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Note

Deux ans après la crise sociale outre-mer : où en sont les engagements gouvernementaux ?

Deux ans après la crise sociale qui a touché les outre-mers en 2009, l’Assemblée nationale débattra, mercredi 18 mai 2011, de l’exécution des mesures annoncées à l’issue des états généraux de l’outre-mer et du Conseil Interministériel de l’Outre-Mer (CIOM) réuni fin 2009. Dans cette note, Nicolas Mazières et Marc Vizy montrent que l’évaluation du degré de mise en œuvre des engagements de sortie de crise révèle une action très en deçà des espoirs suscités. Face aux difficultés du Gouvernement à mettre en œuvre ses promesses et à gérer la situation sociale en outre-mer, des propositions plus ambitieuses et réalistes seront portées par Terra Nova dans les prochaines semaines.
Publié le 

Par Marc Vizy, directeur général de la région Guadeloupe Le 23 Juillet 2008

Le projet de loi pour le développement économique et la promotion de l’excellence outre-mer, dit « projet de loi Jégo », doit être adopté par le conseil des ministres du 28 juillet 2008. Il remet en cause la plupart des instruments de soutien à l’économie des DOM et suscite, dans ces départements, une réprobation unanime et sans précédent.

Présenté comme un outil de développement majeur de l’outre-mer, le texte est avant tout un texte de restriction et d’économies budgétaires.

Si certains dispositifs existants peuvent à coup sûr être recentrés et améliorés, le gouvernement doit revoir sa copie et réexaminer les propositions des élus et des partenaires socio-professionnels qui, toutes tendances politiques confondues, formulent des propositions raisonnables.

I – Depuis plus de 20 ans, les gouvernements de droite comme de gauche ont considéré que les économies des DOM devaient être soutenues et ont mis en œuvre des politiques adaptées

1.1 – Les économies des DOM souffrent encore de retards importants qui justifient qu’elles soient stimulées

Ainsi que le consacre l’article 299–2 du Traité d’Amsterdam, les DOM présentent des handicaps structurels limitant leur croissance économique et liés à leur éloignement, leur faible superficie, leur relief, leur climat, leur dépendance économique vis à vis d’un faible nombre de produits, facteur auxquels s’ajoutent les risques naturels et l’étroitesse de leurs marchés.

Les statistiques illustrent ces retards, tous les DOM enregistrant un PIB par habitant variant entre 56,8 % pour la Guyane et 74,9 % pour la Martinique de la moyenne de l’Union européenne.

1.2 – Grâce à leur propre dynamisme, et surtout à l’effet de mesures adaptées qui restent nécessaires, ces économies commençaient à rattraper leur retard

Les économies des DOM sont ainsi parmi les plus dynamiques de France avec un taux de croissance supérieur à celui de la métropole. Le taux de création d’entreprises rapporté à la population y est largement supérieur à la moyenne nationale (plus de 0,8% contre 0,5%) et la pérennité des entreprises créées est également plus importante.

La croissance de l’emploi y est également supérieure à la moyenne nationale (+6% entre 2006 et 2007 dans les DOM contre +1,5% en moyenne nationale), même si elle ne permet pas d’absorber les contingents nombreux de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail par l’effet d’une natalité encore très forte il y a 20 ans.

Le chômage, encore très haut (autour de 22%), baisse pourtant (- 6 points à la Réunion entre 2002 et 2007). A la Réunion, la baisse récente et importante du taux de chômage résulte en partie d’une « exfiltration »  des jeunes demandeurs d’emploi vers l’Australie et le Québec, accompagnée par la région.

L’analyse économique souligne que la croissance des DOM, dont le moteur essentiel est la consommation des ménages résidents, n’est pas suffisamment riche en emplois.

Les instruments mis en place par l’Etat depuis 20 ans ont cependant fortement contribué à ce début de rattrapage.

1.3 – Ces économies ont en effet vu leur développement encouragé par une panoplie d’instruments spécifiques qui bénéficiaient jusqu’à présent d’un relatif consensus droite-gauche

Ces mesures spécifiques peuvent être classées en 4 catégories :

des subventions européennes qui se sont progressivement substituées aux subventions de l’Etat (FIDOM) aujourd’hui quasiment supprimées. Les DOM relevant de l’objectif « convergence », ces subventions européennes sont nettement plus élevées que dans les régions métropolitaines de l’objectif « compétitivité ». Elles sont issues du FEDER, du FSE, du FEADER et du FEP. Elles concourent au rattrapage des investissements, à la modernisation des entreprises et à la formation. En stimulant la commande publique, elles alimentent le « moteur » des économies des DOM.

des mécanismes de défiscalisation des investissements : Initiées en 1986 par la loi Pons, ces mesures, améliorées par les lois Paul en 2000 puis Girardin en 2003, permettent de soutenir la construction de logements et les investissements des entreprises.

