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Note

Europe : l’heure des choix, nos propositions pour l’Union Européenne

Dans quelques semaines, les citoyens européens sont appelés à choisir leurs députés au Parlement européen. Leur vote aura aussi un impact sur le choix de la prochaine Commission qui sera renouvelée à l’automne. Leur voix orientera donc les choix de l’Union Européenne pour les années à venir. Or le projet européen doit rester ambitieux pour répondre aux défis du XXIe siècle. Mais il doit aussi se réinventer pour se recentrer sur l’essentiel, répondre à l’impatience des citoyens et au sentiment d’inefficacité. Ce n’est pas par le repli national que l’on apportera une réponse à des défis d’ampleur séculaire et de dimension souvent mondiale. Un projet progressiste pour l’Europe appelle des propositions audacieuses et inventives alors que les divisions entre pays européens se sont multipliées et aggravées ces dernières années. Au cours des cinq dernières années, Terra Nova s’est exprimé à des multiples reprises sur sa vision du projet européen. Cette note permet de remettre en perspective nos contributions avec le scrutin de mai prochain, et de rappeler les priorités qui ont jalonné nos travaux pour la prochaine décennie : une Europe de la transformation positive, fondée sur une nouvelle forme de croissance durable et équitable. Une Europe qui protège. Une gouvernance économique commune, centrée sur la régulation du capitalisme financier. Répondre enfin, à l’urgence démocratique.
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1. Une Europe de la transformation positive centrÉe sur une nouvelle forme de croissance, durable et Équitable

L’UE doit favoriser l’émergence d’un nouveau régime de croissance. De façon générale, elle doit renforcer ses initiatives et ses soutiens en faveur de l’innovation technologique en misant sur des standards élevés en matière environnementale et sociale. Mais cette mutation technologique ne pourra se mettre en place sans réduire la consommation de ressources naturelles ni transformer son modèle de consommation énergétique, tant pour les biens importés que pour ceux produits sur le sol européen. Elle devra donc mettre la priorité sur la transition vers une économie à bas carbone.

1.1. AccÉlÉrer la transition vers une Économie À bas carbone

L’UE a fait de la lutte contre le changement climatique un marqueur important de ses politiques et de sa diplomatie. Or cette ambition affichée implique la refondation du modèle productif européen et de sa politique énergétique. Plusieurs objectifs s’imposent pour atteindre la neutralité carbone au plus tard en 2050 : le développement des secteurs de demain à travers la transition énergétique ; la réforme de la gouvernance et des instruments de la politique climatique pour élaborer une stratégie plus large que le seul Système européen d’échanges de quotas d’émissions («  European Union Emission Trading System  » – EU ETS) ; et enfin, la refonte du marché électrique européen.

Nos propositions ● Fixer comme objectif commun à l’ensemble de l’Union la neutralité carbone, au plus tard en 2050.● Faire de l’efficacité énergétique, des énergies renouvelables, du stockage de l’énergie, des réseaux intelligents et de la mobilité propre la priorité des financements européens (voir section suivante).● Introduire un système européen de certification « bas-carbone » des entreprises, qui serait appliqué à la fois aux entreprises européennes et aux entreprises internationales qui souhaitent exporter vers l’Union européenne.● Mettre l’accent sur les normes techniques communes permettant aux industriels européens de devenir des leaders mondiaux de la transition énergétique.● Fixer des objectifs européens et nationaux de baisse des émissions de gaz à effet de serre pour chaque secteur économique (qu’il soit ou non couvert par l’ETS) afin de donner de la visibilité aux acteurs économiques.● Moduler l’offre de quotas mis aux enchères sur l’ETS de manière plus dynamique pour rehausser les ambitions plus facilement et tenir compte des facteurs exogènes.● Mettre en place une taxe carbone européenne pour les secteurs non couverts par l’ETS (le bâtiment, l’agriculture et les transports, y compris l’aviation).● Réformer le marché de l’électricité européen, en instaurant un prix plancher du CO 2 pour le secteur de la production d’électricité́, en commençant par l’Europe de l’Ouest, et en créant des entités publiques régionales chargées de soutenir l’investissement dans les énergies renouvelables via des contrats de long terme. Pour aller plus loin : Alain Grandjean, Sébastien Timsit, Jeannou Durtol, Antoine Guillou, Émilie Alberola, Charlotte Vailles, « Accélérer la décarbonation : vers un prix minimum du CO 2 pour l’électricité en Europe de l’Ouest », août 2018, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/436/original/Terra-Nova_Note_Prix-minimum-CO2_30082017.pdf?1504090701 François Barthélémy et Antoine Guillou, « Pour une stratégie climatique ambitieuse – Des propositions pour agir sans attendre », novembre 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/261/original/07112016_-_Pour_une_strat_gie_climatique_audacieuse.pdf?1478512700 Terra Nova, Institute of Public Affairs, Friedrich Ebert Stiftung, « Quelle ambition pour l’Union de l’énergie ? Un projet politique à la croisée des chemins », février 2016, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/134/original/25022016_-_L’Union_de_l’_nergie___la_crois_e_des_chemins.pdf?1465309609 Alexis Frémaux, Elisa Faure et Antoine Guillou, « COP 21 : Sauver les négociations ou sauver le climat ? », novembre 2015, http://tnova.fr/etudes/cop-21-sauver-les-negociations-ou-sauver-le-climat

