus d’emplois : + 0,6 % en moyenne annuelle, contre + 0,1 % sur Paris. 3–0. « Le taux de chômage y est aussi sensiblement plus faible : 9,3 % à l’échelle de l’aire urbaine, contre 12,6 % sur Paris, pour les 15–64 ans, fin 2014 (le taux de chômage fin 2017 à l’échelle de la zone d’emploi des Herbiers est inférieur à 5 %, mais ne le répétez pas). 4–0. « Plus de population, plus d’emplois, moins de chômage et, cerise sur le gâteau, moins de pauvreté : 8,3 % de personnes dites “pauvres” aux Herbiers, contre 15,3 % sur Paris, toujours fin 2014. 5–0. « S’il fallait trouver un modèle, personnellement, je vote pour les Herbiers, score sans appel. Heureusement, l’économie n’est pas un match de foot, où quand l’un gagne, l’autre perd. C’est un jeu à somme positive, qui se nourrit des interdépendances. Que Paris se rassure, donc : les Herbiers ruissellent (un peu) sur la Capitale. »

Source : O. Bouba-Olga. 2018. « Les Herbiers 5, Paris 0. Cet autre match »[https://blogs.univ-poitiers.fr/o-bouba-olga/tag/les-herbiers

Avec un taux de chômage de 5 % et un taux de pauvreté de 12 %, le département du Cantal, souvent cité comme emblème de la France périphérique, pourrait presque apparaître comme un havre de prospérité en regard de la métropole la plus dynamique démographiquement de France, Montpellier (13 % de chômeurs et 19 % de pauvres) [8] .

Selon les points de vue, les temporalités et les indicateurs considérés, on trouve des « gagnants » et des « perdants » partout en France, dans des combinaisons diverses et labiles. Si « le territoire français a plus d’une pente » (selon la formule du géographe Roger Brunet), c’est que les difficultés ne sont pas toujours cumulatives et qu’elles dépendent désormais moins des « stocks » (la population et l’emploi sur place) que des « flux » (les mobilités résidentielles et quotidiennes). Ainsi, la géographie de la décroissance démographique ne dessine plus une « diagonale du vide » immuable mais la dispersion de poches cumulant déficits naturel et migratoire, notamment dans les franges sud (Berry) et est (Ardennes, plateau de Langres) du Bassin parisien.

Carte 6

Une décroissance limitée et régionalisée

Source : Observatoire des territoires, CGET (2017) d’après INSEE

De même, la fragilité sociale de plusieurs régions, à l’instar de l’Occitanie, est d’abord un effet des mobilités qui la traversent.

Encadré 4 Le paradoxe de l’Occitanie : toujours plus attractive, toujours plus fragile Entre 2011 et 2016, l’Occitanie a gagné plus de 47 000 habitants par an. Cette croissance, deux fois supérieure à celle de la France métropolitaine, tient d’abord à son attractivité : le solde migratoire est le plus élevé des régions métropolitaines. L’Occitanie est aussi, après l’Île-de-France, la région qui crée le plus grand nombre d’emplois entre 2006 et 2013.Pourtant, au cours de la même période, le taux de chômage progresse de 2,1 %, soit la plus forte hausse des régions métropolitaines. En 2009, à la suite de la crise financière, l’Occitanie devient la deuxième région où le chômage est le plus important (12 % en 2013). Par contrecoup, le taux de pauvreté augmente rapidement et suit de près celui des Hauts-de-France (17 %). Faut-il y voir un simple décalage quantitatif entre les besoins liés aux arrivées et les créations d’emplois ? Pas seulement. L’attractivité est aussi directement créatrice de fragilités : arrivées de populations pauvres, installations de ménages biactifs ne trouvant qu’un seul emploi, tensions sur le marché immobilier et hausse du coût de la vie.Dans un ultime paradoxe, cette région dynamique et de tradition socialiste place Marine Le Pen en tête au premier tour de la présidentielle en 2017.

Cet impact est particulièrement marquant en Ile-de-France : d’un côté, entre 2001 et 2012, 43 % des étrangers entrés en France s’y sont installés ; d’un autre côté, le solde migratoire régional est déficitaire chaque année d’environ 50 000 personnes avec les autres régions françaises – et plus seulement pour les retraités mais pour toutes les classes d’âge au-delà des trentenaires.

Carte 7

Paris, pompe aspirante et refoulante de la métropole France

Source : Cattan et al. (2017) d’après INSEE

Au cœur de la région capitale, la Seine-Saint-Denis est le septième département de France métropolitaine pour la richesse produite mais l’avant-dernier pour le revenu médian des ménages : suivant un mécanisme de sas, plus les populations s’insèrent et déménagent, plus les quartiers s’appauvrissent.

En France plus qu’ailleurs en Europe et plus encore que dans les autres pays industrialisés, les impacts de la mondialisation sont partiellement amortis par de puissants mécanismes de redistribution à la fois sociale et territoriale. Fondés sur un système complexe de prélèvements et de transferts, adossés à une fonction publique nombreuse et présente sur l’ensemble du territoire national, ces mécanismes ont permis de faire de la France l’un des pays les moins inégalitaires de l’OCDE.

Graphique 2

Les effets sociaux de la redistribution

Source : Boone et Goujard (2018) d’après Eurostat

Ainsi, les contrastes interrégionaux y sont nettement moins prononcés qu’en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne ; à l’échelle départementale, les inégalités de revenus n’ont jamais été aussi faibles que dans les années 2010 [9] .

Carte 8

Des contrastes interrégionaux limités

Source : Géoconfluences (2017) d’après Eurostat

[ http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/pib-habitant-eurostat-15 ]

Par ailleurs, un réseau de services et d’équipements publics dans les espaces peu denses a été déployé au nom de l’équité territoriale. Ces filtres expliquent dans une large mesure la moindre progression des inégalités en France que chez ses voisins depuis les crises de 2008 et de 2011.De même, l’État n’a jamais « abandonné » les campagnes et les villes petites et moyennes au profit des métropoles, comme le voudrait une vulgate simpliste relayée par certains essayistes et responsables politiques populistes. En matière de dotations par habitant, la banlieue lyonnaise est nettement moins bien lotie que la Haute-Loire, alors que les difficultés sociales y sont autrement plus intenses.

Carte 9

Les dotations de l’État [10] par habitant : la solidarité à l’œuvre pour la ruralité

Source : Observatoire des territoires (2016)

Quant aux déserts médicaux, ils se trouvent aussi bien dans certaines campagnes isolées qu’en Ile-de-France.

Cartes 10 et 11

Déserts médicaux des villes et des champs

Source : Pétillot in Béhar et Delpirou (2019)

Alors que le nombre de médecins par habitant baisse régulièrement depuis trente ans, l’accès aux soins pour tous et partout sur le territoire est loin d’être garanti. Au déficit de médecins généralistes (dont 12 000 communes, soit une sur trois, sont dépourvues) s’ajoute l’allongement des délais d’attente pour un rendez-vous. L’accès aux spécialistes se dégrade également, y compris dans les grandes villes, en raison d’une répartition encore plus inégale et d’une augmentation des tarifs de consultation (hors conventionnés). On estime que plus de trois millions de Français vivent dans un « désert médical », défini par des critères de proximité et de diversité de l’offre de soins. Cette situation concerne aussi bien des zones rurales et montagneuses (Massif central, Vosges), où le renouvellement des praticiens n’est pas assuré, que l’Outre-mer ou les banlieues des grandes agglomérations. Ainsi, l’Île-de-France a perdu 19 % de ses médecins généralistes libéraux en activité entre 2007 et 2016, alors que les besoins sont croissants sous le double effet du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques. Cette pénurie aggrave les inégalités (entre centre et périphérie, entre Est et Ouest) dans une région déjà marquée par de profondes disparités sociales.

Toutefois, la contraction des dépenses de l’État et des collectivités ainsi que les injonctions récurrentes à la « rationalisation » des politiques publiques ont incontestablement fragilisé de nombreux territoires, notamment lorsque ceux-ci étaient déjà confrontés à des difficultés socioéconomiques. Les nombreuses revendications des Gilets jaunes exigeant plus de « justice spatiale » rappellent que les Français sont à la fois profondément attachés à ce modèle protecteur et de plus en plus inquiets des conséquences des réformes passées et en cours sur son fonctionnement et son avenir.

Finalement, la question des inégalités territoriales ne peut se réduire à une opposition entre une « France des métropoles » et une « France des territoires ». Elle exige de prendre acte du caractère généralisé de la métropolisation, un processus qui disloque les ordonnancements territoriaux et crée des inégalités partout et à toutes les échelles, au sein des métropoles comme en dehors d’elles. C’est à cette aune qu’il convient de repenser les politiques de lutte contre les inégalités, dans une perspective clairement assumée de cohésion territoriale.

1.2. Les territoires ou la proximitÉ face aux « perdus » de la globalisation ?

Une lecture convenue et largement relayée par les médias consiste à opposer la dynamique de la globalisation – assimilée et réduite à la mondialisation, c’est-à-dire à un processus qui ne se déploierait qu’à des échelles supranationales et la permanence du local, envisagée à la fois comme lieu de vie et espace de pratiques communautaires, dans une large mesure laissé à l’écart des mutations contemporaines.

En réalité, c’est exactement l’inverse que l’on peut constater : dans un monde tissé serré de réseaux et d’interdépendances, le local n’est plus à l’abri, pas même des grandes pandémies mondiales comme la Covid-19. Au contraire : plus l’échelle est réduite, plus le territoire considéré est limité, plus ce dernier est recomposé par les flux qui le traversent. En d’autres termes, le global ne correspond plus à une échelle spécifique qui serait située au-dessus du local : le global est dans le local. Par conséquent, l’échelle locale n’a plus la même capacité à « faire territoire », au sens de la coïncidence entre une société, l’espace de déploiement de ses activités et son organisation politique (« dis-moi où tu habites, je te dirai qui tu es »). De très nombreux travaux ont documenté ce passage d’un fonctionnement en bassins de vie étanches à des pratiques multiples et en archipel.

Autrement dit, d’un point de vue territorial, la crise des Gilets jaunes a surtout mis en évidence le désarroi de ceux qui se sentent « perdus ». Loin de s’inscrire dans une géographie héritée et figée, les multiples portraits de Gilets jaunes ont mis en évidence la figure du ménage biactif et extrêmement mobile, se déplaçant en permanence entre lieux d’habitat (l’espace rural ou la couronne périurbaine) et de travail (le bourg, la ville moyenne, la métropole).

Si ce brouillage des repères territoriaux est évident dans les métropoles, il ne conduit pas à opposer les grandes villes et le reste de la France, selon une partition simpliste et condescendante entre «  anywhere » et « somewhere  » (Goodhart, 2017).

Encadre 5 La Seine-et-Marne : homogénéisation sociale et vie en archipel Terre de naissance et bastion du mouvement des Gilets jaunes, la Seine-et-Marne est un département vaste (50 % de la surface régionale) et encore dans une large mesure rural et agricole (plaine de la Brie, champs du Gâtinais), mais presque entièrement compris dans l’aire urbaine de Paris. Au contraire des autres départements franciliens, tout particulièrement ceux de petite couronne, il est marqué par une relative homogénéité sociale : le profil des ménages est dominé par les classes moyennes, de modestes à aisées, avec quelques poches de pauvreté [carte ci-dessous [11] ].

Cette situation n’est pas propre à l’Ile-de-France : à l’échelle nationale, les ménages périurbains disposent d’un revenu médian annuel (20 975 euros) plus élevé que celui des habitants des villes-centres (19 887 euros). Elle masque toutefois des trajectoires sociales et résidentielles contrastées : le département accueille aussi bien des chefs d’entreprise installés que des ouvriers qui quittent le logement social, des employés attirés par la faiblesse relative des prix fonciers que des fonctionnaires se rapprochant de leur lieu de travail, des retraités attachés à l’idéal villageois que des jeunes cadres y déployant leur projet familial. Les pratiques de mobilité des Seine-et-Marnais témoignent des deux visages de la vie métropolitaine [carte ci-dessous [12] ] : d’un côté, des déplacements de proximité polarisés par les centralités locales d’équipements, de commerces et de services (« centre-ville » de la commune ou centralités voisines) ; de l’autre, un écheveau inextricable de flux croisés et entremêlés de plus grande portée vers les pôles d’emploi du département, la préfecture (Melun), Marne-la-Vallée et Paris. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un espace de relégation ou de « sédentarisation » mais d’un territoire vécu et structuré en pôles (d’équipements, d’emplois) emboîtés, selon différentes échelles de rayonnement, faisant écho à la lecture et à l’usage que les Franciliens ont eux-mêmes de leurs espaces de vie.

