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Note

La présidente française du G20 : Nicolas Sarkozy Hybris et Orbi

Annoncées le 24 janvier dernier par Nicolas Sarkozy, les priorités de la double présidence française du G8 et du G20 apparaissent particulièrement ambitieuses : réforme du SMI, régulation du prix des matières premières, réforme de la gouvernance politique mondiale, avancées pour le développement, approfondissement du dialogue avec l’Afrique au G8… Si le Président s’en tient à des résultats purement formels, ses objectifs en termes d’image et d’éclairage médiatique sont d’ors et déjà atteints. Mais pour réellement porter ses fruits sur le fond, l’agenda de la présidence française doit être recentré, donner la priorité à la réforme du G20 et à la résolution des difficultés européennes.
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SYNTHESE 

Le Président de la République a annoncé lundi 24 janvier les priorités de la double présidence française du G8 et du G20, que notre pays assurera en 2011, avec en point d’orgue le sommet de Cannes en novembre.

L’agenda français est d’une rare ambition. Il pose sur la table l’ensemble des enjeux de régulation face aux dérèglements actuels de la mondialisation. Il se fixe trois axes d’action :

1. Protéger
  
C’est l’idée d’une poursuite de la montée en puissance du FMI, non seulement comme pompier de la crise (intervention pour aider les Etats en difficulté), mais aussi comme architecte de la régulation et comme policier pour surveiller et prévenir les déséquilibres.

C’est aussi l’idée de règles pour protéger des dérives spéculatives de la finance internationale : 

-    élaboration d’un code de conduite, confiée au FMI, pour contrôler les mouvements de capitaux, dont la volatilité, accrue par les politiques monétaires très accommodantes de certains pays, notamment les Etats-Unis (quantitative easing II), se traduit par des afflux de capitaux déstabilisants dans les pays émergents ; 
-    régulation des marchés spéculatifs des matières premières, et notamment des produits alimentaires, qui menacent de dégénérer en émeutes de la faim ;
-    poursuite de la régulation bancaire.

C’est enfin l’idée d’un socle de protection sociale universelle. 75 % de la population mondiale ne bénéficie pas d’un plancher de garanties sociales minimales lui permettant de faire face aux risques de la vie. L’objectif est de définir un paquet de garanties de base pour les pays les moins avancés, dont le financement serait assuré par la communauté internationale. La réflexion a été confiée à un groupe de travail présidé par Michelle Bachelet, l’ancienne présidente du Chili.

2. Coordonner

À enjeux mondiaux, politiques mondiales : la globalisation nécessite la coordination des politiques économiques.

Il y a la coordination budgétaire. Elle a très bien fonctionné pendant la crise, et la relance mondiale coordonnée – première manifestation d’un « keynésianisme mondial » – a permis d’éviter un scénario de spirale dépressive de type 1929. Mais elle s’essouffle aujourd’hui : les Etats-Unis, qui continuent de soutenir leur économie via des injections massives de dépenses publiques, reprochent aux Etats européens leur cure sévère d’austérité qui risque de casser la fragile esquisse de reprise économique – mais ces Etats sont surendettés et une politique budgétaire accommodante au sein de la zone euro pourrait précipiter une crise systémique des dettes souveraines européennes.

Il y a aussi la coordination monétaire. Le G7 assurait cette fonction par le passé, lorsque les grandes monnaies étaient le dollar, le yen et l’euro. Mais il est devenu trop étroit. Le yuan chinois est un nouvel acteur monétaire majeur, et le principal problème actuel : il est massivement sous-évalué du fait d’un ancrage monétaire artificiel au dollar, offrant des gains de compétitivité indus aux exportations chinoises et provoquant d’importants déséquilibres des balances commerciales, avec notamment d’énormes surplus chinois gagés sur des déficits massifs américains. La réaction monétaire américaine est également non-coopérative : avec le quantitative easing II, elle tente de susciter une dépréciation du dollar pour améliorer sa compétitivité externe, au risque de déstabiliser les économies émergentes inondées de capitaux spéculatifs en provenance des Etats-Unis. La volonté est de faire du G20 la nouvelle instance de régulation du système monétaire international, même si à l’inverse du G7, sa composition paraît un peu large : certains pays membres (Indonésie, Inde, Turquie, Arabie Saoudite, Afrique du Sud) ne sont pas concernés directement.

