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Revue de presse

Ce qui inquiète dans le programme de Marine Le Pen

Partenaires étrangers, milieux économiques, diplomates, responsables religieux, associations, défenseurs des droits de l’homme : ils sont nombreux à s’alarmer des conséquences que pourrait entraîner une application des propositions de la candidate du Front national.
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Que ferait Jean-Claude Juncker si Marine Le Pen intégrait l’Élysée ? « Je porterais des vêtements de deuil », affirmait le président de la Commission dès décembre 2016 à la télévision allemande. Car l’arrivée au pouvoir de la dirigeante du Front national pourrait rimer avec la mort de l’Union européenne (UE).

« Si la France basculait, ce serait un cataclysme pour l’Europe, prédit Franck Proust, chef de la délégation française du Parti populaire européen (PPE). La France, au même titre que l’Allemagne, fait partie de la colonne vertébrale de l’Europe. »

Les esprits, à Bruxelles, ne sont pas tranquilles : « La situation est délicate, ajoute l’eurodéputé. Dans l’hémicycle, les Italiens et les Espagnols nous demandent souvent ce qui va se passer en France. La peur n’évite pas le danger. Vous dire que nos partenaires ne sont pas inquiets serait vous mentir. »

Dans un ouvrage intitulé Son vrai visage : témoignage sur le FN au Parlement européen, Pervenche Berès, son homologue au sein du groupe socialiste (S&D), relève : « L’UE est constamment présentée par le FN comme la source de toute perte de souveraineté et la seule responsable de tous les maux dont souffre le pays. Plutôt que de trouver des solutions sérieuses, viables et constructives pour la France et l’Europe, le Front national préfère tout rejeter en bloc. »

Mais les dirigeants européens veulent aussi faire confiance aux électeurs : « Partout en Europe, l’éventualité d’une élection de Marine Le Pen suscite l’inquiétude, voire l’effroi,  note sur son blog Pierre Moscovici, commissaire aux affaires économiques et sociales. Je suis persuadé que cela n’arrivera pas, tant cette hypothèse échappe à la raison, qui reste une vertu française », poursuit-il, sans exclure pour autant un tel scénario. Avant le référendum britannique ou les élections américaines, Bruxelles affichait le même optimisme.

La candidate du FN propose le « rétablissement de la monnaie nationale »« La sortie de l’euro serait pourtant loin de servir les intérêts des classes populaires dont le FN a fait sa cible privilégiée : elle leur serait même extrêmement défavorable », avertit le laboratoire d’idées proche du PS Terra Nova dans une récente étude (« Sortie de l’euro : les petits paieront ! », 16 mars 2017). Car dans ce cas, ce sont bien « les petits qui paieront, au côté des classes moyennes ».

De fait, cette mesure se traduira par une dévaluation de 15 à 40 % du franc par rapport à l’euro qui inquiète nombre d’économistes. Et ce, parce que la « nouvelle devise » tricolore reflétera davantage l’état de santé de l’économie française, moins solide que celle du voisin allemand, alors qu’aujourd’hui, l’euro gomme largement ces différences.

Pour les ménages, cela provoquera mécaniquement une perte de pouvoir d’achat car les produits importés coûteront plus cher. « C’est le prix à payer quand on cherche à favoriser les produits locaux », admet l’économiste Jacques Mazier, partisan d’une sortie de l’euro.

Problème : un grand nombre de biens et services ne sont pas fabriqués dans l’Hexagone – téléphones mobiles, ordinateurs, tablettes… En outre, même les produits fabriqués aujourd’hui sur notre sol nécessitent des importations qui demain nous coûteront plus cher avec le franc, ne serait-ce que le pétrole et les matières premières, libellés en dollar.

L’étude de Terra Nova démontre, chiffres à l’appui, que « l’effet d’appauvrissement » concernera avant tout les « travailleurs modestes, les classes moyennes inférieures et les retraités ». Même dans l’hypothèse la plus optimiste, la poussée d’inflation se situerait entre 2,7 % et 3,3 %. Soit une addition de 32 à 39 milliards d’euros, ou de 1 066 à 1 200 € par an et par ménage.

Une explosion du déficit public

« Lorsque Donald Trump a été élu président aux États-Unis à l’automne, les investisseurs étrangers se sont rués sur leur téléphone pour me demander quelle était la probabilité que Marine Le Pen l’emporte en France »,  raconte un analyste basé à Paris.

Depuis, l’inquiétude n’a cessé de croître sur les marchés, au point que les taux d’intérêt exigés de la France ont régulièrement grimpé. Leur écart avec l’Allemagne, qui fait référence, a doublé en six mois.

Cela n’a rien d’anecdotique : avec une dette publique de 2 000 milliards d’euros, toute hausse des taux coûtera très cher à la France. Or l’objectif de sortie de la monnaie unique affiché par Marine Le Pen va renchérir le coût de la dette, puisque le franc vaudra moins que l’euro (de 15 à 40 % selon les hypothèses).