Bien au contraire : les habitants des campagnes et plus largement des espaces de faible densité pratiquent encore davantage que les métropolitains la multi-appartenance et l’hyper mobilité.

Encadré 6 Vivre en archipel dans l’hyper ruralité Le Pays du Velay pourrait apparaître comme l’archétype de l’hyper-ruralité : il regroupe, au sein du département de la Haute-Loire, moins de 3 % de la population de la région Auvergne-Rhône-Alpes et semble encore fonctionner comme un bassin de vie à l’écart des bouleversements contemporains, regroupé autour de sa ville chef-lieu, le Puy-en-Velay. Et pourtant, il n’en est rien. Non seulement, comme partout ailleurs en France, la ville-centre s’est lentement dépeuplée au profit d’une vaste couronne périurbaine, mais surtout les communes les plus attractives sont désormais celles qui se situent en chapelet le long de l’axe routier qui relie Le Puy à Saint-Étienne et Lyon [carte ci-dessous [13] ].En effet, les modes de vie ont été profondément bouleversés : dans nombre de ces communes, un des deux actifs du ménage travaille à Saint-Étienne ou dans son agglomération, l’autre occupe un emploi plus proche de la résidence, par exemple à la maison de retraite du bourg. Le Puy est fréquenté pour le lycée des enfants ou pour ses services de santé (hôpital). Mais les sorties du week-end se font majoritairement à Lyon. Plus tard, les enfants n’iront plus comme leurs parents faire leurs études à Clermont-Ferrand mais plutôt à Toulouse ou Montréal. C’est une vie en archipel, impossible à circonscrire selon un périmètre politique ou administratif, qui s’organise bien au-delà de l’échelle de l’ancien Pays.

De leur côté, les urbains valorisent de façon croissante leur ancrage territorial et des formes de retour au local. Nous sommes tous à la fois de « quelque part » et de « partout », avec la crainte de se sentir de « nulle part » [14] .

Encadré 7 La « souffrance spatiale des Français » « Ce qu’on peut appeler “la souffrance spatiale des Français” vient de ce que rien jusqu’ici n’a remplacé le cadre “dans” lequel ils parvenaient jusqu’ici tant bien que mal à ranger leurs soucis et à définir leur appartenance. Qu’il s’agisse du temps – la flèche du progrès – ou de l’espace – l’encastrement des surfaces géographiques –, tous les historiens, les sociologues, les juristes, les économistes savent bien à quel point ce cadre était déjà mité, contestable, contesté, inutilisable en pratique. Quand nous disons qu’il y a quelque chose de spécifiquement français dans cette souffrance territoriale, c’est parce que, en France plus qu’ailleurs, ce cadre spatio-temporel devenu aujourd’hui intenable a été particulièrement travaillé par l’histoire. » Source : B. Latour, 2012, « La mondialisation fait-elle un monde habitable ? », Territoire 2040, Revue d’étude et de prospective, n° 2, DATAR, p. 9–18 .

1.3. Les territoires ou l’autosuffisance pour sortir du « systÈme » ?

La transition écologique implique des mutations aux échelles globale (où se mesure l’impact des dérèglements climatiques) aussi bien que locale (où la plupart des leviers d’action, par exemple en matière d’urbanisme, de transports, de gestion des ressources et des déchets, sont encore situés). Force est pourtant de constater qu’elle n’a pas (encore) suscité de véritable transition territoriale.

On peut même faire le diagnostic qu’elle a, au moins dans un premier temps, fait régresser certains des réflexes et des principes qui pourraient l’inspirer et ce à travers deux choix dominants : celui de la commune comme cadre mobilisateur le plus accessible, notamment pour les citoyens qui s’engagent par militantisme dans la transition écologique ; celui de la souveraineté comme idéal d’action territoriale, en réponse à ce qui est perçu comme des excès incontrôlés de la mondialisation.

L’idéal du circuit court combine ces dimensions. Dans un monde réputé hostile au nouveau paradigme de la transition écologique parce que dominé par des acteurs de marché productivistes et prédateurs, le recours à des échelles réduites est privilégié car jugé efficace pour des alternatives maîtrisables. Les îlots de transition sont d’abord municipaux : 85 % des membres du club international des « Villes en transition », créé à Toynbee en 2006, sont des communes. À Paris, les 12 e , 13 e , 15 e , 18 e et 20 e arrondissements ont même rejoint le mouvement en tant que tels, ainsi que l’association Paris Quartiers. On n’est jamais trop petit pour engager la transition écologique ! Les premiers Plans climat air énergie territoriaux ont été communaux, les villes concernées tenant à faire la preuve de leur contribution en la matière, même si la plupart des enjeux, notamment en matière de flux (transport, services urbains) sinon de stocks (précarité énergétique des logements) ne sont plus du tout à leur échelle.

Certes, la montée en échelle est assez rapide.

Encadré 8

Poids des différents niveaux de territoires

dans quatre cadres nationaux d’action de transition

TEPos

TEPCV

Cit’ergie

CTE

Année de lancement

2010

2014

2016

2018

Communes

9

(9,5 %)

49

(11 %)

71

(34 %)

1

(1%)

Communautés 1

43

(46 %)

236

(55 %)

136

(66 %)

46

(52%)

Groupes d’EPCI 2

24

(25,5 %)

102

(24 %)

/

26

(29%)

Alliances de territoires 3

/

25

(6 %)

/

11

(13%)

Départements et

syndicats départementaux

8

(8,5 %)

18

(4 %)

/

3

(3%)

Autres collectifs 4

10

(10,5 %)

/

/

2

(2%)

1 Communautés de communes, d’agglomération, urbaines, métropoles, EPT

2 PETR, Pays, PNR, Territoires Leader, Parcs nationaux, Pôles métropolitains, SCoT

3 Groupements de territoires de divers niveaux, contigus ou non

4 SCIC, associations

Les EPCI constituent 46 % des Territoires à énergie positive ou TEPos, 55 % des Territoires à énergie positive pour la croissance verte ou TEPCV et 66 % des labels Cit’ergie. À l’exception de l’Île d’Yeu, aucune commune n’est directement bénéficiaire d’un contrat de transition écologique. D’étape en étape, on voit même s’affirmer progressivement le niveau intercommunautaire (Pays-PETR, PNR, Leader, Pôle métropolitain, SCoT) et apparaître des configurations territoriales en réseau, entre collectivités de différents niveaux ou non contigües.

Encadré 9Les territoires d’innovationLa politique de l’appel à projet des territoires d’innovation (ex-TIGA), une des mieux dotées financièrement parmi celles évoquées (TEPCV, Territoires en devenir, Cit’ergie, CTE), n’est pas explicitement affichée comme une politique de transition écologique, mais elle l’est cependant bel et bien dans toutes ses différentes approches en fonction des projets de 24 lauréats.Elle invite à sortir de l’approche catégorielle des territoires, en incitant à des alliances interterritoriales « verticales », c’est-à-dire entre collectivités de niveaux ou de types différents : les métropoles et agglomérations du Grand Est avec ses PNR ; le bassin rennais constitué en communauté de l’eau ; une métropole (Dijon) et son département (la Côte-d’Or) pour un plan alimentaire territorial… L’innovation conduit au devoir de coopération.

Source : Territoires d’innovation, 24 lauréats. République française, dossier de presse, 13/09/201

L’idéal de l’autonomie n’en reste pas moins vif, quelle que soit l’échelle considérée. Mais que recouvre-t-il vraiment ? Revendiquer une autonomie consistant à ne plus dépendre des autres et revendiquer une autonomie consistant à faire grandir ses propres capacités d’action parmi les autres sont deux propositions fort différentes.

Encadré 10 De l’autonomie-soustraction à l’autonomie-capacitation « L’aspiration à l’autonomie a rencontré un puissant regain d’intérêt avec l’appel aux transitions et aux responsabilités locales pour les mettre réellement en œuvre. Le “tournant local” se vérifie partout, pas seulement en France. Ce retour aux préceptes du développement local des années 1970 après quelques décennies d’intense mondialisation n’est-il que la réfutation de cette dernière, une sorte de nouveau cycle alternatif au précédent qui signerait sa mise en échec ? Une partie des opinions publiques et ceux qui les nourrissent par leurs réflexions et propositions en sont convaincus : le tournant local est un désengagement des circuits globaux, quels qu’ils soient, pour rétablir la proximité et conquérir une autonomie par soustraction. Les perspectives d’une autonomie alimentaire, d’une autonomie énergétique, d’une autonomie productive et de services, d’une autonomie fiscale, et d’autres encore, à des échelles de territoire qui vont, selon les cas, de la commune à la région, emportent une large adhésion, contre la globalisation et l’incapacité des États à la réguler, en particulier dans le champ vital du changement climatique. Ces visions plus ou moins autarciques de l’autonomie fascinent la société contemporaine des interdépendances, et s’appuient sur des références mythifiées aux contextes d’autosuffisance d’antan : le village, tel qu’il ne fonctionne plus depuis environ deux siècles ; la communauté rurale isolée, dont les membres faisaient en réalité tout pour s’extraire dès qu’ils en avaient les possibilités ; etc.« Mais, au-delà de cette vision romantique et nostalgique de l’autonomie, l’aspiration contemporaine à l’autonomie est avant tout une volonté d’engagement, de contribution directe à la résolution des problèmes collectifs, remettant en cause le principe de transmission des responsabilités à d’autres, qu’il s’agisse des pouvoirs publics en général, des États et des cadres internationaux, ou même des élus locaux, dont une partie croissante des sociétés locales se défie. Ce désir d’autonomie est alors moins celui de la soustraction, du retrait du monde, que celui de la capacitation, la conquête de capacités d’action individuelle et collective. « Or, le principal obstacle à cette conquête n’est pas dans la technicité des solutions à entreprendre, que les acteurs qui s’autonomisent maîtrisent de plus en plus. Il est dans la difficulté de coordonner les actes des uns et des autres, à toutes les échelles d’autonomie, condition d’une efficacité globale à laquelle chacun veut désormais contribuer. C’est là qu’une politique d’aménagement du territoire retrouve toutes ses raisons d’être, à l’opposé de la promesse d’autonomie-retrait du “développement bocal”. Une politique d’aménagement du territoire répondant au désir d’autonomie-capacitation d’un nombre croissant d’acteurs, les uns très territorialisés, les autres plutôt organisés en réseau, ferait de la scalabité, c’est-à-dire de l’aptitude à articuler les échelles, un des mots-clés de son vocabulaire et de ses objectifs. » Source : « Un autre vocabulaire pour repenser l’aménagement du territoire », in S. Cordobès, X. Desjardins, M. Vanier (dir.), Repenser l’aménagement du territoire , Paris, Berger-Levrault, 2020, p. 234–235.

Dans les discours sur l’autonomie énergétique ou sur l’autonomie alimentaire, on privilégie souvent « l’autonomie-soustraction », celle qui consiste à « sortir du système ». Ce registre est plutôt en phase avec une certaine vision de la recomposition territoriale, qui aspire à un rapport plus étroit avec une forme de nature et à une sociabilité plus communautaire autant d’ingrédients de « la revanche des villages » telle que décrite par Éric Charmes (2019).

Ainsi, des fractions de sociétés des pays industriels développés comme la France aspirent à construire des collectifs alternatifs, dans une conception ascétique et frugale de la transition : renoncement à la part superfétatoire de la consommation, renoncement à la mobilité de longue portée, renoncement à la course à la technologie, etc. Cet idéal de communautés écologiques restreintes et de préférence introverties, qui organisent des interdépendances d’échelles multifamiliales, a toujours existé. Il fascine et entretient, au-delà des groupes qui font réellement ces choix, le fantasme de l’hyper-local comme solution primitive à tous les problèmes collectifs. Pour vivre heureux, vivons local ! La transition écologique a probablement ouvert une nouvelle étape de cette histoire, qui, par définition, ne peut concerner que des très petits groupes dans des territoires de faible densité.

Pourtant, loin du culte du local écologique frugal, la transition écologique appelle, pour l’immense majorité des situations socio-spatiales, une métapolitique des circulations, des échanges et des cycles concernant les ressources et ce qui est produit à partir d’elles, pour des usages écologiquement soutenables. Elle est inévitable dans la perspective certaine d’une planète de 10 à 12 milliards d’habitants d’ici la fin du siècle (70 à 75 millions d’habitants en France). Son enjeu est la pérennisation et la régénération des ressources finies par une intelligence des interdépendances qui ne se résume pas au rétrécissement d’échelle. Cela vaut pour l’eau, pour l’énergie, pour la biodiversité, pour la chaîne alimentaire, pour les matières premières et leurs familles de produits dérivés, et plus fondamentalement pour les cycles essentiels à la vie : le carbone, l’azote, le phosphore, et d’autres dont on prend conscience par les dérèglements anthropiques majeurs qui les touchent. C’est le piège de la pensée localiste que de laisser entendre que le local serait l’échelle de la justice environnementale.

