Et le grand vainqueur du premier tour de la présidentielle est… Vladimir Poutine

Et le grand vainqueur du premier tour de la présidentielle est… Vladimir Poutine
Publié le 11 avril 2022
Une des surprises du premier tour de l’élection présidentielle est l’ampleur du score des candidats qui, tous bords confondus, relaient la lecture russe du conflit en Ukraine ou qui montrent de la compréhension pour la lecture poutinienne des relations internationales. Voilà un sujet de clivage majeur entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron dont il faudra tenir compte le 24 avril.

Il existe bien des manières d’analyser les résultats d’un scrutin. Une élection est une alchimie, c’est une agrégation de décisions individuelles qui, par un effet de composition, produisent une signification globale. La guerre en Ukraine ayant dominé l’actualité de cette fin de campagne, il est intéressant d’interpréter ces résultats de premier tour au prisme des positions des candidats sur ce conflit.

L’importance accordée à cette guerre par les Français dans leur choix électoral a évolué en six semaines. Quelques jours après le déclenchement du conflit, le 27 février, dans une enquête Harris Interactive, 65% des personnes interrogées estimaient qu’elle jouerait un rôle important dans leur vote à l’élection présidentielle. Dans le sondage « jour du vote » du même institut, ils ne sont que 15% à déclarer que ce thème fait partie des cinq thèmes qui ont le plus compté dans leur choix de vote. Avec une question différente – « chacun des éléments suivants a-t-il joué un rôle déterminant, important mais pas déterminant, ou secondaire dans votre vote au premier tour de l’élection présidentielle ? » – le sondage IFOP « jour du vote » montre que 34% des votants accordent à la guerre en Ukraine un rôle déterminant dans leur vote (et 44% un rôle important mais pas déterminant). On peut donc considérer que, sans être aussi important que l’enjeu du pouvoir d’achat, celui de la guerre a joué un rôle dans les déterminants du vote, d’autant qu’un autre item lui est directement lié, celui de l’évolution du prix des carburants et de l’énergie, considéré comme déterminant par 56% des votants. Par ailleurs, les positions des principaux candidats sur la guerre ont été suffisamment traitées par les médias pour que l’on puisse estimer que le niveau d’information des électeurs à ce sujet était correct.

Quand on additionne les scores des candidats qui ont pris position contre les ventes et livraisons d’armes à l’Ukraine, un retrait de la France de l’OTAN, une alliance privilégiée avec la Russie et/ou un positionnement neutraliste, on atteint le chiffre de 61,29% des électeurs ! A l’extrême-droite, Marine Le Pen (23,41), Éric Zemmour (7,05), Nicolas Dupont Aignan (2,07), à l’extrême-gauche Jean-Luc Mélenchon (21,95), Fabien Roussel (2,31), Philippe Poutou (0,77) et Nathalie Arthaud (0,57), à quoi il faut ajouter le score du complotiste Jean Lassalle (3,16%). Il va de soi que tous ces électeurs n’ont pas voté pour ces candidats en raison de leurs positions sur l’Ukraine et la Russie. En revanche, ils ont voté malgré ces positions, et le plus souvent en connaissance de cause.

C’est donc près des deux tiers des Français qui s’accommodent d’un abandon de l’Ukraine et d’un soutien objectif à la Russie de Poutine ou au moins d’une autorisation passive aux massacres. Rappelons que Marine Le Pen est dépendante financièrement de Vladimir Poutine jusqu’en 2028, qu’elle n’a jamais caché son admiration pour le dictateur russe, et qu’elle défend encore le principe d’une alliance privilégiée de la France avec la Russie. Jean-Luc Mélenchon, de son côté, accuse l’OTAN et les Etats-Unis d’être responsables de la situation en Ukraine, il déclarait encore début février : « Les États-Unis d’Amérique ont décidé d’annexer l’Ukraine dans l’Otan, et la Russie se sent humiliée, menacée, agressée » et il proposait de neutraliser notre pays en sortant de l’OTAN et en ressuscitant le concept de pays non-aligné. Éric Zemmour a résumé son point de vue dans une formule lapidaire : « Si Poutine est coupable, l’Occident est responsable », et juge que Poutine est un « démocrate autoritaire ».

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On peut bien sûr négliger ces signaux et juger qu’ils ne signifient rien. On peut, au contraire, les prendre au sérieux et chercher à les interpréter. Ne sommes-nous pas face à un phénomène qu’on pourrait qualifier de pétainisme du XXIe siècle ? Les Français ont conscience de la dimension mondiale du conflit ukrainien, ils savent qu’une position neutre dans un conflit de cette nature est rapidement intenable, et ils ont aussi conscience de ce que signifie le soutien économique à l’Ukraine en termes de prix de l’énergie et de baisse du pouvoir d’achat. Tel est le contexte qu’il faut prendre en compte.

La détermination des peuples européens sera essentielle pour empêcher Vladimir Poutine d’imposer ses visées impérialistes sur l’Est de l’Europe. Et la détermination du peuple français apparaît vacillante, à la lumière de ce premier tour de présidentielle. Dans les mois qui viennent, l’attitude à l’égard de l’Ukraine sera un marqueur politique majeur des pays, mais aussi des citoyens. Dans les quinze jours qui viennent, un candidat favorable à un soutien déterminé à l’Ukraine sera opposé à une candidate qui soutient la Russie dans sa guerre de conquête. Il sera difficile de négliger ce clivage politique majeur. Et si le 24 avril, Marine Le Pen est élue présidente de la République, il est clair que Vladimir Poutine aura conquis la France sans avoir tiré un seul coup de canon.

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Jean-Louis Missika