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Rapport

L’action publique et sa modernisation : La réforme de l’Etat, mère de toutes les réformes

L’annonce à la mi-novembre par le Premier ministre d’une remise à plat de la fiscalité conduit à ne pas s’interroger seulement sur la partie recettes des finances publiques mais amène à questionner le volet dépenses, c’est-à-dire le coût engendré par l’action publique.
Publié le 

Composition du groupe de travail

Le groupe Terra Nova sur l’action publique et sa modernisation était constitué d’une vingtaine de personnes, dont :

André DORSO, Sous-préfet, ancien secrétaire général de la préfecture des Pyrénées orientales, ancien DGS de la Région Picardie, Ancien DGS de Mayotte

Nelly FESSEAU, co-auteur du rapport numérique, Renouer avec les valeurs progressistes et dynamiser la croissance , Terra Nova 2012

Michel FRANÇAIX, Député

Patrick GUEDJ, chef de projet à la direction des systèmes d’information du ministère de l’Intérieur, (contribution à titre personnel)

Yann HÉLARY, Conseiller régional, Président de Gigalis, Président du parc interrégional du Marais Poitevin,

Esther LANASPA, Chef du département « Stratégie et modernisation », Secrétariat général du ministère de la Culture et de la communication,

Gabriel LAVENIR [1] , co-auteur du rapport Numérique, Renouer avec les valeurs progressistes et dynamiser la croissance , Terra Nova 2012

Daniel LEFEBVRE, Ancien DSI du GIE AGIRC-ARRCO

Frédéric LÉONHARDT, expert en action publique territoriale

Sophie NUNZIATI, Conseil en communication

Marie-José PALASZ, chef de mission, Contrôle général économique et financier, Ministère de l’économie et des finances

Dominique RAIMBOURG, Député

Maurice RONAI, chercheur à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales)

Jacques SAURET, ancien directeur de l’Agence pour le développement de l’administration électronique (ADAE)

Synthèse

La France doit faire face dans le même temps à une croissance économique faible, un chômage élevé et des déficits publics importants. Cette situation résulte pour une large part d’une action publique unanimement considérée comme inadaptée ou inefficace. L’objet de ce rapport est donc, sur la base d’un constat sur l’action publique (partie I), de faire des préconisations sur les caractéristiques d’une action publique moderne au XXIème siècle (partie II) puis sur les modalités permettant de réussir de telles réformes (partie III).

I – L’action publique : un constat alarmant

Le système administratif ne répond pas aux enjeux d’une société en plein bouleversement. La France se vit en situation de crise depuis plus de 30 ans. Mais, plus qu’une crise, c’est une transformation sans précédent dans l’histoire humaine qu’elle subit. Du fait des technologies numériques, la société change radicalement, et ce sans qu’un seul secteur ne soit épargné. Les citoyens aspirent à une société plus simple, moins pesante, plus individualisée [2] . Face à ça, notre appareil administratif est dépassé : l’organisation administrative date pour une large part de Napoléon, et les grands principes de la culture administrative restent ceux du XIXème siècle : un État omniprésent et paternaliste qui autorise, contrôle et veut organiser toute la vie sociale. Cet État n’a pas pris la pleine mesure des trois évolutions majeures apparues dans les années 80 : la décentralisation, la construction européenne, et la diffusion massive des technologies de l’information. Au final, l’action publique n’apporte pas aux citoyens et aux entreprises la valeur ajoutée en proportion avec les moyens alloués.

La modernisation de l’action publique apparaît comme la « mère de toutes les réformes », et la seule voie possible pour remédier aux difficultés actuelles. Elle porte un triple enjeu : 1) le maintien d’un contrat social, 2) l’anticipation, la préparation et l’accompagnement de la société aux mutations en cours ; et 3) l’aide à la résorption des déficits publics, condition sine qua non d’une action publique efficace et durable.

Les rapports et réformes passés sont analysés, pour en repérer les raisons de ce relatif échec, même si des projets ont réussi (carte vitale, déclaration de l’impôt sur le revenu sur Internet, etc.). Sur la base de quelques réussites, le Plan a mis en avant six composantes récurrentes et déterminantes pour le succès d’un projet [3]  : un terrain, un moment, un projet, un soutien politique, des hommes et des femmes, un pilotage. Il a également pointé trois paradoxes à résoudre : le paradoxe budgétaire (il faut réformer pour économiser, mais il faut dépenser pour réformer), la conduction du changement dans un système inchangé, et enfin la réforme réussie qui se retourne contre l’entité concerné. En complément, Terra Nova tire quelques enseignements du passé : un soutien politique trop faible dans la durée, une approche trop théorique ou trop ponctuelle, une résistance au changement qui « dévie le tir », une méthode inadaptée, la complexité croissante des problèmes, la tyrannie du court terme et enfin le refus d’investir dans la réforme.

Les exemples étrangers sont également regardés. Il ressort que c’est le plus souvent la dégradation des finances publiques qui amènent les pays à engager un programme de réforme de l’État, ainsi que l’évolution des attentes des citoyens et des entreprises ou bien encore la volonté de restaurer l’image de l’administration. Au final, les États se recentrent sur une fonction de conception, passant d’une logique de contrôle vertical à celle d’une animation pour la mesure de la qualité des politiques publiques. Les questions soulevées tournent autour de la mutualisation, de la transparence publique, de mesure de la performance publique, du mode d’association le plus efficient du secteur privé aux politiques publiques. Mais, dans les vingt dernières années, la réforme de l’État ne s’est traduite dans aucun pays par une réduction significative des agents affectés à l’action publique . La réduction apparente de certains effectifs étant compensée par l’augmentation d’autres agents (autres collectivités publiques, contractuels, sous-traitance). En outre, il ressort clairement que les économies sur les dépenses de personnel sont sans rapport avec les enjeux de réduction de la dépense publique . La contrainte budgétaire existe. La modernisation de l’action publique doit être le principal moyen permettant d’en limiter les effets néfastes pour les agents comme pour les usagers. La nécessaire réduction des déficits publics peut et doit être utilisés pour impulser une véritable réforme de l’action publique, mais ne doit pas « pervertir » celle-ci en sélectionnant les mesures de modernisation en fonction des économies qu’elles sont susceptibles de générer. Cette dérive a été constatée par la RGPP (révision générale des politiques publiques) et semble à l’œuvre dans la MAP (modernisation de l’action publique).

Autre point important du constat : les élites politiques et administratives sont peu incitées à s’impliquer . On ne se fait pas élire en France sur un projet de modernisation administrative et au niveau de la haute administration, les motivations ne sont pas plus fortes. Tant que l’opinion publique ne se saisit pas du sujet, personne au sommet n’a réellement intérêt à une transformation en profondeur des politiques publiques et des organisations qui les sous-tendent.

En résumé, parce que la modernisation de l’action publique est la « mère de toutes les réformes », contributrice de la compétitivité et de la restauration des comptes publics, mais aussi garante de la pérennité des contrats sociaux, elle doit faire l’objet d’un programme dédié et résolument volontariste. L’objectif est de passer d’une France sur-administrée et sous-gouvernée à un État dynamique, agile, intégrant la culture numérique comme l’un de ses paradigmes, au service de ses citoyens et de ses entreprises, pour sortir de la situation actuelle et pour que chacun ait envie et espoir dans la société dont il est membre.

II – L’action publique moderne doit être pertinente, simple et agile.

Pertinente : l’action publique doit être adaptée aux risques

L’action publique du XXIème siècle doit être ciblée sur les attentes et les besoins prioritaires des citoyens et des entreprises. Á cette fin, il est nécessaire de :

– Passer d’une culture administrative du « double zéro » (zéro défaut, zéro risque) à une culture fondée sur la gestion des risques. Les agents publics, dans leur très grande majorité, travaillent bien et sont attachés à la qualité de sa production. Mais cette préoccupation louable a pour conséquence des délais d’instruction longs et rend inconsistance les politiques publiques. Ainsi, les contrôles des pharmacies sont très bien faits …. Mais une pharmacie est en moyenne contrôlée tous les 27 ans ! On confond le contrôle interne de la norme (la régularité de la décision) et la qualité du service aux citoyens/entreprise : si la norme est régulièrement appliquée, l’objectif est considéré comme atteint, indépendamment du coût collectif, de la situation réelle et des conséquences. Une approche par les risques permettrait de démontrer que l’administration, notamment d’État, consomme beaucoup de moyens pour autoriser et contrôler des champs dont les risques réels sont limités, et dans le même temps abandonne et surtout n’investit pas des champs porteurs de risques réels mais nouveaux.

– Systématiser, dans le cadre d’une logique de gestion des risques, l’analyse de la valeur de chaque action sous-tendant une politique publique. L’action publique ne doit plus seulement être utile, elle doit apporter une valeur ajoutée. La France souffre beaucoup de ces actions publiques qui sont utiles mais qui ont une valeur ajoutée négative

– Vérifier l’effectivité (la décision ou l’avis sont-ils bien respectés ?) et l’efficacité (la décision ou l’avis ont-ils permis d’atteindre l’objectif ?) de l’action publique. C’est rarement fait.

Simple : faire simple et pas seulement simplifié

Cela fait plus de vingt ans que l’hymne à la simplification est entonné sans que les résultats soient à la hauteur des attentes et des besoins. Il convient de prendre des mesures concrètes et fortes :

– Diviser par deux en trois ans la taille de tous les codes. Une mesure gadget au premier abord, mais d’une grande efficacité car facilement mesurable et qui oblige les administrations à aborder les textes sous un autre angle. Elle permettrait également de combattre la pratique actuelle consistant à prévoir des dérogations et des dérogations aux dérogations des textes « de base ».

– Systématiser le projet « dites-le nous une seule fois » consistant à ne pas exiger des usagers des services publics des informations détenues par une autre administration. Les systèmes d’information le permettent.

– Personnaliser les services en généralisant la mise à disposition de télé-services complets [4] pour l’ensemble des démarches administratives. Les technologies disponibles permettent d’avoir des formulaires « intelligents » adaptés au profil de chacun.

– Laisser à l’usager le choix du mode d’échange avec l’administration. Un quart de la population n’a pas accès à Internet, par choix, par absence de couverture ou par défaut d’appropriation (effet générationnel). Un passage exclusif par Internet ne serait ni opportun, ni pertinent : l’usager doit pouvoir choisir son mode d’échange avec le service public (télé-services, téléphone, guichet, courrier). Parallèlement, il convient d’encourager la médiation des associations d’assistance aux différentes populations du « tiers net » sur les usages numériques afin d’aider à la diffusion des nouvelles pratiques dans toutes les catégories de la société [5] .

– Passer à une administration proactive, qui informe systématiquement les citoyens et entreprises de leurs droits. De nombreux bénéficiaires potentiels se retrouvent exclus de prestations auxquelles ils ont droit [6] .

Agile : une action publique ouverte à l’innovation et à la société

L’action publique doit également anticiper l’avenir, et orienter les acteurs pour préparer le pays aux évolutions nécessaires et souhaitables.

– Installer une culture qui favorise l’innovation. Remettre en phase l’action publique et la société impose de faire entrer l’innovation dans la culture administrative. Pour cela, il est proposé d’instaurer des laboratoires de l’innovation des politiques publiques dans chaque administration (ministère, services déconcentrés, grandes collectivités publiques). Ils auraient une fonction « d’aiguillon » pour inciter les directions verticales de chaque ministère à repenser leurs manières de faire et adopter des démarches d’innovation ouverte. Ils constitueraient, chacun à leur manière », des incubateurs de pratiques innovantes.

– Impulser et animer. Au-delà de ses missions classiques (stratège, protecteur, éducateur, …), l’État devrait aujourd’hui privilégier son rôle en matière d’impulsion/animation/coordination au détriment des actions de tutelle/réglementation. Cette fonction consiste à ne plus imposer en première intention, mais à faire émerger par la réunion des parties prenantes les solutions et décisions conformes aux objectifs collectifs. C’est un levier moderne, efficace et adapté aux caractéristiques de la société actuelle.

– Un accès libre et gratuit des usagers aux données payées par le contribuable. L’affirmation claire dans la loi que toute information financée par le contribuable doit être mise à disposition gratuitement (les coûts de mise à disposition étant aujourd’hui réduits) serait de nature à permettre une réelle et large innovation. Les exemples [7] , étrangers notamment, montrent que les rentrées fiscales supplémentaires liées à l’augmentation de l’activité sont supérieures aux pertes dues à l’arrêt de la vente des données.

– Favoriser la production croisée (« crowdsourcing »). L’administration pourrait lancer des initiatives de production collective dans le domaine public, en substitution ou en complément des données produites par les administrations elles-mêmes [8] . En termes de valeur ajoutée produite et de risques encourus, le crowdsourcing constitue sans conteste une piste tout à fait prometteuse dans de nombreux champs.

En résumé, le rôle de l’État doit profondément évoluer : s’il doit garder ses prérogatives régaliennes historiques (dans une acception limitative : tout n’est pas régalien) et de « stratège », il doit se donner les moyens de devenir un « manager » de la Nation : impulser, soutenir, former, coordonner, informer les autres acteurs, en un mot faire en sorte que chacun à sa place donne le meilleur de lui-même et puisse concrétiser autant que possible ses souhaits en fonction de ses potentialités.

III – « Comment réformer ? », une question aussi importante que « quoi faire ? »

S’il est nécessaire de bien définir l’objectif à atteindre, il est tout aussi important de peaufiner la méthode pour y arriver.

Une gouvernance déterminée, structurée et partenariale

– Une implication politique forte, au démarrage et dans la durée. Les exemples étrangers montrent que les électeurs ne pénalisent pas les gouvernements qui ont osé en matière de réformes . Pour éviter la tentation d’une « pause », il faut installer le sujet de l’action publique et de sa modernisation au centre du débat public, impliquer les ministres et concevoir des réformes de l’action publique qui rassemblent des mesures de court terme et des actions de longue haleine. Enfin, pour que la réforme traverse le temps politique, il convient de faire élaborer puis porter, autant que faire se peut, les réformes lourdes par des parlementaires de bords politiques différents.

– Impliquer systématiquement les parties prenantes à toutes les étapes d’une réforme, et notamment dans sa gouvernance. Bien souvent, la concertation est avant tout un faire valoir, les orientations et les décisions étant préparées dans un cénacle limité et très administratif. Du coup, l’action des lobbies est d’autant plus importante. Une réelle concertation, en amont et approfondie, permettrait que les décisions finales soient comprises et acceptées quand bien même elles ne satisfont pas tout le monde. Par ailleurs, certains projets innovants [9] pourraient être relayés par les associations d’élus locaux. Pour cela, il conviendrait de mettre en place, à destination des collectivités territoriales et via leurs grandes associations (AMF, ADF, ARF, etc.), des partages d’expérience et la mise à disposition de bonnes pratiques.

– Un réseau d’acteurs de modernisation à renforcer et structurer. L’État dispose d’un réseau pour porter la réforme de l’action publique, même ce sont le plus souvent les conseillers budgétaires qui l’incarnent au niveau des cabinets. La création du SGMAP et son positionnement auprès du Premier ministre a été une initiative heureuse. Néanmoins, il serait souhaitable que la DGAFP [10] entre dans le périmètre du SGMAP, que la répartition des rôles entre le SGMAP et la DIMAP soit clarifiée et que la DIMAP dispose des moyens suffisants. Les secrétaires généraux des ministères devraient être chargés de réinterroger au fond les politiques publiques et leurs modalités de mise en œuvre, en les rendant comptables des résultats, au même titre que les directions métiers. De même, des correspondants MAP devraient être désignés au sein des services déconcentrés de l’État et de ses opérateurs.

Une stratégie claire appuyée sur un calendrier réaliste

– Définir, comme l’indique Yannick Moreau dans son rapport sur la création d’un Commissariat général à la stratégie et à la prospective [11] , une vision large et partagée de la société à construire. En déduire les stratégies sectorielles, rendues publiques elles aussi, avant de les décliner en plans d’actions et en projets. Le SGMAP serait garant de la cohérence verticale et horizontale de ces documents gigognes.

– Le calendrier des actions doit être réaliste et la communication gouvernementale claire : les réformes structurelles prendront du temps, et la maîtrise des déficits passera dans l’intervalle par une diminution des dépenses d’intervention. Une clarification sur ce point éviterait la perception d’une dérive de la MAP « à la RGPP », où seul compterait l’impact de la mesure de modernisation en termes de réductions d’emploi ou de baisse des dotations aux services (frais de fonctionnement). Il est nécessaire de définir des calendriers réalistes pour les différentes réformes, et de les afficher pour permettre aux acteurs publics et privés de prendre leurs propres décisions en connaissance de cause.

Une organisation repensée, au-delà de l’évolution des organigrammes

L’organisation de l’action publique pourrait être repensée en distinguant les fonctions d’accueil (entièrement confiées aux intercommunalités), les fonctions d’expertise/traitement et les fonctions de pilotage/évaluation/contrôle. L’organisation actuelle de l’État date de la Révolution et correspondait à un optimum d’efficacité avec les moyens de communication d’alors. Comme le souligne la Cour des Comptes [12] , la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) n’a jamais reposé les questions principales : quelle est la meilleure organisation en fonction des objectifs de l’État sur chaque politique publique et des caractéristiques des territoires ? Á quoi servent des entités manifestement en dessous du seuil critique en matière de personnel [13]  ? Une telle réflexion reste à mener.

Trois autres réformes organisationnelles devraient être envisagées  :

– Figer la composition des ministres de plein exercice du Gouvernement.

– Placer dans les services du Premier ministre la direction du budget, la direction de la législation fiscale, la direction générale des collectivités locales et la sous-direction qui gère le corps préfectoral.

– Limiter le nombre des membres des cabinets ministériels à cinq personnes, quelle que soit la taille du ministère, le ministre ayant par ailleurs un correspondant privilégié dans chaque direction d’administration centrale, désigné par le directeur.

Une méthode plus professionnelle, notamment sur la conduite de projets et l’accompagnement du changement

La méthode pour conduire la réforme est primordiale dans la réussite : on ne peut pas simplement considérer que « l’intendance suivra ». Il faut donc un portage politique initial et dans la durée. Mais il faut aussi que la démarche soit structurée et utilise des outils professionnels, encore trop peu maîtrisés par la plupart des administrations :

– Réconcilier les approches « macro » et « micro » : comme en économie, une des grandes problématiques de la modernisation de l’action publique est la conciliation de l’approche d’ensemble (« macro »), la vision stratégique, avec la mise en œuvre opérationnelle au plus près du terrain (« micro »). L’approche « macro » est indispensable, comme il a été dit précédemment, mais, pour rester stratégique, elle doit se concentrer sur les grandes orientations sans entrer dans un luxe de détails. L’approche « micro » ne permet pas des évolutions d’ensemble issues d’une mise en perspective. Pour faciliter cette mise en cohérence, il conviendrait notamment d’établir différentes cartographies nécessaires à une bonne structuration des réformes : missions/processus, risques, SI, ressources et compétences, activité, etc. Il conviendrait ensuite de bien définir les objectifs et les modalités de mise en œuvre de chaque mission par une revue de chacune d’elle pour en évaluer la valeur ajoutée et comparer les différentes modalités possibles de sa mise en œuvre, pour autant qu’il soit pertinent de la conserver. Il faut enfin favoriser l’échange de bonnes pratiques entre entités gestionnaires par la mise en place d’une bibliothèque d’échange sur les pratiques en matière d’actions publiques.