Après une période de rodage marquée par quelques excès, les experts s’accordent aujourd’hui à considérer que la défiscalisation est assainie et a trouvé un équilibre satisfaisant. Elle a contribué à moderniser considérablement l’équipement des entreprises dans les DOM, au risque parfois de mettre en place des infrastructures surdimensionnées.

- des exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale : Mises en place par la loi Perben en 1994 (et financées à l’époque par les DOM eux-mêmes au travers d’une augmentation de deux points de la TVA locale), ces exonérations ont été considérablement amplifiées en 2000 avec la loi d’orientation pour l’outre-mer du Gouvernement Jospin (grâce cette fois-ci à un financement de l’Etat exclusivement), puis encore accrues par la loi Girardin, avec peut-être une sélection insuffisante des secteurs ou des types d’entreprises. En tout état de cause, elles contribuent puissamment à la création d’emplois.

- la création d’une allocation européenne de réduction des surcoûts liés à l’éloignement qui sera expérimentée à partir de cette année peut être considérée comme l’émergence d’une 4 ème catégorie d’outils. Il conviendra d’être vigilant sur la mise en œuvre de cet outil prometteur.

2 – Dans ce contexte, le projet de loi Jego qui s’attaque aux dispositifs existants dans un souci d’économies budgétaires, efface les perspectives que laissait entrevoir la création de Zones Franches Globales d’Activité (ZFGA)

2.1 – Le dispositif des ZFGA, annoncé par le Président de la République et mis en œuvre par le projet de loi est intéressant même s’il est bien moins ambitieux que ne le laissaient espérer les annonces présidentielles.

Les ZFGA partent de l’idée que, dans quelques secteurs prioritaires, un « dopage » des dispositifs existants, avec des taux plus élevés de défiscalisation et d’exonérations de charges, pourrait produire des résultats massifs en termes de croissance.

Le dispositif consiste à accorder aux entreprises relevant du champ de défiscalisation, lorsqu’elles comptent moins de 250 salariés et réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 50 M€ des exonérations d’IS (impôt sur les sociétés), d’IR (impôt sur le revenu – BIC), de TP (taxe professionnelle) et de TFPB (taxe foncière sur les propriétés bâties) à hauteur de 50 %. Ces exonérations sont portées à 80% en Guyane, dans les îles du sud de la Guadeloupe et, dans chaque DOM, pour 4 secteurs particuliers. Elles sont limitées dans le temps (7 ans + 3 ans de sortie dégressive) et plafonnée à 150 000 € pour la TP et 150 000 € ou 300.000 € pour l’IS et l’IR selon les secteurs.

Ces mesures, qui peuvent être analysées comme une nouvelle catégorie d’outils, même si elles ne sont pas à la hauteur des espoirs suscités localement lors de la campagne présidentielle, n’appellent pas de critiques majeures dans leur principe.

2.2 – En revanche, les mesures dites pudiquement « de cohérence » procèdent à une véritable remise en cause des principaux dispositifs de soutien à l’économie des DOM, ceci en totale contradiction avec les engagements de la loi Girardin qui portaient, en principe, sur 15 ans.

- La philosophie même du texte est idéologiquement contestable

Déjà dans son programme de campagne, le candidat Sarkozy évoquait la nécessité pour les DOM d’être davantage autosuffisants. En soi, cet objectif n’est pas critiquable s’il procède de la volonté de créer plus d’activité dans les DOM pour y réduire le chômage.

Mais en réalité, cette recherche « d’endogénéité » s’inscrit dans une vision stigmatisante des DOM présentés comme vivant de l’assistance de la métropole, dans le but de réduire l’intensité financière de mesures relevant simplement de la solidarité nationale en leur faveur. Elle revient à exiger des DOM une autosuffisance que l’on n’imagine pas réclamer aux départements les moins riches de l’hexagone : alors que l’essentiel de la production nationale est assurée dans quelques grandes agglomérations et que le reste du territoire hexagonal ne produit pas davantage que les DOM, il ne vient en effet à l’idée de personne de se demander si la Lozère ne bénéficie pas trop de la solidarité nationale. Même si l’on doit reconnaître que certaines entreprises sont installées dans une économie de rente et sont hostiles au développement de la production locale, formuler en ces termes une telle exigence à l’égard des DOM traduit, de la part de la droite, une perception cartiériste de l’outre-mer.

En réalité le projet est perçu localement comme une supercherie : loin d’accroître de 100 M€, ainsi qu’annoncé, l’effort financier de l’Etat en faveur du développement économique des DOM, il le réduit considérablement et propose de substituer à des dispositifs qui ont fait la preuve de leur efficacité, des mesures à caractère expérimental et à l’effet hypothétique.