1.2. Des moyens financiers en soutien d’un modÈle Économique innovant, bas carbone et socialement inclusif

Pour soutenir cet agenda de transformation positive, l’UE sera appelée à accompagner les États et les acteurs économiques et doit donc être dotée d’un budget qui soit à la hauteur des enjeux. Pour la période post-2020, la Commission européenne a fait ses propositions en mai 2018. Empreintes d’une certaine ambition, elles vont largement dans le sens des priorités de Terra Nova, ainsi que des attentes de la France et de l’Allemagne, même si elles impliquent que chacun de ces deux pays fasse des concessions.

Nos propositions ● Une panoplie diversifiée d’outils s’appuyant sur le budget communautaire, un fonds d’investissement stratégique européen et un budget de la zone euro.● Pour le budget communautaire, quatre priorités : la recherche et le développement technologique ; le développement régional axé sur la rénovation énergétique et l’adaptation à la mondialisation ; la gestion commune des frontières, de l’asile et de la sécurité ; l’aide au développement et l’aide humanitaire.● Pour le fonds d’investissement stratégique, trois priorités : les PME innovantes, les réseaux d’énergie et de transport propres et les investissements industriels bas-carbone et de l’économie circulaire.● Pour le budget de la zone euro, une action contra-cyclique axée sur une assurance-chômage européenne et les investissements stratégiques en complémentarité avec le Fonds d’investissement.● Des ressources autonomes pour le budget communautaire assises sur la fiscalité des entreprises et une taxe carbone. Pour aller plus loin : Pénélope Debreu, « Budget européen 2021–2027 : doter l’Europe des moyens de nos ambitions », novembre 2018, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/665/original/Terra-Nova_Rapport-budget-europeen_081118.pdf?1541604083

2. Une Europe qui protÈge

Ces dernières années, l’UE n’a pas été à la hauteur de ses promesses de protection face aux menaces extérieures et aux perturbations économiques issues de la mondialisation. Trois domaines d’action s’imposent : développer une véritable capacité de gestion en matière de frontières extérieures, d’immigration et d’asile ; renforcer les capacités d’action du niveau européen en matière de sécurité intérieure et coopération policière et judiciaire ; et réorienter les relations économiques extérieures de l’UE dans un sens plus respectueux du développement durable de la planète et plus offensif dans la défense de ses intérêts économiques.

2.1. GÉrer ensemble les frontiÈres communes

L’UE a progressé en ce domaine, avec la création en octobre 2016 d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes commun, dont il sera toutefois nécessaire d’examiner l’efficacité et les capacités financières. Deux autres domaines sont prioritaires désormais.

2.1.1. Accélérer la refonte du système européen de l’asile

La gestion du droit d’asile a révélé, ces dernières années, un grave défaut d’efficacité et de solidarité au sein de l’UE. Les règles édictées il y a près de trente ans et inscrites aujourd’hui dans le règlement de Dublin doivent être revues en profondeur.