– En interne, associer les agents et susciter l’intérêt au changement. Pour surmonter l’anxiété légitime associée à tout changement et éviter les blocages et les risques d’échec auxquels elle conduit, deux aspects doivent être impérativement présents : l’association des agents et des syndicats à toutes les étapes, en passant d’une logique de défiance et de formalisme à une logique de confiance et d’échange. Pour les décideurs administratifs, il est proposé de mettre en place un dispositif d’incitation au mouvement/pénalisation de l’inertie.

Des systèmes d’information considérés à leur juste place

Au XXIème siècle, des systèmes d’informations insuffisants interdisent des services publics performants et de qualité. Investir massivement dans les SI publics est une nécessité absolue. L’investissement en SI devrait s’élever à 3 % du budget [14] , contre 1,15 % aujourd’hui (environ 4,6 M€ pour 2013). Un tel investissement permettrait à la fois à la France de rattraper son retard en ce domaine et de bénéficier à court terme des gains en qualité de service pour les usagers et les agents et à moyen terme des économies induites.

En outre, une « urbanisation » des SI publics, entamée, doit être généralisée, et les projets informatiques doivent être construits sur une taille réduite, qui leur permettra d’être modulaires, moins coûteux, moins risqués, plus facile à faire évoluer et plus interopérables. L’échec du projet Louvois est à ce titre illustratif.

Enfin, indépendamment de l’accroissement de l’effort en matière de SI, certaines orientations permettraient d’améliorer la qualité des services rendus tout en générant des économies non négligeables. Ainsi, la mutualisation des moyens en SI, tant pour les développements que pour l’exploitation permettrait d’atteindre la masse critique en termes de compétences et d’obtenir des économies d’échelle importantes. De même, priorité doit être donnée aux référentiels de toute nature impactant les SI (sémantiques, d’échanges, d’architecture, etc.), en y associant les parties prenantes.

Une gestion des ressources humaines profondément rénovée

Comme l’indique Jean-Ludovic Silicani, rapporteur général du rapport Picq et auteur du livre blanc de 2008 sur l’avenir de la fonction publique, «  notre système de fonction publique apparaît à bout de souffle » [15] . Á tous les niveaux, les responsables administratifs ne sont ni outillés ni incités à avoir une politique managériale digne de ce nom. La GRH reste chronophage et peu satisfaisante, tant du point de vue des dirigeants que de celui des agents. On est de fait dans une gestion administrative des personnels là où est nécessaire une véritable gestion des ressources humaines. La culture du dialogue social et du compromis doit être introduite dans les directions d’administration, tant au niveau central que déconcentré. Pour ce faire, il faut redonner des marges de manœuvres aux directeurs, notamment sur la question des effectifs et des organisations.

Le rapport Pêcheur reconnaît que le constat est «  globalement inquiétant  », et Jean-Ludovic Silicani considère que le relatif échec des réformes des RH depuis vingt ans provient de ce qu’on n’a pas voulu mener une réforme globale et visible de la fonction publique [16] . Terra Nova fait sienne diverses préconisations avancées par les rapports des dernières années :

– Sur le statut général de la fonction publique et la place des contractuels : placer les agents contractuels sous le régime du code du travail pour les dispositions qui ne sont pas contraire aux règles de la fonction publique. Á ce sujet, un projet de loi élaboré début 2008 et posant les bases d’un nouveau cadre pour le statut de fonctionnaire est joint en annexe.

– Pour les corps et les cadres professionnels/statutaires : suivre les recommandations du livre blanc en créant un régime statutaire de niveau législatif, ainsi que 50 à 100 cadres statutaires correspondant à des filières professionnelles. Ces cadres viendraient remplacer les 300 corps et les 150 statuts d’emploi actuels.

– Sur les règles de rémunération : abolir les différences de régime indemnitaire entre ministères, et augmenter la part des primes dans la rémunération, en les incluant dans le calcul de la retraite. Plus largement, mettre en œuvre les dispositions du livre blanc en la matière.

– Favoriser la mobilité des agents, fonctionnelle et géographique. Á cette fin, systématiser, comme le préconise le rapport Pêcheur, le recours à la bourse de l’emploi public et conditionner l’accès à certains emplois à l’exercice de certaines responsabilités (services déconcentrés, postes difficiles, etc.).

Conclusion

Le temps de l’Administration n’est pas celui de la société. Les évolutions naturelles de l’une et l’autre sont différentes et débouchent sur un décalage croissant entre les attentes de la société et le cadre fixé par l’action publique. La question fondamentale aujourd’hui posée est de savoir si la « resynchronisation » est possible sans une crise préalable pour briser les tabous et les rigidités de la société et des administrations. Le réformisme est-il une solution praticable dans notre pays comme il l’a été dans d’autres pays ? Terra Nova en est convaincue, mais la preuve n’en a pas encore été faite. Elle nécessite un courage politique certain, doublée d’une vision et d’une méthode. Elle consiste en une refonte complète de la conception de l’action publique, son organisation, ses outils, ses processus de décision, avec un fil conducteur : l’efficacité, la capacité de reprendre prise sur le réel, le retour de l’État non pas comme une entité bureaucratique mais comme instrument de la volonté populaire.

Liste des recommandations

Proposition n°1 : Utiliser la nécessaire réduction des déficits publics pour impulser une véritable réforme de l’action publique, mais ne pas « pervertir » celle-ci par la seule contrainte budgétaire en sélectionnant les mesures de modernisation en fonction des économies qu’elles sont susceptibles de générer.

Proposition n°2 : Passer d’une administration « double zéro » (zéro défaut, zéro risque) à une action publique fondée sur une gestion des risques.

Proposition n°3 : Cibler les contrôles en fonction des risques, et en définir les modalités de mise en œuvre (contrôle direct par l’Administration ou confiés à des organismes accrédités) en fonction du nombre à effectuer pour en assurer une certaine fréquence.

Proposition n°4 : Privilégier les missions de conseil au sein des inspections générales et mettre en exergue dans les rapports de ces inspections comme de la Cour des Comptes les bonnes pratiques autant que les dysfonctionnements.

Proposition n°5 : Instaurer une chaîne d’analyse des risques au sein des administrations en parallèle de la chaîne de production et du contrôle interne.

Proposition n°6 : Systématiser, dans le cadre d’une logique de gestion des risques, l’analyse de la valeur de chaque action sous-tendant une politique publique.

Proposition n°7 : Vérifier, pour chaque modalité d’une action publique, de son effectivité (la réglementation est respectée) et de son efficacité (le respect de la réglementation a un effet).

Proposition n°8 : Diviser par deux en trois ans la taille de tous les codes.

Proposition n°9 : Systématiser le projet « dites-le nous une seule fois » consistant à ne pas exiger des usagers des services publics des informations détenues par une autre administration.

Proposition n°10 : Généraliser la mise à disposition de télé-services complets (i.e. qui puissent être remplis en ligne et adaptés à la situation du demandeur ; aide en ligne ; simplification des termes, etc.) pour l’ensemble des démarches administratives.

Proposition n°11 : Passer à une administration proactive, qui informe systématiquement les citoyens et entreprises de leurs droits.

Proposition n°12 : Instaurer des laboratoires de l’innovation des politiques publiques dans chaque administration (ministère, services déconcentrés, grandes collectivités publiques).

Proposition n°13 : Renforcer les actions de l’État en matière d’impulsion/animation/coordination au détriment des actions de tutelle/réglementation.

Proposition n°14 : Continuer et amplifier la politique d’ouverture des données publiques.

Proposition n°15 : Lancer des initiatives de production collective (« crowdsourcing ») dans le domaine public en substitution ou en complément des données produites par les administrations elles-mêmes.

Proposition n°16 : Lancer en France l’équivalent du projet « challenge.gov »

Proposition n°17 : Systématiser avant toute nouvelle mesure, à l’instar du test PME, des tests de simplicité et de modernisation de l’action publique dans des conditions réelles auprès des destinataires desdites mesures et auprès des agents chargés de les appliquer.

Proposition n°18 : Installer le sujet de l’action publique et de sa modernisation au centre du débat public.

Proposition n°19 : Concevoir des réformes de l’action publique qui rassemblent des mesures de court terme et des actions de longue haleine.

Proposition n°20 : Faire élaborer puis porter, autant que faire se peut, les réformes lourdes par des parlementaires de bords politiques différents.

Proposition n°21 : Impliquer systématiquement les parties prenantes à toutes les étapes d’une réforme, et notamment dans sa gouvernance.

Proposition n°22  : Mettre en place, à destination des collectivités territoriales et via leurs grandes associations (AMF, ADF, ARF, etc.), des partages d’expérience et la mise à disposition de bonnes pratiques.

Proposition n°23 : Faire entrer la DGAFP dans le champ du SGMAP
– mieux distinguer les missions du SGMAP et de la DIMAP
– renforcer les moyens de la DIMAP et de la DISIC.

Proposition n°24 : Confier aux secrétaires généraux des ministères la mission de réinterroger au fond les politiques publiques et leurs modalités de mise en œuvre, en les rendant comptables des résultats, au même titre que les directions métiers.

Proposition n°25 : Désigner des correspondants MAP au sein des services déconcentrés de l’État et de ses opérateurs.

Proposition n°26 : Définir et rendre publique la vision proposée à long terme pour la société, qui mentionne les quelques axes qui serviront aux arbitrages entre politiques publiques et au sein des politiques publiques.

Proposition n°27 : Définir, sur la base de la vision d’ensemble, les stratégies sectorielles et les rendre publiques, et décliner chacune d’elle en plans d’actions et en projets, dans une logique de poupées russes dont le SGMAP serait le garant de la cohérence verticale et horizontale.

Proposition n°28 : Faire peser l’essentiel des économies budgétaires dans les trois prochaines années sur les dépenses d’intervention, le temps que les réformes de fond ayant un impact sur les dépenses de personnel commencent à produire leurs effets. Á l’inverse, ne pas faire croire que les économies sur les dépenses de personnel seront de nature à régler la question du comblement des déficits publics.

Proposition n°29 : Définir des calendriers réalistes pour les différentes réformes, et les afficher pour permettre aux acteurs publics et privés de prendre leurs propres décisions en connaissance de cause. Confier au SGMAP le soin de s’assurer de la cohérence d’ensemble des différents calendriers.

Proposition n°30 : Repenser l’organisation de l’action publique en distinguant les fonctions d’accueil (entièrement confiées aux communes/intecommunalités), les fonctions d’expertise/traitement et les fonctions de pilotage/évaluation/contrôle.

Proposition n°31 : Figer la composition des ministres de plein exercice du Gouvernement.

Proposition n°32 : Placer dans les services du Premier ministre la direction du budget, la direction de la législation fiscale, la direction générale des collectivités locales et la sous-direction qui gère le corps préfectoral.

Proposition n°33 : Limiter le nombre des membres des cabinets ministériels à cinq personnes, quelle que soit la taille du ministère, demander aux ministres d’animer une réunion hebdomadaire avec les directeurs d’administration centrale et faire désigner par chaque directeur un correspondant pour le ministre parmi ses collaborateurs.

Proposition n°34 : Élaborer les différentes cartographies nécessaires à une bonne structuration des réformes : missions/processus, risques, SI, ressources et compétences, activité, etc. Renforcer les moyens de la DISIC pour assurer la coordination d’ensemble et l’élaboration du « Plan d’occupation des sols de l’action publique » (POS) qu’elle a engagé.

Proposition n°35 : Faire une revue de chaque mission recensée pour en évaluer la valeur ajoutée et comparer les différentes modalités possibles de sa mise en œuvre, s’il apparaît pertinent de la conserver.

Proposition n°36 : Mettre en place une bibliothèque d’échange sur les pratiques en matière d’actions publiques, qui rassemble leurs caractéristiques (objectif, activité, population couverte, SI utilisé, etc.).

Proposition n°37 : Optimiser les processus de travail, au travers d’une démarche régulière (audit interne, LEAN, etc.).

Proposition n°38 : Associer les syndicats des fonctions publiques et les agents à toutes les étapes des réformes, en passant d’une logique de défiance et de formalisme à une logique de confiance et d’échange.

Proposition n°39 : Inciter au changement et pénaliser l’immobilisme.

Proposition n°40 : Faire passer l’investissement public en systèmes d’information de 1,15 % à 3 %, pour rattraper le retard de la France en ce domaine et bénéficier à court terme des gains en qualité de service pour les usagers et les agents et des économies induites.

Proposition n°41 : Urbaniser les SI publics dans une perspective à long terme, et faire évoluer les projets informatiques vers des projets de taille réduite, modulaires, qui sont moins coûteux, moins risqués, plus facile à faire évoluer et plus interopérables.

Proposition n°42 : Mutualiser les centres de développement et d’exploitation informatique.

Proposition n°43 : Travailler en priorité sur les référentiels de toute nature impactant les SI (sémantiques, d’échanges, d’architecture, etc.), en y associant les parties prenantes.

Proposition n°44 : Instaurer au sein même des directions centrales et déconcentrées de l’État un véritable dialogue social avec les organisations syndicales. Á cette fin, élargir les prérogatives des directeurs afin qu’ils aient des marges de manœuvre, notamment en matière d’organisation du travail et d’effectifs.

Proposition n°45 : Engager une réforme globale, claire et lisible de la gestion des fonctions publiques, pour sortir d’une situation dans l’impasse fondée sur une gestion administrative plus que sur une gestion des ressources humaines.

Proposition n°46 : Placer les agents contractuels sous le régime du code du travail pour les dispositions qui ne sont pas contraires aux règles de la fonction publique.

Proposition n°47 : Suivre les recommandations du livre blanc en créant un régime statutaire de niveau législatif, et la création de 50 à 100 cadres statutaires correspondant à des filières professionnelles et qui viendraient remplacer les 300 corps et les 150 statuts d’emploi actuels.

Proposition n°48 : Abolir les différences de régime indemnitaire entre ministères, et augmenter la part des primes dans la rémunération, en les incluant dans le calcul de la retraite. Plus largement, mettre en œuvre les dispositions du livre blanc en la matière.

Proposition n°49 : Favoriser la mobilité des agents, fonctionnelle et géographique. Á cette fin, systématiser, comme le préconise le rapport Pêcheur, le recours à la bourse de l’emploi public et conditionner l’accès à certains emplois à l’exercice de certaines responsabilités (services déconcentrés, postes difficiles, etc.).

Introduction

Les administrations publiques de notre pays restent fondamentalement ancrées dans le cadre défini par Napoléon il y a deux siècles, tant dans leur organisation que dans leur culture. Certains peuvent considérer que cela fait partie intégrante de la tradition française et constitue une sorte de patrimoine historique à préserver, mais l’appareil public apparaît surtout largement inadapté aux attentes de la société et aux exigences de la situation du fait d’un désintérêt constant du politique à réellement le faire évoluer. Or, quelles que soient les qualités des agents qui le constituent, ses dysfonctionnements obèrent le changement voulu par le Président de la République : comment un outil souvent peu performant pourrait porter efficacement des réformes de grande ampleur ? Á ce titre, la réforme de l’État, heureusement élargie par le Gouvernement aux autres acteurs publics (collectivités territoriales et opérateurs) dans le cadre de la Modernisation de l’action publique (MAP), devrait être considérée comme la mère de toutes les réformes, au moins aussi importante dans ses enjeux que la compétitivité ou la restauration des comptes publics, objectifs auxquels elle contribue d’ailleurs fortement. On en est loin aujourd’hui. Et pourtant, que d’enjeux individuels et collectifs à la clé ! Que de situations kafkaïennes et ubuesques à éliminer ! Que d’énergies à libérer, dans les administrations comme dans la société, en faisant passer la France d’une situation de sur-administration et de sous-gouvernance paralysantes à celle d’État moderne, agile et au service de ses citoyens et de ses entreprises !

Culturellement, la Gauche n’est pas à l’aise avec le concept de réforme de l’État, sans doute parce que « réformer » quelque chose semble signifier que cette chose est inapte, inutile, pesante ou néfaste. Elle s’en méfie aussi sans doute parce que les administrations constituent traditionnellement un réservoir électoral pour elle. Elle s’en méfie enfin car ce terme cache pour elle les approches d’essence libérale de réduction des emplois publics, de désengagement de l’État et de dégradation des services publics. La Révision générale des politiques publiques (RGPP) n’a pu que conforter cette réticence. Mais c’est tout au contraire parce que la gauche défend l’État, son rôle et ses prérogatives, qu’elle doit s’attacher à ce qu’il soit au maximum de son efficacité à chaque instant, et qu’elle doit porter une vraie modernisation de l’action publique qui touche tous ses aspects : missions, organisation, services rendus, modalités d’intervention, répartition des tâches entre acteurs. La réforme de l’État, c’est maintenant…, non parce que c’est un slogan, mais parce que c’est aujourd’hui indispensable.

Le présent rapport s’attache dans une première partie à établir le constat d’une action publique largement déphasée par rapport aux besoins et aux attentes de la population et des entreprises, mais aussi de ses propres agents. Il propose dans une deuxième partie les grandes caractéristiques d’une action publique moderne, avant d’aborder dans la troisième et dernière partie les modalités permettant de réussir les actions de modernisation nécessaires. Le présent rapport traite plus particulièrement de la question de l’État, même si certains constats et propositions s’appliquent aux autres acteurs publics. Mais la réforme de l’organisation institutionnelle des collectivités publiques dans notre pays est un sujet à part entière, dont les tenants et aboutissants sont bien connus. L’empilement des strates administratives, l’enchevêtrement des compétences entre acteurs publics ont des conséquences ô combien néfastes mais, si le constat fait consensus, personne n’ose s’atteler résolument à ces nouvelles féodalités. Les rares tentatives, comme en Alsace, ont avorté et tué toute velléité pour quelques années de plus. De même, ce rapport portera surtout sur l’État dit « central », moins étudié que le fonctionnement de l’État dans les territoires (« services déconcentrés ») et moins réformé.

