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Revue de presse

Etude de Terra Nova : la République en marche est un parti personnel

Coauteur de l’enquête approfondie sur le parti macronien lancée par le think tank Terra Nova, le professeur des universités Marc Lazar nous en livre les principaux enseignements.
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L’émergence et la montée en puissance rapide de la République en marche dans un paysage politique marqué par la désaffection des Français vis-à-vis de l’engagement partisan ont longtemps suscité l’incrédulité des observateurs. Pour comprendre le phénomène, le think tank Terra Nova a lancé en juin, avec l’aval de la direction du parti macronien, une enquête approfondie auprès de 8 800 marcheurs, sélectionnés pour leur représentativité. Un des quatre coauteurs de cette véritable radiographie de LREM, le directeur du Centre d’histoire de Sciences-Po et spécialiste de l’histoire de la gauche, Marc Lazar, en livre les principaux enseignements.

Deux ans et demi après sa création, LREM revendique plus de 400 000 adhérents. Qui sont vraiment ces marcheurs ? Où se situent-ils politiquement ?

Les marcheurs sont très largement des hommes (68%) ce qui, pour le coup, ne singularise pas la LREM des autres formations politiques, même s’ils sont plus jeunes et plus urbains que dans les partis traditionnels. Leur principal caractéristique c’est qu’ils ont un très haut niveau d’instruction : 80% sont diplômés du supérieur, c’est sans comparaison avec les moyennes des autres partis. Ce sont des cadres du privé et professions libérales dont les revenus sont aisés ou satisfaisants. En revanche, ce ne sont pas des héritiers qui vivent de leur patrimoine. Pour eux, l’éducation est tout à fait fondamentale.

Leur militantisme est aussi récent. L’écrasante majorité a peu d’expérience politique. Ceux qui en ont viennent plutôt du PS. Beaucoup par contre ont une expérience associative. Ceux-là sont les plus enclins à occuper des responsabilités au sein du mouvement.

Politiquement, la majorité des marcheurs, accepte de se situer sur l’échelle gauche droite. Ils se positionnent au centre de l’échiquier politique et ils ont tendance à considérer que leur mouvement est un peu plus à droite qu’eux-mêmes. Ce qui les caractérise, c’est leur vision très polarisée de la vie politique : pour eux, LR est proche du FN et le PS peu éloigné de La France insoumise.

Néanmoins, au sein des marcheurs, il y a deux catégories distinctes : ceux qui se disent « et de gauche et de droite » et ceux qui se disent « ni de gauche ni de droite ». Les premiers sont plutôt satisfaits du fonctionnement de la démocratie et ils pensent que le clivage gauche-droite peut être dépassé. Les seconds, qui se disent très insatisfaits du système politique, se sont reconnus dans le discours « antisystème » de Macron.

Vous avez identifié plusieurs familles au sein de LREM…

C’est exact. Nous avons identifié cinq grandes sensibilités au sein de LREM sur la base des réponses données aux questions économiques et sociétales. Elles ne sont pas figées mais il y a des polarités. La sensibilité majoritaire ce sont les « progressistes libéraux » (31%), libéraux en économie mais tolérants sur les questions sociétales (PMA, homosexualité, immigration…). Ils viennent plutôt du centre et du centre droit, de l’aile droite du PS jusqu’à la droite juppéiste. La deuxième sensibilité, ce sont les « progressistes égalitaires » (23%) : ils considèrent qu’il faut être ouvert sur le plan sociétal et plus interventionniste sur le plan économique. Ceux-là viennent de la gauche. La troisième sensibilité, ce sont les « conservateurs libéraux » : libéraux sur le plan économique et conservateurs sur les questions sociétales et culturelles. Ceux-là viennent plutôt de la droite. Le quatrième ensemble, qui représente 19% des marcheurs, regroupe les « modérés conservateurs », qui sont libéraux sur le plan économique et culturel mais pas trop.

Dernière sensibilité, ultraminoritaire (4%), les « eurodubitatifs » : elle est composée de marcheurs qui ne partagent pas l’enthousiasme européen de LREM ; ils ont rejoint Macron par volonté de changement et adhésion à son discours « antisystème ».

Quel est le socle commun des marcheurs ?

Sans conteste, le principal, c’est Emmanuel Macron. Les militants LREM sont séduits par son leadership, son charisme, son sens du risque. Ils expriment certes quelques critiques, notamment sur la faiblesse de la démocratie participative au sein du mouvement et plus largement. Mais s’ils ne sont pas aveugles, ils se reconnaissent dans le chef. L’autre ciment, c’est l’Europe. Il n’y a pas de doute qu’ils se mobiliseront dans la perspective du scrutin européen de 2019.

La République en Marche est-elle vraiment un parti différent des autres comme le revendiquent bon nombre de ses militants ?

Il est difficile de répondre à cette question. La formation macronienne est unifiée sur les questions du leader et de l’Europe, questions qui divisent les partis traditionnels. En revanche, les fonctions que les marcheurs attribuent à la LREM sont celles de tout parti politique : être l’intermédiaire entre la société et l’exécutif, sélectionner des candidats pour les élections, populariser l’action gouvernementale… Les marcheurs ont de facto intégré que le rôle d’un parti dans la Ve République, c’est de servir le Président et de soutenir sa majorité.

Quelle conclusion en tirez-vous ?

La République en marche est un parti personnel, créé pour et par un leader, tout comme La France Insoumise ou, en Italie, Forza Italia avec Berlusconi et le Mouvement Cinq Etoiles autour de Beppe Grillo. Et ce, même si une tension existe entre la verticalité de l’exercice du pouvoir par son leader et la promesse d’horizontalité, notamment dans la capacité d’écoute du chef.

Depuis la réalisation de votre étude, l’affaire Benalla puis les démissions de Hulot et de Collomb, ont ébranlé l’autorité d’Emmanuel Macron. Cette impopularité grandissante du chef de l’Etat est-elle de nature à remettre en cause la pérennité de son parti ?

C’est le revers de la médaille. La force de LREM, c’est d’avoir un leader capable de mobiliser les troupes. Sa faiblesse, c’est que si le leader est affaibli, le parti est affaibli. D’autant que le jeu de chaises musicales interne au pouvoir peut encore le fragiliser. Ainsi, le directeur général de LREM, Christophe Castaner, perçu comme le relais de Macron dans le mouvement, recueille un niveau élevé de satisfaction auprès des marcheurs (63%). S’il part au ministère de l’Intérieur aujourd’hui, ce sera un problème.

Pour assurer sa pérennité, le parti doit donc s’homogénéiser, se structurer, en un mot s’institutionnaliser. C’est la condition pour survivre au destin politique de son leader.

Nathalie Raulin

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