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Rapport

Démocratie et société civile

La politique traverse aujourd’hui une crise de légitimité et d’efficacité, dont l’abstentionnisme et la défiance des citoyens vis-à-vis des décideurs publics sont les symptômes les plus manifestes.

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Dans le même temps, les citoyens aspirent de plus en plus à s’impliquer dans la chose publique, et les structures qui leur permettent de s’investir dans la vie de la cité sont en nombre croissant : la France compte aujourd’hui 1,3 million de structures associatives, qui représentent 14 millions de bénévoles. Le rapport de Terra Nova « Démocratie et société civile », présenté aujourd’hui dans La Croix, montre que la société civile organisée est un puissant levier de redynamisation de la démocratie. Il formule vingt propositions pour assurer une réelle participation des citoyens et de leurs associations à l’action publique, parmi lesquelles de nouvelles prérogatives accordées aux associations, comme le droit de saisir le Conseil constitutionnel pour tout projet ou proposition de loi. En contrepartie, les règles de contrôle et de transparence seraient renforcées.

Qu’est-ce que la « société civile » ? Tout. Qu’a-t-elle été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Presque rien. Que demande-t-elle ? A être quelque chose.

Depuis 1789 – et même pour certains déjà depuis la fin de l’Ancien Régime[1], le modèle politique français est marqué par un rejet des corps intermédiaires jugés comme un obstacle majeur à la constitution d’un « Grand tout », d’un « Tout unique », l’Etat qui ne doit former qu’un seul corps[2].

Ce principe, ciment de l’Etat français au lendemain de la Révolution française, se trouve parfaitement illustré par le discours prononcé par Le Chapelier dans sa présentation du décret abolissant les corporations : « il n’y a plus de corporation dans l’Etat ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général ; il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporations ».

A dire vrai, cette société construite entre deux pôles – l’individu et l’Etat – n’existe plus réellement aujourd’hui. Le temps a fait son œuvre et peu à peu les corps intermédiaires ont fait à nouveau leur apparition. Mais l’évolution demeure timide, et le jacobinisme semble ne jamais être réellement remis en cause. Ainsi que le souligne Pierre Rosanvallon dans son ouvrage Le modèle politique français, il sera simplement « amendé ».

Sous la Troisième République, les pouvoirs publics vont progressivement instaurer une législation permettant la création d’associations : loi de 1875 relative à l’enseignement supérieur, loi de 1884 sur les syndicats professionnels, loi de 1890 sur les syndicats de communes, loi de 1898 sur les sociétés de secours mutuel. Si l’évolution demeure timide, ces « lambeaux de liberté arrachés peu à peu à l’Etat »[3] sont les premiers signes d’un mouvement vers la pleine reconnaissance de la liberté d’association, qui sera concrétisé par la loi du 1er juillet 1901.

Avec le vote de la loi de 1901, une rupture s’annonce avec la tradition séculaire de méfiance à l’égard des corps intermédiaires. Selon Pierre Rosanvallon, « elle traduit une certaine érosion de la vision rigide et doctrinaire du rapport entre l’individu et l’Etat, entre l’intérêt particulier et l’intérêt général, qui avait largement prévalu tout au long du 19e  siècle »[4].

Cependant, toujours selon cet auteur, « cette rupture doit être relativisée (…). L’association est bien restée pour la majorité des civilistes, qui suivent le législateur de 1901, une réalité d’ordre contractuel, située sans ambiguïté dans la sphère privée (….). Mais le trait dominant qui les caractérise revient bien à les exclure de la production de l’intérêt général ».

Ainsi, à l’issue du vote du texte, des voix de l’opposition s’étaient élevées pour dire que venait d’être consacrée une liberté mais non une institution sociale pouvant jouer un rôle pour le bien commun. Le député Lamarzelle avait alors apostrophé Waldeck-Rousseau : « sur le terrain politique, la chambre vous a tout accordé ; sur le terrain juridique, rien pour ainsi dire »[5].

Plus tard, de nombreux auteurs dénonceront le caractère inachevé du texte. Léon Duguit en 1920 fait état d’une liberté «  restée en chemin »[6]. Saleilles évoquera « l’association si pauvre et si étriquée que nous a faite la loi de 1901 »[7].

Les restrictions initiales du texte, justifiées à l’époque par le débat sur les congrégations alors que la lutte anticléricale battait son plein, ne sont pas ensuite remises en cause. Pourtant, après la Première Guerre mondiale, le débat sur la laïcité ayant été résolu et les problématiques n’étant plus les mêmes, on pouvait légitimement attendre des évolutions vers une reconnaissance pleine et entière de l’association. Il n’en a rien été. Au contraire, peu à peu, les corps intermédiaires ont été dissociés. Ainsi, le fossé s’est creusé entre syndicats et associations. Les premiers ont été très tôt dotés d’un statut leur permettant une représentation en justice entendue de manière très large, basée sur l’intérêt collectif. Les secondes sont demeurées figées dans une difficulté réelle à faire reconnaître leur capacité d’ester en justice. La dualité de régime juridique a également atteint la question du financement. Pendant longtemps, les associations ont été amenées à se financer par l’organisation de quêtes publiques, procédé qui reste en marge de la légalité. Et si la fin du 19evoit se développer des structures importantes comme la Ligue de l’enseignement, il s’agit plutôt alors de venir au secours de l’Etat et de compléter son action.