3. Innover

La présidence française s’intéresse aux financements innovants. L’idée est de trouver des ressources nouvelles pour financer les biens publics mondiaux, le développement, le climat. Une première mondiale symbolique a été réalisée avec la taxation des billets d’avion. La France pousse dans cette logique une taxation sur les transactions financières.

La présidence française cherche aussi à développer le droit de tirage spécial (DTS). Le DTS, panier monétaire composé du yen, de l’euro, du dollar et de la livre, est une monnaie de réserve internationale. La montée en puissance du DTS permettrait de limiter la suprématie du dollar dans la système monétaire international. Cela nécessite de réajuster sa composition pour y intégrer la nouvelle monnaie forte du système, le yuan (qui n’est aujourd’hui pas librement convertible).

L’agenda français est particulièrement ambitieux. Il se heurte à de nombreuses réticences sur chacun de ses points. Les résultats seront-ils au rendez-vous ?

Tout dépend des objectifs. S’ils se limitent aux enjeux de politique domestique, avec la prochaine élection présidentielle en ligne de mire, alors les résultats devraient être probants. Ils seront formels : faste médiatique du G20 de Cannes, scansion de l’année à travers une série d’évènements G20 (G20 drogues, G20 produits alimentaires, G20 chefs d’entreprise…), excellent coup de communication avec les missions confiées aux grands leaders du G20 (Cameron, Medvedev, Merkel/Calderon), qui rapporteront au président du G20 à Cannes, plaçant Nicolas Sarkozy en coordonateur des grands de ce monde.

Si, à l’inverse, on s’intéresse aux objectifs de fond pour progresser dans la gestion des affaires du monde, alors le risque sera d’avoir privilégié la forme au détriment du fond. On l’a vu sur l’Union pour la Méditerranée lors de la présidence française de l’Union : un énorme succès médiatique avec un sommet des chefs d’Etat méditerranéens spectaculaire au Grand Palais le 14 juillet 2008, un fiasco sur le fond avec une initiative mort-née qui n’a pas réussi, deux ans après, à simplement boucler la mise en place de son secrétariat administratif… 

Pour éviter la paralysie sur le fond, plusieurs correctifs seraient utiles :

-    le recentrage sur deux ou trois vrais enjeux, sur lesquels la présidence pourrait concentrer son énergie politique : le système monétaire international, les prix alimentaires, le socle de protection sociale universel ;

-    la priorité absolue donnée à la réforme du G20 : le G20 est une institution faible (faible capacité décisionnelle : unanimité ; faible capacité de mise en œuvre : pas d’instrument financier, pas d’instrument juridique, pas même de secrétariat administratif – même si les institutions financières internationales, singulièrement le FMI, jouent le rôle de bras armé du G20), il a pu fonctionner en temps de crise où la volonté collective l’emportait, il est menacé de paralysie en période post-crise où les intérêts nationaux divergents reprennent le dessus – au même titre que le G7 ces deux dernières décennies ;

-    une résolution des difficultés et irritants européens : difficile pour une présidence européenne du G20 de prétendre imposer ses vues au monde si le désordre règne au sein de l’Europe. Trois points sont à traiter : la crise de la dette européenne, la nécessité de travailler à des accords européens pour relayer les idées de la présidence, la sur-représentation européenne dans les instances internationales.

NOTE

Nicolas Sarkozy a présenté, dans une conférence de presse le 24 janvier, les priorités da la France, qui préside en 2011 le G8 et le G20. Le Président français espère, dans ce cadre mondial, rééditer sa performance à la présidence de l’Union européenne, en 2008, où son volontarisme avait, à plusieurs reprises, fait la différence.

La séquence dans laquelle se déploie la présidence française est toutefois délicate. L’agenda de régulation de la France, très ambitieux, risque de se heurter à un obstacle dirimant : les limites de la gouvernance du G20, et plus globalement de la gouvernance internationale.