Nos propositions en matière d’asile ● Réformer en profondeur les procédures du droit d’asile en Europe en transformant en agence indépendante l’autorité nationale en charge des demandes d’asile, en supprimant la clause du pays de première entrée du règlement de Dublin et en créant un Office du droit d’asile en Europe (ODAE). ● Créer une solidarité effective entre les États membres en chargeant l’ODAE de procéder à une répartition des dossiers à instruire entre les autres États membres en cas de surcharge manifeste dans un État membre.● Confier à l’UE un rôle plus important dans la gestion des relations avec les pays d’origine et de transit en européanisant les procédures de renvoi des déboutés, en mobilisant les moyens de Frontex, en confiant à l’UE le soin de négocier les accords de réadmission avec les pays d’origine et en concluant des accords de partenariat avec les pays de transit. ● Créer un socle commun européen de droits pour les réfugiés et les demandeurs d’asile en permettant au demandeur d’asile d’accéder rapidement à l’emploi, en facilitant l’insertion des réfugiés et en accordant aux réfugiés un droit de séjour et d’établissement dans tout État membre. ● Mobiliser le budget de l’UE et surmonter les blocages politiques en faisant supporter par le budget européen l’essentiel des coûts de la politique du droit d’asile en Europe, en pénalisant financièrement les États membres qui refusent de participer aux mécanismes de réallocation des dossiers à examiner ou de répartition des réfugiés et, si nécessaire, en agissant par la voie de coopérations renforcées ou de conventions ad hoc entre les États membres les plus volontaires. ● Adopter des mesures d’urgence pour faire face à la crise humanitaire en Méditerranée en créant dans les pays des rives Nord de la Méditerranée des centres européens d’accueil et de traitement (CEAT) où les demandes d’asile des secourus en mer seront traitées. Pour aller plus loin : Terra Nova et Institut Montaigne, « Sauver le droit d’asile », septembre 2018, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/643/original/TerraNova_Institut-Montaigne_Sauver-droit-asile_181018.pdf?1539953556 Terra Nova et Institut Montaigne, « Droit d’asile européen : retrouver une solidarité », juin 2018, http://tnova.fr/notes/droit-d-asile-europeen-retrouver-une-solidarite Thierry Pech, « Migration, asile : à propos du plan italien », juin 2018, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/602/original/Terra-Nova_Note-Plan-Italien-Migrations_260618.pdf?1530018319 Quentin Fizazi, Charles Fourmaux, Axel Maybon, « La politique de l’asile selon Marine Le Pen : entre trahison et inconséquence », mai 2017, http://tnova.fr/notes/la-politique-de-l-asile-selon-marine-le-pen-entre-trahison-et-inconsequence Joanna Petin, « Crise migratoire en Méditerranée – Le droit européen de l’asile et de la solidarité remis en question », septembre 2015, http://tnova.fr/etudes/crise-migratoire-en-mediterranee-le-droit-europeen-de-l-asile-et-la-solidarite-remis-en-question

2.1.2. Établir la frontière extérieure de l’UE – une nouvelle forme d’association des pays des Balkans et de la Turquie à l’Union

Une politique de gestion des frontières plus efficace dépend de la stabilité de cette frontière. Le projet politique européen lui-même doit, pour se concrétiser davantage, se définir dans l’espace et rompre avec l’implicite actuel.

Nos propositions ● Énoncer clairement l’arrêt de toute nouvelle adhésion à l’UE.● Proposer à tous les voisins de l’UE – Balkans, Ukraine, Turquie ou, nous l’espérons, le Royaume-Uni post-Brexit – une association étroite semblable à celle qui existe entre l’Union européenne et la Suisse et les pays de l’Espace économique européen. Pour aller plus loin : Terra Nova, « Pour un quinquennat européen », p. 29–32, mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/333/original/15032017_-_Pour_un_quinquennat_europ_en.pdf?1489572794

2.2. Une sÉcuritÉ intÉrieure commune

Pour assumer son rôle d’entité politique garante, même subsidiairement par rapport aux États, de la sécurité de ses citoyens, l’UE doit être dotée d’une capacité renforcée d’action en matière de sécurité intérieure. Ceci passe par un changement profond de logique en matière de coopération policière et pénale.

Nos propositions en matière de coopération judiciaire et policière ● Développer le système de collecte d’informations et doter Europol d’une capacité d’analyse et de redistribution des renseignements ainsi centralisés.● Définir les crimes de caractère européen et doter le Parquet européen des moyens d’ouverture et de conduite d’enquêtes dans ces domaines.● Faire d’Europol une police européenne autorisée, sous la conduite du Parquet européen, à conduire des enquêtes et à procéder aux arrestations et collecte de preuves en vue de jugement● Créer un réseau territorial d’unités décentralisées d’Europol dans les différents États membres. Pour aller plus loin : Pierre Deletang, « L’institution du parquet européen, c’est maintenant », décembre 2016, http://tnova.fr/notes/l-institution-du-parquet -europeen-c-est-maintenantGabriel Arnoux, « Accroître les compétences pénales de l’UE, une question de crédibilité politique », juin 2015, http://tnova.fr/notes/accroitre-les-competences-penales-de-l-ue-une-question-de-credibilite-politique

2.3. Des relations Économiques extÉrieures au service du dÉveloppement durable et des citoyens europÉens

Si l’ouverture économique internationale est un accélérateur du changement structurel et un levier de productivité, beaucoup d’Européens, en tant que salariés, se voient comme les perdants de ce changement et craignent, en tant que citoyens, que les agents économiques non européens imposent leurs règles du jeu et mettent en cause la capacité des États à réguler leurs activités.

