Éric Ciotti dans ses œuvres

Éric Ciotti dans ses œuvres
Publié le 15 décembre 2022

Elu président des Républicains le 12 décembre, Eric Ciotti succède à Christian Jacob qui lui laisse, après une nouvelle cuisante défaite en 2022, une maison affaiblie et parcourue de vives tensions. Identifié à la branche « dure » de son parti, Eric Ciotti n’a pas caché vouloir ouvrir la voie à une candidature de Laurent Wauquiez à la prochaine élection présidentielle, en supprimant la procédure des primaires dans son parti. Le faible score de sa victoire (53,7%) face à Bruno Retailleau ne lui permettra toutefois pas de faire taire les dissensus dans sa propre famille politique. Le héraut d’une droite décomplexée, si radicale qu’elle se confond bien souvent avec l’extrême-droite, survivra-t-il à la rude épreuve de chef de parti où tant d’ambitions se sont fracassées avant lui ?

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Le député de la 1re circonscription des Alpes-Maritimes vient d’être élu président des Républicains et succède ainsi à Christian Jacob qui lui laisse, après une nouvelle cuisante défaite en 2022, une maison affaiblie et parcourue de vives tensions. Identifié à la branche « dure » de son parti, Eric Ciotti n’a pas caché vouloir ouvrir la voie à une candidature de Laurent Wauquiez à la prochaine élection présidentielle (« Je considère que Laurent Wauquiez doit incarner cette espérance »), donnant à ce congrès l’allure d’une primaire très anticipée (procédure qu’il souhaite par ailleurs supprimer au sein de LR dès 2023).

Le faible score de sa victoire (53,7%) face à Bruno Retailleau ne lui permettra toutefois pas de faire taire les dissensus dans sa propre famille politique. Le héraut d’une droite décomplexée, si radicale qu’elle se confond bien souvent avec l’extrême-droite, survivra-t-il à la rude épreuve de chef de parti où tant d’ambitions se sont fracassées avant lui ?

En route vers l’unité des droites ?

L’élection d’Eric Ciotti à la tête de LR pourrait préfigurer des alliances futures avec le Rassemblement National, que ce soit au niveau local ou au niveau national. Comme il l’avait lui-même affirmé dans une interview accordée à Valeurs actuelles le 30 avril 2021: « Ce qui nous différencie du RN, c’est notre capacité à gouverner. » Il est clair que pour l’élu des Alpes-Maritimes, ce ne sont ni les valeurs ni les projets qui font la différence entre Les Républicains et le RN, mais essentiellement la « crédibilité », comme disent les sondeurs. Marine Le Pen avait d’ailleurs réagi positivement à cet entretien : se déclarant « prête à faire des compromis », elle avait noté avec satisfaction que les propos d’Eric Ciotti « ne l’obligeraient même pas à en faire » !

Finalement, Eric Ciotti apparaît comme l’héritier lointain d’une autre figure de cette droite du Sud-Est, Charles Pasqua qui déclarait il y a trente-cinq ans dans le même magazine : « Il y a sûrement au Front national quelques extrémistes, mais, sur l’essentiel, le FN se réclame des mêmes préoccupations, des mêmes valeurs que la majorité. Seulement, il les exprime d’une manière un peu plus brutale, un peu plus bruyante ». Une affaire de décibels en somme. Au fond, pour Eric Ciotti comme pour son illustre devancier, la droite et l’extrême-droite sont quasi-substituables pour peu que la première accepte d’être elle-même et de porter crânement ses convictions : « Quand la droite est à droite, il n’y a pas besoin de l’extrême droite ou d’autres offres politiques », déclarait-il ainsi sur sonsite de campagne.

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Ce positionnement l’a également conduit à se rapprocher d’Eric Zemmour durant la campagne présidentielle, donnant quelques sueurs froides à Valérie Pécresse mais sans rompre avec sa famille d’origine. Comme lui, il pense notre « civilisation » en danger. Comme lui il adhère à la thèse du « grand remplacement ». Comme lui il aime invoquer pêle-mêle les mythes fondateurs de la droite française, de Verdun à Austerlitz, de Jeanne d’Arc à Napoléon, de Notre-Dame au Mont-Saint-Michel… Une parenté qui l’a conduit à affirmer fin 2021 : « Entre Emmanuel Macron et Eric Zemmour, je voterais Eric Zemmour », ajoutant même que « le constat que dresse Éric Zemmour, à bien des égards, je le partage, disons qu’on a le même ».