1 - L’ANNEE 2011 : UNE SEQUENCE DELICATE POUR LE G20  

1. 1 – UN HERITAGE COMPLIQUE : LA PERTE DE VITESSE DU G20

Pendant la crise financière, le G20 a montré son utilité. Sa légitimité est forte : il réunit les chefs d’Etat des vingt principales économies de la planète, développées et émergentes, qui représentent 85 % de la population mondiale – là où son prédécesseur, le G7, s’était transformé en club occidental. Son efficacité a été incontestable. Fort de son caractère de club informel, il a pu se réunir et décider vite. Le G20 a joué un rôle crucial pour juguler la crise, éviter la faillite du système financier international et éviter qu’une spirale dépressive de type 1929 ne se mette en place. Il a notamment permis, au cours de l’année 2009 : la coordination des plans de relance budgétaire, le renforcement du FMI comme pompier des Etats en difficulté mais aussi comme instrument de surveillance des déséquilibres financiers internationaux, une amélioration de la régulation bancaire et un début de contrôle des hedge funds, une lutte accrue contre les paradis fiscaux…

Mais l’année 2010 a marqué un net essoufflement du G20. Au sommet de Toronto, et plus encore de Séoul en décembre dernier, les résultats tangibles ont été minces. La sortie de crise entraîne un affaiblissement de la dynamique collective, au profit d’un retour des intérêts nationaux des Etats.

En 2011, la question de l’utilité du G20 en situation post-crise est posée. Le G20 ne va-t-il pas subir le même sort que le G7 il y a vingt ans, utile pendant les crises du dollar au milieu des années 80, mais largement inadapté pendant la phase plus stable qui a suivi ?

1. 2 – UN CONTEXTE INTERNATIONAL DIFFICILE : DES DIVERGENCES CROISSANTES AU SEIN DU G20

Les politiques budgétaires, après les efforts de relance coordonnés pendant la crise, ont repris leur liberté nationale. Les fondamentaux divergent d’ailleurs fortement. Les Etats-Unis ont opté pour le maintien d’une politique de relance très dynamique, mais ils n’ont aucune difficulté à ce stade à se refinancer sur les marchés. Ils demandent aux Etats européens de ne pas renoncer au soutien conjoncturel, mais les Etats européens sont contraints à l’austérité par leur surendettement. Quant aux pays émergents, qui ont renoué avec une croissance forte, en particulier la Chine, ils ne peuvent guère maintenir une politique budgétaire expansionniste en raison des tensions inflationnistes fortes qui pèsent sur leurs économies. Le « keynésianisme mondial », mis en place pendant la crise, s’estompe.

La résorption des « déséquilibres globaux » se heurte aussi à des intérêts divergents : la Chine ne veut pas réévaluer le yuan qui dope ses exportations, quitte à provoquer des déséquilibres commerciaux abyssaux notamment avec les Etats-Unis ; les Américains veulent continuer à déprécier le dollar via leur politique monétaire de quantitative easing, quitte à projeter des flux de capitaux massifs déstabilisants dans les pays émergents ; l’Union européenne cherche un level playing field monétaire introuvable…

Une signature des accords OMC de Doha d’ici le G20 de Cannes est peu probable. Les contentieux commerciaux demeurent persistants, notamment entre les Etats-Unis et la Chine. La politique commerciale chinoise, en matière industrielle, monétaire ou de droits de propriété intellectuelle, est un irritant majeur. 

Certains analystes, comme Ian Bremmer, président du Groupe Eurasia, en viennent même à craindre une paralysie du G8 et du G20 « en un G zéro ». Il sera en tout cas délicat d’ouvrir le G20 de Cannes dans un climat apaisé.

2 – LA PRESIDENCE FRANÇAISE : UN AGENDA DE REGULATION TRES AMBITIEUX

 
Les priorités de la Présidence françaises du G8 et du G20, qui viennent d’être annoncées, étaient connues depuis quelques semaines : réforme du système monétaire international, régulation du prix des matières premières, réforme de la gouvernance politique mondiale, avancées pour le développement, approfondissement du dialogue avec l’Afrique au G8. Elles frappent par leur ambition et leur exhaustivité.

2. 1 – LA DIFFICILE REFORME DU SYSTEME MONETAIRE INTERNATIONAL (SMI)

 
Le G20, sous l’impulsion de la France, a accepté à Seoul de réfléchir à « un SMI plus stable et plus résistant » d’ici Cannes et a mandaté le FMI et un groupe de travail des ministres des finances pour y travailler. Nicolas Sarkozy vient d’annoncer qu’Angela Merkel et Felipe Calderon (le président mexicain) coprésideraient le groupe de travail sur la réforme du FMI. Le débat sera inauguré fin mars par un séminaire en Chine.