Ces propositions sont issues des réflexions, des lectures et des entretiens du groupe de Terra Nova sur l’action publique. Ce groupe a rassemblé plus de vingt personnes, d’horizon très variés : parlementaires, agents de l’État central ou de ses services déconcentrés, élus locaux, syndicalistes, représentants du secteur privé. Il s’est fixé comme ligne de dire les choses, sans tabou ni réserve, mais toujours dans une perspective constructive, fondée sur le souhait que le rapport puisse être utile et utilisé. Enfin, du fait du caractère audacieux et même parfois iconoclaste de certains constats ou propositions, quelques membres du groupe et des personnes interrogées n’ont pas souhaité que leur nom figure en tant que tel dans le rapport. Qu’elles soient néanmoins remerciées, comme toutes les autres personnes qui ont été impliquées à des degrés divers dans ce travail collectif, pour la qualité de leurs apports, la franchise de leurs propos et la pertinence de leurs suggestions.

PARTIE I L’action publique : un constat alarmant

Une société en plein bouleversement face à un système administratif encore fondé sur une conception de l’État héritée de Napoléon

UNE TRANSFORMATION DE LA SOCIETE QUI DEPASSE LA SIMPLE CRISE

Depuis la fin des années 70, la France se vit en situation de crise. Les signes en sont bien connus : chômage de masse, arrêt de l’ascenseur social, peur du déclassement social pour une part significative de la population, le tout se traduisant par un pessimisme collectif important et croissant depuis le début des années 2000. Beaucoup, dans la population comme dans la classe politique, attendent et espèrent la fin de cette crise, grâce à un retour d’une croissance au-delà de 3 %, sorte de deus ex machina résolvant tous les problèmes. La crise n’est pour eux qu’une parenthèse qui doit se refermer pour retrouver la trajectoire et les fonctionnements antérieurs.

C’est une illusion totale : à côté de caractéristiques qui lui sont propres [17] , la société française est partie prenante d’une transformation sans précédent dans l’histoire humaine par son ampleur et son impact. Ce bouleversement est essentiellement issu de deux phénomènes synchrones et synergiques :

Le développement économique de pays fortement peuplés , qui modifie les équilibres des échanges commerciaux, accentue les causes du réchauffement climatique et pose la question de la gestion du stock des matières premières et de l’énergie ;

La généralisation au niveau mondial de la numérisation des images/voix/données couplée à des réseaux de communication peu coûteux . Le phénomène appelé « mondialisation » en est issue, sous forme d’avatars dans tous les secteurs (culture, guerre, commerce, agriculture, etc.).

La société change radicalement, dans tous les secteurs et dans toutes ses composantes. Cela vaut en particulier pour les jeunes générations (nées après 1990), qui sont totalement imprégnées par les outils numériques (réseaux sociaux, accès à une multitude d’informations, capacité à donner son avis sur tout et à le faire connaître, etc.). Un retour à un prétendu « âge d’or » des trente glorieuses n’est pas possible, ni même sans doute souhaité par les plus jeunes. Ce qui pour les plus de cinquante ans reste des références (les grandes conquêtes sociales, le Conseil national de la résistance, le gaullisme, les réformes de 1981, etc.) est totalement hors du radar de notre jeunesse, même pour les mieux insérés et les plus agiles intellectuellement. Ils ne perçoivent plus ni le sens ni la valeur ajoutée de l’action publique. Á tort ou à raison, ils pensent que leur salut viendra d’eux-mêmes et de leurs nouveaux réseaux sans frontière. Ils n’attendent plus grand-chose de l’administration, sinon des contraintes et une gestion « molle » d’aides et de parachutes en cas de coup dur. L’attente sociale globale a elle aussi évolué : après l’extension de l’État providence observée durant la deuxième moitié du XXème siècle (vieillesse, chômage, aide sociale), la demande d’une protection collective s’élargit vers d’autres champs (logement, alimentation, dépendance). Elle doit être universelle et personnalisée. Dans le même temps, les citoyens aspirent à une société plus simple, moins pesante, plus individualisée [18] dans laquelle il est facile de trouver sa place. Ils attendent des pouvoirs publics qu’ils soient à leur écoute quand ils en ont besoin et qu’ils soient aussi peu présents que possible le reste du temps.

L’action publique doit donc en tenir compte et s’adapter à ce nouveau contexte, ces nouveaux besoins et ces nouvelles attentes, parfois loin de la vision « régalienne » de l’État issue des XIXème et XXème siècles. Il y a aujourd’hui un mélange des attentes anciennes (État protecteur, partout et toujours responsable en cas de problème) et d’une action publique d’un nouveau genre, agile et novatrice dans ses modes d’intervention.

UN APPAREIL ADMINISTRATIF DEPASSE

L’organisation administrative date pour une large part de Napoléon, et le XIXème siècle a fixé les grands principes de la culture administrative : l’État autorise, contrôle, organise la vie sociale. Tout procède de lui ou avec son accord. Cette approche a perduré sans grands changements jusqu’à la fin du XXème siècle. C’est à partir des années 80 que sont intervenues trois évolutions majeures :

La décentralisation , qui donne aux collectivités territoriales un rôle, une autonomie et des moyens jusqu’alors détenus par l’État ;

La construction européenne , notamment depuis le traité de Maastricht, qui renvoie au niveau communautaire une part prépondérante du pouvoir de réglementation [19]  ;

La diffusion massive des technologies de l’information .

L’État n’a pas pris la pleine mesure de ces bouleversements, loin s’en faut. Le constat est bien connu [20] . Élargissant d’un côté son champ d’intervention pour répondre à la demande sociale ( cf. ante ), il ne dispose plus par ailleurs des moyens humains et financiers pour conserver la mainmise sur son champ historique : les services déconcentrés de l’État regardent passer les trains conduits par les collectivités territoriales, et l’État tente de compenser par un excès de législation l’autorité qu’il perd par le haut (l’Europe) et le bas. Il ne se remet en cause qu’à la marge sur son rôle et ses missions, et le plus souvent sur un mode défensif. L’administration centrale, dédaignant très largement l’échelon européen, n’a pas de vision stratégique. En revanche, grâce aux systèmes d’information (SI) qui se développent, elle demande aux acteurs locaux de fournir des tableaux de bord ( reporting ) de plus en plus détaillés, et intervient de plus en plus dans des décisions relevant du niveau local.

Tout cela aboutit à une législation et une réglementation tatillonnes, foisonnantes, incontrôlées et assez souvent inappliquées, la tâche prédominante de la plupart des agents publics, hors fonctions régaliennes [21] et d’enseignement, consistant à demander de l’information au niveau inférieur pour la transmettre au niveau supérieur et à participer à des réunions pour connaître le point de vue d’autres administrations ou parties prenantes. Ces activités sont utiles, et pour une part nécessaires, mais leur hypertrophie débouche sur une machine publique, notamment d’État, dont l’essentiel de l’action est tournée sur elle-même, à l’image des Shadocks qui pompaient inlassablement, sans apporter la valeur ajoutée en relation avec l’effort accompli. Les raisons de cet emballement des textes (lois et règlements) sont décrites depuis des années, sans que les solutions pour les endiguer aient prouvé leur efficacité. Il est vrai que, comme l’indique Serge Lasvignes, Secrétaire général du Gouvernement, devant la Commission pour le contrôle de l’application des lois du Sénat, «  à la recherche, désespérée, des causes de l’inflation normative, les administrations sont parfois suspectées d’avoir mis en place une mécanique à produire du texte. Il est vrai qu’à défaut de pouvoir distribuer des crédits, il reste toujours la possibilité de donner de la norme !  » [22] .

L’inflation normative

Le Conseil d’État, dans son rapport annuel 2006 [23] , notait «  qu’aux 9 000 lois et 120 000 décrets recensés en 2000, sont venus s’ajouter, en moyenne, 70 lois, 50 ordonnances et 1 500 décrets par an. Le Code du travail est composé de 2 000 pages. Le Code général des impôts, comporte pour sa part plus de 2 500 pages et regroupe 4 000 articles législatifs et réglementaires.  »

Cette inflation se constate dans la taille du Journal Officiel de la République française , dont le Conseil d’État rappelle, dans le même rapport, qu’il est passé d’environ 15 000 pages par an dans les années 80 à plus de 23 000 pages au milieu des années 2 000.

Á cette inflation s’ajoute l’instabilité : le Secrétariat général du Gouvernement, cité par le Conseil d’État, estime que 10 % des articles des codes changent chaque année.

Les circulaires adressées aux préfets se montent à 80 000 pages par an. Le rapport Picq [24] s’alarmait déjà en 1994 que ce chiffre puisse s’élever à 10 000. Le rapport de la Cour des Comptes du l’organisation territoriale de l’État cite l’exemple d’une circulaire de 27 pages adressée aux préfets sur les prescriptions relatives aux poulaillers [25] .

Au-delà des causes « extrinsèques » à cette production normative hypertrophiée mentionnée par le Conseil d’État, il y a une réticence des « gardiens administratifs » de la norme à changer de point de vue et à proposer d’abroger en conséquence une foultitude de dispositions qui étouffent services, élus locaux et surtout citoyens et entreprises. Les administrations centrales justifient leur action par le caractère « régalien » qui s’y attacherait, terme qui veut en général dire qu’il y a un texte qui l’a prévue, et par la nécessaire protection contre un risque de mise en cause pour ne pas avoir tout prévu et d’être pris en défaut. La judiciarisation de la société, réelle mais aussi fantasmée, ne fait qu’accroître cette propension à raffiner les textes jusqu’à plus soif.

Dans ce contexte, toute évolution remettant en cause les dispositions existantes ou les modalités d’exercice de la politique publique est immédiatement perçue par les agents publics concernés comme une régression . En outre, l’hyperspécialisation des règles induit naturellement une hyperspécialisation des agents afin de les appliquer, avec des effets négatifs : elle tient souvent lieu de compétence, alors qu’elle représente surtout un savoir associé à des habitudes, et elle freine ou bloque des changements de postes et l’enrichissement des expériences qui y sont associés. En effet, l’agent est « confortable » avec une complexité qui le protège de sa hiérarchie et le rend indispensable, et l’encadrement n’est pas incité à prendre le risque d’avoir à confier des dossiers complexes à un nouvel arrivant, néophyte. Il s’en suit que certains agents, au sein de l’État comme dans les collectivités territoriales, peuvent passer plus de dix ou vingt ans au même poste. Toute réforme sera dès lors légitimement traumatisante pour ce type d’agent, et ce pour deux raisons : le principe même de changer (le changement est anxiogène par nature) et le message sous-jacent (puisqu’on modifie la mission, c’est qu’elle n’était pas utile, et donc moi non plus !).

Au final, la Loi et le règlement sont aujourd’hui impossibles à appréhender, même dans leurs principes et leurs grandes lignes, par les administrations elles-mêmes (hormis les hyperspécialistes) et, plus grave, par les citoyens et les entreprises, et notamment les plus fragiles, c’est-à-dire ceux qui devraient se sentir rassurés sinon protégés par l’action publique. Vu des citoyens ou des entreprises, l’action publique est majoritairement considérée comme lente, impersonnelle, insuffisante . Leur approche est de plus en plus consumériste : le service doit être irréprochable et, en tant que service public, gratuit. Ils critiquent de plus en plus un dispositif qu’ils ne comprennent pas. Le rejet est d’autant plus fort qu’ils ne prennent conscience de son existence que lorsqu’ils y sont confrontés (i.e. qu’ils en expérimentent la complexité), ou à travers la mise en évidence de ses défaillances (ex : scandales sanitaires). La population respecte de moins en moins l’action publique, qui s’apparente pour elle à une bureaucratie lourde, qui ne la protège pas de nouveaux risques et qui entrave sa liberté. La protection des risques « anciens », considérée comme simplement normale, n’est même pas mise à son crédit.

Le fossé est large entre les administrations et la population. Sauf à considérer, comme certains hauts fonctionnaires auditionnés, que ce n’est pas grave, que la France n’est ni envahie ni en révolution, que les services publics fonctionnement globalement bien et qu’il n’est pas grave que les administrations centrales « moulinent à vide » car localement les agents de l’État font ce qu’ils ont à faire, sauf à considérer donc que les choses vont plutôt bien, ce fossé doit être comblé, car les enjeux sont lourds pour l’avenir de notre pays.

La modernisation de l’action publique, « mère de toutes les réformes »

DES ENJEUX LOURDS

L’état des finances publiques comme les évolutions sociales et économiques de la France imposent de nombreuses et profondes réformes des politiques publiques. Mais comment une structure comme l’État qui dysfonctionne pourrait-elle concevoir et porter des réformes pertinentes et ambitieuses ? La qualité des agents publics et leur dévouement ne sont pas ici mis en cause. Il s’agit bien d’un problème systémique où tout est fait pour que rien d’essentiel ne bouge. Du coup, les réformes « périphériques » s’empilent pour donner le sentiment d’agir sans oser des remises en cause plus pertinentes mais plus risquées.

Un tel phénomène d’immobilisme n’est pas nouveau, mais les facteurs historiques de remises à plat profondes que constituaient les guerres et les révolutions ont, heureusement, disparu dans notre pays depuis 70 ans. Dès lors, seule la voie du réformisme est envisageable, avec trois voies possibles :

la voie libérale , théorisée par Milton Friedman et mise en œuvre par Margaret Thatcher et Ronald Reagan à partir des années 80, consistant à réduire l’État et l’action publique à son strict minimum pour ne pas entraver l’initiative privée ;

la nouvelle gestion publique (« New Public Management »), suggère avec Tony Blair dans les années 90 d’appliquer aux administrations les modèles de la gestion privée. C’est alors la mode des agences, des partenariats public/privé et de notions devenues depuis incontournables : la performance et l’efficience ;

une nouvelle approche , d’essence sociale-démocrate, qui reconnaît un rôle essentiel à l’action publique mais dans un registre largement renouvelé, qui accepte les concepts de performance et d’efficience mais sans méconnaitre les autres facettes du service aux usagers, qui s’appuie sur la société et ne la surplombe pas pour faire son bonheur malgré elle, en synthèse qui soit entièrement tournée pour que chacun puisse aller au bout de ses potentialités dans le respect des autres .

Terra Nova s’inscrit résolument dans cette troisième option, et considère que la modernisation de l’action publique porte un triple enjeu : 1) le maintien d’un contrat social (qui doit sans doute évoluer) ; 2) l’anticipation, la préparation et l’accompagnement de la société aux mutations en cours ; et 3) l’aide à la résorption des déficits publics , condition sine qua non d’une action publique efficace et durable.

Á ce titre, la modernisation de l’action publique est la « mère de toutes les réformes », au moins aussi importante dans ses enjeux que la compétitivité ou que la restauration des comptes publics, auxquels elle contribue d’ailleurs fortement [26] . Ces enjeux sont d’autant plus lourds que l’action publique, « l’Administration », reste un acteur important dans la culture française, contrairement à la culture anglo-saxonne. Du coup, on ne peut pas se permettre de laisser les choses en l’état.

L’objectif est donc de passer d’une France sur-administrée et sous-gouvernée à un État dynamique, agile et au service de ses citoyens et de ses entreprises pour sortir de la situation actuelle et pour que chacun ait envie et espoir dans la société dont il est membre .

On est loin d’une réforme technique. Elle est nécessaire pour donner du sens aux agents eux-mêmes, mais aussi et surtout à la société : si l’Administration devenait un jour capable d’anticiper, de prévoir les risques et de réagir à bon escient, elle pourrait redevenir porteuse de sens collectif positif, apporter sa pierre à un projet de société, cristalliser une ambition collective et incarner une exemplarité.

DES ENSEIGNEMENTS A TIRER DES REFORMES PASSEES

Depuis 20 ans, les réflexions sur la réforme de l’État n’ont pas manqué en France, soit purement internes, soit par analyse des politiques menées par d’autres pays développés. Il est donc intéressant de faire un bilan rapide des principaux rapports et programmes de la période, tant en France qu’à l’étranger.

En France

En 1993, après les rapports de Closets de la fin des années 80, le rapport de la commission du Commissariat général du Plan « État, administration et services publics en l’an 2000 » présidée par Christian Blanc [27] évoquait les principaux thèmes de la réforme de l’État dans des termes qui apparaissaient déjà comme « traditionnels » aux commentateurs de l’époque : «  nécessité de s’adapter à une société plus complexe, plus individualisée et plus segmentée. On y retrouve également les grandes problématiques de la réforme administrative : des décisions mieux préparées, des fonctionnaires faisant appel aux sciences sociales, une écoute des usagers et des citoyens. Des mesures administratives apparemment consensuelles, du moins dans les rapports, et inappliquées avec une constance sans égale, telle que la réduction du nombre de corps de la fonction publique, la pluri-annualité budgétaire y figurent aussi [28]  ». Les propositions sont considérées comme « classiques », avec la réduction du nombre des ministères et celui des membres des cabinets ministériels ou la création de cellules prospectives. Un des intérêts de ce rapport est qu’il souligne l’évolution nécessaire d’un État fondé sur les principes d’égalité et d’universalité (la même réponse pour tous) vers un État qui répond de façon effective aux demandes réelles. Á cette fin, le rapport préconise une déconcentration forte des responsabilités vers les services régionaux et départementaux de l’État. Cette déconcentration bat en brèche l’idée généralement admise d’un centre qui décide, laissant l’exécution aux bons soins de la périphérie. Pour concilier égalité de traitement et responsabilité locale, le rapport insiste sur la définition d’objectifs et sur l’évaluation des effets, permettant ainsi un « bouclage » des politiques publiques et leur adaptation permanente. Le recours à des agences en lieu et place des services ayant une logique fonctionnelle est préconisé, les services ayant une logique territoriale devant fonctionner en pôles de compétences. Á ce titre, le rapport préconise le rattachement des préfets au Premier ministre. L’association des citoyens est également mise en avant, mais en s’interrogeant sur la manière de le faire (qui les représente ? comment apprécier leurs attentes, surtout du fait des formes diverses qu’elles prennent ?).

Ce travail est lancé par un gouvernement de gauche et conduit par une entité, le Plan, peu en cour auprès de la droite : quelques mois plus tard, après l’alternance suite aux élections législatives de 1993, Édouard Balladur, Premier ministre, demande à Jean Picq un rapport sur quasiment le même sujet. Ce rapport [29] , par son ampleur (plus de 700 personnes auditionnées), même si certains aspects renvoient clairement à une perception de l’État d’essence libérale, reste un document qui a marqué de son empreinte les deux dernières décennies. Sa lecture aujourd’hui est très instructive à plusieurs titres :

Le constat est d’une étonnante actualité, et de nombreuses pages pourraient être reprises sans aucune modification. Il est d’ailleurs assez étonnant de voir la similitude du contexte (chômage à 10 %, déficits publics à 5 % du PIB, sentiment profond de crise et de malaise de la société, insatisfaction des citoyens et des entreprises par rapport à l’action de l’État, etc.) ;

Certaines grandes évolutions et leur importance sont bien perçues, comme le développement des systèmes d’information, puisqu’il évoque même le terme « d’autoroutes de l’information » lancé quelques mois plus tôt en septembre 1993 aux Etats-Unis par Al Gore et Bill Clinton dans leur Agenda for Action ;

Le rapport est divisé en deux parties, la première sur ce que doit faire l’État (« Les responsabilités de l’État ») et la seconde sur la manière dont il doit s’organiser pour accomplir ses missions (« l’organisation de l’État »). Pour chacune de ces parties, la plupart des recommandations sont tout à fait convaincantes, semblant relever du pur bon sens. Nombre d’entre elles reprennent des propositions du rapport Blanc-Ménéménis.