La proximité entre Eric Ciotti et les leaders d’extrême-droite est si étroite que l’on peine parfois à les distinguer.Sa réaction à l’accueil de l’Ocean Viking le 11 novembre 2022 sur BFM (« C’est un signal extraordinairement négatif adressé à ceux qui font le commerce des êtres humains. C’est ce que souhaitaient les passeurs, que ceux qui ont payé un trajet très cher pour traverser la Méditerranée atteignent l’Europe. C’est une faute très lourde de la part du gouvernement français ») est une copie quasi-conforme des mots de Laure Lavalette, députée du Var et porte-parole du Rassemblement national le même jour sur la même chaîne.

Proximité idéologique avec l’extrême-droite

Cette proximité avec le RN et Eric Zemmour n’est pas que de style et de positionnement : elle est aussi l’effet d’une profonde convergence programmatique, comme l’atteste leprogramme de campagned’Eric Ciotti pour les primaires de 2021 : instauration de la priorité nationale pour l’emploi et le logement social ; non accès aux prestations sociales pour les étrangers avant 6 ans de présence sur le territoire national ; suppression de l’aide médicale d’Etat aux étrangers pour lutter contre le « tourisme médical » ; suppression du regroupement familial ; abolition du droit du sol ; sortie de Schengen ; contestation de la primauté du droit européen et de la CEDH ; sortie des accords d’Evian et de la Convention de 1968, accusés d’accorder « des privilèges migratoires inacceptables à l’Algérie » ; et même suppression de l’impôt sur les successions… Dans sa course à la radicalité et au « pire-disant » d’extrême-droite, Eric Ciotti est apparu comme le grand vainqueur des primaires de la droite en 2021 : sa défaite au second tour contre Valérie Pécresse, avec 40% des suffrages exprimés aura finalement pavé sa victoire au congrès un an plus tard.

Eric Ciotti ne se contente pas de copier l’original RN : il y ajoute également sa touche personnelle et fait même preuve d’une certaine imagination en la matière. Le 26 mai 2020, au lendemain de l’assassinat de George Floyd aux Etats-Unis par la police de Minneapolis, il dépose uneproposition de loià l’Assemblée nationale visant à interdire « la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de policiers municipaux ou d’agents des douanes » sous peine d’une condamnation à 15 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement. Les forces de l’ordre doivent être « non identifiables dans l’espace médiatique, y compris sur les réseaux sociaux ».

De même, en novembre 2021, il propose de créer un« Guantanamo à la française »pour lutter contre le terrorisme et l’islamisme. Il souhaite y enfermer « les cas extrêmement graves » qui nécessitent, selon lui, « des mesures d’exception avec un centre de rétention dédié » : « Depuis 2018 et d’ici à 2022, 2 540 détenus condamnés pour terrorisme islamiste ou radicalisés en prison ayant purgé leur peine sont sortis ou vont sortir de prison. Pour la plus grande partie d’entre eux, nous devons aller plus loin que ce que prévoit la législation avec des bracelets géolocalisés » ; « Le combat contre l’islamisme ne peut supporter la naïveté. Il faut des lois spécialement adaptées au terrorisme, comme le Patriot Act aux Etats-Unis ».

Enfin, les propositions de loi dont il est l’auteur depuis le début de la présente mandature en juin dernier n’ont rien à envier à celles déposées par le RN, allant même plus loin que lui dansl’obsession du communautarismequecelle du groupe RNsur le port de l’uniforme à l’école : alors que les députés RN se contenteraient volontiers d’imposer un uniforme aux couleurs de l’établissement aux écoliers et aux collégiens, Eric Ciotti y ajoute les lycéens et prévoit une taxe additionnelle sur le tabac pour financer l’opération. Une autre proposition de loi d’Eric Ciotti, relative àl’expulsion des étrangers causant des troubles à l’ordre public, a même rencontré les faveurs de Laurent Jacobelli, député RN de Meurthe-et-Moselle, qui a salué des « mesures timorées mais de bon sens ».