La France compte explorer trois pistes :

1. La coordination des politiques monétaires et de change. L’idée est que le G20 dans le cadre euro-dollar-yen-yuan prenne la suite du G7, qui assurait cette coordination entre le dollar, l’euro et le yen. La question centrale est évidemment celle du yuan, sous-évalué de manière volontariste par les autorités chinoises, à travers un ancrage monétaire (peg) artificiel au dollar.

2. La régulation des flux de capitaux internationaux. Une réflexion s’est engagée depuis Seoul sur les mesures de régulation possibles, notamment assurantielles, en cas de fortes spéculations entraînant des afflux et retraits massifs de capitaux. Le Brésil, par exemple, a mis en place une taxation des flux entrants de capitaux, pour limiter les investissements spéculatifs sur son territoire. Le G20 a confié au FMI l’élaboration d’un code de conduite visant à assurer le contrôle des flux de capitaux. Le renversement de doctrine est patent : jusqu’à la crise, le FMI défendait la libéralisation totale des mouvements de capitaux internationaux.

3. Le renforcement des DTS. Pour rééquilibrer le SMI, dominé par la prévalence du dollar, Paris est particulièrement intéressée par un recours aux actifs de réserve internationale, comme les Droits de Tirages Spéciaux (DTS), dont la valeur est déterminée chaque jour au FMI par un panier groupant les quatre grandes monnaies de réserve internationales: dollar, euro, yen et livre. L’objectif serait de renforcer le rôle du DTS, en y intégrant notamment le yuan.

La réforme du SMI est un enjeu crucial. L’instabilité des changes est un problème depuis la fin du système de Bretton Woods en 1971, mais la « guerre des devises » qui a cours aujourd’hui en raison de l’impact de la crise économique le rend particulièrement aigu. Les efforts de compétitivité nationaux sont sans commune mesure avec les gains concurrentiels qu’un Etat peut obtenir en manipulant sa devise. La place du dollar dans le SMI, qui peut être jugée anachronique aujourd’hui dans un monde devenu multipolaire, alimente de fortes tensions internationales, l’accumulation de réserves de change des pays émergents correspondant aux déficits des paiements courants des Etats-Unis. Les 19 économistes invités à l’Elysée le 6 janvier dernier ont ainsi jugé utile un débat sur les monnaies de réserve. Pour Joseph Stiglitz, très critique de la politique de « dévaluation compétitive » de la Fed, le SMI actuel est une « anomalie ».

Cela dit, les négociations sur cette question s’annoncent des plus difficiles pour Paris. L’Allemagne elle-même a fait part de son scepticisme sur les options avancées. Son Ministre des finances, M. Schaüble, insiste sur le fait qu’une évolution du SMI vers un système multipolaire ne peut fonctionner que si elle est progressive et accompagnée par les marchés. Le Président Obama n’a pas caché une certaine irritation, lors de la venue de Nicolas Sarkozy le 10 janvier dernier, face à la remise en cause de la suprématie du dollar : les Etats-Unis souhaitent au contraire un front transatlantique pour faire bouger la Chine sur le yuan. L’hypothèse d’une inclusion du yuan au sein du panier de monnaies composant les DTS ne fait pas non plus l’unanimité, en premier lieu chez les Chinois.

2. 2 – LA LUTTE CONTRE LA VOLATILITE DES PRIX DES MATIERES PREMIERES

 
La France vise toutes les matières premières, qu’elles soient énergétiques, agricoles ou autres (métaux, terres rares). Les organisations internationales compétentes ont été sollicitées pour réfléchir à la régulation de ces marchés.

Au-delà de la réflexion que le G20 a souhaité lancer à Seoul sur la volatilité des prix de l’énergie, notamment du pétrole, Paris souhaite obtenir des résultats sur la régulation des marchés de dérivés des matières premières et la lutte contre la volatilité des prix des matières premières agricoles. Nicolas Sarkozy a annoncé dans sa conférence de presse qu’il confiait au Premier ministre russe Dimitri Medvedev une mission sur la régulation des prix agricoles. La France organisera fin juin un G20 Agriculture dédié à cette priorité. Plusieurs pistes devraient y être explorées : les politiques de stockages, la transparence des marchés, des outils assurantiels développés par les institutions financières internationales pour que les pays puissent se protéger de la volatilité des prix.

