Comment Marine Le Pen prépare son coup d’Etat

Comment Marine Le Pen prépare son coup d’Etat
Publié le 19 avril 2022
Tous les ingrédients semblent réunis pour que nous vivions le 24 avril prochain un mauvais remake de l’élection américaine de 2016 qui a vu Donald Trump battre Hillary Clinton à la surprise générale. Marine Le Pen a choisi une stratégie de dissimulation complète de la violence politique et de la destruction de l’Etat de droit que contient son programme. Et, jusqu’ici, ça marche.

Alors que l’acte fondateur de son quinquennat serait un coup d’Etat sous la forme d’un référendum illégal, qui ferait rompre la France avec ses principes constitutionnels, l’Europe et le respect des traités internationaux, 57% des Français jugent « qu’elle est attachée aux valeurs démocratiques ». Cet aveuglement des électeurs montre à quel point Marine Le Pen a progressé dans l’art de faire campagne : elle cache avec soin tout ce qui pourrait inquiéter, sans pour autant rien céder de l’extrémisme de son programme. Contrairement à 2017, elle a abandonné le Frexit au profit d’une stratégie d’affaiblissement de l’Europe, en la minant de l’intérieur et en la rendant impuissante. Cette stratégie, en apparence plus douce, est encore plus dévastatrice pour la construction européenne qu’un simple départ de la France. Son alliance avec Poutine est repoussée à un « après la fin de la guerre en Ukraine » qui semble lointain, mais elle l’assume comme l’objectif de sa politique étrangère. Et sa liquidation de l’Etat de droit en France est enveloppée dans un référendum sur l’immigration, qu’elle s’acharne à présenter comme légal, inoffensif, et centré uniquement sur son sujet, alors même que sa convocation ouvrirait une crise profonde des institutions démocratiques françaises et que son adoption mettrait en péril les fondements de la République.

Depuis quelques jours, elle est interpellée sur ce référendum, et cela vaut la peine d’examiner l’argumentaire qu’elle utilise pour justifier par avance son coup d’Etat.

Elle met en avant sa compétence : « j’ai fait beaucoup d’études de droit… ». Cet argument est faible : Joseph Staline était un ancien séminariste, il a cependant rencontré de réelles difficultés à distinguer le bien du mal. Cette compétence est d’autant plus douteuse que plusieurs autres points de son programme violent clairement le cadre juridique français ou européen.

Elle utilise ensuite l’argument du précédent historique : le général De Gaulle a en effet lui-même utilisé la procédure du référendum direct au titre de l’article 11 de la Constitution pour faire voter le principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel, alors même qu’une révision constitutionnelle de ce type exigeait un avis conforme du Sénat et de l’Assemblée nationale au titre de l’article 89. Elle considère que « depuis cette date [1962], il est acquis que la constitution peut être changée directement par référendum. » Pour Mme Le Pen en somme, le coup de force fait loi. Elle fait semblant d’oublier la grave crise politique et institutionnelle que cette initiative du général de Gaulle avait provoquée et qui avait conduit la France au bord du gouffre. Juristes et politiques étaient indignés et avaient à juste titre souligné le caractère inconstitutionnel de la procédure. Surtout, elle omet les dispositions qui ont été prises depuis pour que ce genre de manœuvres soit désormais impossible.

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C’est après l’attentat du Petit-Clamart perpétré par l’extrême-droite que De Gaulle annonce son intention, dans un discours télévisé le 20 septembre, profitant de la vague d’émotion que cet attentat avait suscitée chez les Français. Immédiatement, une motion de censure contre le gouvernement Pompidou est déposée au Palais Bourbon par l’ensemble des partis, sauf l’UNR, et adoptée le 5 octobre 1962. De Gaulle dissout alors l’Assemblée nationale. Le Conseil d’Etat émet un avis défavorable au recours à l’article 11 de la constitution le 1er octobre, et le 2 octobre, 7 des 10 membres du Conseil Constitutionnel font part de leur « hostilité absolue » dans un vote officieux. Gaston Monnerville, le Président du Sénat, dans un discours resté célèbre, parle de « forfaiture » et demande la démission et même l’arrestation du Président de la République. C’est parce que le Conseil Constitutionnel s’est finalement estimé incompétent pour juger de la conformité constitutionnelle de ce référendum que la crise institutionnelle a été évitée.

Mais cet événement a laissé des traces et, depuis lors, les choses ont été clarifiées aussi bien par le Conseil d’Etat que par le Conseil Constitutionnel, les deux institutions que Marine Le Pen compte bien réduire à l’impuissance par son référendum. Dans une décision du 30 octobre 1998, le Conseil d’Etat a statué qu’un référendum fondé sur l’article 11 de la constitution porte uniquement sur des matières législatives et ne peut donc pas implicitement réviser la constitution. Et dans une décision du 25 juillet 2000 (connue sous le nom de « jurisprudence Hauchemaille »), le Conseil Constitutionnel a affirmé qu’il pouvait exercer un contrôle en amont pour se prononcer sur les conditions de convocation du corps électoral. Si le Conseil peut contrôler le décret qui convoque les électeurs à une consultation référendaire, il peut juger de la constitutionnalité du projet de loi annexé à ce décret. Il semble donc évident que la crise institutionnelle qui a été évitée de justesse en octobre 1962, ne le sera pas en mai 2022, en cas d’élection de Marine Le Pen, car le Conseil d’Etat, comme le Conseil Constitutionnel estimeront que son projet est inconstitutionnel. La candidate d’extrême-droite le sait parfaitement c’est pourquoi elle se fait menaçante : « Que le Conseil Constitutionnel envisage d’interdire au Peuple français… » commence-t-elle sur France Inter, avant d’être interrompue par le journaliste, et de reprendre « …Le seul souverain, c’est le peuple. Si le peuple français choisit de changer sa constitution, alors il le fera. » Sa volonté de museler le Conseil Constitutionnel est manifeste, au nom d’une conception de la souveraineté populaire réduite à la consultation électorale directe. La tyrannie de la majorité, ce n’est pas la démocratie.

On ne peut exclure que cette crise institutionnelle conduise à des manifestations violentes car pour les défenseurs de la démocratie et des libertés, il s’agira de la première, mais vraisemblablement aussi de la dernière bataille pour l’Etat de droit, tant un vote positif à ce référendum ouvrirait la voie à une dérive bonapartiste voire dictatoriale du régime. Nul doute qu’en cas de victoire de Marine Le Pen en avril, les mois de mai et juin seront très chauds.

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Jean-Louis Missika