Encadré 11 Mouans-Sartoux, un village gaulois écolo sur la Côte d’Azur Ville d’un peu moins de 10 000 habitants située entre Grasse et Cannes, Mouans-Sartoux fait, depuis presque quarante ans, figure d’exception au sein des Alpes-Maritimes. Dans un département fortement ancré à droite et qui a longtemps fait peu de cas du développement durable, elle s’est en effet imposée comme un laboratoire de l’écologie politique et de l’économie locale et circulaire. Élu maire en 1975 sur la base de son opposition à un projet d’urbanisation de terres agricoles, André Aschieri a été réélu sept fois consécutivement (sous l’étiquette écologiste depuis 1995), avant de passer la main à son fils en 2015. Refusant la tutelle des grands groupes de services urbains, il a généralisé le recours à la régie municipale pour le traitement et la distribution de l’eau, l’assainissement, les transports scolaires, les pompes funèbres et finalement la cantine, directement alimentée par une exploitation bio de quatre hectares. Dès les années 1980, le plan d’occupation des sols, élaboré avec l’aide d’universitaires niçois, préserve les espaces naturels les plus remarquables. La commune parvient ensuite à acquérir une vingtaine d’hectares et y renforce la biodiversité. Le maire a également obtenu la réouverture de la ligne TER de l’arrière-pays de Cannes et des arrêts réguliers à Mouans-Sartoux. À proximité de la gare réhabilitée ont été construits des logements sociaux et des équipements publics (deux gymnases, un stade, un cinéma-médiathèque), dans une optique de mixité sociale et fonctionnelle, mais aussi d’autosuffisance de la commune. Si ces initiatives suscitent la curiosité de délégations venues de toute l’Europe, elles contribuent surtout à faciliter l’obtention de financements publics et à attirer de nouveaux habitants, qui s’installent à Mouans-Sartoux pour y développer des projets inspirés par les valeurs locales (épicerie équitable, jardins partagés, etc.). Au-delà des critiques sur un certain « népotisme municipal », les limites de l’expérience mouansoise tiennent surtout à l’isolement du village au sein d’un environnement confronté à une urbanisation rapide et à d’importants besoins en logements, mais aussi inséré dans un système de flux intenses : les pistes cyclables qui s’arrêtent aux limites de la commune, la rue principale en permanence embouteillée par le transit routier, l’appétit des promoteurs, la difficile intégration du système de régie au sein de l’intercommunalité sont autant de signes des conflits d’usages et d’échelles entre le « village gaulois » et ses voisins.

2. L’action publique et la question territoriale : Épuisement et perte de sens

Au regard de ces bouleversements en profondeur de la question territoriale, l’action publique s’est montrée incapable d’effectuer son aggiornamento. Alors que l’État a renoncé de facto à élaborer toute vision d’ensemble au profit d’actions catégorielles, le projet modernisateur de la décentralisation s’est transformé, dans une indifférence quasi générale, en une interminable série d’agencements institutionnels, suscitant incompréhension et défiance.

Seul le bloc local (communes et intercommunalités) a partiellement échappé à cette remise en question, en lien avec les attentes des Français en matière de proximité. Il n’en est pas moins concerné par les exigences de transformation posées par l’émergence d’une société d’interdépendances.

2.1. L’État : la fuite en avant catÉgorielle

La conjugaison de la fin des Trente Glorieuses, de la crise industrielle et la décentralisation a conduit l’État à abandonner son ambition d’aménagement global du territoire . Deux logiques s’y sont substituées : d’une part, une injonction généralisée au développement local, adossée à un renforcement de la capacité de projet des collectivités territoriales ; d’autre part, des politiques spécifiques aux territoires les plus fragiles (les banlieues, les campagnes, les montagnes), fondées sur des dispositifs de « discrimination positive spatiale » et destinées à garantir une certaine égalité territoriale.

Ces deux démarches se fondent sur le même triptyque : (1) la définition d’un périmètre d’action; (2) l’allocation de crédits spécifiques ; (3) une contractualisation entre l’État et les collectivités. Elles ont amplement montré la capacité opérationnelle de l’État à forger et à mener de grandes politiques sectorielles, à l’image des programmes de rénovation urbaine portés par l’ANRU. Au-delà des nombreux débats portant sur leur bilan, elles se heurtent toutefois à plusieurs limites.

D’un côté, l’exercice du zonage est un art difficile, sinon impossible.

Encadré 12 Le zonage, insubmersible et inefficace De la Prime au développement régional (PDR) et la Prime à l’aménagement du territoire (PAT) des années 1970 jusqu’aux Zones de revitalisation rurale (ZRR), en passant par les Zones d’éducation prioritaire (ZEP), Zones urbaines sensibles (ZUS) ou Zones franches (ZFU) de la politique de la ville, le zonage s’est imposé comme le couteau suisse de l’État pour lutter contre les inégalités territoriales. Cette approche se heurte toutefois à plusieurs écueils.(1) La catégorie : ciblage ou saupoudrage ? La première critique tient à sa difficile mise en œuvre en tant que dispositif de priorisation politique. L’éducation prioritaire ou la politique de la ville en ont amplement fait la démonstration. Le zonage est une valse à trois temps : on priorise, puis on élargit la catégorie et enfin on resserre le dispositif en créant une catégorie nouvelle qui se superpose à la précédente.(2) Le périmètre : effet de levier ou stigmatisation ? La deuxième difficulté tient au tracé des zones : est-il vraiment possible d’objectiver les « handicaps » dont souffre tel ou tel territoire et de différencier nettement ceux qui vont mal de ceux qui vont mieux ? À titre d’exemple, quels sont les critères pertinents pour identifier les ZRR alors que la reprise démographique touche désormais une large partie des territoires ruraux ? Par ailleurs, à quelle échelle doit-on appréhender les fragilités ? Et le périmétrage ne conduit-il pas au moins autant à stigmatiser qu’à aider les territoires ainsi désignés ?(3) La remise à niveau : addition ou substitution ? Enfin, quelles que soient les politiques considérées (éducation, politique de la ville, emploi), aucune évaluation n’a été en capacité de mesurer la réalité et les effets des moyens additionnels alloués aux territoires. Le plus souvent, la logique de dérogation exceptionnelle produit plutôt un effet de retrait du droit commun et de donc de substitution.

Faute de pouvoir justifier la concentration de ses interventions selon une géographie plus prioritaire qu’une autre (les campagnes plutôt que les banlieues ?), l’État s’est engagé dans une fuite en avant catégorielle : alors que la politique de la ville a été étendue à de petites centralités rurales (Auch, Guéret), les villes moyennes ont fait l’objet d’un dispositif spécifique, Action cœur de ville, lui-même prolongé par un plan Petites villes de demain, tandis que les contrats de ruralité seront bientôt complétés par un plan ruralités-montagne !

Encadré 13 Quand l’espace du problème n’est pas celui de sa solution :l’exemple du programme Action cœur de ville En dépit d’un affichage mettant en valeur les coopérations territoriales, la gouvernance du programme Action cœur de ville est d’abord et avant tout municipale : si l’intercommunalité est associée, à des degrés très divers selon les cas, c’est le maire de la ville-centre qui préside le comité de projet et pilote la réalisation des actions. Ce choix s’explique principalement par la volonté du gouvernement de rétablir des relations directes – et plus cordiales – avec les élus de proximité. Mais il renvoie aussi plus largement au modèle historique de l’action territoriale en France, au sein duquel chaque collectivité se comporte comme un État-nation en modèle réduit, cherchant à la fois à faire communauté et à déployer une action globale.L’écueil est que les causes de la dévitalisation des cœurs des villes moyennes sont à la fois multiples et multiscalaires. L’une des principales d’entre elles est l’exacerbation des concurrences (fiscales, résidentielles et bien sûr commerciales, incarnées par l’extension continue des grandes surfaces) entre centres et périphéries au sein des aires urbaines. Or, comme son nom l’indique, Action cœur de ville ne prévoit ni dispositif ni outil spécifique pour agir sur ces dynamiques à une échelle large. Les maires, même les plus volontaristes, ont dû engager – avec un succès inégal – de difficiles négociations avec leurs collègues des intercommunalités, qui envisagent souvent avec réticence toute idée de limite ou de contrainte. À Saint-Brieuc, une bataille juridique s’est même engagée entre la ville, soucieuse de préserver ses boutiques de prêt-à-porter, et la communauté d’agglomération, favorable à l’implantation d’une grande chaîne dans une commune limitrophe [15] .Mais bien d’autres acteurs, publics (La Poste, SNCF) ou privés (promoteurs, groupes de la grande distribution, exploitants de cinémas), ne jouent pas toujours le jeu du plan. En témoignent les nombreuses résistances aux projets de moratoire pour suspendre le développement des centres commerciaux de périphérie, comme à Bourges et Châteauroux, et la grande difficulté à infléchir les décisions, très libérales, des commissions départementales d’aménagement commercial.Plus largement, c’est toute l’approche en termes de projet de territoire, dans ses dimensions stratégiques et réglementaires, qui semble ignorée. Comment un programme de renforcement des centres peut-il faire l’économie d’une réflexion plus globale sur le rôle des villes moyennes vis-à-vis de leur hinterland, sur l’évolution des mobilités au sein de leur bassin de vie, sur la politique foncière à mener dans leurs franges périurbaines ? Une nouvelle fois, les politiques territorialisées semblent confondre l’espace du problème (le cœur de ville) avec celui de sa solution (l’agglomération et ses franges, sinon toute l’aire de chalandise).

D’un autre côté, les engagements techniques et financiers sont subordonnés à des prescriptions standardisées sur les modalités d’action, niant de facto les particularismes de chaque territoire et pouvant donner lieu à des effets contre-productifs, voire à des non-sens (telle l’injonction à la diversification résidentielle dans des marchés immobiliers non tendus).

Ainsi, plus la liste des territoires s’allonge, plus les interventions de l’État central, de l’État déconcentré et des collectivités se superposent sans réelle valeur ajoutée financière, technique ou politique – quand elles ne sont pas source de contradictions ou de conflits !

Face à cette perte de sens généralisée, certains élus et experts souhaitent le retour d’une véritable politique d’aménagement du territoire. Mais quel est le crédit d’une telle proposition ? Non seulement l’État n’a plus les moyens de mener une politique globale, mais ses leviers historiques (infrastructures, équipements) ne seraient plus pertinents. Plus profondément, après quarante ans de décentralisation, l’État est-il encore légitime à imposer un ordre territorial octroyant à chacun sa place, comme il le faisait dans les années 1960 ?

Et s’il fallait considérer que l’État n’est plus véritablement en mesure de mettre en œuvre des politiques territorialisées ?Et s’il fallait recentrer son action sur les enjeux de solidarité nationale par le biais de la redistribution financière et de politiques sectorielles ciblées (éducation, logement, santé) – charge aux acteurs territoriaux de les agencer ?

2.2. La dÉcentralisation : de la promesse moderniste au « taylorisme institutionnel »

Dans les années 1960 et 1970, la décentralisation incarnait une promesse politique : reconnaître la réalité d’une société encore largement organisée sur une base locale. La situation a radicalement changé à partir des années 1990. La décentralisation ne constitue plus un enjeu de société mais devient une affaire de répartition de compétences entre institutions politiques, d’une part, d’ergonomie et de rationalité administratives, d’autre part.

Dans cette double perspective, la décentralisation a été conçue selon un principe de « taylorisme territorial », c’est-à-dire de spécialisation des compétences selon les échelons administratifs. Ce principe est à la fois dépassé, inefficace et contre-productif d’un point de vue politique. En effet, l’action collective mobilise désormais une pluralité de champs d’intervention selon des combinaisons variables d’acteurs.

Encadré 14 Des compétences aux prestations : le développement économique La spécialisation des compétences est présentée comme un principe garantissant la rationalisation et la lisibilité de l’action publique. Il n’en est rien. Ainsi, en 2015, les débats parlementaires relatifs à la loi NOTRe ont bien montré qu’il était impossible de confier les compétences en matière de développement économique à un seul acteur territorial. Les régions et les agglomérations sont apparues autant légitimes à assurer cette fonction. On a donc confié aux unes (les régions) la responsabilité de l’animation économique (structuration des filières, aides aux entreprises) et aux autres (les agglomérations) la gestion des zones d’activités et de l’immobilier d’entreprises.Autrement dit, on a spécialisé les prestations (les aides) davantage que les compétences, de telle sorte que la conception et la mise en œuvre d’une politique territoriale de développement économique est encore davantage une affaire de coopération entre collectivités !