Une telle réflexion est indispensable et urgente. La volatilité du prix des matières premières pèse sur la croissance mondiale et celle des prix agricoles contribue à l’insécurité alimentaire, dans laquelle vit aujourd’hui une personne sur six. La reprise mondiale peut aujourd’hui s’accompagner de nouvelles tensions sur les marchés des matières premières. Le cours du pétrole est en hausse. La sécheresse de l’été dernier en Russie et les inondations en Australie, quatrième exportateur mondial de blé, peuvent également faire craindre une nouvelle crise alimentaire, qui se traduirait déjà par une augmentation des prix des céréales et du sucre, malgré de bonnes récoltes en Asie et en Afrique.

Ces options avancées pour diminuer la volatilité du prix des matières premières ne semblent pourtant pas non plus séduire les partenaires de la France. Certains se montrent d’emblée hostiles à l’objectif d’une plus grande régulation des marchés, comme le Brésil et les Etats-Unis, et ce même pour les matières premières agricoles.

2. 3 – LA CREATION D’UN SOCLE DE PROTECTION SOCIALE UNIVERSEL

Lors du premier sommet conjoint de leur histoire, qui s’est tenu à Oslo en septembre dernier, le FMI et l’OIT ont confié à un groupe présidé par l’ancienne président du Chili Michelle Bachelet (et qui comprend notamment Martin Hirsch) une réflexion sur la création d’un socle de protection sociale universel (social protection floor). L’idée est que 75 % de la population mondiale ne bénéficie pas d’un plancher de garanties sociales minimales lui permettant de faire face aux risques de la vie. L’objectif est de définir un paquet de garanties de base pour les pays les moins avancés, dont le financement serait assuré par la communauté internationale.

2. 4 – LA REFORME DE LA GOUVERNANCE MONDIALE

La France souhaite ouvrir plusieurs dossiers :

1. Le renforcement du G20 lui-même

L’Elysée cherche à « vendre » l’idée d’un secrétariat pour améliorer la préparation et le suivi de ses travaux, aujourd’hui assurés par l’administration nationale de la présidence tournante du G20. Certains membres, Etats-Unis en tête, sont réticents à une telle institutionnalisation, préférant conserver au G20 son caractère de club informel, privilégiant l’esprit initial des « conversations au coin du feu » entre leaders politiques plutôt qu’une bureaucratisation multilatérale. Il est vrai que les relations personnelles que peuvent nouer les chefs d’Etat dans un tel cadre sont très importantes : la création de liens de confiance est une des raisons du succès historique de l’Union européenne, et le G20 permet à cet égard des liens entre des chefs d’Etat qui se rencontraient peu (le président français avait avant le G20 peu d’occasions de croiser son homologue indien, chinois ou brésilien). Toutefois, la taille du G20 et les membres de fait qui y siègent (les chefs d’Etat, mais aussi les ministres des finances, les présidents des institutions internationales comme le FMI ou régionales comme l’Union européenne, soit au total plus de cinquante personnes) rendent déjà difficiles ces relations « au coin du feu ».

L’Elysée cherche aussi à étendre les compétences du G20 au-delà des questions économiques et financières, avec en tête l’idée d’en faire le « directoire de la globalisation ». Il y a d’ores et déjà ajouté le développement. Il a cherché un temps, après le fiasco du sommet de Copenhague, à y adjoindre la question climatique, le G20 devenant ainsi l’organe de gouvernance politique manquant à la négociation post-Kyoto. Les réticences sont très fortes, tant par les Etats hostiles à la régulation internationale (Etats-Unis) qu’au sein des administrations nationales (les Trésors nationaux voyant d’un très mauvais œil l’intrusion de sujets non-financiers dans leur chasse gardée du G20).

La légitimité du G20, si elle est très supérieure au G8, demeure partielle. S’est constitué un « G 172 » (tous les Etats non membres du G20) qui conteste l’érection du G20 en directoire du monde. Naturellement, la représentation exhaustive de tous les pays de la planète, comme à l’ONU, substitue la paralysie à l’illégitimité. Une solution serait de calquer le modèle des circonscriptions qui s’applique au sein du conseil d’administration du FMI : les membres du G20 ne représenteraient pas qu’eux-mêmes mais une circonscription territoriale englobant plusieurs pays. Ainsi, le G20 pourrait conjuguer la légitimité d’une représentativité géographique exhaustive avec l’efficacité d’une réunion à un petit nombre.