- Le projet de loi modifie en profondeur le mécanisme d’exonération de cotisations patronales de sécurité sociale.

Actuellement, les entreprises des DOM sont exonérées à 100 % de ces cotisations, quel que soit le montant du salaire, pour la fraction de ce dernier inférieure à 1,3 SMIC (entreprises de moins de 10 salariés pour tous les secteurs), à 1,4 SMIC (secteurs de l’industrie, des énergies renouvelables, des TIC, de l’audiovisuel, de la pêche, de l’aquaculture, de l’agriculture…) ou à 1,5 SMIC (secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration…).

Même si de notables effets d’aubaine, inévitables, ont pu être enregistrés, ce mécanisme encourage fortement les créations d’emplois dans les DOM et a permis de contenir l’envolée du chômage que la démographie laissait augurer. Les exonérations de charges ont aussi permis de « blanchir » le travail au noir, aussi bien après la loi Paul qu’après la loi Girardin.

Le projet prévoit de conserver deux seuils (1,4 SMIC et 1,6 SMIC pour les 4 secteurs prioritaires) ce qui pourrait être accepté. Mais il propose de ne plus exonérer à 100 % la fraction du salaire inférieure à ce seuil lorsque le salaire est compris entre 1,4 et 3,8 SMIC (1,6 et 4,5 SMIC pour les 4 secteurs prioritaires), ceci par application d’une dégressivité linéaire.

L’effet de cette dégressivité représentera une économie budgétaire évaluée à plusieurs centaines de millions d’euros.

Si cette mesure devait être appliquée, le mécanisme d’exonération spécifique aux DOM ne deviendrait guère plus incitatif que le système Fillon en vigueur dans l’hexagone.

– Le projet de loi remet en cause le financement du logement par défiscalisation dans les DOM.

Actuellement deux principaux mécanismes de financement du logement par défiscalisation coexistent :

– la défiscalisation de la résidence principale permet à son propriétaire de déduire, sur 10 ans, 25 % du prix d’achat de cette résidence de son impôt sur le revenu ;

– la défiscalisation de logements locatifs permet à des investisseurs de déduire entre 40 et 54% du prix d’achat selon le type d’investissement à condition de les réserver à la location pendant au moins 5 ans.

Dans sa première version, le projet de loi prévoyait de supprimer la première mesure dès promulgation de la loi et la deuxième en deux ans.

Face au mécontentement des élus et socioprofessionnels des DOM, le Gouvernement a renoncé à supprimer complètement la défiscalisation des résidences principales mais il l’a assortie de mesures de plafonnement et de conditions d’éligibilité qui risquent en pratique de la vider de son contenu. Il a également étalé un peu plus dans le temps la défiscalisation du logement locatif libre.

En contrepartie de ces remises en cause , serait institué un mécanisme de financement du logement social par défiscalisation.

Ces mesures constituent une grave menace pour les DOM :

– la construction de résidences principales et de logements locatifs privés permet de satisfaire un besoin en logement nettement plus élevé dans les DOM où il n’existe pas de stock de logements vides ;

– en offrant des solutions à des foyers résidants en logement social, ces constructions, aujourd’hui menacées, favorisent le parcours résidentiel ;

– la suppression de ces mécanismes mettra donc un frein à la construction au détriment des Domiens mal logés et entraînera des suppressions d’emploi

– pour autant, ces conséquences néfastes ne seront pas compensées par une relance du logement social, bloqué actuellement, non pas par l’absence de défiscalisation mais par la réduction depuis 2002 de crédits de la LBU (Ligue Budgétaire Unique pour le logement social dans les DOM) rendus de surcroît impossibles à consommer du fait de la non revalorisation depuis 2000 des paramètres encadrant leur utilisation.

– Le projet de loi apporte des modifications substantielles aux dispositifs de défiscalisation des investissements des entreprises.

Quelques avancées techniques positives sont à noter en particulier en ce qui concerne la rénovation hôtelière et la recherche-développement.

En revanche, le projet prévoit la réduction du taux de défiscalisation pour la plaisance. Ce taux passerait de 70 à 50 % alors que la loi Girardin l’avait précisément porté de 50 % à 70 % constatant qu’en deçà l’incitation n’était pas suffisante.

La navigation de plaisance est un segment touristique porteur d’emplois pour lequel la Guadeloupe et la Martinique ont des avantages comparatifs incontestables. Au moment où la région Guadeloupe vient d’adopter un plan de développement du nautisme qui fixe les axes de son développement, condamner ce mécanisme qui fonctionne est particulièrement inopportun. A la rigueur, il pourrait être accepté de réduire ce taux à 60% et d’imposer l’augmentation de 60 à 65% du taux de rétrocession de l’avantage fiscal à l’exploitant.