Un certain nombre de préconisations du rapport Picq étaient « dans l’air du temps », et il serait exagéré d’en attribuer la réalisation à ce seul rapport. Mais, il est intéressant de noter qu’une proportion significative de ses recommandations, de l’ordre de la moitié, a été mise en œuvre ou a fait l’objet d’une tentative de mise en œuvre, et ce sur l’ensemble de la période, par des gouvernements de gauche comme de droite. L’annexe n° 3 recense les principales propositions suivies d’effet. Or, deux décennies plus tard, malgré ce bon taux de réalisation, la situation semble toujours aussi critique : le constat reste largement identique et les problèmes aigus. Il est certain que des changements sont intervenus, et qu’à défaut des réformes engagées, la situation serait sans doute aujourd’hui encore bien pire. La modernisation de l’action publique ne peut être qu’un processus continu, une quasi-culture. Mais pour autant, s’il est normal qu’existe un décalage entre le constaté et l’optimum, il devrait être limité, ce qui est loin d’être le cas.

La RGPP constitue un autre temps fort de la réforme de l’État, tant par la méthode employée que par l’implication et le soutien politique sans précédent dont elle a bénéficié. Les principes initiaux annoncés en juin 2007 étaient particulièrement prometteurs, qui consistaient à repartir des finalités même des politiques publiques pour apprécier si elles relevaient encore de l’action publique, et si oui d’en redéfinir les modalités de mise en œuvre et de financement. Mais très rapidement, et au-delà de la pratique habituelle consistant à labelliser RGPP des réformes lancées bien avant (ex : fusion de la DGI et de la DGCP pour constituer la DGFiP, projet CHORUS [30] ) ou menées sans lien avec elle (ex : création des ARS ou réforme de la carte judiciaire), la méthode employée et l’objectif quasi exclusif de réduction des effectifs ont dénaturé l’ambition initiale et conduit cette politique dans une impasse et un échec cinglant. En effet, si des économies ont été réalisées, évaluées à 11,9 Md€ sur la période 2009–2012 par la Direction du Budget, et si la réduction des emplois dans les services de l’État due à la RGPP a été évaluée à 3 %, ces résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux en termes de déficits publics et ont été obtenus au prix d’une crispation totale des administrations et de leurs agents. La RGPP est devenue l’emblème d’une réforme néfaste, et reste la référence (négative) en matière de réforme de l’État. Sa remplaçante, la Modernisation de l’action publique (MAP), cherche à tout prix à se démarquer de cette image, tout en y étant constamment ramenée, par les médias comme par les syndicats et les agents. Comme l’indiquent nombre de personnes rencontrées, la MAP comme la RGPP avant elle ont très tôt été ressenties comme l’enrobage sucré de l’objectif véritable : la réduction des moyens par la contrainte budgétaire.

Les trois inspections interministérielles (IGF, IGA et IGAS), bien qu’ayant été fortement impliquées dans la RGPP, ont produit un rapport de bilan de celle-ci en septembre 2012 [31] , dont les principales conclusions sont les suivantes :

Le périmètre n’était pas le bon : limité aux services de l’État, il laissait de côté les politiques partagées par d’autres entités (collectivités territoriales, sphère sociale) ;

Le rythme n’était pas le bon : trop rapide, il ne permettait ni une bonne analyse par les inspections et les consultants, ni une réelle concertation avec les agents, les syndicats et les usagers, ni une bonne préparation des plans d’action ;

La communication n’était pas la bonne : portant sur des mesures de nature et de portée très inégales, elle n’était pas lisible. Par ailleurs, exclusivement laudatrice, elle perdait de sa crédibilité ;

La gestion des ressources humaines n’était pas à la hauteur de l’enjeu : moyens trop limités pour accompagner les restructurations, pas d’ajustement entre les missions et les moyens.

Cependant, si le résultat d’ensemble des différentes politiques de réforme de l’État apparaît mince, il est des projets qui ont réussi. Que ce soit la dématérialisation du milliard de feuilles de soins annuelles associée à la mise en place de la carte Vitale, la télé-déclaration de la TVA, des déclarations sociales et de l’impôt sur le revenu par Internet, ou encore le rapprochement de la Direction générale des Impôts (DGI) et de la Direction générale de la comptabilité publiques (DGCP), des projets d’envergure ont été menés à bien. L’analyse des causes du succès sont également à prendre en compte, même s’ils ne correspondent pas à des réformes d’ensemble de politiques publiques. Le Plan a mené une réflexion en ce sens en 2003 à partir de quatre exemples réussis des années 90 : l’intégration des services de la DREE [32] au sein de la Direction du Trésor, la transformation des Douanes découlant de l’ouverture des frontières communautaires au 1 er janvier 1993, la réorganisation profonde de la Direction générale de l’armement (DGA) et enfin la réforme de la Direction des constructions navales (DCN).

Sans tirer de ces exemples une martingale de la réussite, le Plan en a ressorti six composantes récurrentes et déterminantes pour la conduite d’un changement [33]  :

Un terrain

Pour la conduite d’un projet, l’histoire et la culture de l’entité concernée comptent, de même que sa taille : la difficulté semble augmenter avec le nombre d’agents impliqués. De même, la proportion des agents contractuels importe du fait d’une plus grande souplesse de leurs règles de gestion. Enfin, l’existence de précédents réussis est favorable à de nouvelles réformes ;

Un moment

Le contexte peut être plus ou moins porteur. L’existence de contraintes extérieures fortes est favorable : situation budgétaire, concurrence avec d’autres acteurs (privés ou publics), textes européens, nouvelles exigences des usagers.

Un projet

C’est la « vision articulée et motivée » du changement à entreprendre. C’est en général la mieux approfondie, car la plus travaillée en amont. Selon le groupe du Plan, le projet doit choisir entre les approches « micro » et « macro » : «  une réforme d’ensemble gagne à ne pas modifier les éléments d’organisation locale ou quotidienne qui servent de repères aux individus. Il semble que l’on puisse d’autant mieux réformer le « macro » que le « micro » reste stable, et inversement  ».

Un soutien politique

Le soutien politique doit être résolu, public et constant. De plus, la proximité de la personne qui porte et incarne le projet avec les responsables politiques du secteur apparaît importante.

Des hommes et des femmes

Tout projet tend à s’incarner dans un homme ou une femme : le choix des personnes, qui doivent disposer des compétences idoines est central.

Un pilotage

C’est la méthode qui lie tous les éléments précédents. Le rapport du groupe souligne l’importance de la motivation en amont (explicitation de la décision de réforme et motivation des agents) et de la valorisation des résultats en aval. La communication interne et externe constitue de ce point de vue un enjeu important.

Sur la base de ce constat, le groupe du Plan fait ressortir trois paradoxes sur la réforme de l’État :

Le paradoxe budgétaire :

Il faut réformer pour économiser, mais il faut dépenser pour réformer. La contrainte budgétaire est un puissant levier mais peut « tuer » la réforme en ne lui donnant pas les moyens nécessaires ou en étant focalisée sur les « retours sur investissement » de court terme. C’est la dérive constatée avec la RGPP et qui semble progressivement prévaloir dans la MAP ;

Comment conduire le changement sans changer de système ?

Conduire le changement dans un système inchangé s’avère compliqué. En matière de ressources humaines, deux difficultés majeures sont pointées : le grand nombre des corps et la difficulté à promouvoir les agents contribuant au changement.

Le paradoxe de la réforme réussie :

Une réforme réussie semble souvent se retourner contre l’entité concernée : d’une part elle n’est souvent pas « récompensée » pour le succès obtenu, mais en plus c’est souvent à elle qu’on demande des efforts supplémentaires, car elle a démontré qu’elle était capable de réussir. Il y aurait une sorte de prime au mauvais élève (moins on fait d’effort pour changer, moins on nous demande d’en faire, et inversement). Enfin, la reconnaissance, notamment médiatique, n’est souvent pas au rendez-vous, et on parle plus des réformes ratées que réussies, ce qui n’est pas valorisant pour les personnes qui se sont impliquées et n’incitent pas d’autres entités à se lancer dans une démarche similaire.

Au final, le retour d’expérience des deux dernières décennies est riche. Sans préjudice de l’analyse du Plan sur la réussite d’un projet unitaire, certains enseignements peuvent être tirés sur les raisons d’une persistance de l’inadaptation de l’action publique aux besoins et attentes de la société :

Un soutien politique trop faible dans la durée :

Depuis 1995, chaque Premier ministre a créé sa ou ses propres entités chargées de conduire la politique de réforme de l’État. Aucun n’a conservé le dispositif précédent, créant une succession d’institutions se remplaçant au bout de quelques années (voir encadré). Cette instabilité institutionnelle ne permet pas les changements en profondeur.

La valse des structures de pilotage de la réforme de l’État

1993 – Rapport Blanc – Ménéménis : pas de mise en œuvre du fait de l’alternance de 1993 ;

1995 – Création du Commissariat à la réforme de l’État (CRE), dirigé par Jean-Ludovic Silicani, rapporteur général du rapport Picq ;

1998 – Le CRE est remplacé par la Délégation interministérielle à la réforme de l’État (DIRE). Par ailleurs, création de la MTIC [34] pour promouvoir les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans les services de l’État, et de la COSA [35] , qui remplace la COSIFORM [36]  ;

2003 – création de trois directions chargées de la réforme de l’État au sein des services du Premier ministre : L’ADAE [37] , qui reprend les attributions de la DIRE et de l’ATICA [38] (qui a remplacé la MTIC en 2001), la DMGPSE [39] et la DUSA [40] , cette dernière remplaçant la COSA ;

2006 – création de la DGME [41] , qui regroupe au ministère des finances les trois structures précédentes (ADAE, DMGPSE, DUSA) et la DRB [42] chargée du pilotage de la mise en place de la LOLF ;

2012 – création du SGMAP et de la DIMAP [43] .

Une approche trop théorique ou trop ponctuelle :

La lecture des différents rapports et autres documents relatifs à la réforme de l’État révèle qu’ils sont soit trop généraux, rappelant de grands principes ou dressant des perspectives larges mais sans expliciter les modalités pour atteindre les objectifs assignés, soit sont focalisés sur des points précis, qu’il s’agisse de projets ou de méthode (ex : méthode LEAN pour la DGME à partir de 2010). On navigue ainsi entre du « yaka-faucon » et une approche « mécaniste » qui ne modifie pas le système.

Une résistance au changement qui « dévie le tir »

La peur des acteurs concernés du changement et la résistance qui s’en suit, l’absence de savoir faire du management dans la conduite de projets de modernisation, l’épuisement par avance de ces mêmes managers face à l’ampleur des chantiers à entreprendre, et la nécessaire continuité de l’activité habituelle des services en parallèle de la réforme (« pendant les travaux, la vente continue ») : tout pousse à ne pas entrer dans une vraie réforme des missions, des organisations et des manières de faire. Du coup, les mesures mises en œuvre ne sont pas les plus essentielles, et on fait bouger ce qui est le plus simple, à savoir les structures, dans un meccano institutionnel qui donne le sentiment de moderniser là où on ne fait que déplacer. Les administrations, pour répondre aux commandes en matière de réformes et ne pas être critiquées pour leur inertie, repeignent aux couleurs du moment des mesures peu structurantes ou d’ores et déjà lancées. Mais, dans le fond, peu de choses changent même si tout paraît être remis en question, dans un effort d’évitement permanent. Pour reprendre Lampedusa : « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Une méthode inadaptée :

La méthode de pilotage général est inadaptée, qui hésite entre un pilotage fort avec intrusion dans l’espace des administrations pour dépasser leur inertie naturelle (CRE, RGPP) et un pilotage plus « responsabilisant » dans lequel l’entité centrale collationne les mesures remontées et assure la communication, mais laisse une grande liberté aux ministères quant aux réformes à conduire.

La confusion porte également sur les niveaux, entre la philosophie d’ensemble de la réforme, ses objectifs, son pilotage et la conduite opérationnelle des projets, dans leur phase amont (quelles réformes mener) et dans leur phase aval (mise en œuvre des réformes). Le rapport IGF-IGA-IGAS de décembre 2012 [44] annexé à la circulaire du Premier ministre du 7 janvier 2013 sur la MAP en est un bon exemple.

La complexité croissante des problèmes :

Il est indéniable que la connaissance des phénomènes sur lesquels on peut agir devient de plus en plus compliquée, et que, par voie de conséquence, toute réforme devient de plus en plus difficile. La place des experts devient prépondérante, avec le risque associé d’une captation de la décision par ceux-ci, dans une sorte de gouvernement des experts.

La tyrannie du court terme et le refus d’investir dans la réforme :

Enfin, et c’est sans doute l’un des facteurs principaux, la recherche d’économies immédiates et le refus d’assumer des dépenses pour « faire passer » des réformes plus ambitieuses et plus rentables à moyen terme freinent ou bloquent de nombreuses idées des administrations, qui soit s’autocensurent, soit sont stoppées dans leur élan par la vision budgétaire de court terme. Encore plus grave, la préoccupation politique semble de plus en plus liée à l’actualité et le court terme : le politique, obnubilé par l’actualité médiatique, ne fait que réagir à celle-ci, avec deux conséquences. D’une part il obstrue le travail administratif par des commandes en urgence, sans ligne politique claire, et d’autre part il laisse de fait à l’administration le soin de penser et porter les actions de long terme. Plus le politique est faible et focalisé sur des sujets ponctuels, plus l’administration et les experts seront forts et décideront de fait des politiques publiques.

Á l’étranger

L’organisation administrative est différente selon les pays, et la place de l’État est rarement aussi prégnante qu’en France. Pourtant, les grandes évolutions influençant les sociétés étant mondiales, tous les pays développés ont été amenés à adapter leur système administratif durant les dernières décennies. Il est donc utile d’analyser ce qui a été fait ailleurs, tant sur le fond que sur la méthode, et d’en voir les résultats. Une telle analyse a été faite, notamment par le Sénat en 2001 [45] et par l’inspection générale des finances en 2011 [46] . Le présent rapport s’appuiera principalement sur ce dernier travail, plus récent.

Dans la plupart des pays (Canada, Finlande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède), le fait générateur principal d’un processus de réforme de l’État est la dégradation des finances publiques et le déficit budgétaire élevé qui la traduit. Une autre cause importante est l’évolution des attentes des citoyens et des entreprises (Canada, Pays-Bas, Royaume-Uni) et la volonté de restaurer l’image de l’administration (Italie, États-Unis). D’autres motivations, telles que la recherche de compétitivité du pays au niveau international (Australie, Canada, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède), la désertification rurale et le vieillissement de la population (Finlande), ou encore les évolutions institutionnelles conduisant à une plus grande autonomie des entités locales (Allemagne, Belgique, Italie), sont également présentes. Á l’inverse, les pays issus du Commonwealth (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni) sont les seuls pour lesquels une forte composante idéologique est présente dans les origines des réformes.

Si des réformes ont existé de tous temps, c’est à partir de la fin des années 80 et surtout dans les années 90 que les grandes impulsions sont lancées. Pour l’IGF, la première décennie des années 2000 se caractérise par plusieurs évolutions convergentes :

La sphère publique n’a abandonné quasiment aucune mission , même dans les pays où l’aspect doctrinal était important (Australie, Nouvelle-Zélande, RU). Cependant, la notion de mission n’est pas précisée par l’IGF, qui semble retenir une acception correspondant aux grandes politiques publiques, ce qui n’exclut pas l’abandon de certains aspects de ces missions et surtout des modifications substantielles dans les manières de les exercer ;

La modernisation de l’État s’est accompagnée de transferts accrus de compétences vers les collectivités territoriales (Danemark, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni), fondés sur la conviction que la gestion locale apporte une efficience accrue. Ce phénomène de décentralisation a conduit les collectivités à atteindre une « taille critique » minimale, de l’ordre de 20 000 habitants. Ce processus a été spontané (Pays-Bas), accompagné (Finlande) et même imposé (Danemark) ;

L’État s’est recentré sur une fonction de conception, passant d’une logique de contrôle vertical à celle d’une animation pour la mesure de la qualité des politiques publiques . Ce recentrage de l’État sur ce que l’IGF appelle des fonctions d’état-major, s’est traduit dans de nombreux pays par un resserrement des effectifs centraux et à la fusion de services déconcentrés ;

Dans la plupart des pays, les réformes ne se sont pas traduites par une baisse de l’emploi public et de la masse salariale . Ces deux éléments sont restés stables ou, le plus souvent, ont augmenté, notamment pour « payer » le changement. Lorsque l’emploi public est resté stable (Suède), c’est souvent au prix d’une externalisation de certains services.

La fonction publique est progressivement alignée sur le droit privé , mais avec une flexibilité au final faiblement accrue.

Sur la base de ce constat, l’IGF considère que la réforme de l’État se situe à un moment charnière. Après plusieurs décennies de réformes, différentes interrogations sont présentes dans les différents pays, qui s’articulent autour de quatre débats :

Comment optimiser les démarches de mutualisation ?

La mutualisation apparaît partout comme un moyen efficace pour obtenir des économies et une meilleure efficacité de l’action publique, même si les résultats sont parfois mitigés, peu quantifiés ou perçus comme ayant des effets négatifs par les administrations. Les questions en cours portent sur l’étendue du périmètre de mutualisation, sur son caractère contraignant ou non, sur son organisation (ex : fonction achat mutualisée pour la seule négociation ou incluant toute la gestion des marchés), et enfin sur les modalités de migration vers la solution cible sans rupture [47]  ;

Jusqu’où aller dans la transparence publique ?

L’utilisation accrue des technologies de l’information (TIC) s’est traduit par une demande sociale plus forte de transparence des administrations, celle-ci étant en outre rendue plus aisée grâce aux mêmes TIC. Tous les pays se sont engagés dans une démarche consistant à rendre publiques une palette de plus en plus large de données, y compris individuelles et même sensibles (ex : salaires annuels des cadres en Italie ou Royaume-Uni). La question du degré d’extension de cette transparence est posée, notamment pour les données individuelles des agents publics ou des citoyens (ex : l’accès aux données administratives des citoyens est total en Suède depuis de nombreuses années [48] ) ;

Quels sont les dispositifs adéquats de mesure de la performance publique ?