2. L’articulation entre le G8 et le G20

L’émergence du G20, son extension à de nouveaux sujets (le développement), posent la question du rôle du G8. Personne ne souhaite une substitution complète mais il faut naturellement éviter les redondances.

La France souhaite focaliser le G8 sur trois axes : les questions de sécurité, le partenariat avec l’Afrique, et les enjeux d’intérêt commun aux membres du G8 (internet, croissance verte, chômage…).

Les questions de sécurité restent les plus spécifiques au G8 : Iran, Afghanistan, Pakistan, Proche Orient. La France a souhaité élargir l’agenda à la lutte contre le terrorisme (en particulier contre les branches d’Al Qaïda dans le Sahel et la Somalie) et contre les nouvelles routes transatlantiques de la cocaïne.

Dans ce cadre, le Ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, pourrait tenir une réunion ministérielle sur la « lutte contre le trafic transatlantique de drogue » début mai 2011 à Paris. Ces travaux pourraient déboucher sur un plan d’action du G8 contre les trafics de drogues, des initiatives pour renforcer les capacités de surveillance des pays concernés, notamment sahéliens, et un meilleur échange des renseignements.

3. Le renforcement de la gouvernance internationale

L’objectif français de régulation est adossé à une volonté de renforcement global de la gouvernance internationale.

La réforme du FMI, entérinée au G20 de Séoul, est une étape importante : triplement de sa capacité d’intervention en tant que « pompier des crises » (avec un capital porté à 750 Md$) ; diversification de ses outils d’intervention pour prévenir la contagion de la crise financière (avec la création de facilités financières inconditionnelles, de nature assurantielle : lignes de crédit flexibles, lignes de crédit de précaution) ; mandat donné conjointement au Forum de stabilité financière pour élaborer la régulation financière de demain ; extension de sa compétence sur la surveillance des marchés financiers. La France souhaite aller plus loin et poursuivre la montée en puissance du FMI.

Les questions climatiques nécessitent également une gouvernance. Pour la négociation : le sommet de Copenhague, où quelques chefs d’Etat se sont retrouvés seuls, la dernière nuit, à rédiger eux-mêmes le communiqué final, démontre la défaillance du dispositif actuel. Mais aussi pour l’application des accords climatiques : le protocole de Kyoto est un accord juridiquement contraignant mais sans mécanisme de sanction en cas de non-respect de ses obligations, sans tribunal pour juger de ce respect (contrairement à l’OMC avec l’Organe de règlement des différends – ORD). La France milite pour une Organisation mondiale de l’environnement (OME), même si elle n’ignore pas le rejet d’Etats comme les Etats-Unis ou la Chine, réticents à toute perte de souveraineté au profit d’une institution multilatérale. Mais elle a aussi envisagé d’élargir la compétence du G20 aux questions climatiques.
 
Enfin, le G20 pourrait tenter de donner un nouvel élan à la réforme intérimaire du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU). Les négociations commencées en 2005 se sont rapidement retrouvées dans l’impasse. Seul un consensus a minima a pu être dégagé : la nécessité d’élargir le Conseil pour renforcer sa légitimité. Une telle réforme exige pourtant le vote d’au moins deux tiers des parties à l’ONU, dont les cinq membres permanents. Or les positions semblent à ce stade irréconciliables. Les Etats-Unis, échaudés par les votes contre les sanctions à l’Iran, se limitent toujours à n’envisager que deux nouveaux membres permanents au Conseil, et dépourvus de droit de véto. Le G4, l’Allemagne, le Brésil, l’Inde et le Japon, plaident, pour leur part, en faveur d’un Conseil à 25 membres dont six rejoindraient les membres permanents, sièges auxquels ils postulent. Un front mené par l’Italie, l’Argentine et le Pakistan, rejette cette proposition et refuse toute création de nouveaux sièges permanents. Les pays africains, qui disposent de 51 voix sur 192, souhaitent deux sièges permanents. Malgré l’ampleur des divisions, la Présidence française vise un accord sur une réforme intérimaire sur la base d’une ouverture du Conseil de sécurité au G4 et à un pays africain, tout en leur laissant la possibilité de devenir membres permanents après dix ou quinze ans.