En réalité – si l’on exclut la parenthèse particulière de la période vichyste, il faudra attendre 1945 pour assister à un tournant véritable. La création par l’ordonnance du 3 mars 1945 du « corps familial » représentant l’ensemble des familles auprès des pouvoirs publics (UNAF) constitue un grand pas vers une reconnaissance plus grande du fait associatif. Le texte assigne à l’UNAF une triple mission : donner un avis aux pouvoirs publics sur les questions d’ordre familial et faire des propositions dans ce domaine ; représenter l’ensemble des familles françaises auprès des pouvoirs publics ; gérer les services confiés par l’Etat.

Pas encore plus significatif, la Constitution de 1946 consacre la liberté d’association. En 1971, le Conseil constitutionnel la reconnaît dans le bloc de constitutionnalité au nombre des « libertés publiques fondamentales » (décision du 16 juillet 1971).

Au début des années 1950 apparaissent les premières délégations de service public aux associations, notamment dans le secteur sanitaire et social. C’est aussi à cette époque que naît le tourisme social, mouvement en lien avec les organisations syndicales. Peu à peu s’installe la conviction que l’emploi est le levier principal pour lutter contre la précarité. La trilogie chômage-retraite-logement devient l’axe principal des politiques publiques en matière sociale. Parallèlement, l’Etat va confier aux organisations syndicales, salariées et patronales, une délégation d’intérêt général au travers du paritarisme.

A partir de la fin des années 1970, un mouvement s’amorce ainsi vers un développement croissant du nombre des associations et une participation de celles-ci à des tâches déléguées par l’Etat et les collectivités territoriales. Dans de nombreux domaines comme l’enfance, l’éducation surveillée, l’éducation, la culture, se créent de plus en plus des associations auxiliaires de l’Etat ou des collectivités. La décentralisation en 1982 va accentuer le phénomène.

Aujourd’hui, en France, le monde associatif est composé d’environ 1,3 million de structures et représente 14 millions de bénévoles[8] ainsi qu’1,8 million de salariés. On dénombre également 26 millions d’adhérents dans les associations. La démarche prospective « Faire ensemble 2020 » de la FONDA, et notamment l’enquête réalisée en 2011 auprès de 1300 responsables associatifs, fait émerger des angoisses, des inquiétudes, mais de manière globale plutôt une certaine confiance dans le secteur associatif pour peser sur l’avenir[9].

Pourtant, à cet égard, la situation actuelle est loin d’être satisfaisante. Le monde a changé, mais la participation des corps intermédiaires à la décision publique demeure encore restreinte et peu encouragée.

Par ailleurs, ce début du 21e siècle est marqué par une certaine défiance des citoyens à l’égard de la politique et des politiques. L’abstentionnisme est l’un des signes inquiétants de cette évolution de la société. Ainsi que l’explique Pierre Rosanvallon, la légitimité d’autorisation – c’est-à-dire celle issue de l’élection- est de plus en plus remise en question. Cette crise de confiance engendre une aspiration à une démocratie plus ouverte, où de véritables contre-pouvoirs jouent un rôle face à l’omniprésence de l’Etat.

Dans le même temps, il apparaît que le citoyen aspire de plus en plus à s’impliquer dans la chose publique : les structures lui permettant de participer à la vie de la cité ne cessent de se développer. A côté des associations traditionnelles nées après la Seconde Guerre mondiale, puis de celles issues de la décentralisation, surgissent de nouvelles formes de regroupement. Le développement des nouvelles technologies a accentué le processus. Les collectifs comme les Anonymous suscitent de plus en plus d’engouement chez les jeunes. L’investissement associatif y est sans doute plus libre, plus attractif mais aussi plus éphémère. 

L’ensemble de ces différents collectifs qui forment un monde associatif multiple, diversifié et hétérogène constitue aujourd’hui ce que l’on désigne par la société civile organisée. Il s’agit de la société dans ses corps intermédiaires structurés et reconnus pour leur rôle actif dans la vie publique. Or nous sommes aujourd’hui convaincus que la société civile organisée, levier puissant de redynamisation de la chose publique, doit être plus fortement intégrée dans le processus de décision démocratique. De nombreuses associations ont aujourd’hui largement montré leur fonctionnalité exploratoire, qui se traduit par la capacité à mettre en avant des idées et des problématiques nouvelles. L’Etat ne peut plus aujourd’hui revendiquer un monopole de la construction de l’intérêt général. La société civile organisée est un acteur incontournable de la démocratie.