Cette évolution ne pourra que se renforcer au regard des enjeux systémiques de préservation des ressources environnementales. Par ailleurs, l’attribution fixe à chaque niveau territorial de niches sectorielles a contribué à « techniciser » l’action publique décentralisée, au prix d’une déresponsabilisation, voire d’une infantilisation des élus locaux. En témoigne la forme de schizophrénie qu’ils vivent quotidiennement, en tentant de concilier leur mandat politique (gérer et s’occuper de leur territoire d’élection) et leurs prérogatives réglementaires, cantonnées à tel ou tel champ sectoriel.

La loi NOTRe [16] est allée au bout de cette logique de « jardin à la française », en supprimant la clause de compétence générale pour tous les échelons, à l’exception des communes, dont environ 25 000 ont moins de 1 000 habitants et détiennent une capacité d’agir très modeste. Si cette suppression visait à limiter les initiatives superfétatoires et les dépenses inutiles, elle a aussi eu pour conséquence d’affaiblir davantage les échelons intermédiaires (régions et départements), structurellement pris en tenailles entre l’État et le local. Ainsi, la loi a fragmenté plus encore l’action publique territoriale, au risque, de l’aveu même de ceux qui la mettent en œuvre, de la rendre totalement incompréhensible et ingérable .

Encadré 15 Les concurrences territoriales : l’exemple du tourisme dans le Pas-de-Calais Le développement touristique fait partie des compétences que chaque échelon administratif prétend revendiquer au nom de l’attractivité territoriale et de l’emploi. Dans le seul département du Pas-de-Calais, il est porté par plusieurs dizaines d’organismes – certains spécialisés, d’autres plus généralistes – dont les interventions se complètent et/ou se concurrencent.▪ À l’échelle régionale, le Comité régional du tourisme et des congrès des Hauts-de-France est chargé de mettre en œuvre la politique globale d’attractivité et de rayonnement et de développer une marque de territoire forte et mobilisatrice.▪ À l’échelle départementale, l’Agence de développement et de réservation touristiques du Pas-de-Calais est le bras armé du département pour la mise en œuvre de sa politique touristique. Cette même agence pilote la mission Louvre-Lens Tourisme, issue d’un contrat de destination touristique signé entre l’État et les collectivités territoriales.▪ À l’échelle locale, le département compte une quinzaine d’offices de tourisme intercommunaux, une vingtaine de bureaux d’information touristique et quatre Villes et Pays d’art et d’histoire.Cette superposition est un frein à la constitution d’une offre touristique intégrée, alors que les parcours des visiteurs dépassent les périmètres administratifs – comme en témoigne, par exemple, la récurrence des visites combinées entre Lille et le Louvre-Lens – et que les pratiques touristiques sont bouleversées en profondeur par l’économie numérique, de l’émergence d’Airbnb à TripAdvisor en passant par le rôle des « influenceurs » et la tendance au city trip .

La dramatique crise sanitaire de 2020 a offert un exemple frappant de ces dysfonctionnements : après la gestion erratique de l’approvisionnement en masques, les plans de relance s’empilent et induisent de la complication [17] .

Encadré 16 La guerre des masques La survenue du premier pic épidémique de la Covid-19 en métropole, en mars 2020, a donné lieu, de manière inédite en Europe, à une grande « pagaille territoriale ». Alors que les hôpitaux sont saturés et que les matériels de tous ordres manquent, François Baroin, président de l’Association des maires de France, s’empresse de dénoncer « l’absence de vélocité et d’adaptation de l’État, sa bureaucratisation et sa centralisation [18]  ». Au gré de la progression rapide des contaminations et des décès, les critiques se font plus virulentes : manque de transparence dans l’information sanitaire (notamment de la part des Agences régionales de santé), procédures technocratiques, absence de coordination avec les acteurs « de terrain ».Pourtant, dans le même temps, presque tous les élus, à l’instar d’Anne Hidalgo, maire de Paris, demandent un « commandement fort à l’échelle de l’État » et approuvent les transferts de malades d’une région à l’autre – pratique inenvisageable dans les pays fédéraux ou en cours de fédéralisation, comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. Par ailleurs, la pagaille a souvent été organisée par les collectivités elles-mêmes, comme en témoigne la véritable « guerre des masques » à laquelle elles se sont livrées. En effet, un décret paru le 21 mars leur permet d’organiser leurs propres importations et distributions. Régions, départements, intercommunalités, communes se lancent alors, le plus souvent sans la moindre concertation (ni vérification de la fiabilité des vendeurs), dans des commandes qui tournent rapidement à la surenchère, sur fond de concurrences territoriales ou d’opérations de communication. À Nice, Christian Estrosi promet « deux masques à chaque habitant » sur la base de son « réseau de relations à l’international et dans le monde scientifique [19]  » ! Quant au président de la région Normandie, Hervé Morin, il assure tout simplement avoir « pris tout ce qu’il a pu trouver [20]  » ! Quitte à grever lourdement le budget régional et les montants alloués aux aides aux entreprises.Au mois d’avril, la confusion devient totale : certains maires rendent les masques obligatoires dans leurs communes et d’autres non, des préfets réquisitionnent plusieurs commandes destinées aux régions et aux départements, tandis que le président d’Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, annonce une campagne de dépistage massive dans les Ehpad [21] , un domaine dans lequel il n’a ni compétences ni moyens. Si l’aplatissement de la courbe épidémique en mai a permis d’apaiser les tensions et de rationnaliser l’effort sanitaire, la Covid-19 aura bien fait une victime collatérale : l’illusion du pré-carré administratif à la française.

Dans ce contexte, l’enjeu n’est pas celui d’un énième acte d’approfondissement de la décentralisation, mais d’un changement de paradigme au service d’une refondation.

Et s’il fallait renoncer au principe de spécialisation des compétences normées par le législateur et organiser des combinaisons de responsabilités et des coopérations entre acteurs territoriaux ?

2.3. Le bloc local : les impasses de la proximitÉ

Au regard de l’épuisement des interventions territoriales de l’État et des impasses de la décentralisation, le niveau local est souvent présenté comme le garant de la proximité et de la crédibilité politique. De fait, les sondages d’opinion plébiscitent la figure du maire. Mais n’est-ce pas une illusion d’optique ?

La France a organisé ses pouvoirs locaux comme pendant territorial du jacobinisme étatique. Ce modèle se caractérise par la superposition, sur un périmètre donné, d’une communauté sociale et d’un pouvoir politique pratiquement complet. Il associe le vieil héritage communautaire paroissial avec l’organisation d’un État-nation en modèle réduit. De façon quasi unique en Europe, le maire y agrège tous les pouvoirs en tant que représentant de l’État, président de l’instance délibérative et patron des services techniques municipaux.

Ce modèle holiste est en crise. Dans une société mobile, le périmètre municipal ne fait plus mécaniquement communauté. Bien au contraire, il brasse et agrège habitants et usagers, passants et sédentaires, résidents de nuit et actifs de jour. Cette complexification induit une dissociation de statuts (citoyens, contribuables, usagers) qui, dans l’imaginaire collectif, s’agrégeaient autour de la figure de l’habitant et structuraient la relation de l’élu à la société locale.

À cette évolution répond en écho le malaise des maires, qui s’est exprimé sous de multiples formes au cours des trois dernières années. Une explication de cette crise réside dans la tension croissante entre, d’un côté, la forte pression, tournant parfois au consumérisme, à laquelle ces élus sont soumis et, de l’autre, la diminution de leur capacité d’agir induite par la réduction des dotations et par la montée en puissance de l’intercommunalité. En effet, contrairement à l’image produite par l’exercice imposé des programmes électoraux, l’heure n’est plus vraiment aux « maires bâtisseurs » évalués à leur nombre d’inaugurations. Les fonctions de médiation, d’animation du vivre-ensemble, d’accompagnement des plus fragiles, mais aussi de construction de coopérations territoriales, deviennent centrales.

Encadré 17 Sancerre : coopérer pour revitaliser le territoire En 2017, la commune de Sancerre (Cher, 1 400 habitants) est retenue, avec seize autres, au titre de l’expérimentation Dauge, pendant du plan Action cœur de ville pour les petites villes patrimoniales. Le dispositif ouvre droit à des aides financières destinées à la réalisation d’études (cofinancement par l’État jusqu’à 40 %), au renforcement de l’ingénierie (à Sancerre, recrutement d’un chargé de mission dédié dont la moitié du salaire est prise en charge par la région Centre-Val de Loire) et à la préfiguration d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) et d’un classement en site patrimonial remarquable (SPR).La ville élargit rapidement ses réflexions sur l’avenir de sa centralité à d’autres thèmes et partenaires. La communauté de communes Pays Fort-Sancerrois-Val de Loire appuie la démarche en lançant la réalisation d’un plan local d’urbanisme intercommunal, qui permet la mutualisation de certaines études ; elle s’engage ensuite dans une opération de revitalisation de territoire (ORT : voir référence 9).Les services de l’État dans le Cher, mais aussi l’équipe du Pays Sancerre Sologne (créé en 1996 et toujours actif), sont mobilisés en appui de ces démarches, qui permettent d’élargir la focale des problématiques et des réponses à apporter : il s’agit désormais de « renforcer l’attractivité du territoire, en particulier de Sancerre, sa porte d’entrée, et de construire une stratégie au bénéfice de l’ensemble des communes du bassin de vie » (Régine Leduc, secrétaire générale de la préfecture du Cher).En février 2020, un « comité de bassin de vie » est mis en place entre les communautés de communes limitrophes Pays Fort-Sancerrois-Val de Loire, dans le Cher (région Centre), et Cœur de Loire, dans la Nièvre (région Bourgogne). L’idée est née à la suite de l’annonce de la fermeture de plusieurs services de la clinique de Cosne-sur-Loire (Nièvre), unique structure hospitalière généraliste desservant un territoire rural de près de 80 000 habitants. Le comité est composé de cinq élus de la CDC Pays Fort- Sancerrois-Val de Loire, de cinq élus de Cœur de Loire, ainsi que de dix représentants de la société civile et du maire de Saint-Amand-en-Puisaye (Nièvre). Ces membres ont été proposés par chaque collectivité ; leur participation se fait sur la base du volontariat et du bénévolat. « Il est temps de s’affranchir des limites administratives, explique Laurent Pabiot, maire de Sancerre. Il n’y a pas d’octroi, pas de péage entre les deux rives de la Loire ! Il est indispensable de discuter de ce qui est fait de chaque côté, sur nos deux territoires, autour de sujets qui nous concernent toutes et tous [22] . »Finalement, à partir d’une problématique localisée à l’échelle communale s’est déployée une prise de conscience et une mise en projet impliquant la quasi-totalité des acteurs intervenant sur le territoire (État central et déconcentré, région, département, pays, intercommunalités, communes).

Toutefois, le malaise semble plus profond : lorsque les habitants perdent leurs repères territoriaux, les élus locaux, par contrecoup, ne savent plus qui ils représentent.

Encadré 18 Qui représente un maire du Grand Paris ? Chaque année, un ménage francilien sur dix en moyenne déménage. Deux tiers de ces déménagements impliquent un changement de commune. Sur la durée d’un mandat municipal, c’est donc environ 40 % de la population municipale qui est renouvelée, installant une forme de cohabitation entre mobiles et sédentaires. Par ailleurs, sans compter les touristes, 215 communes, sur les 412 de l’unité urbaine de Paris, accueillent pendant la journée une population « présente » au moins équivalente au nombre de résidents (qui y dorment, eux, la nuit).Quel est l’impact de ces évolutions sur la vie locale ? Comment sont représentés les passants, ces « citoyens en CDD » qui n’auront le temps ni de désigner ni d’évaluer leurs élus communaux ? De quels intérêts le maire est-il responsable et porteur ? Des présents le jour ou seulement des habitants… la nuit ?

Les services, les équipements et les aménagements produits tout au long du mandat ne sont plus destinés, utilisés et payés exclusivement par le citoyen-électeur, figure constitutive de la démocratie représentative locale. Aussi, la proximité ne signifie pas mécaniquement identité collective et intérêt partagé. Pour qui dois-je agir ? Comment arbitrer entre des intérêts toujours plus divers sinon divergents ? Ces questions participent de la crise de la représentation locale tout autant, si ce n’est davantage, que la réduction des capacités d’agir des élus communaux.

Et s’il fallait reconnaitre les élus locaux moins sur la base de leurs compétences qu’au titre de leur capacité à « faire territoire » ?S’il fallait retrouver aussi bien des formes d’enracinement collectif que des modes d’organisation communautaire sur une base territoriale ?