2. 5 – Commerce international, climat, développement, régulation financière : les autres priorités de l’agenda

Les discussions sur les autres enjeux globaux devraient également être assez âpres :

1. Commerce : Les pays émergents rechignant à traiter du commerce, et la conclustion du cycle de Dohac à l’OMC paraissant improbable, les discussions sont mal engagées.

2. Climat : les Etats-Unis sont non coopératifs pour une discussion sur le climat dans la perspective du Sommet en Afrique du Sud.

3. Régulation financière : l’agenda français prolonge également les travaux lancés sous la présidence coréenne sur la régulation financière et la lutte contre la corruption.

4. Développement : La France a obtenu l’intégration des questions de développement dans le G20. C’est une avancée stratégique car elle devrait inciter les pays émergents (Chine notamment) à augmenter leurs contributions et à adopter de meilleures pratiques, dans un contexte où leurs méthodes sont jugées dommageables pour les pays récipiendaires et déloyales pour les donneurs traditionnels.

5. Financements innovants : La Présidence vise également à promouvoir au G20 les financements innovants, enjeu sur lequel la France, assurant le secrétariat permanent du groupe pilote sur ces financements, est particulièrement mobilisée. Ces financements sont jugés indispensables pour répondre à l’ampleur des besoins du développement, pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) comme pour lutter efficacement contre le changement climatique, et ce d’autant plus dans le contexte budgétaire difficile. Un premier financement a vu le jour avec la taxe sur les billets d’avion, initiée par Jacques Chirac : c’est un réel succès politique symbolique, mais peu d’Etats l’ont adoptée et son rendement demeure limité (300 millions de dollars alors que la communauté internationale recherche 100 milliards pour le développement et autant pour le climat). La France propose la création d’une taxe sur les transactions financières internationales, dont la faisabilité a été démontrée par plusieurs rapports de la Commission européenne et du FMI.

Cet objectif risque d’être également dur à atteindre dans la mesure où la France n’a pas encore réussi à rallier ses partenaires européens sur la question. Seule la Belgique a signé la déclaration proposée par la France en faveur de la création d’une telle taxe lors du Sommet de New York sur les OMD en septembre dernier. L’Espagne, le Portugal, la Norvège et le Commissaire européen au développement la soutiennent. Le Royaume-Uni, sans être désintéressé, n’est pas encore mobilisé, de crainte, entre autres, d’hypothétiques conséquences d’une telle taxe sur la City. L’Allemagne reste également encore à convaincre. Si le ministre des finances, M. Schauble, est favorable à l’affectation de la taxe au développement, la chancelière y reste réticente. In fine, la position européenne n’est toujours pas claire sur l’affectation de la taxe et tend à conditionner sa création à une acceptation au niveau mondial, ce qui risque d’être difficile à obtenir.

Convaincre les autres partenaires du G20 devrait être encore plus délicat. Certains ont en effet une opposition de principe à la création d’une telle taxe, souvent assimilée à la taxe Tobin, comme les Etats-Unis et le Canada. La Chine et l’Inde demeurent dans une position attentiste. Seul le Brésil, et dans une moindre mesure le Japon, sont intéressés et ont rejoint la déclaration en faveur de la création de la taxe lors du Sommet de New York sur les OMD.

3 – LES LIMITES DE L’APPROCHE FRANÇAISE

Les sujets de régulation mis sur la table par la présidence française font parfaitement sens. Ils méritent d’être soutenus. Malgré tout, on peut s’interroger à plusieurs titres sur l’approche de l’Elysée.

3. 1 – UN AGENDA GARGANTUESQUE : TROP DE PRIORITES TUE LES PRIORITES

La mise sur la table simultanément, face à des pays réticents et aux intérêts conflictuels, de tous les problèmes clés de la mondialisation est courageux. Mais il y a risque d’enlisement, faute de priorisation : pour avancer réellement, il faut faire porter son effort sur un nombre limité de sujets. Si tous les sujets sont importants, aucun ne l’est en pratique. La présidence ne peut dépenser son crédit politique qu’une fois.

Il nous paraît préférable de concentrer l’énergie politique et administrative de la présidence sur ses deux ou trois vraies priorités : la réforme du SMI, la régulation des matières premières, la création d’un socle de protection sociale universel. 