Dans ces conditions, il n’est plus possible de poursuivre la libéralisation des échanges sans que les bénéfices soient mieux partagés et les règles, renforcées. Or l’UE a le poids économique et l’union nécessaire (en matière commerciale, elle est seule compétente) pour réguler les échanges et la mondialisation. Elle doit mieux en faire usage.

Nos propositions ● Rétablir la priorité au multilatéralisme et soutenir les initiatives dans toutes les organisations internationales pour établir des règles internationales contraignantes dans d’autres domaines que le commerce.● Utiliser la force régulatrice du marché européen pour exporter les normes européennes environnementales et sociales dans les instances de normalisation internationales existantes ou à créer. ● Établir des priorités commerciales bilatérales limitées, claires, économiquement bien étayées et centrées sur l’accès au marché. ● Maintenir une défense commerciale efficace contre les pratiques commerciales déloyales.● Instaurer un contrôle efficace des investissements non européens.● Établir le principe de la réciprocité en matière d’accès aux marchés publics.● Mieux doter le Fonds d’ajustement à la mondialisation et faire de l’ajustement à l’ouverture internationale la priorité des fonds structurels européens.● Inclure le Parlement européen et les parlements nationaux dans la décision d’ouvrir une négociation commerciale et dans la définition de ses objectifs. Pour aller plus loin : Terra Nova, « Pour un quinquennat européen », p. 39–43, mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/333/original/15032017_-_Pour_un_quinquennat_europ_en.pdf?1489572794

3. À monnaie unique, gouvernance Économique unique et capacitÉ de rÉgulation du capitalisme financier

Suite à la crise de l’euro et à la crise de la dette grecque, l’UE n’a que partiellement traité des questions systémiques. Nos propositions portent sur la soutenabilité du système bancaire, la gestion en commun des finances publiques nationales et le besoin d’une capacité budgétaire propre à la zone euro.

3.1. Il n’y aura pas de Frexit heureux

Commençons par tordre le cou à l’idée de sortir de l’Union économique et monétaire. La sortie de l’euro, dont les populistes de droite et de gauche ont fait leur cible privilégiée, serait loin de servir les intérêts des classes populaires. Elle leur serait même extrêmement défavorable.

Pour aller plus loin : Terra Nova, « Sortie de l’euro : les petits paieront ! », mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/334/original/16032017_-_Sortie_de_l’euro.pdf?1489670690

3.2. Une Union bancaire À parachever

L’Union bancaire est un facteur crucial de stabilisation de la zone euro et de lutte contre la fragmentation de l’espace financier européen, mais elle ne peut jouer pleinement son rôle que si l’architecture institutionnelle va jusqu’à son terme. Or ses développements piétinent de manière inquiétante.

Nos propositions ● La mise en place d’un système européen de garantie des dépôts.● La mise en œuvre des règles relatives à la résolution et au redressement des institutions bancaires et non bancaires.● La réglementation de la structure des groupes bancaires pour protéger les dépôts des activités spéculatives.● L’intégration des marchés de capitaux pour réduire la concentration de l’activité des banques sur un seul État membre. Pour aller plus loin : Vincent Bignon, Jézabel Couppey-Soubeyran, Laurence Scialom, « 10 ans après… Bilan des réformes bancaires et financières depuis 2008 : avancées, limites, propositions », septembre 2018, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/616/original/Terra-Nova_Rapport-crise-financiere-2008_030918.pdf?1536334857 Laurence Scialom, « Union bancaire inachevée : danger ! », avril 2016, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/148/original/05042016_-_Union_bancaire_inachev_e__danger_!.pdf?1459864844

3.3. Les dettes publiques, une question d’intÉrÊt commun

Dans une zone monétaire unifiée, les chocs économiques devraient être absorbés en priorité par une capacité budgétaire supranationale, parallèlement au soutien apporté par la politique monétaire. C’est donc d’un budget spécifique à la zone euro que nous avons besoin.

Nos propositions ● À court terme, une procédure de restructuration de la dette reposant sur une autorité supranationale, des règles précises et la mise à disposition de fonds significatifs permettant de pallier les besoins les plus urgents de l’État membre en difficulté. ● À moyen terme, un budget propre à la zone euro permettant de compenser les chocs asymétriques par une assurance chômage complémentaire du niveau national et un fonds européen d’investissements stratégiques.Pour aller plus loin :Terra Nova, « Pour un quinquennat européen », p. 46–48, mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/333/original/15032017_-_Pour_un_quinquennat_europ_en.pdf?1489572794

3.4. Équité fiscale et sociale

L’UE doit agir là où les divergences entre États tournent à la concurrence déloyale et mettent en cause leur capacité à financer leurs systèmes de protection sociale ou à assurer l’équité face à l’impôt.