3. Refonder la dÉcentralisation

À l’aune des constats établis précédemment, l’objectif de ce rapport n’est pas d’encourager un nouvel approfondissement de la décentralisation par le biais d’un hypothétique « acte IV », mais plutôt de proposer une véritable rupture vers un « âge II ». Après quarante ans de rivalités entre échelons institutionnels, régulées de manière illusoire par une spécialisation des compétences, n’est-il pas temps de reconnaître que les territoires et la société n’y trouvent plus leur compte ? Et de prendre acte que la décentralisation n’est pas à l’écart de la désaffection démocratique mais qu’elle y participe ?

Nous proposons donc de refonder le projet décentralisateur sur la base de deux logiques :

(1) sa politisation , en donnant aux collectivités territoriales une capacité effective d’agir globalement sur la complexité des enjeux sociaux, économiques et environnementaux auxquels elles sont confrontées ;

(2) sa démocratisation , en ouvrant les fonctions politiques des élus sur la société, notamment au sein du bloc local.

3.1. Politiser la dÉcentralisation

Il s’agit, dans un premier temps, de favoriser une intégration globale de l’action publique locale, garante à la fois de sa simplification, de sa lisibilité et de son appropriation politique.

PROPOSITIONS Répondre à l’impasse du partage des compétences en distinguant deux blocs n° 1 Organiser deux blocs de collectivités : le bloc de niveau intermédiaire (départements et régions) et le bloc local (communes et intercommunalités).• n° 2 Supprimer toutes les règles nationales de partage des compétences au sein de ces blocs, condition indispensable à la différenciation effective des politiques territoriales.• n° 3 Synchroniser les mandats régionaux, départementaux et locaux et rendre obligatoire au début de chacun d’entre eux la définition d’un « contrat de territoire » programmatique, établissant pour une durée limitée, en fonction des projets à l’agenda politique, le partage des rôles entre collectivités. L’État et ses agences pourront être associés à l’élaboration de ce programme, pour y contribuer. Référence 1 Les conseillers territoriaux communs aux régions et départements La loi de réforme territoriale de 2010 avait créé un nouveau type d’élu local : le conseiller territorial. Siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional, il devait être élu pour six ans au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, dans le cadre de cantons redécoupés. Le conseiller territorial préfigurait ainsi, sur le registre politique, le rapprochement entre les échelons du bloc intermédiaire (régions et départements) que le redécoupage régional a accéléré sur le registre fonctionnel. Abrogée par l’Assemblée nationale sur la proposition du gouvernement de Jean-Marc Ayrault dès juillet 2012, cette proposition n’a jamais été mise en œuvre. Référence 2 La Conférence territoriale de l’action publique et l’expérience du Breizh 16 En 2014, la loi MAPTAM [23] a créé dans chaque région une Conférence territoriale de l’action publique (CTAP). Cette instance est chargée de discuter, débattre et rendre des avis sur tous les sujets relatifs à la conduite de politiques publiques nécessitant une coordination ou une délégation de compétences entre les collectivités territoriales et leurs groupements. Par ailleurs, des conventions territoriales peuvent être élaborées par les collectivités pour déterminer les modalités d’exercice et de partage des compétences pour lesquelles elles sont chefs de file. Autrement dit, avec ces deux dispositifs, la loi – à l’initiative de la ministre Marylise Lebranchu – avait imaginé le contrepied à la logique de spécialisation des compétences : un cadre pour fabriquer des agencements coopératifs.Organisées avec un très grand formalisme (composition, fonctionnement, calendrier), les CTAP ont été toutefois marginalisées par les régions et n’ont pas joué le rôle attendu. Pourtant, cette proposition s’adossait à une expérience plutôt réussie, celle du Breizh 16, dit « B16 », qui réunit 11 agglomérations (Rennes, Brest, Quimper, Lorient, Vannes, etc.), la région Bretagne, et les 4 conseils généraux. Au sein de cette instance, les principaux élus bretons se coordonnent sur leurs grands projets et construisent des positions communes envers l’État.En décembre 2019, une convention territoriale d’exercice concerté des compétences insertion-emploi-formation a été établie entre la région, les départements et les deux métropoles. Ce document définit un programme d’actions et explicite les rôles respectifs de chaque collectivité dans sa mise en œuvre. Référence 3 Les pactes de gouvernance Au-delà des exercices imposés par la loi (comme le plan pluriannuel d’investissement), de nombreux EPCI s’engagent dans des démarches collectives de préparation et de cadrage de l’exercice de leurs compétences et de leurs moyens. Celles-ci se justifient d’autant plus que les dernières réformes ont conduit à l’augmentation de la taille moyenne des intercommunalités (de 11 communes en 1993 à 29 en 2020) et au renforcement de leurs prérogatives.Institués par la loi Engagement et proximité de décembre 2019 (mais non obligatoires), les pactes de gouvernance visent à identifier les différentes instances de gouvernance de l’intercommunalité et à préciser leur articulation ; à clarifier les rôles respectifs des communes et de la communauté ; à établir un pacte financier. Ils offrent ainsi l’opportunité de construire collectivement les modalités de gouvernance qui permettront l’élaboration, le financement et la mise en œuvre des projets intercommunaux.Les pactes apparaissent particulièrement utiles lorsque l’intercommunalité franchit une nouvelle étape : fusion, transfert de compétences, changement de statut, etc. Dans leur dernier ouvrage, La République des territoires , André Rossinot, Philippe Estèbe et Pierre Stussi (2020) proposent un document plus ambitieux encore, le « contrat de vie de territoire », pendant à l’échelle locale du contrat régional et fondé selon les principes suivants : identification par les acteurs publics des principaux enjeux en début de mandat ; co-construction avec les habitants ; mise en œuvre d’une chaîne d’actions en conséquence ; évaluations régulières. Source : AdCF (2019)

3.2. DÉmocratiser la dÉcentralisation

Depuis les lois de décentralisation et contrairement aux apparences, les pouvoirs sont encore plus concentrés à l’échelle communale qu’à celle de l’État. La montée en puissance des intercommunalités, à partir des années 1990, n’a guère changé la situation puisque c’est le double principe de spécialisation/transfert de compétences qui a prévalu, aussi bien dans leur constitution que dans leur fonctionnement.

À la suite de leur élargissement en 2015 (en moyenne plusieurs dizaines de communes), les intercommunalités fonctionnent désormais moins comme des « clubs de maires » (Desage et Guéranger, 2011) que comme des «  syndicats de communes ». Les conséquences de cette évolution sont paradoxales : la recherche permanente du compromis s’accompagne d’un sentiment de dépossession des élus municipaux.

Dans ces conditions, nous proposons de déployer l’objectif de démocratisation du bloc local dans trois perspectives : (1) organiser le partage des responsabilités politiques ; (2) distinguer les mandats électifs communaux et intercommunaux ; (3) affirmer la fonction d’interface avec la société locale des élus municipaux.

PROPOSITIONS Différencier le fonctionnement politique du bloc local n° 4 Différencier les responsabilités politiques de la commune de celles de l’intercommunalité La commune : la responsabilité des liens sociaux ▫ Mettre les fonctions de délibération collective, d’animation de la vie sociale et d’organisation du dialogue citoyen au cœur du pouvoir communal. ▫ Recentrer la légitimité du maire sur son rôle de facilitateur du « pouvoir d’agir » citoyen. L’intercommunalité : la responsabilité des liens territoriaux ▫ Ériger les intercommunalités en collectivités de plein exercice et leur confier un rôle d’« autorité organisatrice » de l’action collective locale.▫ Encourager un transfert généralisé des compétences sectorielles à l’intercommunalité et leur confier un rôle d’« ensemblier » des politiques publiques. ▫ Multiplier les coopérations à géométrie variable en fonction des enjeux à traiter et des interdépendances à organiser (mobilité, logement, environnement), à la fois en interne (entre les communes) et en externe (avec d’autres EPCI).• n° 5 Différencier les deux registres de la légitimité intercommunale ▫ Organiser la gouvernance intercommunale en différenciant un organe exécutif en charge du pilotage des politiques communautaires d’un organe délibératif – avec des membres issus des conseils municipaux – assurant la « prise de terre » de ces politiques.• n° 6 Différencier les modalités et les fonctions électives des maires de celles des exécutifs intercommunaux ▫ Élire les exécutifs intercommunaux au suffrage universel direct.▫ Interdire, au terme d’une période transitoire de deux mandats, le cumul des fonctions de maire et de membre de l’exécutif intercommunal. Référence 4 La nouvelle communauté d’agglomération des Mauges Au début de l’année 2016, le pays des Mauges, dans le Maine-et-Loire, initie une démarche innovante de renouvellement des rapports entre communes et intercommunalités en milieu rural : 6 communes nouvelles, issues de la fusion de 64 communes, se regroupent pour créer une seule communauté d’agglomération, Mauges Communauté. Les intercommunalités d’hier sont devenues les communes d’aujourd’hui, tandis que la nouvelle intercommunalité a acquis une taille XXL (1 300 km² et 120 000 habitants). Les communes nouvelles sont chargées des services de proximité ; des mairies déléguées conservent un certain nombre de prérogatives de base (comme l’état civil ou la vie associative). La communauté assume, pour sa part, la responsabilité de la stratégie territoriale et le pilotage des politiques sectorielles (logement, transport, écoles, etc.).Parmi les objectifs poursuivis (et dans une large mesure atteints) : mutualiser les moyens et les ressources, afin de renforcer les capacités d’action publique ; répondre à la pénurie d’élus et d’ingénierie dans certaines communes ; peser davantage dans les négociations interterritoriales et dans la construction de coopérations stratégiques avec les territoires voisins, la région et l’État (« Nous, les petits, on n’a jamais été aussi bien représentés que depuis qu’on est en commune nouvelle », se félicite Didier Huchon, maire de la commune nouvelle de Sèvremoine).Encouragée par l’État par le biais d’incitations financières, cette démarche a été facilitée par plusieurs facteurs : la connaissance mutuelle des élus locaux ; un héritage géographique et culturel commun ; un habitat dispersé dans lequel les hameaux, plutôt que les communes, sont restés le socle de la vie sociale ; des convergences socioéconomiques. Elle repose toutefois sur un équilibre fragile, fondé à la fois sur la capacité des élus à s’accorder sur son intérêt et sur son degré d’appropriation par les équipes techniques et par les habitants. En tout état de cause, fusions et regroupements ne peuvent constituer des « baguettes magiques » au service de petites collectivités en quête de moyens ; elles ne fonctionnent que si elles s’appuient sur un travail préalable de diagnostic et d’examen des conditions techniques, politiques et économiques de la faisabilité et des objectifs du projet. Référence 5 La fonction politique des maires d’arrondissements à Paris, Lyon et Marseille Avec la loi PLM de 1982, les arrondissements de Paris (20 e ), Lyon (9 e ) et Marseille (16 e ) semblent réduits à la portion congrue en matière de prérogatives : privés de personnalité morale, dépourvus de budget propre, dotés de compétences secondaires (l’état civil et la gestion de quelques équipements), ils ne disposent que d’une fonction consultative au regard des projets que la commune déploie sur leur territoire. En réalité, la pratique prouve que les maires d’arrondissement jouent un rôle politique essentiel. Le système électoral en fait des personnes relais incontournables dans le cadre de la composition du conseil municipal. Par ailleurs et surtout, les maires d’arrondissement assurent l’interface avec la société civile et les associations. À Paris notamment, aucun projet ne peut se réaliser sans leur accord, et bon nombre ont été modifiés sous leur pression. Référence 6 Les deux instances de la collectivité de Corse Depuis le 1 er janvier 2018, la collectivité de Corse a intégré l’ancienne collectivité territoriale de Corse et les deux départements. Cette institution singulière présente plusieurs particularités à l’échelle nationale. En particulier, l’organe délibératif de la collectivité (l’assemblée de Corse, élue au suffrage universel direct tous les six ans et actuellement présidée par Jean-Louis Talamoni) est clairement dissocié de son organe exécutif (le conseil exécutif, composé d’un président, actuellement Gilles Simeoni, et de huit membres élus par l’assemblée), alors qu’ailleurs – à l’exception de la Martinique –, l’exécutif procède traditionnellement de l’assemblée. Il existe en outre un conseil économique, social et culturel de Corse, dont le rôle est consultatif. Référence 7 La conférence des maires En octobre 2019, le Sénat a étendu le projet initial du gouvernement en rendant obligatoire la création d’une conférence des maires dans les intercommunalités. Si, pour la Haute Assemblée, l’objectif était surtout de faciliter l’expression des maires des petites communes, localement ce type de structure s’était déjà développé un peu partout en France comme outil de gouvernance intercommunale. Le plus souvent, la conférence réunit, autour du président, les maires des communes membres de l’intercommunalité et les vice-présidents délégués. Ses fonctions sont consultatives, mais elle peut jouer dans certains territoires un rôle notable, notamment en matière de définition des orientations stratégiques de la politique intercommunale, de recherche de l’équilibre territorial, de partage des décisions et d’évaluation des politiques publiques.