3. 2 – LA REFORME DU G20, PREALABLE A TOUTE AVANCEE SUR LE FOND

Le G20 s’est révélé décisif en 2008–2009. Les sommets de Washington (2008), Londres et Pittsburgh (2009) ont été des succès. Mais ce qui a fait son succès pendant la crise – une instance de décision informelle capable de se réunir et de décider vite – est le ferment de son échec dans la période post-crise.

Instance informelle, le G20 est par construction une institution faible. Faible capacité de décision : il faut l’unanimité de tous ses membres. Dès lors, après la phase de crise où l’action collective était la seule solution, les intérêts nationaux divergents reprennent le dessus et menacent de paralyser le G20. Et faible capacité de mise en œuvre : le G20 n’a pas de « dents », il n’a aucun instrument d’action – ni instrument financier (pas de budget G20), ni instrument juridique (le G20 ne produit pas de normes), ni même un secrétariat administratif pour assurer la préparation et le suivi des réunions.

Malgré tout, les institutions financières internationales et les institutions multilatérales (FMI notamment, mais aussi comité de Bâle, Forum de stabilité financière, Banque mondiale, OCDE, ONU…) servent de facto de levier d’action au G20. Le FMI, notamment, apparaît de plus en plus comme son bras armé. Dans ces conditions, l’idée de calquer la gouvernance du G20 sur le conseil d’administration du FMI (mêmes membres, même système de représentation mondiale par circonscription) paraît particulièrement fructueuse.

3. 3 – LA QUESTION EUROPEENNE FACE A LA PRESIDENCE DU G20

L’Europe peut interférer de plusieurs manières dans la gestion du G20 par la France.

D’abord, toute réforme de la gouvernance internationale se heurtera à la question de la sur-représentation de l’Europe dans les instances mondiales. C’est vrai au G20 (quatre pays européens : France, Allemagne, Royaume Uni, Italie ; plus le président de l’Union, le président de la Commission, la présidence tournante de l’Union, le président de la BCE…), vrai au FMI, vrai au Conseil de sécurité des Nations Unies. C’est à l’Union européenne de débloquer la situation. Certains sujets sont de vrais serpents de mer : par exemple, la fusion des sièges des Etats européens au FMI au sein d’un siège unique de l’Union avait été évoquée dès 1997 par… Dominique Strauss-Kahn, alors ministre des finances.

Ensuite, la présidence doit trouver des relais à ses propositions, qui sont loin d’être consensuelles. Ces relais seront avant tout européens. Le passage en force, à l’énergie du forceps volontariste, avait été possible lors de la présidence de l’Union européenne par la France en 2008 : les relations de confiance et de proximité avec les autres pays européens sont telles que nos partenaires peuvent ne pas faire obstacle au volontarisme élyséen. Ce ne sera pas le cas au G20 : les positions sont trop divergentes, les relations de confiance sont à construire. A cet égard, l’attention portée à la coordination européenne par l’Elysée semble à ce jour encore faible par rapport aux initiatives prises par Gordon Brown lors de la présidence anglaise du G20 en 2009. 
Enfin, il est impératif que la zone euro soit capable de rassurer sur la crise de la dette souveraine qu’elle traverse. Sans assainissement crédible en Europe, il n’y aura pas de progrès possible sur le SMI : l’Europe ne peut pas prétendre donner des leçons de régulation au monde si elle est elle-même empêtrée dans une crise majeure où toutes ses règles de gestion (le pacte de stabilité) ont été bafouées.

CONCLUSION

Avec la présidence du G20, Nicolas Sarkozy a naturellement des objectifs politiques domestiques en tête, à quelques mois de l’élection présidentielle, et est engagé dans un partenariat de travail avec celui (DSK) qui pourrait être son candidat rival. Ces objectifs sont d’ores et déjà en grande partie atteints : ils passent par le faste médiatique du G20 de Cannes, la scansion de l’année à travers une série d’événements G20 (G20 drogues, G20 produits alimentaires, G20 chefs d’entreprise…) et le coup de génie de communication d’avoir confié des missions aux grands leaders du G20 (Cameron, Medvedev, Merkel/Calderon) qui rapporteront à la Présidence durant l’année.

Mais si les objectifs du président de la République ne sont pas uniquement de politique interne, s’il cherche à obtenir des résultats réels de fond, alors plusieurs correctifs nous sembleraient utiles : le recentrage sur deux ou trois enjeux, la priorité absolue donnée à la réforme du G20, une résolution des difficultés et irritants européens.

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