La culture du reporting et de la mesure de la performance publique est une des grandes évolutions des vingt dernières années. Mais les lourdeurs qui y sont associées et les effets secondaires néfastes induits amènent deux types d’évolution selon l’IGF : soit le maintien d’un système public de gestion par la performance, mais en veillant à le rendre plus flexible (Suède), soit une profonde remise en cause du pilotage de l’action publique par la performance avec la suppression du dispositif lui-même (Royaume-Uni). Dans ce dernier cas, les raisons invoquées sont qu’il induisait « une culture de la mesure de la performance » au détriment « d’une culture de la performance », que les indicateurs sont souvent peu robustes et sans effets sur les décisions prises, et, enfin et surtout, que la récolte d’indicateurs a un impact négatif sur la qualité des prestations rendues (contournement des indicateurs, perte de temps liée à leur renseignement) ;

Face à un contexte budgétaire public contraint, quel mode d’association le plus efficient du secteur privé aux politiques publiques ?

La mode des partenariats public-privés (PPP), dérivés des Private Finance Initiative (PFI) britanniques, est remise en cause, y compris en Grande-Bretagne, pour de multiples raisons qui débouchent sur des coûts peu visibles et souvent plus élevés sur le long terme. L’externalisation de prestations de services au secteur privé semble rester intéressante pour les fonctions supports [49] , moins pour l’accomplissement de missions métiers. Deux nouveaux modes d’association du secteur privé apparaissent : le recours accru au secteur associatif d’une part et, d’autre part, l’extension du périmètre des services confiés à des opérateurs privés déjà chargés d’un service public.

L’IGF souligne plusieurs démarches innovantes qui se distinguent des méthodes « traditionnelles » des stratégies de réforme de l’État. Elle mentionne notamment une nouvelle approche de l’organisation administrative fondée sur un processus d’unification externe (ex : dossier numérique administratif rassemblant les informations communes aux administrations [50] ) mais également interne (ex : guichet unique pour tous les services administratifs, tels que les «  one stop shop  » du Canada ou de l’Australie), qui recueillent des taux de satisfaction des usagers très élevés (83 % en 2009 au Canada). Une autre innovation concerne les simplifications administratives, avec une démarche consistant à partir des événements de vie des usagers (citoyens et entreprises) pour véritablement prendre la réalité de la complexité procédurale. Engagée dans de nombreux pays (dont la France) à partir du début des années 2000, cette approche donne cependant des résultats encore inférieurs aux espérances, la complexité résiduelle pour les usagers demeurant forte.

Á l’issue de ce tour d’horizon sur les expériences françaises et étrangères, de nombreux enseignements peuvent être tirés, sur le fond et sur la manière, pour doter notre pays de l’action publique pertinente et qui donne satisfaction à nos concitoyens, à nos entreprises et au tiers secteur. Terra Nova utilisera ces retours d’expérience dans la suite du rapport, mais un point doit être souligné dès à présent : contrairement à une idée portée par la droite depuis de nombreuses années, la réforme de l’État ne s’est traduite dans aucun pays depuis plus de 20 ans par une réduction significative des agents affectés à l’action publique , la réduction apparente de certains effectifs étant compensée par l’augmentation d’autres agents (autres collectivités publiques, contractuels, sous-traitance). C’est un point essentiel : les économies issues des politiques de réforme de l’État peuvent être massives, mais proviendront essentiellement des dépenses d’intervention (subventions, achats de prestations, déductions fiscales) sur le court et le moyen terme. Les économies sur les dépenses de personnel sont sans rapport avec les enjeux de réduction de la dépense publique . Surtout, elles seront constatées ex post , notamment par la remise en cause d’une multitude d’actions reconnues inutiles ou de modifications des modalités de leur mise en œuvre (allègement des procédures) . Toute autre approche est vouée à un échec cuisant, à l’instar de ce qu’a été la RGPP. Si la première année de la MAP n’a pas été une franche réussite, l’idée qui consisterait à sélectionner les réformes en fonction essentielle des gains en personnels serait une erreur encore plus grave. La reconnaissance de cette réalité permettrait de lever un point de blocage majeur avec les syndicats des fonctions publiques.

La contrainte budgétaire existe. La modernisation de l’action publique doit être le principal moyen permettant d’en limiter les effets néfastes pour les agents comme pour les usagers : la réduction programmée des moyens alloués globalement est un incitatif fort à dépasser les blocages habituels. Contrainte budgétaire et réforme de l’État peuvent être synergiques à la condition que chacune garde sa logique propre.

Proposition n°1 : Utiliser la nécessaire réduction des déficits publics pour impulser une véritable réforme de l’action publique, mais ne pas « pervertir » celle-ci par la seule contrainte budgétaire en sélectionnant les mesures de modernisation en fonction des économies qu’elles sont susceptibles de générer.

DES ELITES POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES PEU INCITEES A S’IMPLIQUER

La situation difficile dans laquelle se trouve l’État et, plus largement, l’action publique, est connue et visible. On peut dès lors s’interroger sur les raisons qui expliquent cette situation et que celle-ci perdure, de sorte à pouvoir pallier ces difficultés. Elles sont multiples, et touchent autant les élites politiques qu’administratives.

Au niveau politique , il faut être clair : on ne se fait pas élire en France sur un projet de modernisation administrative . Quels que soient les problèmes soulevés lors d’une campagne électorale, on évoque toujours les politiques à mener, jamais les réformes préalables de la machine qui doit conduire ladite politique. Ce serait au demeurant contre-productif, car susceptible d’inquiéter les administrations concernées, et sans doute les électeurs… Le concept de réforme de l’État est peu vendeur au plan électoral, avant l’élection mais également pour un gouvernement : quel intérêt pour un ministre de risquer de mécontenter ses troupes en interne pour un gain potentiel incertain et souvent lointain ? On ne peut pas demander à un homme ou une femme politique de se retourner contre la seule chose qui est à sa disposition pour mettre en œuvre les politiques dont il ou elle est chargé, à savoir son administration. Or, toute réforme de l’administration induit des réactions de défense de celle-ci et une focalisation (légitime) de ses préoccupations sur la réforme qui la concerne au détriment de celles qu’elle doit concevoir et/ou porter. Comme de plus le ministre ne sera pas évalué sur ce critère, et que son temps politique en tant que ministre est bien plus court que celui d’une réforme de fond, les conditions sont difficiles à remplir pour des avancées réelles sur le sujet.

Plus pernicieux encore, ce sont les membres des cabinets ministériels eux-mêmes qui, pour protéger leur ministre et se protéger eux-mêmes, sont réticents à proposer ce type de réformes, ou à les soutenir si elles émanent de l’administration… Les enjeux de présentation et de justification de réformes « internes » sont donc lourds, et ces réformes internes doivent être articulées avec les projets de réforme sur les politiques publiques elles-mêmes pour ne pas apparaître « hors sol » mais au contraire préalables et complémentaires aux chantiers « de fond ».

Par ailleurs, la modernisation de l’action publique passe beaucoup aujourd’hui par des actions qui apparaissent techniques, telles que les systèmes d’information (SI), ou très sensibles, comme la gestion des ressources humaines (RH). Ces deux sujets difficiles entrent rarement dans le champ de compétence, de compréhension fine et d’appétence du personnel politique.

Au niveau de la haute administration , les motivations ne sont pas plus fortes . Un directeur d’administration centrale n’a a priori aucun intérêt à proposer une transformation en profondeur des politiques publiques dont il est responsable et des organisations qui les sous-tendent. Son évaluation immédiate comme son plan de carrière en pâtiraient certainement du fait des réactions inévitables des opposants de tout poil à une telle réforme interne.

De même, s’il existe des réseaux d’influence de toute nature, comme dans toute société humaine, le réseau des « grands corps » de l’État issus de l’ENA (Conseil d’État, Inspection des finances, Cour des Comptes) ou du corps des Mines et, dans une moindre mesure, du corps préfectoral et des autres inspections générales, a une importance indéniable dans la situation actuelle : comme l’Élysée et Matignon nomment des membres de ces corps aux postes de conseillers les plus importants, un ministre a toujours intérêt à choisir (pour autant qu’on ne lui impose pas) son directeur et/ou directeur adjoint de cabinet parmi ces mêmes grands corps, pour augmenter ses chances d’obtenir des arbitrages favorables. Ces conseillers politiques au plus haut niveau sont très attachés à l’intérêt général et à faire avancer les choses, mais ils sont également et logiquement attentifs à bien gérer leur carrière, ce qui nécessite de ne pas insulter l’avenir et de savoir ne pas proposer ou décider d’orientations qui remettraient en cause certains tabous. Ce « verrouillage » n’est évidemment pas général et absolu, mais il est suffisamment prégnant pour perdurer et créer une cloison de verre entre les « purs politiques » et le reste de l’administration. Pour reprendre les termes d’une des personnes interrogées par le groupe « la très haute fonction publique a construit ce pays depuis Colbert et Napoléon, elle est en train de le tuer en ne conduisant pas les vraies réformes, pour conserver ses privilèges ». Ce phénomène, une fois de plus humain et « normal » en termes de sociologie administrative [51] , est difficile à corriger. Il l’est d’autant plus que ce vivier est constitué de personnes compétentes, travailleuses et d’une très grande intelligence, soit a priori toutes les qualités requises pour ces postes : du coup pourquoi s’en priver et vouloir changer les choses ? Mais il faudra le faire, d’une manière ou d’une autre, pour lever un frein essentiel au changement que la situation exige.

Au sein du reste de l’administration , deux tendances sont présentes simultanément. L’une est une forme de désespérance face à ce qui est perçu comme un lent déclin de l’action publique (baisse continuelle des moyens pour des missions qui augmentent, perte d’influence, faible reconnaissance interne et externe malgré un travail bien fait, réglementation ubuesque, décisions incompréhensibles ou trop tardives, absence de souplesse de gestion, etc.), mais avec encore l’envie de faire évoluer les choses pour les améliorer et sortir de ce marasme. L’autre tendance est constituée d’inquiétude face à toute velléité de réforme, de peur qu’elle débouche sur une nouvelle dégradation de la situation. Cette seconde tendance entraîne une résistance au changement.

Il faut enfin noter que certains usages ou protocoles publics sont volontairement défaillants afin de pallier un manque de moyens ou pour atteindre des objectifs politiques masqués . On peut citer quelques exemples : le très long délai de réponse aux dépôts de dossiers par les sans-papiers ou les demandeurs de l’asile politique, destiné à les dissuader ; le système de réservation des parloirs de prisons, ou encore les dépôts de plainte pour raisons administratives, souvent refusées par les forces de police.

Exemples de services de qualité volontairement défaillante

Délais de réponse de certaines préfectures pour les dossiers de sans-papiers, instruction tatillonne, et souvent demandes exorbitantes du droit (demande de pièces non prévues par les textes) ;

Refus quasi systématique des demandes d’asile politiques en 1 ère instance, pour limiter le nombre des demandes ;

Système de réservation des parloirs de prison, pour lequel tout est fait pour décourager les demandes de parloir ;

Le dépôt de plaintes pour raisons administratives : certains citoyens ont du mal à faire en sorte que leur plainte soit reçue, les services correspondant souhaitant limiter le nombre de ces plaintes qui génèrent une charge administrative alors qu’elles sont la plupart du temps classées sans suite, et qui dégradent les statistiques du service. Le service en ligne [52] ne reçoit que des « pré-plaintes », et que pour certains faits ;

Le Revenu de solidarité active (RSA) et la Prime pour l’emploi (PPE) : le RSA et la PPE concernent près de 8 millions de personnes et représentent 4 Md€ de dépenses publiques en 2013. L’effort public en faveur des travailleurs modestes se réduit continuellement depuis 2008 en raison du gel du barème de la PPE décidé à cette date. Seul un tiers des bénéficiaires potentiels du RSA activité recourent à ce dispositif, en grande partie du fait de sa complexité administrative [53] . Sa coexistence avec la PPE, versée quant à elle en une fois et sur la base des revenus de l’année précédente, complexifie encore la lisibilité du dispositif. Le faible recours au RSA activité permet de limiter les dépenses afférentes : la complexité au secours de la maîtrise des déficits publics ? La Direction du budget intègre d’ailleurs ce taux de « non recours » dans ses évaluations des coûts budgétaires des politiques publiques.

Au final, personne n’a véritablement intérêt à s’engager dans une démarche résolument réformiste, et lorsqu’un programme de modernisation est lancé, comme ce fut le cas en 2007 avec la RGPP ou en 2012 avec la MAP, ce sont souvent pour des raisons d’abord budgétaires ou qui le deviennent.

En résumé, parce que la modernisation de l’action publique est la « mère de toutes les réformes », contributrice de la compétitivité et de la restauration des comptes publics, mais aussi garante de la pérennité des contrats sociaux, elle doit faire l’objet d’un programme dédié et résolument volontariste.

L’objectif est donc de passer d’une France sur-administrée et sous-gouvernée à un État dynamique, agile, intégrant la culture numérique comme l’un de ses paradigmes, au service de ses citoyens et de ses entreprises, pour sortir de la situation actuelle et pour que chacun ait envie et espoir dans la société dont il est membre .

Cette première partie ayant permis d’analyser le « pourquoi ? » d’une modernisation de l’action publique, la deuxième partie abordera le « quoi ? », c’est-à-dire les grandes caractéristiques d’une action publique moderne au XXIème siècle.

PARTIE II L’action publique moderne doit être pertinente, simple et agile

Depuis une dizaine d’années se sont succédées différentes politiques de réforme de l’État, avec les audits de modernisation portés par la DMGPSE [54] entre 2003 et 2005, les audits de la RGPP impulsés par la DGME entre 2007 et 2012, et maintenant des EPP [55] initiés par le SGMAP. Toutes sont les avatars d’une même méthode consistant à demander à des experts, externes (consultants) et/ou internes (inspections générales) d’analyser une politique publique et de faire des préconisations. Le maître mot des lettres de mission est la « performance », et le principe sous-jacent est la recherche d’économies, notamment en personnels.

Si une telle approche peut être utile, elle ne peut déboucher sur une action publique moderne, car ce qui fait qu’une action publique est moderne n’a été ni défini, ni affiché . Du coup, les « auditeurs » se fixent eux-mêmes le cadre de l’analyse, qui peut dès lors varier fortement selon leur propre vision. Le meilleur comme le pire peuvent en sortir, mais une chose est certaine : il n’y a ni cohérence d’ensemble, ni lisibilité. La seule perspective générale qui émerge, à tort ou à raison, est la recherche d’économies.

Le préalable est donc la définition du cadre de référence : pour qu’une action publique puisse être qualifiée de moderne, elle doit être pertinente, simple et agile.

A. Pertinente : l’action publique doit être adaptée aux risques

Á la fin du XXème siècle, l’État a évolué dans son discours en développant la notion de « service aux usagers ». Le remplacement du terme d’administré (tout un symbole !) par celui d’usager est révélateur du nouveau positionnement. L’usager est « mis au centre du dispositif », des télé-services sont développés pour dématérialiser les démarches administratives, mais il n’y a pas, au final et à de notables exceptions près comme l’administration fiscale, de changement dans la posture de l’administration. Elle demeure dans un fort cloisonnement, chaque administration se préoccupant de son champ, et reste marquée par une forme de paternalisme administratif : l’action publique travaille pour le bonheur des citoyens, parfois malgré eux, et toujours en les surplombant [56] .

Les évolutions constatées existent cependant et sont positives. Elles doivent être poursuivies, notamment dans leur composante de simplification, mais elles doivent également être dépassées : l’action publique du XXIème siècle doit être conçue comme si elle était en situation de concurrence et qu’elle devait attirer et fidéliser ses usagers. La posture devient toute autre : quelle est l’attente de la personne/entreprise/association à laquelle je m’adresse ? Quels risques pèseraient sur la société ou certains de ses membres si cette politique publique était abandonnée ? Qu’en irait-il si elle était profondément remaniée ? Á l’inverse, quelle est sa valeur ajoutée (i.e. rapport avantages / lourdeurs administratives) ? Même les activités régaliennes peuvent être revues à cette aune : si leurs objectifs et leurs prérogatives restent inchangés, les modalités de leur mise en œuvre doivent évoluer.

C’est un changement profond de culture. Cela ne signifie pas la fin des principes de Rolland (continuité, égalité, neutralité et mutabilité), mais le début d’un changement dans la relation des acteurs privés avec les administrations.

PASSER D’UNE CULTURE DU « DOUBLE ZERO » (ZERO DEFAUT, ZERO RISQUE) A UNE CULTURE FONDEE SUR LA GESTION DES RISQUES

Les agents publics, dans leur très grande majorité, travaillent bien. La culture administrative française a pour caractéristique d’être attachée à la qualité de sa production [57] . Si l’on exclut les entités au contact direct et permanent avec les citoyens (éducation nationale, forces de police et fonction publique hospitalière), cette préoccupation a pour conséquences des délais d’instruction souvent longs, pour permettre une analyse fouillée du sujet à traiter. Elle a également induit des décisions privilégiant la sécurité juridique, et donc prudentes. Les lois et décrets ont réduit les délais de réponse des administrations pour atténuer les effets néfastes de cette lenteur administrative, mais cette limitation est très partielle [58] et laisse le plus souvent l’avantage à l’administration (l’absence de réponse valant un refus). La décision du Président de la République d’une inversion de ce principe (l’absence de réponse vaudra accord) et le projet de loi [59] qui traduit cette annonce doivent être salués, sous réserve que les exceptions ne soient pas si nombreuses qu’elles en réduisent fortement la portée.

Mais cette culture du « double zéro » (zéro défaut et zéro risque) a une autre conséquence encore plus néfaste : l’inconsistance de la politique publique . L’augmentation des règles, celle des domaines d’intervention et des effectifs publics au mieux constants se conjuguent pour rendre inopérantes au plan global des actions bien menées au plan individuel.

Le travail bien fait ne rime pas toujours avec une politique publique efficace : trois exemples dans le champ de la santé .

Le contrôle des pharmacies : les pharmaciens inspecteurs de santé publique (PHISP) sont chargés d’inspecter les pharmacies d’officine. Chaque contrôle est bien fait, mais une pharmacie est en moyenne contrôlée tous les 27 ans [60]  : la politique publique perd alors tout son sens, cette faible probabilité de contrôle n’étant pas dissuasive pour un fraudeur potentiel.

L’action de l’État en matière de lutte contre les logements insalubres se traduit par la rénovation de 3 000 logements par an : c’est certes utile, mais à méthode inchangée il faudrait plus de deux siècles pour venir à bout du stock estimé par la Fondation Abbé Pierre à environ 600 000 logements !