3.4.1. Pour une harmonisation de la fiscalité des entreprises et des revenus mobiles

Il est indispensable que l’UE agisse contre les régimes fiscaux excessivement avantageux qui induisent une concurrence fiscale entre États membres. Elle doit s’orienter vers l’harmonisation des règles portant sur les facteurs de production les plus mobiles.

Nos propositions ● Qualifier d’aide d’État illégale tout régime fiscal dérogatoire ayant pour seul but d’attirer la domiciliation fiscale de grands groupes.● Harmoniser la base de l’impôt sur les bénéfices des sociétés dans un premier temps, son taux ensuite.● Étendre l’harmonisation à la fiscalité des revenus du patrimoine et des revenus des personnes physiques lorsque ceux-ci sont situés hors du territoire de leur État membre de résidence. Pour aller plus loin : Terra Nova, « Pour un quinquennat européen », p. 49–50, mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/333/original/15032017_-_Pour_un_quinquennat_europeen.pdf?1489572794

3.4.2. Renforcer les droits individuels et la capacité d’action de l’État providence

L’UE est un espace de circulation du travail, d’établissement des entreprises et de prestations de services, dans lequel les régimes de prestations et charges sociales ainsi que le droit du travail relèvent du ressort national. Dans ce cadre, il ne saurait être question de remettre en cause le droit de circuler librement dans l’espace Schengen, de résider dans l’État membre de son choix et de travailler sans discrimination vis-à-vis des travailleurs nationaux. L’harmonisation des régimes sociaux n’est pas plus envisageable étant donnée l’hétérogénéité des systèmes nationaux, mais il est nécessaire, d’une part, que l’UE rétablisse l’équité interpersonnelle en renforçant les droits individuels face à la puissance du marché et, d’autre part, qu’elle permette à chaque État membre d’animer son contrat social au niveau national en préservant, voire renforçant, ses capacités d’action.

La priorité est donc de rétablir l’équilibre entre droits des personnes et droits des entreprises et de rendre aux États leur capacité d’action pour pérenniser et moderniser leurs systèmes de protection sociale.

Nos propositions ● Un salaire minimum à l’échelle européenne.● Des règles sectorielles sur le détachement des travailleurs harmonisant le droit du travail là où c’est nécessaire pour éviter le dumping social (par exemple le transport routier).● De nouvelles protections basées sur le nouveau socle européen de droits individuels sociaux fondamentaux pour protéger les salariés confrontés aux mutations économiques et technologiques.● Une assurance-chômage européenne.● Une agence européenne de l’expérimentation sociale pour aider les Etats membres à moderniser leurs régimes sociaux de manière innovante et équitable. Pour aller plus loin : Terra Nova, « Pour un quinquennat européen », p. 50–53, mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/333/original/15032017_-_Pour_un_quinquennat_europ_en.pdf?1489572794 Ivan Izen, « Le dumping social dans les transports routiers de marchandises européens », juin 2015, http://tnova.fr/etudes/le-dumping-social-dans-les-transports-routiers-de-marchandises-europeens Florian Mayneris, « Pour une assurance-chômage européenne », avril 2014, http://tnova.fr/etudes/pour-une-assurance-chomage-europeenne

4. RÉpondre À l’urgence dÉmocratique

Si l’Europe du projet et des résultats est la priorité absolue des années à venir, les processus de décision sont aussi à améliorer, et ceci à trois niveaux : les États, l’UE à vingt-sept et la zone euro, avec en parallèle un sursaut en matière d’éthique et de lutte contre les conflits d’intérêts.

4.1. DÉmocratiser les questions europÉennes dans le systÈme institutionnel français

Une partie du chantier permettant de revaloriser les institutions européennes commence au niveau national en renforçant la responsabilité de l’exécutif devant le Parlement, en rénovant le système électoral pour l’élection des députés européens français et en améliorant le traitement médiatique des élections européennes en France.