4. Des lieux aux liens : repenser les rÔles de l’État et des collectivitÉs À l’aune de la cohÉsion et de la transition

Depuis quarante ans, l’action publique territoriale, nationale et décentralisée, a fabriqué une « politique des lieux ». Quel que soit l’échelon considéré, c’est l’intervention ciblée « point par point » qui prévaut, quitte à superposer et juxtaposer des générations de dispositifs, d’équipements, de services, parfois à quelques kilomètres de distance seulement. Cette logique localiste est inadaptée aux attentes contemporaines d’une société mobile et connectée. Elle est aussi et surtout dans l’incapacité de répondre aux deux grands mots d’ordre pour l’action publique face aux deux défis du siècle : celui de la cohésion sociale et territoriale et celui de la transition écologique.

D’un côté, il convient de prendre acte du fait qu’on ne peut plus prétendre réduire les écarts sociaux par d’énièmes dispositifs de priorisation spatiale. Face aux dynamiques complexes et évolutives de décrochage social ou territorial, il faut s’attacher à favoriser les coopérations entre les territoires, à organiser leurs échanges, à réguler les mobilités et les flux au sein d’eux et entre eux.

D’un autre côté, les démarches de transition écologique ne peuvent se dissoudre dans l’action locale : nul territoire ne peut être vertueux isolément ! En effet, une politique des interdépendances soutenables (cycles, échanges, circulations) conduit à arbitrer des compromis d’échelles entre bassins de ressources, fonctionnements éco-socio-systémiques et attentes de solidarité. Les logiques du vivant ne dictent aucun périmètre unique, parce que, pour elles aussi, les interdépendances sont multiscalaires. Pour amorcer la transition, il faut donc agir sur les interdépendances, qu’il s’agisse du mode de fonctionnement naturel des territoires (les écosystèmes de la biodiversité) ou des impératifs de maîtrise et de valorisation des ressources, entre territoires producteurs et consommateurs (cycle alimentaire, économie circulaire) ou entre ressources (mix énergétique, par exemple).

Mettre en œuvre des politiques de cohésion et de transition, tel que l’État l’ambitionne aujourd’hui et l’affiche dans l’intitulé même des portefeuilles ministériels [24] , impose de changer radicalement de perspective, de passer d’une politique des lieux à une politique des liens.

4.1. Du mimÉtisme État-local À la clarification des rÔles

La surenchère localiste entre l’État et les collectivités locales a entraîné une grande confusion des rôles des uns et des autres. Ainsi, pour répondre aux exigences de solidarité entre territoires, certaines collectivités ont mis en place des dispositifs complémentaires pour pallier les éventuelles insuffisances des interventions étatiques. Ces politiques compensatoires sont toutefois très limitées au regard des capacités redistributives de l’État : même dans une région aussi volontariste que la Bretagne, la part des dépenses consacrées à la péréquation territoriale représente moins de 3 % du budget régional [25]  ! Par ailleurs, si elles étaient systématisées à l’ensemble des régions, ces politiques se heurteraient aux fortes inégalités de l’assiette sur laquelle elles sont définies, la redistribution dépendant étroitement de la richesse des régions.

Déclinée à tous les échelons territoriaux jusqu’au bloc local, cette logique de péréquation manque de sens et de portée, alors que son efficacité se joue d’abord au niveau national. De même, l’exemple récent des SRADDET (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) montre que prétendre calquer le rôle des régions sur celui de l’État en matière d’encadrement de la transition écologique ne fonctionne pas [référence 8].

Enfin et surtout, cette confusion des rôles a été amplifiée par la multiplication tous azimuts des dispositifs contractuels entre l’État et les collectivités locales. Cette inflation contractuelle n’a pourtant pas permis une véritable interpellation stratégique entre l’État et les acteurs locaux. Le plus souvent, elle a entraîné des négociations a minima portant sur les moyens financiers de l’État et le financement des projets locaux. Par contrecoup, les dispositifs contractuels font aujourd’hui l’objet d’un affichage d’autant plus important qu’ils sont en réalité marginalisés [référence 9].

Ces impasses conduisent à proposer une clarification des interventions de l’État et des collectivités :

▪ d’un côté, un État garant de la solidarité « verticale » entre les territoires et de l’architecture des stratégies nationales de développement, de cohésion et de transition, à travers des programmes sectoriels nationaux, une fonction de redistribution financière et la responsabilité des services aux publics ;

▪ de l’autre côté, des collectivités pleinement en charge de la solidarisation « horizontale » des territoires, autour de dispositifs de coopération pour mettre en œuvre des politiques de cohésion et de transition.

Nous proposons donc de mettre un terme aux démarches contractuelles élaborées et pilotées par l’État avec l’ambition de structurer les politiques territoriales. Ainsi, la mise en œuvre des politiques de cohésion et de transition relèverait de la responsabilité des collectivités locales.

Il ne s’agit cependant pas de dessaisir l’État de toutes ses fonctions : il doit conserver et même renforcer sa capacité à accompagner les collectivités dans le cadre de programmes sectoriels ; il peut jouer un rôle structurant en matière d’incitation et de stimulation des coopérations territoriales.

PROPOSITIONS Distinguer les interventions territoriales de l’État de celles des collectivités n° 7 Mettre fin à la politique de la ville et aux contrats de plan État/région (CPER) ▫ Ce type de politiques territorialisées est en voie d’épuisement ; il convient d’y mettre un terme. ▫ Les collectivités doivent être chargées de la double responsabilité d’identifier les enjeux majeurs de leur territoire et d’y apporter des réponses en lien avec tous les acteurs concernés (y compris l’État), dans leur domaine de compétence.• n° 8 Conditionner tout financement d’État à une coopération entre territoires ▫ L’État doit jouer un rôle d’aiguillon et de soutien aux formes innovantes de coopérations qui, sans son intervention, auraient peu de chances de voir le jour.▫ Un duty to cooperate à la française, plus contraignant, peut être envisagé : la coopération territoriale deviendrait une condition nécessaire pour l’obtention de financements d’État dans le cadre des programmes sectoriels, mais aussi pour l’approbation des documents de planification par les services de l’État. Référence 8 La nouvelle planification régionale : la région peut-elle vraiment être prescriptive ? La création, par la loi NOTRe en 2015, de nouveaux « schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires » (SRADDET) visait à tirer parti de la réorganisation de la carte des régions pour donner à ces dernières une fonction de « chef de file » de l’aménagement du territoire. Il s’agissait ainsi de franchir une étape supplémentaire vers le « pouvoir réglementaire » régional, antienne des cercles modernisateurs français, fascinés par le modèle allemand. Cette ambition explique la principale innovation de la nouvelle planification régionale, dotée d’une capacité « prescriptive » (c’est-à-dire de formulation de règles). Cette disposition a toutefois été largement limitée par le débat parlementaire, afin de la rendre compatible avec le principe constitutionnel de non-tutelle d’une collectivité sur une autre : les règles régionales ne peuvent s’adosser à un zonage, ni cibler un document d’urbanisme particulier, ni induire des charges supplémentaires localement.Pourtant, les services de l’État espéraient de cet exercice qu’il vienne conforter et expliciter, par un arsenal nouveau de règles, des stratégies nationales par trop évasives, notamment en matière de transition environnementale. Las, les régions n’ont guère répondu à cette attente. D’un côté, elles ont reproduit à leur échelle les stratégies nationales en affichant une surenchère purement rhétorique sur les objectifs à atteindre : toutes les régions prétendent ainsi devenir des « Régions à énergie positive ». D’un autre côté, elles ont saisi l’opportunité de l’élaboration des SRADDET pour combiner incitation aux initiatives locales et animation de dispositifs de coopération entre territoires. Référence 9 De la politique de la ville aux CPER : des démarches contractuelles en voie d’épuisement « En tant que politique contractuelle de l’État, la politique de la ville a de fait pratiquement disparu [26] . » En 2018, les interventions de l’État au titre de cette politique se sont élevées à 322 millions d’euros. Mais ce montant intègre environ 63 millions d’euros consacrés au programme ciblé « Adultes relais » et presque autant pour le programme « Réussite éducative ». Une fois soustraits les crédits non territorialisés, ce sont donc seulement 162 millions d’euros qui ont été contractualisés – soit une moyenne de 373 000 euros par contrat de ville. Plus largement, malgré des ajustements récents, la politique de la ville a échoué à prendre en compte les trajectoires de vie des populations visées : elle « enferme dans des lieux au lieu d’accompagner des personnes » (Pierre Stussi).Le modèle des CPER, créé en 1982 sous l’impulsion de Michel Rocard, est lui aussi à bout de souffle : l’esprit initial de contrats régionaux au service d’une politique d’aménagement nationale a été détourné au profit d’une logique de programmes portant sur des « objets » spécifiques (infrastructures, équipements, filières industrielles), évolution entérinée en 2019 par l’« encapsulage » des crédits mobilités. Alors que les relations entre l’État et les régions se sont profondément transformées, ce modèle semble désormais obsolète. Référence 10 Les opérations de revitalisation de territoire : vers des programmes sectoriels ciblés ? Les ORT (Opérations de revitalisation de territoire) ont été créées par la loi Elan en 2018. Portées par les collectivités, faisant l’objet d’une convention avec l’État et éventuellement d’autres organismes et établissements publics ou parapublics, elles présentent plusieurs intérêts : (1) être dédiées à une problématique sectorielle précise (en l’occurrence, la dégradation de l’habitat et la vacance commerciale en centre-ville) ; (2) cibler des situations de « centralités » sans se limiter à des catégories territoriales données ; (3) être mises en place à l’initiative des collectivités et de susciter des coopérations territoriales inédites ; (4) ouvrir le droit à des dispositifs de droit commun, notamment fiscaux (Denormandie dans l’ancien), réglementaires (dispense d’autorisation d’exploitation commerciale, permis d’innover, droit de préemption) et financiers (accès prioritaire aux aides de l’Agence nationale de l’habitat). Référence 11 Dissocier priorités nationales et autonomie territoriale : les propositions du rapport « Territoires et réussite » pour les REP Même dans un domaine aussi régalien que l’Éducation nationale, l’idée d’un rééquilibrage entre politiques nationales et diversité territoriale fait son chemin. Dans leur rapport « Territoires et réussite », remis au ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse le 5 novembre 2019, Ariane Azéma et Pierre Mathiot proposent un scénario qui maintiendrait des REP+ (réseaux d’éducation prioritaire renforcés, concernant les établissements confrontés aux plus grandes difficultés), tout en supprimant le zonage des REP défini par le ministère. La priorisation serait ainsi définie au niveau académique, sous la houlette des rectorats et en concertation avec les collectivités territoriales.Une telle réforme permettrait : (1) de formaliser le fait que de nombreux rectorats ont déjà mis en place des politiques territoriales adaptées pour répondre à la diversité des fragilités éducatives au sein de leur territoire ; (2) de prendre en compte des situations socio-territoriales qui passent « sous les radars » du zonage national : « sept élèves modestes sur dix sont scolarisés […] en dehors des territoires d’éducation prioritaire, territoires ruraux, semi-ruraux ou semi-urbains » [27] (Pierre Mathiot) ; d’introduire de la flexibilité dans les politiques d’attribution de moyens renforcés, alors que « les territoires évoluent de façon beaucoup plus rapide que notre capacité à zoner » (Ariane Azéma [28] ).Ce principe pourrait être généralisé à l’ensemble des programmes sectoriels mis en place par l’État, en combinant le renforcement de géographies prioritaires d’intérêt national (en direction de territoires cumulant de nombreuses fragilités économiques et sociales) et l’ouverture de ces mêmes programmes sectoriels aux autres collectivités sur le mode de l’appel à projets, sur la base de critères d’éligibilité larges et sans nécessité de zonage. Référence 12 Conditionner les crédits d’État à une garantie de coopération territoriale :
l’exemple de l’ANRU
Les financements accordés par l’ANRU au titre du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) ont vocation à répondre à des besoins sectoriels, au service d’un objectif plus global de rééquilibrage des territoires. En effet, le programme est destiné aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) présentant « les dysfonctionnements urbains les plus importants ». Les financements sont calibrés pour une série d’interventions possibles sur le bâti ou sur l’espace public (démolition ou construction de logements, création d’équipements, etc.), mais leur octroi dépend avant tout de l’appréciation par l’ANRU de la qualité d’un projet d’ensemble présenté par la collectivité territoriale concernée. Si des critères fondamentaux doivent se retrouver dans chacun des projets, ces derniers ne sont pas analysés « hors sol » ni même en fonction d’une typologie de problématiques spatiales (grand ensemble, centre ancien, périphérie de grande agglomération ou de faubourg), mais davantage en tant que réponse à la vocation donnée au quartier à la fois à l’échelle du territoire, au-delà du temps du projet et en dehors du seul champ de l’urbain.