« Il n’y aura pas de scénario rose, décrypte Emmanuel Jessua, chez COE-Rexecode. Soit l’État rembourse l’intégralité de sa dette en euros, ce qui lui coûtera cher car il devra compenser l’effet lié à la dévaluation. Soit il rembourse sa dette en francs et cela pénalisera les investisseurs qui ne récupéreront pas tout leur argent, parce que le franc vaudra moins que l’euro. Du coup, ils ne voudront plus nous prêter, sauf à des taux très élevés. »

Les investisseurs pourraient donc revendre leurs obligations françaises dès le lendemain de l’élection, provoquant une chute immédiate de leur valeur et, mécaniquement, une hausse des taux. Les possesseurs d’assurance-vie en seraient aussi pour leurs frais, leurs portefeuilles de placements contenant beaucoup de titres de l’État français.

Plus globalement, tous les foyers et les entreprises tricolores ayant souscrit un emprunt seraient confrontés au même problème que l’État pour rembourser. « Ces dettes privées représentent en 2016 un total de 2 800 milliards d’euros », précise une étude du laboratoire d’idées Terra Nova. Sans oublier la dette des banques et institutions financières.

Un frein aux exportations françaises

Le projet de Marine Le Pen « n’est pas économiquement responsable ». Ce carton rouge est brandi depuis plusieurs mois par Pierre Gattaz, le numéro un du Medef, face au Front national. Outre l’objectif affiché de sortir de l’euro, le patron des patrons s’alarme de la fermeture annoncée des frontières commerciales de la France.

Dans ses 144 engagements présidentiels, la candidate frontiste propose en effet, « face à la concurrence internationale déloyale (…), un protectionnisme intelligent ». Elle en précise très peu les contours, si ce n’est pour avancer la création d’une « contribution sociale sur les importations » de 3 %.

Mais les mesures de rétorsion de nos partenaires ne se feront pas attendre et pourraient affecter toutes les entreprises. « Celles qui travaillent dans l’export subiront un coup de frein sur leurs ventes à l’étranger »,  analyse ainsi l’économiste Emmanuel Jessua.

Et même les groupes qui travaillent seulement sur le marché tricolore seront concernés, lorsqu’ils importent des pièces de l’étranger. Certains secteurs cumuleront ces deux inconvénients, comme le secteur automobile ou encore l’aéronautique : « Les deux tiers des composants d’un Airbus sont importés », relève une récente étude de Terra Nova.

Du coup, la fermeture des frontières – combinée à la dévaluation du franc – « risquerait fort de renchérir le prix final du produit plutôt que de le réduire », poursuit l’étude. Et donc de freiner l’ensemble des entreprises tricolores, exportatrices ou pas.

En cumulé, confirme Emmanuel Jessua, « cela provoquera une perte globale pour l’économie française et internationale car les échanges commerciaux deviendront plus compliqués et ralentiront les exportations ». Avec en première ligne l’automobile mais aussi la pharmacie, où la France excelle, ou encore l’agriculture et l’agroalimentaire.

Une remise en cause du droit d’asile

Dans son projet, Marine Le Pen propose de « revenir à l’esprit initial du droit d’asile qui ne pourra par ailleurs être accordé qu’à la suite de demandes déposées dans les ambassades et consulats français dans les pays d’origine ou les pays limitrophes ».

Une telle procédure correspond aux actuels visas pour motif humanitaire, soit 8 532 en 2016. « Les États européens, dont la France, font tout pour limiter la délivrance de ces visas », explique néanmoins Emmanuel Blanchard, président du réseau d’associations Migreurop.

L’objectif de Marine Le Pen est qu’aucun étranger n’arrive sur le territoire français sans contrôle et autorisation préalable, quand bien même ce serait pour y déposer une demande d’asile.

« Cette proposition est contraire à l’esprit de la convention de Genève relative au statut des réfugiés car il n’y a plus de droit d’asile s’il n’y a plus la possibilité d’arriver dans le pays d’accueil en franchissant les frontières sans document de voyages », poursuit le responsable associatif. En 2016, il y a eu 85 244 demandes d’asile déposées en France, dont 26 351 ont reçu une réponse positive.

Emmanuel Blanchard estime pourtant que « d’un point de vue théorique, Marine Le Pen peut dire qu’elle n’est pas contre le droit d’asile, puisqu’elle ne fait que mettre ses pas dans les politiques européennes : au lieu de protéger les demandeurs d’asile, l’Union européenne s’est protégée des demandeurs d’asile en les cantonnant le plus loin possible de ses frontières, à l’exemple de l’accord sur l’immigration avec la Turquie ».

Le FN est toutefois plus radical que le programme de Marine Le Pen. Le slogan « 100 % Front national, 0 % migrant » et la création de l’association « Ma commune sans migrants » par Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont, correspondent en effet à une remise en cause du droit d’asile : ne vouloir aucun migrant, c’est, entre autres, ne vouloir aucun réfugié.

Laurent de Boissieu, Marie Dancer, Bénédicte Hoffner, Céline Rouden, Céline Schoen (à Bruxelles) et Gauthier Vaillant

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