En matière d’hygiène alimentaire , le taux de contrôle des établissements de « remise de produits alimentaires aux consommateurs » (commerces, restaurants, marchés) par les services déconcentrés de l’État (DDPP et DDCSPP) en 2012 a été de 7 %, soit en moyenne un contrôle tous les 14 ans [61] .

Dans ces trois cas, la qualité des inspections/contrôles n’est pas en cause, non plus que la compétence des agents qui en sont chargés. C’est tout simplement la manière d’appréhender le problème qui n’est plus adaptée. Du fait du hiatus entre besoins et moyens, une augmentation des effectifs est clairement une solution inappropriée : il faudrait multiplier le nombre des pharmaciens inspecteurs par plus de cinq, de même pour les agents des contrôles des aliments (vétérinaires et personnel de la répression des fraudes), et celui des personnels chargés de l’habitat insalubre devrait l’être par quinze ou vingt pour rendre la méthode en vigueur pertinente.

Aujourd’hui, on confond le contrôle interne de la norme (la régularité de la décision) et la qualité du service aux citoyens/entreprises : si la norme est régulièrement appliquée, l’objectif est considéré comme atteint, indépendamment de la situation réelle et des conséquences qui en découlent.

Il est indispensable de modifier le point de vue, en commençant par s’interroger sur les risques liés à cette politique publique : quel impact réel si la réglementation en vigueur n’est pas respectée ? De même, quelles conséquences réelles si la réglementation correspondante était abrogée ou allégée ? En d’autres termes, le jeu (les contraintes pesant sur les usagers pour cette politique publique) en vaut-il la chandelle (être prémuni contre le risque afférent) ?

L’analyse des risques doit être faite selon les méthodes éprouvées : détection des risques, évaluation de leur criticité et de leur probabilité d’apparition, détermination des mesures possibles de maîtrise des risques et risques résiduels . Une telle approche par les risques permettrait de démontrer que l’administration, notamment d’État, continue à consommer beaucoup de moyens pour autoriser et contrôler des champs dont les risques réels sont limités, et à l’inverse abandonne et surtout n’investit pas des champs porteurs de risques réels mais nouveaux. Elle permettrait également de mettre en lumière l’inefficacité des certaines pratiques actuelles en termes de maîtrise des risques.

Il est intéressant de comparer les pratiques, on peut même parler de culture, entre les pays, en termes d’appréhension des risques. Une des missions essentielles de la puissance publique [62] est en effet de protéger les individus contre divers risques : crimes et délits, mais aussi depuis quelques décennies et de plus en plus des dangers dans la vie de tous les jours (alimentation, transports, soins, pratiques sportives, activités ménagères, etc.). L’approche conceptuelle pour répondre à cette attente de protection varie d’un pays à l’autre. On peut globalement distinguer deux types extrêmes, chaque État plaçant le curseur entre ces bornes, selon le sujet traité, sa culture propre et l’époque considérée.

Le premier type met l’accent sur la liberté et la responsabilité individuelle. Il est fondé sur la confiance : chacun respecte a priori les règles, ne triche pas et ne cherche pas à nuire aux autres. De même, chaque personne est considérée comme libre et responsable de ses actes, dès lors qu’elle est bien informée des conditions normales de fonctionnement (d’un service, d’un appareil, d’un médicament, etc.) et des risques qu’elle encourt à les enfreindre. Cette approche est d’inspiration anglo-saxonne, et en particulier nord-américaine. Dès lors, l’administration exerce peu de contrôles a priori , se contentant dans de nombreux cas de déclarations sur l’honneur. En revanche, les sanctions sont très lourdes en cas de fausse déclaration.

Le second type s’appuie sur la caution de la puissance publique , héritière des prérogatives de droit divin de l’Ancien Régime. Il est plutôt fondé sur la défiance vis-à-vis du peuple : les conséquences d’un mésusage ou d’un usage frauduleux sont trop importantes pour prendre le risque de leur survenue, et la véracité d’une affirmation (identité, possession, innocuité d’un produit, capacité à faire, etc.) doit être vérifiée ex ante par la puissance publique. Ce modèle est celui qui prévaut encore largement en France, avec de multiples contrôles a priori et a posteriori dans tous les secteurs. Cette approche est clairement plus rassurante pour le citoyen, mais aussi infantilisante (l’individu n’est pas responsable et doit être protégé du fait de son ignorance) et surtout génératrice d’une lourdeur administrative importante, au moins tant que l’utilisation de systèmes d’informations performants et interopérables ne viendront pas l’alléger drastiquement.

Ces deux modèles ne sont pas « purs », et ont tendance à converger dans certains domaines. Par exemple, l’autorisation préalable pour la mise sur le marché des médicaments est partout obligatoire, et à l’inverse la mise sur le marché d’aliments n’est nulle part soumise à autorisation, quand bien même les effets délétères de certains sur la santé sont avérés et peuvent être graves.

En parallèle, les progrès scientifiques et techniques induisent une explosion des dangers [63] potentiels ou réels pesant sur les individus, et la diffusion généralisée des TIC et des flux d’informations démultipliés renforce les inquiétudes des populations et l’attente sociale d’une protection accrue, dont le principe de précaution est une traduction.

Face à cet effet cumulatif (nouveaux dangers et craintes exacerbées) et l’explosion des contrôles qui devrait en résulter pour maîtriser les risques, la puissance publique est assez démunie, car les contraintes budgétaires ne lui permettent pas de démultiplier son dispositif « historique », dont elle assume le coût des contrôles dans la plupart des cas. De ce fait, hormis lorsqu’une automatisation est possible, l’administration ne peut aujourd’hui intervenir valablement sur les nouveaux champs qui le nécessiteraient, tout en étant par ailleurs amenée à diminuer sur ses activités « historiques » la fréquence ou la qualité des contrôles, en ne vérifiant que certains aspects. Ce n’est évidemment satisfaisant ni pour les agents, frustrés de ne pas pouvoir remplir leurs missions dans de bonnes conditions, ni pour l’administration, amenée à assumer de fait une responsabilité tout en sachant qu’elle prend des risques, ni enfin pour la société qui ne se sent plus correctement protégée.

Les pistes d’améliorations possibles sont multiples. La première est de n’intervenir que lorsque c’est objectivement justifié. Lorsqu’une personne physique ou morale veut engager une action, elle peut le faire selon les modalités suivantes :

Aucune formalité particulière ;

Déclaration à une administration. Cette déclaration simple n’exonère évidemment pas la personne de respecter la réglementation en vigueur. Il est parfois exigé, même si ça n’apporte pas de valeur ajoutée juridique, un engagement sur l’honneur de la personne à respecter ladite réglementation ;

Déclaration à une administration avec preuve de la conformité à la réglementation. Cette preuve, en général une certification (ISO, COFRAC, etc.), peut être requise au moment de la déclaration ou dans un certain délai ;

Autorisation par une administration. Comme pour la déclaration, elle peut être « simple » ou accompagnée d’un engagement sur l’honneur quant au respect de la réglementation ;

Autorisation avec certification par un tiers (ex ante ou au bout d’un certain temps),

Autorisation avec visite de conformité assurée par l’administration.

Deux motifs peuvent justifier le régime d’autorisation : la limitation du nombre des acteurs autorisés à intervenir dans un champ donné (taxis, équipements médicaux lourds, notaires, etc.), et la limitation des risques liés à un non respect de la réglementation. Or, l’analyse rapide des régimes d’autorisation montre d’une part que les justifications historiques d’une limitation du nombre des acteurs n’est plus forcément pertinente ou que les critères ne sont plus adaptés à la situation (ex : autorisation du transfert des pharmacies d’officine), et d’autre part que les risques encourus ne justifient pas toujours le recours à un régime d’autorisation.

La démarche suivante permettrait de redéfinir les procédures au niveau adéquat :

recensement de tous les régimes d’autorisation, en distinguant leur nature (limitation à l’entrée ou maîtrise du risque) ;

analyse selon les cas de la justification des règles de barrière à l’entrée (principe et modalités) et des risques induits par le non-respect de la réglementation ;

pour les autorisations de la famille « limitation à l’entrée » qui n’apparaitraient plus pertinentes, analyse du risque indemnitaire pour l’État (pour avoir pris une mesure ayant eu pour conséquence la réduction de la valeur d’un bien) ;

pour les autorisations de la famille « maîtrise des risques », détermination du bon niveau de formalité à exiger dans la typologie ci-dessus, en partant du haut : qu’est-ce qui interdit d’opter pour un régime sans formalisme ? Si les raisons sont convaincantes, on descend d’un cran en se posant la même question, jusqu’à trouver le bon niveau ;

pour les cas justifiant le régime d’autorisation, analyse des risques inhérents à un accord tacite en cas d’absence de réponse. De ce point de vue, lorsque le risque est fort, il convient d’éviter que le silence de l’administration vaille accord.

L’approche « historique » d’autorisation/contrôle a priori reste incontournable dans un certain nombre de cas, comme par exemple la vérification de l’identité lors de la délivrance d’un titre ou la vérification préalable du respect des règles applicables avant d’être autorisé à pratiquer certaines activités de soins (chirurgie, radiothérapie, etc.). Mais, dans de nombreux cas, l’évolution vers un régime déclaratif ou même sans formalités est tout à fait envisageable, et permettrait d’aller plus loin dans la simplification pour les usagers (citoyens, entreprises, établissements publiques ou associations) que la seule inversion du refus tacite de l’administration.

Chaque démarche administrative devrait être interrogée sur la base d’une telle analyse de risque : si on part du postulat qu’on fait confiance au déclarant, quelles conséquences en cas de mauvaise information ? Quels moyens de s’en rendre compte ? Les sanctions existantes sont-elles pertinentes et applicables ? Au-delà de l’autorisation initiale, y a-t-il besoin de contrôles ex post ? Si oui, comment peuvent-ils être organisés ( cf. infra ). Á l’inverse, la procédure actuelle avec contrôles est-elle efficace contre les fraudeurs intentionnels ?

Proposition n°2 : Passer d’une administration « double zéro » (zéro défaut, zéro risque) à une action publique fondée sur une gestion des risques.

La puissance publique pourrait par ailleurs cibler les contrôles restant de son ressort en fonction d’une évaluation du risque global afférent au sujet plutôt que de vouloir atteindre une exhaustivité et une qualité hors de portée, dont l’utilité est de toute façon marginale. En effet, même si la responsabilité de l’État pourrait être engagée, ce serait dans des cas très peu nombreux et avec des conséquences humaines et financières limitées, et en tout état de cause plus faibles qu’aujourd’hui où l’on renonce à élargir le champ de la protection du fait des ressources qu’il faudrait y allouer.

Proposition n°3 : Cibler les contrôles en fonction des risques, et en définir les modalités de mise en œuvre (contrôle direct par l’Administration ou confiés à des organismes accrédités) en fonction du nombre à effectuer pour en assurer une certaine fréquence.

Deux précédents dans une simplification volontariste :

1) la déconcentration des décisions en 1997

Une démarche approchante avait été menée en 1997 sous l’égide du Commissariat à la réforme de l’État (CRE). Celui-ci avait fait l’inventaire exhaustif de toutes les procédures conduisant à des décisions administratives, notamment à des autorisations, pour examiner celles qui devaient être supprimées ou déclassées (en déclaration) ou déconcentrées. La technique employée a été d’une efficacité redoutable : un décret a été pris en janvier 1997 prévoyant qu’à compter du 1 er janvier 1998 toutes les procédures seraient automatiquement déconcentrées, charge pour chaque ministère de justifier celles qui ne devaient pas l’être, afin de pouvoir les inscrire dans un décret dérogatoire à prendre avant la fin 97. Ainsi, l’inaction d’un ministère conduisait à la disparition de toute compétence ministérielle !

Environ 5 000 procédures ont ainsi été inventoriées, et quelques centaines ont été supprimées ou déclassées. Pour les 4 500 restantes, 2 000 étaient déjà déconcentrées, et sur les 2 500 autres les ministères ont pu raisonnablement justifier leur maintien au niveau national pour moins d’un millier. Ainsi, en une fois, au 1er janvier 1998, plus de 1 500 procédures ont été déconcentrées.

2) Transposition de la directive sur les services

Un examen de l’ensemble des régimes d’autorisations préalables à l’installation de prestataires de service ou la libre prestation de prestataires déjà implantés sur le territoire de l’Union européenne a été réalisé en 2008–2009 pour les activités relevant du champ de la directive. Un certain nombre de dispositions qui ne répondaient aux critères de protection de la santé publique et de l’environnement ont dû être revues.

Ce travail mené de 2007 à 2010 par une équipe projet a été long et fastidieux car les administrations ont eu tendance à défendre leur réglementation par crainte d’un affaiblissement des nationaux face aux prestataires communautaires. Passer d’une autorisation préalable à un contrôle a posteriori était souvent perçu comme l’abandon de tout contrôle du fait de l’absence d’effectifs dédiés à ce type de contrôle.

Il convient enfin de prendre en compte le fait que la culture du double zéro est renforcée par la peur qu’ont les administrations d’être épinglées par les corps d’inspection et les magistrats financiers (Cour de comptes et Chambres régionales de comptes). Á l’approche traditionnelle qui considère que les inspections sont faites pour inspecter et dénoncer les irrégularités, indépendamment de toute autre considération, doivent être privilégiés les approches de conseil extérieur et d’audit (au sens de l’audit interne) dès lors que des malversations ne sont pas mises en évidence. Les réussites et les bonnes pratiques devraient être soulignées, pour aider à leur diffusion, par des analyses à charge et à décharge, et éviter de renforcer les défauts et l’immobilisme des administrations. Cette tendance existe, mais dans une proportion encore insuffisante.

Proposition n°4 : Privilégier les missions de conseil au sein des inspections générales et mettre en exergue dans les rapports de ces inspections comme de la Cour des Comptes les bonnes pratiques autant que les dysfonctionnements.

Ce passage en analyse des risques nécessite une évolution de l’organisation : à côté de la chaîne de production et de son contrôle interne, il convient d’instaurer une chaîne d’analyse des risques de la politique elle-même, au plan général et dans les cas d’espèce [64] . Ce double regard est indispensable, et doit être instauré.

Proposition n°5 : Instaurer une chaîne d’analyse des risques au sein des administrations en parallèle de la chaîne de production et du contrôle interne.

L’ACTION PUBLIQUE NE DOIT PLUS SEULEMENT ETRE UTILE, ELLE DOIT APPORTER UNE VALEUR AJOUTEE

Une des difficultés des réformes administratives provient de ce que les politiques publiques sont utiles ou, pour être plus précis, ont une utilité. Dès lors, les procédures qui portent ces politiques publiques se trouvent légitimées, et tout projet d’abandon ou de simple remise en question apparaît comme une régression et comme un désengagement de l’État. Or, à côté des effets positifs liés à l’utilité de la procédure/politique menée, existent souvent des effets collatéraux négatifs : la complexité, la lourdeur et/ou le coût des démarches, la longueur des procédures sont autant de pesanteurs et de repoussoirs pour les usagers, qu’il s’agisse de personnes physiques, d’entreprises, d’association ou de collectivités publiques. Au final, si l’utilité est réelle, la valeur ajoutée de la politique publique peut être négative. La France souffre beaucoup de ces actions publiques qui sont utiles mais qui ont une valeur ajoutée négative et qui étouffent la société.

Des études d’impact ont été instaurées suite au rapport Picq pour les projets de loi et les projets de décret pour éviter un tel phénomène, mais elles n’ont jamais atteint leur objectif. D’abord parce qu’il s’agit d’un exercice formel, assuré au dernier moment pour que le dossier du projet de texte soit « complet », ensuite parce que les évaluations, faites par ceux-là mêmes qui portent la mesure, ne sont à l’évidence pas conduites dans la perspective de pouvoir déboucher sur une remise en cause de ladite mesure. De toute façon, la décision sur la réforme précède la rédaction du texte qui la traduit dans les faits : l’étude d’impact n’est pas faite pour éclairer la décision initiale, mais vise à la justifier. Il faut enfin rappeler que ces études d’impact ne concernent que les textes en préparation et non le « stock » de ce qui constitue l’action publique, et qu’elles ne portent que sur la première mouture du texte, et pas sur les amendements, qu’ils soient d’origine parlementaire ou gouvernementale.

Les biais et limites des études d’impact : l’exemple de la loi Peillon

Le chapitre consacré au numérique dans l’étude d’impact n’évoque dans l’impact budgétaire que les économies sur les photocopies ! Ni les investissements nécessaires, ni les économies obtenues à terme sur les manuels et les ressources numériques ne sont évaluées.

Par ailleurs, elle fait semblant d’estimer que l’impact de la réforme sera neutre pour les collectivités territoriales, alors que l’État leur transfère toute la maintenance du parc d’ordinateurs des établissements.

Revenir aux objectifs en matière de politiques publiques est fondamental pour déterminer les actions publiques susceptibles d’apporter la plus forte valeur ajoutée à la société. Le terme de valeur ajoutée ne se limite surtout pas à un retour sur investissements ou à une économie budgétaire : de nombreuses missions n’ont pas vocation à être économiquement rentable, mais toutes doivent être plus utiles à la collectivité que ce qu’elles lui coûtent au plan financier ou sous forme de contraintes. L’utilité d’une action publique devrait être systématiquement évaluée et mise en regard des contraintes qu’elle induit : une utilité faible ou moyenne associée à des lourdeurs administratives fortes n’est pas pertinente. Cette notion de valeur ajoutée, aujourd’hui peu présente car masquée par l’arme du « régalien » (i.e. le régalien permet de ne pas s’interroger sur le ratio avantage/coût), doit être instaurée au cœur de l’action publique. Elle amènera un repositionnement profond du rôle des administrations et en premier lieu de celui de l’État.

L’analyse de la valeur s’apparente à l’analyse des risques : s’interroger sur la valeur ajoutée comparative d’une heure d’emploi public sur telle ou telle mission revient à comparer les risques inhérents à ces missions. La ressource publique étant forcément rare, les arbitrages dans l’allocation des ressources doivent nécessairement résulter d’une analyse des risques de toute nature, sur la base d’une stratégie d’ensemble et par secteur. Un tel exercice n’a jamais été fait, et reste implicite dans les arbitrages sur les moyens alloués aux différents acteurs publics.

Il convient donc de réinterroger chaque politique publique, d’abord pour caler ses objectifs, sur le fond et sur la nature de leur intervention (protéger ? Impulser ? Éduquer ? Organiser ?), puis pour vérifier sa pertinence et les modalités de leur mise en œuvre, en procédant à une analyse de la valeur des diverses modalités possibles. Des outils existent, comme par exemple la méthode MAREVA (Méthode d’Analyse et de Remontée de la Valeur).

La méthode MAREVA (Méthode d’Analyse et de Remontée de la Valeur)

Elle consiste à étudier cinq axes :

1) le retour sur investissement financier (pour l’État ou au global) ;

2) la maîtrise des risques (1 ci-dessus 1 ci-dessusI.C.1 ci-dessus) ;

3) le bénéfice pour l’usager (« externalités ») ;

4) le bénéfice pour les agents publics (« internalités ») ;

5) le degré de nécessité (texte juridique, engagement politique, etc.).