4.2. Recentrer et renforcer l’État sur ses missions nationales de solidaritÉ et de rÉgulation

Outre la mise en place de programmes sectoriels, la responsabilité de l’État est d’assurer la solidarité à l’échelle nationale. Déjà exercées de manière dispersée au niveau des individus et des ménages par le biais de l’impôt sur le revenu, des services publics et des prestations sociales, les politiques nationales de solidarité et de péréquation entre territoires pourraient être renforcées.

De même, la structuration d’un cadre national pour les stratégies sectorielles de transition est loin d’être aboutie. Cette fonction de régulation nationale doit être approfondie et dépliée dans les différents champs concernés (énergie, climat, biodiversité, foncier).

PROPOSITIONS Recentrer et renforcer l’État sur ses missions de solidarité et de régulation nationale n° 9 Recentrer l’État sur la mise en œuvre de programmes sectoriels renforcés ▫ Les programmes sectoriels ciblés qui ont fait preuve de leur efficacité opérationnelle doivent être maintenus, étendus et renforcés dans les champs essentiels que sont notamment l’éducation, la santé, l’emploi, la sécurité : – en combinant mesures légales et réglementaires, mesures fiscales et incitations financières ; – en investissant de nouveaux champs, tels que la revitalisation commerciale ou l’inclusion numérique ; – en différenciant plusieurs régimes de géographies prioritaires comme par exemple (1) des territoires de priorité nationale ciblés selon des critères et des zonages ad hoc et non génériques et (2) des t erritoires éligibles pouvant accéder à ces programmes sur le mode de l’appel à projets. ▪ n° 10 Renforcer les fonctions de régulation nationale en matière de transition écologique ▫ Les stratégies nationales de l’État sont trop générales, peu lisibles et hétérogènes quant à leur opérationnalité. Elles doivent être repensées dans trois directions : – être plus intégrées, en explicitant des trajectoires (et pas seulement des objectifs) et en énonçant les conditions de mise en œuvre ; – constituer le cadre pour les engagements programmatiques des grands opérateurs publics (RTE, ENEDIS, SNCF, ADEME, etc.) ; – organiser la consolidation des stratégies régionales (par ex. en matière de solidarité énergétique).▪ n° 11 Refonder la solidarité financière à l’échelle nationale, exiger une solidarité fiscale locale ▫ Faire de la Dotation générale de fonctionnement (DGF) un véritable outil de péréquation financière entre collectivités [29] ▫ Prélever la fiscalité locale sur une base territoriale large, afin d’atténuer les effets inégalitaires et les concurrences induites par la fiscalité communale• n° 12 Garantir l’accès à un « panier de services au public » ▫ Garantir la proximité des services au public lorsque cela est crédible du point de vue de la densité territoriale ▫ Favoriser la mobilité des services, moins énergivore que celle des usagers▫ Développer les systèmes alternatifs d’entraide et d’échanges locaux, lorsque la présence des services est impossible ▫ Évaluer la qualité du service apporté de manière globale en portant une attention nouvelle aux pratiques, aux freins et aux représentations des usagers• n° 13 Créer une Cour d’équité territoriale ▫ Faire de cette nouvelle instance la garante : (1) de la transparence quant à la répartition territoriale des moyens affectés par l’État, ses organismes et les grandes collectivités territoriales (régions et départements) ; (2) de la pertinence de leur utilisation ; et (3) de leur efficacité [30] . Référence 13 Refonder la DGF : les propositions du rapport Pirès Beaune-Germain Dans leur rapport remis au Premier ministre en juillet 2015 [31] , les parlementaires Christine Pirès Beaune et Jean Germain mettent en lumière les limites de la structuration actuelle de la Dotation générale de fonctionnement aux collectivités : une architecture peu lisible « noyée » par la sédimentation d’effets compensatoires, d’une part ; une dispersion des moyens qui ne permet pas d’en faire un véritable outil de péréquation, d’autre part. Ces constats rejoignent ceux des meilleurs chercheurs sur le sujet [32] . Dans ces conditions, ils formulent plusieurs propositions en vue d’une réforme de la dotation aux communes : (1) une refonte de l’architecture la dotation forfaitaire des communes, en la scindant entre « dotation universelle de fonctionnement », « dotation de centralité » et « dotation de ruralité » ; (2) une simplification et une meilleure évaluation des dotations de péréquation, fondées notamment sur le resserrement des conditions d’éligibilité aux dotations de solidarité urbaine et de solidarité rurale, afin de limiter les effets de seuil ; (3) la création d’une DGF des EPCI distincte de celle des communes ; (4) la création d’une « DGF locale », instaurant un nouveau mode de calcul des DGF intercommunale et communale. Référence 14 Accessibilité aux services publics : SDAASP, MSAP et Maisons France services La proximité et la qualité des services aux publics sont les manifestations les plus visibles de la présence (ou de l’absence) des pouvoirs publics dans les territoires. Dans un contexte sociétal qui tend à survaloriser l’accès le plus large et le plus aisé possible (« ce que je veux, quand je veux, où je veux »), les inégalités d’offre de services peuvent susciter un sentiment d’injustice. De fait, la question des services publics a figuré parmi les revendications les plus consensuelles du mouvement des Gilets jaunes, entraînant des annonces rapides du gouvernement en la matière, comme la promesse de créer 2 000 « Maisons France Service ». Celles-ci consistent en réalité en une nouvelle labellisation des Maisons de services aux publics (MSAP) prévues par les Schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public (SDAASP), rendus obligatoires par la loi NOTRe.Au-delà des doutes que suscitent ces annonces quant à leur mise en œuvre effective, ces dispositifs pourraient se heurter à des limites structurelles. En premier lieu, ils se bornent aux services publics d’État (CAF, impôts, assurance maladie, etc.), alors que les attentes des citoyens portent plus largement sur les services du quotidien – même si des services complémentaires (La Poste, services bancaires, santé) peuvent être adjoints aux Maisons France Service. En deuxième lieu, leur modèle financier reste très incertain, comme l’a montré récemment la Cour des comptes [33] . En troisième et dernier lieu, ils entretiennent le mythe d’une accessibilité égale aux services dans l’ensemble du territoire national, qui semble peu compatible avec la grande diversité territoriale en matière de densité et avec la tendance de longue durée à la « rationalisation » des dépenses publiques.Enfin, la question du « service territorial minimal » attendu par les citoyens reste largement impensée. Comment répondre aux attentes nouvelles en matière non seulement d’accès à l’emploi, à la santé, aux transports, mais aussi à un air non pollué ou à une production agricole en circuit court ? Que pourrait comporter un « panier minimal de services » et dans quelle mesure différencier son contenu en fonction des territoires (par exemple entre une zone de moyenne montagne peu peuplée et une banlieue métropolitaine très dense) ? Et quand ni la proximité ni la mobilité ni la dématérialisation ne peuvent répondre aux attentes des usagers, comment favoriser des systèmes d’entraide « hors marché » susceptibles d’offrir des services tout en répondant à une demande croissante de lien social ?

4.3. Faire des collectivités les garantes de la « solidarisation » des territoires

Coopérations internes et externes, réciprocité territoriale, mutualisation des services : les collectivités doivent assumer et organiser leur solidarisation. Les initiatives déjà mises en œuvre en la matière, bien que prometteuses, tendent à faire de ce champ une simple couche supplémentaire de l’action publique territoriale, quitte à la marginaliser.

Au contraire, nous proposons un changement de paradigme : au régime d’interdépendances de fait, plus ou moins subies, doit succéder la construction de combinaisons « gagnant-gagnant », envisagées à la fois comme mode d’exercice et mode de production des politiques publiques territoriales. Il convient ainsi d’assurer la transition vers une « politique des liens » agissant à différentes échelles sur les interdépendances territoriales, qu’elles soient économiques, sociales ou environnementales.

La montée en échelle de la recomposition territoriale est nécessaire pour activer et stabiliser un premier niveau d’interdépendances. On peut constater empiriquement que, pour beaucoup d’actions de transition, les assemblages intercommunautaires (entre plusieurs EPCI) proposent des compromis efficaces entre mobilisation locale et fructification des interdépendances. Mais, pour d’autres actions, les échelles départementale ou régionale sont légitimes et, par ailleurs, les agences de l’eau – même si l’on peut débattre de leur stratégie de transition – sont depuis longtemps organisées à l’échelle de grands bassins fluviaux interrégionaux. En somme, il n’y a pas de périmètre magique pour territorialiser la transition écologique. Pour autant, cela ne doit pas conduire à renoncer à construire des compromis politiques sur des territoires suffisamment amples (supra-communautaires, régionaux), afin d’être en capacité de saisir et d’organiser des fractions significatives d’interdépendances.

Plus largement, le principe d’assemblage politique ne doit plus se faire par le pavage des territoires, avec leurs périmètres, mais par le maillage des réseaux, avec leurs connexions. Et ce d’autant plus que ces réseaux sont, par ailleurs, les infrastructures et/ou superstructures (au sens des organisations) des circulations, échanges et cycles au cœur de la transition écologique.

Autrement dit, pour que la transition écologique entraîne une transition territoriale, il faut permettre et organiser l’investissement politique et citoyen des réseaux, comme mode de reconnaissance, de structuration et d’institutionnalisation de collectifs non périmétrés.

Pendant que la transition écologique devenait le paradigme dominant, la France s’est affirmée comme une République des territoires. Il lui reste désormais à se reconnaître comme une République des réseaux [34] .

PROPOSITIONS Les collectivités, garantes de la solidarisation des territoires : développer la coopération n° 14 Généraliser la réciprocité ▫ La réciprocité territoriale ne doit pas constituer un nouveau champ d’action pour les collectivités mais un principe générique structurant l’ensemble de leurs champs d’intervention.• n° 15 Mutualiser les ingénieries ▫ Le manque d’ingénierie est l’un des premiers arguments évoqués pour déplorer le manque de moyens des petites collectivités et expliquer leur faible propension à coopérer. ▫ Plutôt que de recentraliser l’ingénierie d’État au sein de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), il convient d’encourager – par des leviers financiers notamment – la coopération entre acteurs locaux en matière d’ingénierie et par la mutualisation de leurs ressources humaines, techniques et financières. Référence 15 Les contrats de réciprocité Les contrats de réciprocité ont été expérimentés à partir de 2015 par quatre territoires pilotes : métropole de Lyon et Aurillac ; métropole de Brest et pays du Centre-Ouest Bretagne ; métropole de Toulouse et massif des Pyrénées ; communauté urbaine du Creusot-Montceau-les-Mines et Parc naturel régional du Morvan. Ces contrats expérimentent de nouveaux modes de coopération entre des collectivités liées par des interdépendances de fait mais qui ne bénéficient pas de cadres de dialogue et de projet formalisés (et qui font souvent l’objet d’une défiance mutuelle). Le principe de réciprocité assume des échanges sur la base d’« unités de compte non comparables [35]  » entre territoires dissemblables. Il ne vise pas l’égalité, mais le bénéfice mutuel, par la construction et la formalisation de relations entre les territoires à différentes échelles. De fait, les premières actions concrètes ayant fait l’objet d’une contractualisation sont très diverses : structuration d’une filière bois dans le pays Centre-Ouest Bretagne en lien avec la chaufferie de Brest ; organisation de la mobilité des actifs vivant à Aurillac et travaillant à Lyon ; élaboration d’un projet alimentaire territorial liant le pays des Portes de Gascogne (Gers) et des établissements de restauration collective de Toulouse. Les enjeux environnementaux et de transition écologique ouvrent des perspectives nouvelles pour ce type de contrats. Référence 16 Vers une mutualisation des ingénieries : le cas des agences d’urbanisme Constituées sous forme associative, les agences d’urbanisme sont des « organismes de réflexions, d’études et d’accompagnement des politiques publiques » (art. L.132–6 du Code de l’urbanisme). Intervenant dans des territoires qui dépassent l’échelle de la commune – et même souvent celle de l’EPCI –, elles produisent études, diagnostics et stratégies pour le compte des collectivités, à des échelles et sur des thématiques diverses. Au-delà de ces missions, leurs interventions tendent à dépasser les cadres des limites territoriales : d’une part, par la conduite d’études des périmètres de plus en plus larges (ainsi de l’A’urba de Bordeaux, qui anime non seulement la démarche d’élaboration du SCoT de l’aire métropolitaine, mais aussi de l’inter-SCoT à l’échelle régionale) ; d’autre part, par la formalisation de coopérations inter-agences. Ainsi, dans les Hauts-de-France, le réseau Urba 8 entend mutualiser les ressources de ses structures et alimenter la politique de coopération territoriale de la Métropole européenne de Lille, tandis que la Fédération des agences d’urbanisme et de développement de Bretagne se donne pour mission « d’observer les dynamiques territoriales en vue de conseiller les acteurs publics de Bretagne sur les enjeux d’aménagement et de développement », tout en élaborant un portail de ressources communes en Open Data, Datagences Bretagne [36] . Référence 17Quand la transition stimule la coopération territoriale : l’exemple de Brest et de la pointe bretonne Dans le Finistère, le constat d’une complémentarité des profils, aussi bien économiques qu’écologiques, entre la métropole brestoise et les autres collectivités de la pointe bretonne a conduit à des coopérations territoriales inédites. Au plan de la planification, le pôle métropolitain a élaboré un schéma de cohérence territoriale (SCoT) qui détaille les objectifs et les projets en matière de développement durable. Ce cadre d’action commun offre la possibilité de mutualiser des ressources, en particulier dans les domaines de l’économie, de l’aménagement (politique foncière) et de la transition écologique et énergétique (élaboration des Plans climat air énergie). En particulier, l’ingénierie territoriale de la métropole de Brest vient appuyer l’action des intercommunalités partenaires, favorisant non seulement la construction et/ou le maintien de capacités d’analyse et de pilotage dans ces territoires, mais aussi l’obtention de financements européens et nationaux pour des projets territoriaux. La coopération entre Brest Métropole et les intercommunalités environnantes s’est également concrétisée par la mise en place d’institutions techniques qui renforcent les capacités opérationnelles des acteurs publics locaux. Elle a donné lieu à la création de sites de production d’énergie renouvelable qui alimentent le bassin brestois, sous la houlette d’agences locales de l’énergie. Les difficultés concernent la compétitivité limitée d’une partie de l’énergie renouvelable (chaleur) produite localement, la disponibilité encore partielle de données permettant de mieux préciser les potentiels et les besoins locaux et des mutualisations dont la pérennité n’est pas garantie. Source : https://www.banquedesterritoires.fr/transition-energetique-et-cooperation-interterritoriale-brest-et-la-pointe-bretonne-montrent#