Nos propositions ● Préparer les positions européennes du gouvernement par des délibérations dans les commissions parlementaires et les rendre publiques.● Introduire un temps de l’ordre du jour parlementaire réservé aux questions européennes.● Modifier le mode de scrutin aux élections européennes pour combiner listes nationales et élection directe au niveau régional.● Désigner les candidats locaux par des primaires régionales ouvertes aux militants et sympathisants.● Changer le cadre juridique de la couverture médiatique nationale des élections européennes. Pour aller plus loin : Étienne Rosée, « Élections européennes : comment accroître la participation et politiser les enjeux du vote », mars 2015, http://tnova.fr/system/contents/files/000/000/135/original/04032015_-_Elections_européennes_-comment_accroître_la_participation_et_politiser_les_enjeux_0.pdf?1432549163 Arthur Colin, « Débat politique européen : Quel espace dans les medias français ? », avril 2013, http://tnova.fr/notes/debat-politique-europeen-quel-espace-dans-les-medias-francais

4.2. DÉmocratiser les institutions communes

Le choc entre les peuples et l’UE ne sera évité que si un sursaut démocratique est engagé. La priorité est, d’une part, de redonner de l’efficacité à l’exécutif européen et, d’autre part, de le politiser sur la base d’un programme de gouvernement. Au-delà, il faut rendre publics les travaux du Conseil et lutter contre les conflits d’intérêts.

Nos propositions ● Organiser des primaires dans chaque parti politique européen pour la désignation du candidat ou de la candidate à la présidence de la Commission.● Élire le président de la Commission sur la base d’un programme de mandature agréé avec le Parlement européen et le Conseil.● Réduire le nombre de commissaires.● Rendre publiques toutes les délibérations du Conseil (sauf cas particuliers requérant le huis clos).● Publier la liste des comités rattachés au Conseil, leurs membres, et rendre publiques leurs délibérations (sauf cas particuliers requérant le huis clos).● Pour les commissaires et les députés européens : 1) l’obligation de notifier toute activité post-mandat pendant cinq ans ; 2) pendant ces cinq années, l’interdiction d’exercer toute activité constituant un conflit d’intérêts, notamment toute activité exécutive dans un secteur en rapport direct avec les responsabilités antérieures ; 3) en cas de manquement à ces règles, le retrait définitif de tous les avantages liés à leurs anciennes fonctions et une amende aussi longtemps que persiste le conflit d’intérêts.● Pour les fonctionnaires des institutions de l’Union, une procédure transparente pour évaluer le risque de conflit d’intérêt pour toute activité rémunérée exercée après son départ. ● Le contrôle du respect des règles éthiques et déontologiques par une autorité indépendante et interinstitutionnelle, le cas échéant sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Pour aller plus loin : Terra Nova, « Pour un quinquennat européen », p. 65–68, mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/333/original/15032017_-_Pour_un_quinquennat_europ_en.pdf?1489572794 Joël Moret-Bailly, Hélène Ruiz Fabri, Laurence Scialom, « Les conflits d’intérêts, nouvelle frontière de la démocratie », février 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/306/original/03021017_-_Les_conflits_d’int_r_ts__nouvelle_fronti_re_de_la_d_mocratie.pdf?1488359058 Maxime Parodi et Xavier Timbeau, « Union européenne : retrouver les chemins de la démocratie », juin 2016, http://tnova.fr/notes/union-europeenne-retrouver-les-chemins-de-la-democratie .Étienne Rosée, « Élections européennes : comment accroître la participation et politiser les enjeux du vote », mars 2015, http://tnova.fr/notes/elections-europeennes-comment-accroitre-la-participation-et-politiser-les-enjeux-du-vote Pénélope Debreu, « Une analyse politique de la Commission Juncker : une nouvelle dynamique est-elle née ? », novembre 2014, http://tnova.fr/notes/une-analyse-politique-de-la-commission-juncker-une-nouvelle-dynamique-est-elle-nee

4.3. DÉmocratiser la zone euro

Il est nécessaire de placer la politique de la zone euro sous contrôle démocratique au niveau européen, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Nos propositions ● Doter une instance parlementaire européenne (commission du Parlement européen spécifique à la zone euro) du pouvoir d’examiner les stratégies économiques nationales et d’adopter des orientations à l’adresse des exécutifs nationaux.● Mettre l’expertise de la Commission européenne au service de cette instance, notamment pour attester de l’exactitude des chiffres présentés et proposer des modélisations alternatives des effets attendus. Pour aller plus loin : Patrick Dollat, « Pour un gouvernement économique européen et démocratique », juin 2015, http://tnova.fr/etudes/pour-un-gouvernement-economique-europeen-et-democratique .

5. Clarifier la relation avec le Royaume-Uni et assumer l’intÉgration diffÉrenciÉe

Depuis le référendum britannique sur le Brexit, les difficultés intrinsèques du processus, non seulement pour le Royaume-Uni mais aussi pour l’UE, ont excessivement monopolisé l’énergie des dirigeants politiques et de leurs administrations. Il est pourtant impératif que la nouvelle relation entre l’UE et le Royaume-Uni ne se fasse pas au détriment ni de l’UE ni des opportunités de clarification sur les modalités de l’intégration européenne.