De même le plafonnement de la défiscalisation dans le secteur des énergies renouvelables particulièrement adaptées au contexte insulaires des DOM est en contradiction avec les objectifs affichés du Grenelle de l’environnement et va à l’encontre des politiques régionales mises en œuvre notamment à la Réunion et en Guadeloupe (pôle de compétitivité Synergile).

Ces attaques portées à la défiscalisation sont à rapprocher des recommandations du Gouvernement et de la commission des finances et de l’Assemblée Nationale sur les « niches fiscales » qui se focalisent sur la défiscalisation des investissements outre-mer alors qu’ils ne coûtent à l’Etat qu’environ 600 M€ sur les 73 milliards d’euros de dépenses fiscales de l’Etat « toutes niches confondues ».

– Le projet revient sur le mécanisme de la TVA Non Perçue Récupérable (TVANPR)

Ce dispositif spécifique permet aux entreprises de déduire de la TVA collectée et donc due à l’Etat, une somme correspondant à la TVA non acquittée sur des approvisionnements bénéficiant d’exonérations propres aux DOM.

La TVANPR revient à un système de subventions des entreprises des DOM. Elle est sans doute critiquable dans la mesure où ces « subventions » ne sont pas allouées en fonction de critères ou d’objectifs rationnels. Toutefois, elle représente une aide de l’Etat évaluée à 250 M€ par an pour les quatre DOM. Le projet de loi la recentre sur certains équipements neufs et la supprime pour l’ensemble des autres biens de consommation.

Son recentrage devrait être compensé par des mécanismes plus pertinents et d’ampleur équivalente. Or, ni le fonds exceptionnel d’investissement, ni l’aide aux intrants prévus par le projet, et qui correspondent à d’autres logiques, n’apportent de garanties suffisantes.

- Le projet de loi prévoit la constitution d’un fonds exceptionnels d’investissement.

Cette mesure répond à une demande de la région Guadeloupe. Toutefois, ni son volume (le calcul de sa dotation de base et ses modalités d’indexation ne sont pas connus), ni sa pérénité juridique (il ne s’agit pas d’une dotation), ni les conditions de son fonctionnement n’offrent de garanties suffisantes.

- Le projet met en place une aide aux intrants complémentaires aux aides équivalentes de l’Union européenne qui commencent à être expérimentées. Cependant rien ne garantit que la Commission accepte que ces aides couvrent entièrement la part des coûts de fret non prise en charge par le FEDER.

- Enfin le projet remet profondément en cause le dispositif de « continuité territoriale » dont bénéficient les DOM depuis 2003.

La loi Girardin a mis en place une mesure permettant aux régions de réduire le coût des billets d’avion entre les DOM et l’hexagone, pour certaines catégories de personnes. Bien que douze fois moins dotée (en euros par habitant) que le dispositif corse, cette mesure est très appréciée des plus modestes et constitue un réel progrès.

En revenant sur le caractère décentralisé de sa gestion, en le subordonnant à des financements régionaux et en l’assortissant de règles complexes, le projet cherche en réalité à supprimer ce mécanisme pour réaliser des économies budgétaires.

En conclusion, dans sa forme actuelle, le texte n’est pas acceptable par les DOM et porte en lui un fort risque de régression de leurs économies.

Conscient du rejet unanime d’un projet en réalité élaboré par Bercy face à un secrétariat d’Etat à l’outremer affaibli par la gestion Estrosi et en cours de démantèlement dans le cadre de la RGPP, Yves Jégo s’emploie avec difficulté à revenir sur les arbitrages perdus par son prédécesseur pour donner à son projet un aspect plus présentable. Il reste que tout projet relatif à l’outre-mer dans le contexte actuel de recherche d’économies budgétaires, de faiblesse des « avocats » de l’outre-mer dans l’appareil d’Etat et de regain de critiques à l’encontre des outre-mers par les opposants à la défiscalisation, de droite comme de gauche, risque de se traduire, au final, par la suppression des outils de soutien aux économies des DOM qui leur ont permis depuis 20 ans d’amorcer leur rattrapage. Pour les DOM, le Gouvernement doit retirer son projet. Les orientations qu’il privilégie doivent être mises à la concertation avec tous les élus et les partenaires socio-économiques des quatre DOM. Les conseils généraux et régionaux, qui ont émis un avis défavorables sur le projet, ont formulé certaines propositions qui tendent à améliorer les dispositifs existants en en corrigeant certains défauts. Le gouvernement doit les entendre.

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