Ciotti le poutinophile

Eric Ciotti partage également avec l’extrême-droite une poutinophilie constante, au moins jusqu’au déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022. Le nouveau patron de LR a en effet toujours plaidé en faveur d’un dialogue avec le Kremlin et de l’amitié franco-russe, reprenant à son compte la vieille russophilie de la droite française. Cette tradition est cependant revisitée chez lui à la lumière de son obsession de l’islamisme. Il répète ainsi à l’envi que l’intervention russe en Syrie a été déterminante pour lutter contre l’Etat islamique, en se gardant bien de mentionner les massacres de populations civiles perpétrés par l’armée russe. « La Russie a été un élément essentiel pour faire reculer Daesh territorialement. La Russie a été trop longtemps écartée sous la présidence Hollande, il faut que le Russie soit à la table des discussions », affirme-t-il sur Europe 1 en février 2018.

Cette orientation va bien sûr de pair avec une critique de l’atlantisme. Dans un communiqué de presse du 22 septembre 2021, il plaide en outre pour la sortie du commandement intégré de l’Otan en se revendiquant du gaullisme et en réclamant rien moins qu’une « révision » des alliances internationales de la France (un autre point commun avec Marine Le Pen, du reste). Un mois plus tard, il en appelle à « une amitié franco-russe retrouvée » et à la sortie d’une « logique des blocs et d’une forme de guerre froide qui n’a plus lieu d’être ». Encore à la veille du déclenchement de la guerre en Ukraine, le 8 février 2022, Eric Ciotti déplore l’absence de dialogue avec Moscou sur Cnews : « C’est utile de parler à Vladimir Poutine. Cela fait plus de deux ans et demi qu’il n’y a eu aucun dialogue entre la France et la Russie. Il faut qu’il y ait ce dialogue ». L’aveuglement survit même au déclenchement des hostilités : « Je pense que l’isolement diplomatique dans lequel nous avons entretenu la Russie depuis 10 ans fut une erreur » (BFM, le 20 mars 2022). Dans un contexte où tout indiquait la brutalité, la violence et pour tout dire le caractère objectivement criminel du régime de Poutine, le nouveau leader des Républicains sera resté longtemps un partisan de la politique d’apaisement, c’est-à-dire selon Churchill « celui qui nourrit le crocodile en espérant être mangé le dernier ».

Eric Ciotti aura finalement commis une double erreur, largement partagée à droite comme à l’extrême-droite et dans une partie des gauches radicales. La première concerne la nature du régime russe : trop fasciné par « l’homme fort » du Kremlin et le modèle du chef incontesté qu’il incarne aux yeux de souverainistes nationalistes épris d’autorité et de rêves bonapartistes, il ne voit pas l’hostilité foncière de Moscou à l’égard des occidentaux dans leur ensemble. La seconde porte sur la nature de l’héritage gaulliste en matière géopolitique. Contrairement à ce que prétend Eric Ciotti, De Gaulle n’a jamais été l’artisan d’un non-alignement dans l’affrontement des deux blocs de la guerre froide. Dans les moments de crise, la France a toujours été au côté de ses alliés. Cette ligne de conduite que l’on qualifie parfois de « doctrine gaullo-miterrandienne » s’est maintenue jusqu’à nous : l’esprit d’indépendance n’est jamais allé jusqu’à entreprendre une « révision des alliances ». Comme l’exprimait Nicolas Tenzer dans une note pour La Grande Conversation de Terra Nova, « ni le Général de Gaulle ni François Mitterrand ne considéraient qu’il fallait tenir à égale distance la France ou l’Europe et la Russie » : De Gaulle avait rappelé l’ancrage occidental et atlantiste de la France dans son discours devant le Congrès américain en 1960, lors de la crise de Berlin de 1961 et encore lors de l’affaire des missiles de Cuba. « Lors de son voyage en URSS en 1966, il [avait] clairement dit qu’il souhaitait que le peuple russe recouvre la liberté ». Quant à Mitterrand, il a soutenu le déploiement des Pershing américains en Allemagne lors de la crise des euromissiles (« Le pacifisme est à l’ouest et les missiles sont à l’est ») et il a ouvert le dossier Farewell à Ronald Reagan quelques mois à peine après son élection en 1981. N’en déplaise à Eric Ciotti et à tous les poutinophiles de ses amis, l’URSS hier ou la Fédération de Russie aujourd’hui n’ont jamais fait partie des alliés de la France.