5.1. Brexit : une nÉgociation entre intÉrÊts britanniques et intÉrÊts europÉens

Le Brexit ne fera pas sortir l’économie britannique de l’orbite de l’UE. On ne défait pas facilement quarante-trois ans de corpus législatif et réglementaire issu de l’Union européenne. Voici la leçon principale des deux ans de négociation entre UE et Royaume-Uni d’un accord de transition.

Deuxième leçon : les éléments posés par les partisans de la sortie sont tellement contradictoires entre eux et avec les principes et intérêts de l’UE que la nouvelle relation exigera une clarification douloureuse pour les Britanniques. Or celle-ci n’a pas encore eu lieu.

Troisième constat, l’UE n’a, quant à elle, qu’une chose à offrir au Royaume-Uni : une relation plus ou moins privilégiée, mais qui ne peut en aucun cas s’apparenter aux mêmes droits et obligations que ceux attachés à l’appartenance à l’Union.

Pour aller plus loin : Jean-Marc Daniel, « Le Royaume-Uni, une puissance atlantique, continentale ou globale ?
Une quête historique toujours recommencée », juillet 2018, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/606/original/Terra-Nova_Note-Royaume-Uni_JM-Daniel_130718.pdf?1531469492 Terra Nova, « Il n’y a pas de Brexit heureux », mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/352/original/31032017_-_Il_n’y_a_pas_de_Brexit_heureux.pdf?1490946419 Pénélope Debreu, « Brexit : les opportunités d’une Europe sans Royaume-Uni », juillet 2016, http://tnova.fr/notes/brexit-les-opportunites-d-une-europe-sans-royaume-uni-034c8c1c-ac2c-498c-a46d-c06b300f50ca Abdeldjellil Bouzidi, « Après le Brexit : quel destin pour l’Union et pour Paris ? », juillet 2016, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/221/original/01072016_-_Apr_s_le_Brexit__quel_destin_pour_l’Union_et_pour_Paris.pdf?1467303221

5.2. New deal ou intÉgration diffÉrenciÉe

Le retrait du Royaume-Uni, tout comme les crises migratoires, sécuritaires et monétaires traversées par l’Europe depuis dix ans, mettent les États membres devant leurs responsabilités. C’est peut-être la dernière occasion de clarifier la position de chaque État à l’égard de l’Union : qui veut faire quoi ? C’est ainsi l’occasion de ramener l’UE à l’essentiel : agir plus là où elle a de la valeur ajoutée, et rendre des compétences là où elle n’en n’a pas.

Nos propositions ● Concentrer l’UE sur quelques priorités claires et accepter de rapatrier des compétences au niveau national.● Dépasser la fracture entre l’Ouest et l’Est en offrant un « new deal » aux États de l’Est.● Assumer, en cas d’échec, le choix de l’intégration différenciée et opter pour des coopérations renforcées sur l’harmonisation fiscale, l’énergie, la gestion des frontières, l’asile et la sécurité intérieure. Pour aller plus loin : Terra Nova, « Pour un quinquennat européen », p. 29–32, mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/333/original/15032017_-_Pour_un_quinquennat_europ_en.pdf?1489572794

Annexe Des acquis europÉens prÉcieux et À prÉserver

Commençons par rappeler que l’Union européenne – avec la méthode communautaire – est la forme de coopération la plus efficace dès lors que ses objectifs sont clairement définis, que les États membres jouent le jeu de la coopération et des institutions communes, et surtout quand elle est dotée des moyens d’agir – qu’il s’agisse de moyens juridiques, financiers ou opérationnels. Ses succès sont souvent ignorés ou tenus pour acquis, mais ils existent bel et bien. En voici un bref rappel.

Commençons par le grand acquis du Marché intérieur, à savoir les quatre libertés fondamentales accordées aux acteurs économiques : liberté de circulation des biens, liberté d’établissement des entreprises, liberté de circulation des capitaux (c’est-à-dire des investissements) et liberté de circulation des travailleurs. En instaurant le principe de non-discrimination selon la nationalité, le Marché intérieur a puissamment agi pour stimuler la compétitivité des entreprises à l’échelle européenne. Il s’est accompagné de changements structurels parfois contestables en termes de dérégulation, mais il a, au total, fait de l’UE un marché intégré de cinq cents millions de consommateurs, doté de standards et règles qui en font la plus grande zone économique intégrée au monde.