Une telle analyse permet de bien mettre en regard pour chaque solution l’adéquation entre les moyens qu’il convient d’allouer et les missions assignées, mais aussi d’interroger la pertinence de la mission elle-même : il vaut parfois mieux ne rien faire que de mal faire, ou de faire faire par d’autres ce qu’on n’est pas capable de faire correctement.

Comme l’évaluation peut être biaisée si elle est faite par l’entité qui la porte, la solution d’ores et déjà mise en œuvre avec des résultats positifs pour les projets de systèmes d’information de l’État pourrait être étendue : la DISIC [65] reçoit tous les projets informatiques des ministères de plus de 5 M€. Pour les projets de plus de 9 M€, elle transmet son avis au ministre concerné et au Premier ministre. Pour l’État, la DIMAP pourrait être chargée de vérifier la robustesse des analyses conduites par les ministères.

La RGPP a affiché à ses origines un objectif similaire, de même que la MAP plus récemment, mais force est de constater que la mise en œuvre n’a pas suivi dans le premier cas et ne semble pas non plus réellement appliquée dans le second. L’Évaluation des politiques publiques (EPP) de la MAP devrait systématiser l’analyse de la valeur et la communication des résultats selon les différents axes évoqués dans l’encadré ci-dessus.

Proposition n°6 : Systématiser, dans le cadre d’une logique de gestion des risques, l’analyse de la valeur de chaque action sous-tendant une politique publique.

POUR ETRE PERTINENTE, L’ACTION PUBLIQUE DOIT VERIFIER SON EFFECTIVITE ET SON EFFICACITE

Une analyse un peu fine des actions sous-tendant une politique publique montre que, très souvent, le système n’est pas « bouclé » : les objectifs sont fixés, les moyens alloués, les textes juridiques publiés, les actions prévues engagées, avec les bons indicateurs d’activité (nombre de dossiers traités, respect des délais de traitement, etc.). Mais l’évaluation globale de la politique publique manque souvent. Ainsi, l’évaluation de l’effectivité des mesures (la décision ou l’avis sont-ils bien respectés ?) et celle de leur efficacité (la décision ou l’avis ont-ils eu une utilité ?) sont très souvent absentes : l’administration fait, mais regarde peu si ce qu’elle fait est respecté et si cela se produit, les effets escomptés .

Un changement de doctrine est là aussi nécessaire : l’action publique doit s’assurer que les politiques engagées comportent toutes les composantes nécessaires à leur efficacité. Il faut arrêter de se payer de mots, et ne s’engager dans une action publique qu’en ayant vérifié que toutes les catégories de processus qui structurent une mission sont bien présentes et opérationnelles : collecte des données, définition de la stratégie, programmation des actions/moyens pour la mise en œuvre de la stratégie, mise en œuvre opérationnelle, inspection/contrôle, évaluation de l’efficacité et de l’efficience, communication.

Proposition n°7 : Vérifier, pour chaque modalité d’une action publique, de son effectivité (la réglementation est respectée) et de son efficacité (le respect de la réglementation a un effet).

Pour être en mesure de le faire, il faut avoir au préalable établi pour chaque entité (directions d’administrations centrales, services déconcentrés, opérateurs nationaux de l’État, et à terme collectivités territoriales et gestionnaires de services publics) la cartographie de ses missions et, pour chaque mission, la liste des processus qui la constituent (Cf I.I.1 ci-dessous).

Les changements de culture et de pratique préconisés sont cruciaux. Approche par les risques, exigence de valeur ajoutée globale positive, vérification du « bouclage » de la politique publique pour qu’elle soit effective et efficace sont autant de points nodaux pour une action publique qui réponde aux attentes de nos concitoyens et de nos entreprises. Ces changements doivent être perçus et intégrés à tous les étages administratifs. Leur mise en œuvre nécessitera du temps et beaucoup de pédagogie, mais induira des effets positifs chez les agents publics comme dans l’ensemble de la population.

B. Simple : faire simple et pas seulement simplifié

Le choc de simplification annoncé par le Président de la République le 28 mars 2013 et repris par la Premier ministre le 3 mai de la même année est nécessaire. Mais cela fait plus de vingt ans que l’hymne à la simplification est entonné sans que les résultats soient à la hauteur des attentes et des besoins. La donne a sans doute changé, du fait des possibilités offertes par les systèmes d’information et l’appropriation progressive – enfin ! – des responsables politiques sur les enjeux qui y sont liés, et du fait de l’impact économique de la complexité actuelle [66] . Pour autant, le diable se cache dans les détails, et pour les multiples raisons évoquées plus haut, une simple exhortation, fut-elle du Premier ministre ou même du Président de la République, pour nécessaire qu’elle soit, n’est pas suffisante. Il convient de prendre des mesures concrètes et fortes, portant d’une part sur le droit applicable et d’autre part sur les services aux usagers.

DIVISER PAR DEUX LA TAILLE DE TOUS LES CODES

Le rapport Boulard-Lambert de mars 2013 sur la lutte contre l’inflation normative fourmille d’exemples qui seraient juste amusants si leur existence n’était pas en elle-même affligeante. La mission propose toute une série de mesures concrètes pour alléger le stock et éviter qu’il ne se reconstitue trop vite. Il est souhaitable qu’elles soient mise en œuvre vite, à l’image de celle relative à l’interprétation facilitatrice des normes (IFN), appliquée une semaine après la remise du rapport [67] .

Mais la mesure la plus efficace et la plus simple à comprendre, employée par les Etats-Unis à la fin des années 90 sur la suggestion d’Al Gore, consisterait à donner instruction à chaque ministère de diviser par deux en trois ans la taille des codes qui entrent dans son champ d’action. Malgré son caractère très frustre, une telle commande obligerait chaque administration à revisiter radicalement tous les aspects et tous les recoins du droit national en vigueur. Au-delà de l’élimination des mesures d’un autre âge tombées en désuétude, elle faciliterait le changement de posture et de culture proposé plus haut. Enfin, la mise en application de cette mesure serait tout à fait simple à quantifier : combien de centimètres en moins pour l’épaisseur de chaque code ?

Une telle action permettrait également de mettre fin, au moins provisoirement, à la pratique actuelle constatée par le Conseil d’État consistant à prévoir des dérogations à l’application pleine et entière des textes « de base ». De dérogations en dérogations, les dispositions originelles ont parfois quasiment disparu. Le droit de l’urbanisme et du logement est un bon exemple de cette tendance des administrations à élaborer, pour le compte et sur commande du pouvoir politique, des textes d’une grande complexité dont le principal objet est de déroger aux dispositions standards ou à raffiner de précédentes dérogations. La consigne de réduction de la taille des codes permettrait de refonder le droit « standard » en éliminant de multiples dérogations, ou les motifs mêmes des dérogations [68] .

Proposition n°8 : Diviser par deux en trois ans la taille de tous les codes.

FOURNIR DES SERVICES GLOBAUX

Le deuxième levier principal de simplification est fourni par les systèmes d’information. Ils permettent de proposer des services à forte valeur ajoutée, qui dépassent la simple dématérialisation des procédures administratives à laquelle se limite encore trop souvent la modernisation des démarches.

Engagée avec le plan ADELE en 2004, l’élaboration de services correspondants aux événements de la vie d’une personne ou d’une entreprise procède de ces nouveaux services. La création de services globaux pour le changement d’adresse, les demandes de subvention ou la création d’entreprise en sont des exemples. Ils montrent les potentialités de cette approche.

Cependant, rassemblant sur un même service l’ensemble des démarches liées à un événement, ils mettent également en évidence la complexité administrative et procédurale. La simplification est réelle, mais elle n’est pas toujours, loin de là, synonyme de simplicité pour l’utilisateur.

Il faut passer à l’étape suivante qui consiste à concevoir des services perçus comme simples par les usagers . Cette simplicité doit être l’objectif central, à partir duquel toute information demandée à l’utilisateur et toute procédure exigée de lui doit être dûment justifiée (« justification base zéro »). Elle peut être le fruit de simplifications réglementaires, organisationnelles (fusion d’entités) ou procédurales, mais elle sera aussi issue d’un masquage de la complexité, « internalisée » en arrière-boutique par les différentes administrations concernées : sous réserve de l’accord de la personne/entreprise concernée, les administrations s’échangeront les données nécessaires et suffisantes pour l’accomplissement d’une démarche. Le projet « dites-le nous une seule fois » procède de cette logique et doit être salué.

Dites-le nous une seule fois : il y a encore du grain à moudre – exemple de la liquidation de la retraite (cas réel)

Une personne, retraitée de la fonction publique depuis 18 ans, perd son mari. Appelant le régime général de retraite (CARSAT [69] ) pour savoir si elle avait le droit à une pension de réversion, elle apprend qu’elle n’a pas liquidé sa retraite au régime général pour les années où elle travaillait à l’université sans être fonctionnaire. Le régime général dispose des informations prouvant cette activité intermittente qui s’étend des années 50 à la fin des années 70. Pour autant, le CICAS [70] exige de la retraitée qu’elle saisisse les différents employeurs afin qu’ils valident les périodes travaillées, la plus ancienne datant de soixante ans !

Proposition n°9 : Systématiser le projet « dites-le nous une seule fois » consistant à ne pas exiger des usagers des services publics des informations détenues par une autre administration.

PERSONNALISER LES SERVICES

Une autre voie de simplicité est la personnalisation des services : l’utilisateur est rapidement désorienté lorsqu’il doit renseigner des champs qu’il ne comprend pas et dont il ne sait pas s’ils le concernent. Les TIC permettent maintenant d’avoir des formulaires « intelligents » qui ne proposent que les rubriques pertinentes au remplissage, soit sur la base d’un profil déjà connu par l’administration [71] , soit à partir de quelques questions préalables [72] . Une amélioration notable de la simplicité des démarches est ainsi possible, mais peu de télé-services proposent ce type de fonctionnalités.

Par ailleurs, malgré des efforts constants depuis de nombreuses années, la rigueur administrative amène souvent les formulaires à employer des termes précis et justes mais peu intelligibles pour une part notable de la population, les excluant de fait d’un accès direct aux services et parfois à leurs droits. Les formulaires fiscaux et sociaux sont souvent particulièrement difficiles à comprendre. Si une meilleure lisibilité des formulaires papier est toujours possible, elle reste limitée, alors que les télé-services permettent d’adjoindre des aides en ligne très facilitatrices [73] , sous réserve d’une rédaction appropriée.

Il reste d’énormes marges de progression concernant les télé-services administratifs et la MAP est encore décevante sur cet aspect.

Proposition n°10 : Généraliser la mise à disposition de télé-services complets (i.e. qui puissent être remplis en ligne et adaptés à la situation du demandeur ; aide en ligne ; simplification des termes, etc.) pour l’ensemble des démarches administratives.

LAISSER A L’USAGER LE CHOIX DU MODE D’ECHANGE AVEC L’ADMINISTRATION

La fracture numérique est en voie de résorption, mais il reste encore un quart de la population qui n’a pas accès à Internet, par choix, par absence de couverture ou par défaut d’appropriation (effet générationnel). Le coût d’équipement et de connexion ne semble plus, à de rares exceptions près, un facteur de non accès à Internet. Si la fracture numérique n’est plus un argument pour ne pas développer les télé-services, un passage exclusif par Internet ne serait ni opportun, ni pertinent . En effet, l’usager doit pouvoir choisir son mode d’échange avec le service public (télé-services, téléphone, guichet, courrier).

La liberté de choix est essentielle pour les personnes n’ayant pas d’accès à Internet, mais également pour les 7 % de la population qui sont illettrés [74] selon l’INSEE en 2012. Ces 3,1 millions de personnes sont incapables d’utiliser des formulaires papier ou des télé-services : l’accès à un guichet est pour elles indispensable.

La multiplicité des média utilisables permet une amélioration de la qualité de service pour chacun d’eux : les utilisateurs de télé-services libèrent du temps pour l’accueil au guichet, ce qui profite à ceux qui continuent de s’y rendre. Cependant, les formulaires papier doivent autant que faire se peut être remplacés par des télé-services, les coûts de traitement étant entre 10 et 30 fois ceux de télé-procédures [75] .

Ces préconisations, comme d’autres, ont été décrites depuis plus de 10 ans maintenant, mais la mandature précédente n’a pas donné d’impulsion significative en la matière et les annonces des premiers CIMAP sont également décevantes sur ce point.

ÉVOLUER VERS UNE ADMINISTRATION PROACTIVE

Aujourd’hui, il faut faire valoir ses droits, notamment ses droits sociaux, pour en disposer. Encore faut-il les connaître (problème d’information, de compréhension), savoir auprès de qui les faire reconnaître et de disposer des preuves les justifiant. Une part non négligeable des bénéficiaires potentiels se retrouve ainsi exclue de prestations légitimes [76] . Cela peut apparaître en première intention profitable aux finances publiques, mais les effets secondaires sont souvent plus coûteux : soins plus lourds, phénomènes d’exclusion variés avec leurs conséquences, etc. Par ailleurs, l’administration emploie un temps énorme à vérifier la véracité des informations transmises par les demandeurs.

Accès à une complémentaire santé.

Depuis décembre 1999, toute personne résidant en France de façon stable et régulière (depuis plus de trois mois) et n’étant pas bénéficiaire à un titre ou un autre à l’assurance maladie a droit la couverture maladie universelle (CMU de base). Elle doit en faire la demande à la CPAM locale. De plus, jusqu’à un certain niveau de revenus, elle peut bénéficier d’une assurance maladie complémentaire (CMU-C), puis, jusqu’à un autre seuil un peu plus élevé, d’une aide à la complémentaire santé (ACS).

Pourtant, 20 % des personnes éligibles à la CMU-C (soit 1,3 millions de personnes) n’en bénéficiaient pas en 2009. De même, 75 % des personnes éligibles à l’ACS n’y ont pas recours. Une étude menée par la CPAM de Lille a montré que c’est d’abord la complexité du dispositif d’ACS qui explique ce très faible taux d’utilisation de ce droit, ajoutée au défaut d’accès à l’information.

Le régime général d’assurance maladie a détecté 588 cas de fraude à la CMU-C en 2010, soit 0,033 % des bénéficiaires. Le montant du préjudice s’est élevé à 567 000 k€. Ce chiffre peut être interprété comme démontrant que les vérifications préalables sont efficaces, mais aussi et surtout que la fraude intentionnelle est faible : on mobilise des moyens très conséquents pour contrer une fraude minime.

En conclusion, il ressort clairement que la complexité du dispositif est un facteur d’éviction important au regard de l’objectif de la politique publique d’accès pour tous à des soins de qualité via la CMU-C et l’ACS (quelles que soient les limites de ces dispositifs), et qu’un dispositif d’inclusion automatique associé à des contrôles automatiques systématiques (entre CPAM, CAF et DGFIP notamment) serait préférable.

( Source : rapport n° V d’évaluation de la CMU – novembre 2011)

Une alternative consisterait à rendre l’administration proactive : comme pour l’inscription automatique sur les listes électorales des jeunes de 18 ans, l’administration prendrait l’initiative d’informer une personne ou une entreprise des droits qui sont les siens, et lui demanderait si elle veut en bénéficier. Cela n’exclurait pas les contrôles a posteriori , non plus que la possibilité pour une personne de renoncer à l’application de ses droits ou de faire valoir des droits que l’administration n’aurait pas reconnus, mais cette nouvelle posture aurait des effets positifs importants, tant pour les personnes que pour les administrations concernées. Elle nécessite au préalable l’existence de systèmes d’informations performants et interconnectés en routine entre administrations disposant des données nécessaires à l’établissement des droits. Mais ces préalables sont largement à portée de main, en moins de trois ans pour les organismes nationaux de la sphère sociale (régimes général et agricole au moins) et pour la sphère fiscale.

Proposition n°11 : Passer à une administration proactive, qui informe systématiquement les citoyens et entreprises de leurs droits.

Agile : une action publique ouverte à l’innovation et à la société

Une action publique moderne doit rester en phase avec les attentes et les besoins présents de la société. Pour cela, elle doit savoir s’adapter en permanence, savoir repérer et utiliser les nouveaux usages et les nouveaux outils, en s’appuyant autant que faire se peut sur la société elle-même. Mais l’action publique doit également anticiper l’avenir, et orienter les acteurs pour préparer le pays aux évolutions nécessaires et souhaitables.

INSTALLER UNE CULTURE QUI FAVORISE L’INNOVATION

Pour les raisons évoquées précédemment, la culture administrative française est fondée sur la qualité et la minimisation du risque (de mal faire). Par voie de conséquence, elle est plutôt conservatrice au sens où elle privilégie la reproduction de solutions déjà éprouvées. Or, comme l’a bien dit le Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 20 décembre 2012, «  la transition numérique impose un rythme d’évolution qui n’est à la portée que des organisations tolérantes à l’innovation et au partage de connaissances. L’adaptation de l’organisation de l’administration à la transition numérique dépasse très largement la question des fonctions supports. Elle engage, dans chaque administration, une réflexion sur la circulation et le partage de l’information, en interne et en externe, ainsi que sur sa propre capacité à s’adapter. L’enjeu est de rendre l’administration « apprenante », par la mise en place ou le renforcement de communautés de pratiques et par un effort dans la formation des agents publics de tout niveau aux enjeux et leviers numériques  ».

Remettre en phase l’action publique et la société impose donc de faire entrer l’innovation dans la culture administrative . Elle est aujourd’hui inexistante, ou au mieux conçue comme un simple gadget, amusant mais marginal, comme pouvaient l’être les systèmes d’information il y a moins de vingt ans. Il convient de préciser que donner un droit de cité à l’innovation impose d’accepter le droit à l’erreur : vouloir innover sans risque de se tromper tue l’innovation.

Afin de pallier cette carence, devrait exister, au sein de chaque pôle ministériel (économie, affaires sociales, affaires étrangères, justice, intérieur etc.), une cellule ou des « laboratoires de l’innovation des politiques publiques » . Représentatifs dans leur composition de la société et de son futur (jeunes, diversité des origines, personnes venant du secteur privé, etc.) ces futurs cellules ou laboratoires seraient notamment chargés de :

La mise en œuvre de la politique d’ouverture des données publiques (en relation avec Etalab-SGMAP) ;

L’organisation de concours d’applications ;

L’identification et mise en œuvre, en liaison avec le SGMAP de dix initiatives favorisant le développement de services publics innovants ;

La veille technologique dans le champ de compétence de chaque ministère ;

La contribution aux procédures d’achats innovants ;

L’interface entre les services du ministère et les entreprises innovantes susceptibles d’accompagner les politiques du ministère.