L’intégration de la société civile organisée au processus de la décision publique est devenue une nécessité. Dans un contexte de crise économique et sociale, les politiques ont un réel intérêt à se tourner vers le monde associatif. La participation des associations à la décision publique ne peut que légitimer l’action publique. Les interactions qui existent aujourd’hui entre associations et pouvoirs publics en sont déjà une preuve flagrante. Ces interactions s’inscrivent dans un mouvement ascendant porté par une aspiration nouvelle : la participation. Si elles revitalisent le débat démocratique, elles ne doivent cependant pas aboutir à des distorsions de démocratie. Bien souvent, les politiques ne savent pas dialoguer avec les acteurs de la société civile. Certes, des expérimentations – le plus souvent locales – de participation des citoyens à la décision publique existent aujourd’hui. Elles constituent cependant des exceptions. (I).

Il importe donc de créer les conditions d’un nouveau dialogue et de nouvelles interactions entre le monde associatif et les politiques. Cependant, un tel projet suppose un changement de paradigme et cette « révolution «  ne pourra se faire sans de nouveaux moyens, qu’ils soient institutionnels, politiques ou financiers (II). Enfin, cette évolution appelle des exigences, en termes de transparence, visibilité et indépendance (III).

Liste des propositions

  • Proposition n°1 : Consacrer dans la Constitution un droit fondamental de participation des citoyens à l’élaboration des décisions publiques.
  • Proposition n° 2 : Donner aux associations le droit de saisir le Conseil constitutionnel pour tout projet ou toute proposition de loi.
  • Proposition n° 3 : Elargir le référendum d’initiative populaire aux associations.
  • Proposition n° 4 : Elargir le champ de l’action en justice pour les associations.
  • Proposition n° 5 : Faciliter l’accès des associations aux banques de données et aux médias
  • Proposition n° 6 : Reconnaître aux associations un droit d’innovation.
  • Proposition n°7 : Faciliter l’implication associative des citoyens
  • Proposition n°8 : Créer un environnement favorable à la concertation.
  • Proposition n°9 : Elargir le champ de consultation préalable du CESE pour les projets comportant des enjeux importants pour la vie collective et la société, et donner davantage d’écho aux avis rendus.
  • Proposition n° 10 : Consacrer le principe de transparence dans la Constitution.
  • Proposition n° 11 : Garantir pour le citoyen un droit à la traçabilité des décisions publiques
  • Proposition n° 12 : Faire voter une loi imposant une obligation de déclaration d’intérêts pour les membres du gouvernement, les parlementaires et les fonctionnaires occupant des postes à responsabilité.
  • Proposition n°13 : Mettre en place des mécanismes d’alerte dans la sphère publique et renforcer la protection des déclencheurs d’alerte dans les organisations.
  • Proposition n°14 : Assurer la transparence dans les associations qui participent au dialogue public.
  • Proposition n°15 : Instaurer des principes de représentativité pour les associations.
  • Proposition n°16 : Préserver l’indépendance des associations.
  • Proposition n°17 : Inciter au développement de fédérations associatives thématiques.
  • Proposition n°18 : Clarifier les formes de contractualisation entre associations et pouvoirs publics.
  • Proposition n°19 : Reconnaître et organiser le dialogue civil.
  • Proposition n° 20 : Créer un statut des associations européennes transnationales.

[1] Turgot, ministre de Louis XV, avait dénoncé, dans son article sur les fondations dans l’Encyclopédie, les biens de mainmorte et les corporations. A ses yeux, seul l’Etat peut vraiment exprimer la volonté générale, car lui seul maîtrise le temps.
[2] « La France, écrit Sieyès, ne doit point être un assemblage de petites nations qui se gouverneraient séparément en démocraties ; elle n’est point une collection d’Etats ; elle est un tout unique, composé de parties intégrantes ». Sieyès, « Dire sur le veto royal » in P. Rosanvallon, Le modèle politique français, p. 36
[3] Paul Nourrisson, Histoire de la liberté d’association en France depuis 1789, t. II p. 263
[4] P. Rosanvallon, Le modèle politique français, p. 330
[5] Intervention du 11 juin 1901 au Sénat
[6] L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, 2e ed. Paris, 1925, T.V. p. 621
[7] R. Saleilles, « Rapport préliminaire sur le projet relatif aux fondations », bulletin de la société d’études législatives, t.VII, 1908, p. 359
[8] Repères sur les associations en France – CPCA-CNRS – Mars 2012
[9] Démarche « faire ensemble 2020 » FONDA – Enquête avec le CNRS et analyse des groupes locaux – Octobre 2011

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