Le Marché intérieur a pris une dimension humaine qui en fait aussi un succès culturel et politique. La liberté de circulation des personnes – du moins dans l’espace Schengen – est l’un des acquis européens les plus symboliques. L’autre volet concerne les échanges culturels. Le programme Erasmus pour les étudiants est une telle réussite qu’on l’a élargi aux apprentis et aux mobilités professionnelles. La liberté de circulation a également essaimé dans le champ scientifique et culturel pour faciliter les échanges d’idées, avec les programmes de recherche et de mobilité des chercheurs, d’une part, et le programme Media de soutien à la création cinématographique, d’autre part.

Le développement des technologies de l’information a conduit à l’élaboration de règles communes, le règlement général sur la protection des données, entré en vigueur en 2018. Celui-ci offre le plus haut niveau au monde de protection des données personnelles et de la vie privée. Il essaime dans le monde et s’est imposé aux géants mondiaux du numérique.

L’édification d’un marché intérieur européen impliquait de lutter contre la tentation permanente des États de favoriser – notamment par des aides publiques – leurs seules entreprises, poursuivant ainsi de manière déguisée des pratiques discriminatoires. La politique de la concurrence, bien qu’elle irrite tel ou tel État membre quand il est dans son collimateur et qu’elle pèche parfois par excès de zèle, a, au fil du temps, montré qu’elle pouvait s’en prendre autant aux grandes entreprises internationales qu’aux pratiques relevant du dumping fiscal des États. Ainsi, la Commission européenne a pu s’appuyer sur la politique de concurrence pour commencer enfin à réduire la concurrence fiscale entre les États membres.

Au-delà, l’UE a obligé les banques à rendre compte de leurs activités pays par pays et les États membres à échanger des informations en matière fiscale. Ceci confirme que l’Union est bien le niveau adéquat de régulation du capitalisme financier.

La mise en place progressive d’un marché intégré s’est accompagnée d’outils de solidarité. Il pourrait sembler superflu de rappeler les politiques communes de l’agriculture (PAC), de la pêche ou de la cohésion tant elles sont devenues familières. La politique de cohésion a facilité le rattrapage économique des pays du sud puis de l’est de l’Europe à la suite de leur adhésion, et limité les effets de concurrence par les prix ou par les salaires résultant nécessairement des différences de niveaux économiques.

L’euro est un succès majeur de la construction européenne. Le fait de disposer d’une monnaie unique a évité que la crise bancaire de 2008 ne se double d’une crise de changes – en gros, un dévissage de la plupart des monnaies des États du sud de l’Europe, y compris la France, face au mark allemand. Sans l’euro, il aurait été beaucoup plus difficile de répondre à la crise bancaire de façon coordonnée. Une institution fédérale, la Banque centrale européenne (BCE), a pu – grâce à son indépendance – prendre les mesures nécessaires, y compris aux limites de son mandat, pour préserver la monnaie unique.

L’intégration européenne a eu le souci d’éviter que le développement économique ne se fasse au détriment de l’environnement. L’UE, dès le Sommet de la Terre de Rio en 1992, est à la pointe de la protection de la biodiversité. Elle a mis en place une panoplie complète de lois environnementales sur l’eau, les polluants chimiques, l’air et les habitats fragiles. Sans elles, aucun des États membres ne se serait lancé seul dans cette limitation des atteintes environnementales dues aux activités économiques. Désormais, l’UE est à la pointe des efforts pour favoriser l’économie circulaire, à commencer par l’interdiction récente des plastiques à usage unique.

Dans la lutte contre le réchauffement climatique, c’est bien parce que l’UE a, par sa structure institutionnelle, les moyens de mettre en œuvre les politiques publiques nécessaires – soit directement, soit par l’intermédiaire des États membres – qu’elle a acquis la crédibilité nécessaire pour prendre le leadership mondial amenant au succès de la COP 21 de 2015.

Enfin, quand elle en a les outils ou la volonté, l’Union européenne intervient comme facteur stabilisateur dans les crises mondiales. Elle est le plus grand donateur d’aides au développement au monde. Par son réseau diplomatique propre dans 139 pays, elle intervient dans toutes les situations de crise ou de fragilité. Dans les pays les plus vulnérables, elle est souvent la seule à pourvoir intervenir, les États membres n’ayant plus la capacité ni la volonté de le faire.

  1. Le présent document en offre une synthèse en se fondant principalement sur deux rapports :

    Pôle Europe de Terra Nova, « Pour un quinquennat européen », mars 2017, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/333/original/15032017_-_Pour_un_quinquennat_europ_en.pdf?1489572794 ;

    Pénélope Debreu, « 2015 : Annus horribilis pour l’Union européenne ? », janvier 2016, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/115/original/07012016_-_2015__annus_horribilis_pour_l’Union_europ_enne.pdf?1452163500

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