Un professionnel de la politique

On aurait tort cependant d’en rester au portrait d’un leader politique ivre de radicalité. Car Eric Ciotti est d’abord un professionnel de la politique. Son élection à la tête des Républicains est l’aboutissement d’un long parcours commencé dès sa sortie de Sciences Po comme collaborateur parlementaire de Christian Estrosi (alors député RPR). Successivement conseiller de Jean-Claude Gaudin à la Région PACA, à nouveau de Christian Estrosi lors de son passage au ministère de l’aménagement du territoire, conseiller municipal à Nice, député, président du Conseil départemental des Alpes-Maritimes…, il n’a finalement rien connu d’autre que la politique. Avec le soutien de François Fillon, il a même évité d’aller prendre un peu l’air sous l’uniforme et les drapeaux (ce qui ne l’empêchera pas de soutenir avec une ardeur incomparable la défense d’un Service national obligatoire après que Jacques Chirac l’aura définitivement supprimé !).

Eric Ciotti entame ainsi depuis juin 2022 son quatrième mandat de député : si la présente mandature va jusqu’à son terme, il aura bientôt passé 20 ans sur les bancs de l’Assemblée nationale (contre 6 ans en moyenne pour l’ensemble des députés). Une longue expérience qui lui a appris à manœuvrer. Il est ainsi capable, tout en affichant une radicalité droitière, de procéder à de discrets mais nombreux accommodements. Éric Ciotti a ainsi voté comme la majorité présidentielle dans 70% des cas depuis le début de la législature, contre 45% pour la moyenne des députés non membres de la majorité (45%) et 62% pour la moyenne des députés de son groupe politique (62%). Sous les apparences de l’opposant intransigeant, Eric Ciotti apparaît comme un homme de calcul. En dépit de ses vieilles passions russophiles, il a voté avec son groupe en faveur de la ratification de l’accord pour l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN à l’Assemblée en août dernier (le RN s’est abstenu). De même, le 30 novembre dernier, il vote pour la proposition de résolution soutenant l’Ukraine et condamnant la guerre en Russie avec le groupe LR (le RN s’est encore abstenu). 

Bref, Eric Ciotti sait mettre de l’eau dans son vin. Et il risque d’en avoir grand besoin pour conduire un parti qui accumule les défaites aux élections nationales depuis dix ans et qui ressemble de plus en plus à une « brouette de grenouilles » comme disait Jean-Louis Bourlanges autrefois à propos des centristes. Plusieurs élus locaux et responsables de fédérations LR dans toute la France ont d’ailleurs déjà affirmé leur refus d’une présidence de LR par Eric Ciotti en quittant Les Républicains depuis sa victoire. C’est le cas du maire de Metz François Grosdidier, mais aussi de plusieurs maires du Sud-Est de la France qui ne se reconnaissent pas dans la « droite dure » qu’il incarne, craignant à raison que leur famille politique devienne une force « supplétive » de l’extrême droite. Certains des 46% de militants qui n’ont pas voté pour lui au congrès des LR pourraient également passer par-dessus bord et tomber dans l’escarcelle de la majorité présidentielle. Eric Ciotti va ainsi connaître les tourments endurés avant lui par Christian Jacob pendant de longues années. Les élections européennes de 2024, prochaine échéance électorale en vue, pourraient ainsi tourner au supplice chinois, tant il sera difficile de maintenir l’unité d’une famille politique où les uns sont de fervents défenseurs de la cause européenne et les autres – à commencer par le nouveau chef du parti – des adversaires résolus de la supériorité des traités sur les lois nationales et des partisans déterminés de la sortie de la Convention européenne des droits de l’homme.

La route jusqu’à la victoire de Laurent Wauquiez pourrait être encore longue.

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Alexandre Durain

Annalivia Lacoste