Conclusion : de la rÉforme aux transformations

L’heure n’est manifestement plus aux grandes réformes institutionnelles qui ont scandé le processus de décentralisation depuis un demi-siècle. Les multiples scénarios de recomposition des pouvoirs locaux ou de redistribution des compétences ont perdu leur attrait et leur intérêt. Faute de nouvel idéal, la pensée modernisatrice vis-à-vis de la question territoriale semble en panne.

En la matière, les reports du projet de loi « Décentralisation/déconcentration/différenciation » – et l’ajout d’un quatrième « d » (pour la « décomplexification ») – sont significatifs. C’est au mieux le statu quo , au pire un pas en arrière qui sont à l’ordre du jour. En témoigne, dans le contexte de double crise sanitaire et économique, et après cinquante ans de lente modernisation de l’État local autour du niveau régional, le brutal retour en force du niveau départemental [37] .

Ce rapport prend acte de l’épuisement et de l’aspiration à une stabilisation organisationnelle. Cependant, il considère qu’il est possible de concilier ce besoin avec une visée transformatrice pour prendre en compte la recomposition profonde de l’objet territorial et les nouveaux défis de l’action publique, autour de la cohésion territoriale et de la transition écologique. C’est davantage la conception des politiques publiques et leur mode de pilotage qui doivent être profondément transformés.

En distinguant radicalement les responsabilités de l’État et des collectivités territoriales, en rompant avec la logique de spécialisation des compétences, il s’agit moins d’ouvrir un nouvel « acte » de décentralisation que de prendre en compte et d’accélérer des transformations en cours dans les pratiques, afin de passer à « l’après-dé-centralisation ». C’est toute l’ambition de ce rapport et de ses quinze propositions.

Annexe

Les auteurs

Daniel Béhar, professeur à l’École d’urbanisme de Paris, consultant à la coopérative Acadie et élu local en Haute-Loire

Aurélien Delpirou, maître de conférences à l’École d’urbanisme de Paris

Avec le concours de Martin Vanier et d’Elsa Rescan

Les membres du groupe

Daniel Béhar

Christophe Bernard, directeur du pilotage urbain à la métropole de Lyon, ancien DGA de la région Hauts-de-France et secrétaire général de l’Assemblée des communautés de France (ADCF)

Aurélien Delpirou

Céline Gipoulon, directrice de la stratégie et de l’accompagnement des acteurs à l’Agence nationale de la rénovation urbaine [ jusqu’en octobre 2020 ]

Caroline Larmagnac, directrice générale adjointe en charge du pôle Équilibre des territoires à la région Hauts-de-France

Laurence Lemouzy, directrice scientifique de l’Institut de la gouvernance territoriale, rédactrice en chef de la revue Pouvoirs Locaux

Nicolas Pernot, directeur général des services de la région Grand Est

Elsa Rescan, urbaniste-programmiste

Pierre Stussi, directeur général des services de la métropole du Grand Nancy [ jusqu’en juin 2020 ]

Pierre-Antoine Tiercelin, urbaniste-paysagiste, associé-fondateur de l’agence Ville Ouverte

Les personnes auditionnées par le groupe (par ordre chronologique)

Philippe Estèbe, professeur associé au CNAM, consultant à la coopérative Acadie

Benjamin Grébot, directeur de l’agence d’urbanisme Brest-Bretagne

Laurence Fortin, vice-présidente de la région Bretagne chargée de l’aménagement territorial

Laurent Pabiot, maire de Sancerre (sans étiquette), président de la communauté de communes Pays Fort-Sancerrois-Val de Loire

Nicolas Lebas, maire de Faches Thumesnil (UDI), président de l’Association des maires du Nord, vice-président de la région Hauts-de-France en charge de l’enseignement supérieur, de la recherche, de l’Europe et de la planification territoriale, ancien vice-président à la Métropole européenne de Lille

Olivier Klein, professeur de physique-chimie, maire (PS) de Clichy-sous-Bois depuis 2011 (premier adjoint depuis 1995), président de l’ANRU depuis 2017

Ariane Azéma, inspectrice générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche, en charge avec Pierre Mathiot d’un rapport sur l’avenir de l’éducation prioritaire

Françoise Navarre, maître de conférences à l’École d’urbanisme de Paris

Martin Vanier, professeur à l’École d’urbanisme de Paris

RÉfÉrences bibliographiques

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  1. Pour « déconcentration », « décentralisation », « différenciation » et « décomplexification ».

  2. En témoigne la demande, largement partagée parmi les Gilets jaunes, d’un recours généralisé au référendum d’initiative citoyenne.

  3. Voir par exemple la note de Matthieu Angotti pour Terra Nova : https://tnova.fr/system/contents/files/000/001/985/original/Terra-Nova_Cycle-Covid19_La-solidarit_-a-lepreuve-de-la-cooperation-territoriale_210420.pdf?1587475133

  4. Voir Jacques Ferrier, « La ville dense a trahi ses habitants », Métropolitiques, 27 avril 2020. URL : https://www.metropolitiques.eu/La-ville-dense-a-trahi-ses-habitants.html

  5. Voir https://reporterre.net/La-metropolisation-du-monde-est-une-cause-de-la-pandemie

  6. Voir J.-P. Orfeuil « Densité et mortalité du Covid-19 : la recherche urbaine ne doit pas être dans le déni », 19 octobre 2020 https://metropolitiques.eu/Densite-et-mortalite-du-Covid-19-la-recherche-urbaine-ne-doit-pas-etre-dans-le.html

  7. L’aire urbaine de Paris concentre à elle seule près d’un quart des Français vivant sous le seuil de pauvreté !

  8. Comme souvent, toutefois, les statistiques masquent une réalité sociale contrastée et les difficultés des entreprises locales à attirer de jeunes actifs qualifiés.

  9. Voir https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/05/en-france-les-inegalites interdepartementales-de-revenus-n-ont-jamais-ete-aussi-faibles_6031893_3234.html

  10. L’État contribue au financement des départements par le biais de divers transferts financiers (dotations, subventions, participations) afin d’aider ceux–ci dans leur fonctionnement courant et leurs investissements, de financer les accroissements de charges résultant de nouveaux transferts de compétences ou encore de compenser les exonérations consenties par la loi.

  11. Source : Béhar et Delpirou (2020) d’après INSEE.

  12. Source : IAU (2015).

  13. Source : Ithéa Conseil (2019) d’après INSEE.

  14. C’est également ce que met en évidence, sous un autre angle, le Baromètre des territoires 2019 (Institut Montaigne/Elabe), en décrivant les rapports des Français à leur territoire selon quatre modèles : les « enracinés », les « affranchis », les « assignés » et les « sur le fil ».Voir https://elabe.fr/barometre-territoires-france-morceaux/

  15. Voir http://cuej.info/mini-sites/coeurdeville/

  16. La loi n° 2015–991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République fait partie de l’acte III de la décentralisation mis en œuvre sous la présidence de François Hollande. Elle vise notamment à renforcer les compétences des régions et des établissements publics de coopération intercommunale.

  17. Voir le cas du Grand Paris : Baptista, 2020.

  18. Voir https://www.lefigaro.fr/flash-actu/coronavirus-baroin-met-l-etat-en-cause-pour-les-grandes-difficultes-observees-sur-certains-territoires-20200729

  19. Voir https://www.liberation.fr/france/2020/04/20/entre-etat-et-collectivites-une-guerre-a-visage-masque_1785861

  20. Voir https://quebec89.com/entre-etat-etcollectivites

  21. Voir https://www.bfmtv.com/sante/coronavirus-des-depistages-dans-tous-les-ehpad-en-auvergne-rhone-alpes_AN-202004100199.html

  22. Entretien avec Laurent Pabiot, 11 juillet 2019.Voir annexes.

  23. La loi n° 2014–58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

  24. Voir le site du ministère de la Transition écologique et ministère de la Cohésion des territoires. Ainsi, tandis que c’est l’ADEME – désormais Agence de la transition écologique et non plus « de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie » – qui en développe les instruments, la Direction générale des collectivités locales (DGCL) demeure le cerveau de la recomposition des territoires, sur le mode notarial et juridique. ADEME et DGCL : on peut difficilement trouver plus éloignés, au sein de l’Etat, en matière de sociologie des organisations et de culture politique. Transition et décentralisation sont donc prises en charge par deux facettes de l’Etat qui coexistent plus qu’elles ne collaborent, quand elles ne rivalisent pas sur bien des sujets.

  25. Entretien avec Laurence Fortin, vice-présidente de la région Bretagne chargée de l’aménagement territorial, le 22 mai 2019. Voir annexes.

  26. Entretien avec Philippe Estèbe, 12 avril 2019. Voir Annexes.

  27. Source : https://www.banquedesterritoires.fr/education-prioritaire-les-deputes-ont-passe-le-rapport-azema-mathiot-la-question?pk_campaign=newsletter_quotidienne&pk_kwd=2020–01–30&pk_source=Actualit%C3%A9s_Localtis&pk_medium=newsletter_quotidienne

  28. Entretien avec Ariane Azéma, 9 septembre 2019. Voir Annexes.

  29. Une réforme structurelle de la DGF a déjà été proposée dans le cadre du rapport Pirès Beaune-Germain (2015). Il semble nécessaire de reprendre et réactiver ces réflexions.

  30. Cette proposition s’inspire largement du rapport « Vivre ensemble, vivre en grand pour une réconciliation nationale » remis au ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales par Jean-Louis Borloo en avril 2018 [ https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/rapport-de-jean-louis-borloo-vivre-ensemble-vivre-en-grand-pour-une-reconciliation-nationale ]

  31. PiresBeaune C., Germain J., 2015, Pour une dotation globale de fonctionnement équitable et transparente : Osons la réforme , éd. La Documentation française.

  32. Entretien avec Françoise Navarre, 23 octobre 2019.Voir Annexes.

  33. Cour des comptes, 2019, « L’accès aux services publics dans les territoires ruraux » [ https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lacces-aux-services-publics-dans-les-territoires-ruraux ]

  34. M. Vanier, Demain les territoires : capitalisme réticulaire et espace politique , Paris, Hermann, 2015.

  35. Entretien avec Benjamin Grébot, directeur de l’agence d’urbanisme Brest-Bretagne, 22 mai 2019. Voir annexes.

  36. Voir https://www.datagences-bretagne.bzh/federation-bretonne/

  37. Voir « Rendre le service au plus près des usagers », circulaire du Premier ministre, 12 juin 2019 : « C’est à l’échelon départemental que doivent être mises en œuvre les politiques de l’Etat. C’est cet échelon qui sera privilégié dans la répartition des effectifs, le niveau régional devant rester celui de l’impulsion, de l’évaluation des politiques publiques et de la coordination. »

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