Plus généralement, ces missions et ces laboratoires assureraient, de manière institutionnelle, une fonction « d’aiguillon » pour inciter les directions verticales de chaque ministère à repenser leurs manières de faire et adopter des démarches d’innovation ouvertes. Ils constitueraient, chacun à leur manière, un incubateur de pratiques innovantes, et fonctionneraient en réseau (séminaires, mutualisation de la veille technologique, développement d’outils et de plateformes). L’animation de ce réseau reposerait conjointement sur le SGMAP (mission Etalab) et sur le Ministère chargé de l’économie numérique, de l’innovation et des PME.

L’annonce par Marylise Lebranchu, la ministre de la réforme de l’État, de la création d’un laboratoire de l’innovation des politiques publiques est, à ce titre, bienvenue.

Des entités équivalentes devraient exister dans les grandes collectivités territoriales (conseils régionaux, conseils généraux, métropoles, communautés d’agglomération).

Proposition n°12 : Instaurer des laboratoires de l’innovation des politiques publiques dans chaque administration (ministère, services déconcentrés, grandes collectivités publiques).

UN ÉTAT QUI IMPULSE ET ANIME

Les fonctions de l’État sont variées, mais elles peuvent être classées en quelques grandes fonctions :

Stratège : cette fonction consiste à définir le nouveau modèle de société (nouveaux objectifs, nouveaux droits, nouveau modèle de développement) qui orientera les politiques publiques pour les décennies à venir. Cette vision « surplombe » les autres fonctions. Si elle manque, l’action publique se limite alors à de la gestion au quotidien ou est sujette à des impulsions sans cohérence d’ensemble, peu lisibles par les acteurs et donc avec une perte importante d’efficacité (chacun hésite à s’engager de peur ou dans l’attente du prochain « coup de barre ») ;

Protecteur : l’action publique doit maintenir la cohésion de la société. C’est le fondement historique de l’État. Cette cohésion s’entend à la fois dans l’état « initial » de la société mais aussi dans son évolution vers le nouveau modèle défini par la fonction de stratège. Á côté des secteurs régaliens traditionnels (armée, police, justice, diplomatie), entrent dans cette catégorie la protection sociale (chômage, santé, vieillesse, handicap, exclusion, mais aussi maintenant les violences interpersonnelles, la parité, etc.), la protection économique et financière (ex : sauvetage des banques lors de la crise financière de 2008, voire la nationalisation d’industries stratégiques en difficulté) ou la protection culturelle (ex : patrimoine). C’est une fonction importante dont le périmètre est à ce jour mal défini du fait de l’absence de formalisation de la partie stratégique ;

Organisateur : la vie collective nécessite l’existence d’un certain nombre de réseaux favorisant et parfois conditionnant la cohésion de la société. L’organisation administrative en fait partie, mais l’action publique est également à l’œuvre dans les réseaux d’infrastructures (électricité, eau potable, eaux usées, transports, déchets, téléphonie et maintenant Internet et téléphonie mobile), dans l’organisation de la vie démocratique (élections, débat public), ou dans celle des règles de la vie sociale (ex récents : mariage pour tous, PMA). Certains aspects ont été mis en sommeil depuis plusieurs d’années, comme la planification ou la politique industrielle. Selon les objectifs de la vision stratégique, ils pourraient être réactivés ;

Éducateur : apparu à la fin du XIXème siècle, c’est une fonction essentielle qui mobilise une part importante et justifiée des moyens publics.

Pour remplir ces fonctions, l’État peut intervenir en utilisant différents leviers, tels que l’édiction de règles, l’emploi de la force, la prestation de services (directement ou par l’achat de prestations à des opérateurs privés), l’allocation de ressources [77] , ou encore la redistribution. Il est également amené à évaluer, contrôler et faire de la prospective.

Mais il est un moyen d’action encore trop limité et relativement récent pour les entités publiques, historiquement plus tournées en France vers la décision unilatérale ou la tutelle : l’animation-coordination . Elle consiste à ne plus imposer en première intention, mais à faire émerger par la réunion des parties prenantes les solutions et décisions conformes aux objectifs collectifs. Il s’agit d’inciter les acteurs à analyser ensemble les données d’une question et à trouver les solutions les plus adaptées. C’est un levier moderne, efficace et adapté aux caractéristiques de la société actuelle. Mais il prend plus de temps, il nécessite un état d’esprit adapté et requiert un savoir-faire qui n’est pas encore diffusé largement au sein des services de l’État. Il permet aux secteurs publics et privés de mieux se comprendre et de travailler autrement que par injonctions ou commandes publiques. L’État peut également amener les industriels d’un secteur à concevoir ensemble certains produits ou services, la puissance publique s’engageant à « solvabiliser » l’offre ainsi créée par ses achats.

Proposition n°13 : Renforcer les actions de l’État en matière d’impulsion/animation/coordination au détriment des actions de tutelle/réglementation.

UN ACCES LIBRE ET GRATUIT DES USAGERS AUX DONNEES PAYEES PAR LE CONTRIBUABLE

Dans les administrations et les services publics (comme dans les entreprises ou le tiers secteur), des liens étroits existent désormais entre démarches d’innovation et mobilisation des technologies numériques. Mais l’innovation ainsi permise dépasse considérablement l’aspect technique, au même titre que les réseaux sociaux ou Twitter ne peuvent être réduits à leurs composantes techniques.

L’ouverture des données publiques, axe fort qu’il convient de saluer de la MAP, est sans aucun doute un ferment essentiel d’innovation : les administrations, mais aussi les autres parties prenantes (entreprises, associations, citoyens) doivent pouvoir réutiliser simplement des données produites sur financement du contribuable pour fournir des services innovants à une palette infinie d’usagers. Les exemples étrangers (Etats-Unis, Danemark sur les données géographiques ou météorologiques) ont montré qu’au-delà de la multiplication des services proposés, l’impact économique et budgétaire était favorable, les rentrées fiscales supplémentaires liées à l’augmentation de l’activité étant supérieures aux pertes dues à l’arrêt de la vente des données par les administrations concernées.

L’ordonnance du 6 juin 2005, qui a modifié la loi « CADA » de juillet 1978 avait ouvert la voie à une réutilisation large des données publiques communicables. Mais la nouvelle rédaction par cette même ordonnance de l’article 15 de la loi a simultanément bridé cette avancée en prévoyant la possibilité pour l’administration de récupérer une redevance qui, au-delà des frais de mise à disposition, peuvent inclure les frais de collecte et de production des informations, ainsi que la possibilité de prévoir «  une rémunération raisonnable de ses investissements comprenant, le cas échéant, une part au titre des droits de propriétés  ». La dynamique d’ouverture était brisée dans l’œuf, et rien ne s’est passé jusqu’à la politique d’ OpenData lancée en 2012 par le gouvernement actuel. Pour aider ce mouvement, l’affirmation claire dans la loi que toute information financée par le contribuable doit être mise à disposition gratuitement (les coûts de mise à disposition étant aujourd’hui réduits) serait de nature à permettre une réelle et large innovation .

La diffusion large des informations aux citoyens , comme c’est fait par exemple avec la mise en ligne systématique des résultats d’analyse des eaux destinées à la consommation humaine issue des captages publics, ou comme le fait la Grande-Bretagne pour les performances médicales des établissements de santé, permet également aux citoyens/entreprises/associations de se comporter en « utilisateurs avisés » et de décider d’actions de nature à influencer les gestionnaires du service (vote, choix d’un autre prestataire, alerte médiatique, etc.). Ce « rétro-contrôle », pour désagréable qu’il puisse être pour les administrations, n’en est pas moins un puissant levier d’amélioration du service et de lien positif entre usagers et services publics.

Le rapport [78] sur l’ouverture des données publiques remis au Premier ministre début novembre 2013 conforte cette analyse : 27 redevances ont rapporté 35 M€ à l’État en 2012, dont 10 M€ pour l’INSEE et autant pour l’IGN [79] , et 4 M€ pour le ministère de l’Intérieur. Les 14 redevances les plus petites ont rapporté moins de 1,75 M€. En outre, près de 15 % des montants sont acquittés par des administrations ! Ce rapport montre que les avantages socio-économiques d’une ouverture (i.e. gratuité) des données publiques sont sans commune mesure avec les sommes récupérées : l’ouverture du Référentiel grande échelle (RGE) de l’IGN a induit un bénéfice social estimé à 114 M€, pour un manque à gagner de 6 M€ de redevances. Et la Grande-Bretagne, en avance sur ce sujet de l’ouverture des données, a estimé les bénéfices induits pour la société britannique à 7,9 Md€ pour 2010 et 2011, dont 5,8 Md€ de bénéfices sociaux.

Proposition n°14 : Continuer et amplifier la politique d’ouverture des données publiques.

FAVORISER LA PRODUCTION CROISEE (« CROWDSOURCING »)

La production croisée (« crowdsourcing ») est une autre innovation constatée dans la société, que l’administration doit intégrer et favoriser . Le principe repose sur la transmission volontaire par tout un chacun d’informations dont il a connaissance. L’exemple le plus connu est Wikipedia, mais OpenStreetMap constitue un autre exemple dans le champ des informations géo-référencées, domaine où les potentialités de services à forte valeur ajoutée sont immenses et où les producteurs de données utiles, notamment publiques avec les collectivités territoriales, sont très nombreux.

OpenStreetMap

Ce projet est lancé en 2004 par Steve Coast, un jeune Anglais offusqué de ce que l’Ordnance Survey, équivalent britannique de l’Institut Géographique national (IGN), conservait les droits de reproduction des fonds de cartes alors qu’elle est financée en très grande majorité par le contribuable britannique.

Tous les internautes peuvent contribuer à l’enrichissement des fonds de cartes, en ajoutant des tracés référencés par GPS ou des points d’intérêts (nom des voies, largeurs, nature du revêtement, sens unique, feux tricolores, passages pour piétons, dispositifs pour personnes handicapées, etc.). Les données sont centralisées et restituées sous forme de cartes présentant tout ou partie des strates d’informations.

Fort de 400 000 contributeurs en 2013, OpenStreetMap est très développé dans certains pays (GB, Allemagne, Etats-Unis, France, Canada, Australie). Il constitue souvent le site de géo-référencement le plus riche, devant GoogleMap ou les sites officiels.

Les données sont disponibles gratuitement sous licence Open Database License (ODbL).

(Source : Wikipedia).

Les administrations pourraient faire des économies très substantielles en s’appuyant sur le crowdsourcing, pour lequel l’expérience a montré que les critiques initiales sur la fiabilité des données étaient infondées : si les informations rentrées par les volontaires (individus ou entreprises) peuvent effectivement être erronées, c’est dans des proportions tout à fait limitées et avec une mise en évidence le plus souvent très rapide. L’hétérogénéité dans la « profondeur » des données est également une critique peu convaincante eu égard à la richesse collective ainsi créée. En termes de valeur ajoutée produite et de risques encourus, le crowdsourcing constitue sans conteste une piste tout à fait prometteuse dans de nombreux champs.

Proposition n°15 : Lancer des initiatives de production collective (« crowdsourcing ») dans le domaine public en substitution ou en complément des données produites par les administrations elles-mêmes.

Une forme particulière du crowdsourcing a été testée avec succès aux Etats-Unis avec challenge.gov ( http://challenge.gov ). Le gouvernement américain ou une de ses agences soumet un problème auquel il/elle est confronté(e). Les citoyens et entreprises qui le souhaitent peuvent relayer le problème autour d’eux et proposer des solutions dans un calendrier fixé au préalable. Ces défis peuvent se présenter sous formes de concours d’applications (informatiques). De même, des prix ou une reconnaissance honorifique peuvent récompenser les meilleures propositions. 260 « challenges » ont été proposés en trois ans. Les sujets vont des moyens d’aider les patients atteints d’un cancer après leur traitement aigu aux évolutions à prévoir dans la formation des jeunes étudiants en STEM (science, technology, engineering and mathematics) en passant par le développement d’applications favorisant les économies d’énergie des voitures à partir des données produites en continu (vitesse, température, consommation, etc.). La simple lecture des « challenges » ouvre des horizons, et la méthode en elle-même est porteuse d’une meilleure compréhension entre administration et public, d’un lien social renforcé et d’un débat public renouvelé.

L’équivalent du projet challenge.gov devrait être lancé sans tarder dans notre pays .

Proposition n°16 : Lancer en France l’équivalent du projet « challenge.gov »

Au global, le rôle de l’État doit profondément évoluer : s’il doit garder ses prérogatives régaliennes historiques (dans une acception limitative : tout n’est pas régalien) et de « stratège », il doit se donner les moyens de devenir un « manager » de la Nation : impulser, soutenir, former, coordonner, informer les autres acteurs, en un mot faire en sorte que chacun à sa place donne le meilleur de lui-même et puisse concrétiser autant que possible ses souhaits en fonction de ses potentialités. L’évolution du rôle et du fonctionnement de l’État devrait être appréciée à l’occasion de chaque réforme par des tests : un test de simplicité et un test de simplification. Le SGMAP a instauré des « tests PME » pour que des petites entreprises puissent évaluer l’impact d’une réforme avant sa mise en œuvre. Les tests de simplicité et de modernisation procèdent de la même approche : tout projet de réforme devrait être soumis dans ses effets réels aux entités destinataires (personnes, entreprises, associations, acteurs publics, etc..) pour évaluation ex ante. L’évaluation doit se faire sur la base d’un test en réel et non sur une simple idée, de sorte que les évaluateurs puissent se rendre compte de l’ensemble des conséquences induites par la réforme. Ils devraient indiquer si le projet est favorable en termes de simplicité pour l’utilisateur, et s’il est porteur d’une modernisation favorable.

Proposition n°17 : Systématiser avant toute nouvelle mesure, à l’instar du test PME, des tests de simplicité et de modernisation de l’action publique dans des conditions réelles auprès des destinataires desdites mesures et auprès des agents chargés de les appliquer.

PARTIE III

« Comment réformer ? », une question aussi importante que « quoi faire ? »

Comme il a été vu précédemment, de nombreux rapports se sont penchés sur la question de la réforme de l’État et, plus largement, de la modernisation de l’action publique. La plupart des bonnes idées ont déjà été émises par les uns ou les autres, certaines ont été mises en œuvre et pourtant la situation a très insuffisamment évolué. C’est souvent sur la manière d’aborder ces sujets, d’engager les réformes ou de les conduire que le bât blesse, induisant l’affirmation que le pays et plus encore son administration ne sont pas réformables. S’il est nécessaire de bien définir l’objectif à atteindre, il est tout aussi important de peaufiner la méthode pour y arriver .

Tout d’abord, sachant que tout changement d’une certaine importance induit des réactions négatives, la réussite résulte de ce qu’à tous les niveaux les forces favorables au changement l’emportent sur celles qui s’y opposent. La première préoccupation est donc de s’assurer que les conditions sont réunies pour que ce soit le cas aux différentes strates administratives. En plus des quelques préconisations de la partie précédente (notamment l’analyse des risques, notamment à travers l’analyse de la valeur), cinq aspects seront évoqués ici : la gouvernance de cette politique, la stratégie, l’organisation administrative, quelques éléments sur la méthode opérationnelle, et enfin les outils.

Une gouvernance déterminée, structurée et partenariale

UNE IMPLICATION POLITIQUE FORTE, AU DEMARRAGE ET DANS LA DUREE

Depuis une vingtaine d’années, tous les gouvernements se sont à un moment ou à un autre penchés sur le sujet de la réforme de l’État. Les chefs d’État eux-mêmes se sont impliqués à compter de Jacques Chirac, et la réunion ministérielle sur la simplification des normes présidée par François Hollande le 14 mai 2013 montre un engagement sans équivoque. Il faut le saluer, comme il faut saluer l’implication forte du Premier ministre via les CIMAP.

Cette volonté politique forte au niveau de la tête de l’exécutif est nécessaire, au démarrage mais aussi dans la durée. Il faut à cet égard espérer que la seconde partie du quinquennat (2015–2017) persévérera dans cette ambition réformatrice, car tout signe de ralentissement ou de prudence dans la perspective de 2017 induirait immédiatement une exacerbation des opposants de tous poils au changement, persuadés que le pouvoir politique « calerait » pour ne pas obérer ses chances de réélection. Or, les exemples étrangers montrent que les électeurs ne pénalisent pas les gouvernements qui ont été constants en matière de réformes, et à l’inverse la « pause » du Gouvernement Jospin en 2000–2001 a débouché sur le résultat qu’on sait .

Pour éviter la tentation d’une telle pause, il faut installer ces sujets au centre du débat public, de sorte que les citoyens soient conscients des enjeux, des solutions proposées par les uns et les autres et au final s’approprient la nécessité d’une vraie transformation. La séquence de l’automne 2012 avec le rapport Gallois sur la compétitivité est une bonne illustration d’un tel mécanisme : avant ce rapport et les échanges nourris qui l’ont entourés, le concept de compétitivité était loin des préoccupations de la très grande majorité des Français. Aujourd’hui, même si peu d’entre eux en saisissent l’ensemble des tenants et des aboutissants, tous en comprennent les enjeux, même si les réponses prônées par les uns et par les autres diffèrent : la réforme est possible et peut être portée politiquement.

Proposition n°18 : Installer le sujet de l’action publique et de sa modernisation au centre du débat public.

Il a été rappelé dans la première partie que les ministres ont à titre personnel peu ou pas intérêt à impulser dans leur champ des réformes ambitieuses de l’action publique. Même s’il est encore trop tôt pour porter une appréciation définitive, les mesures annoncées au titre de la MAP depuis décembre 2012 et les politiques publiques évaluées dans le cadre des EPP (évaluation des politiques publiques) sont sur ce point assez éclairantes : les sujets abordés sont mineurs, les politiques ministérielles évaluées sont de second plan, tandis que les sujets centraux sont laissés dans l’ombre, ou sont traités dans un cadre qui n’est pas, volontairement, celui de la MAP. La MAP se trouve de facto assimilée à une liste à la Prévert de « mesurettes » ou de mesures gadget, alors que les « vraies » réformes se déroulent ailleurs. Sa préoccupation principale ressort de plus en plus comme une recherche de réduction des effectifs de la fonction publique, et en premier lieu de l’État et de ses opérateurs. Ceci est évidemment néfaste, car, malgré une communication convaincante, les agents publics comme les citoyens et les entreprises ne vont pas ressentir de changement significatif : la crédibilité du Président de la République en sortira affaiblie, les transformations nécessaires resteront à faire et la France aura augmenté son retard.

Il convient donc d’impliquer les ministres, pour éviter la « perte en ligne » de l’énergie réformatrice du Président de la République et du Premier ministre.

Solutions possibles pour une implication forte des ministres dans la réforme

Trois modalités, non exclusives, sont envisageables :

1) Évaluer chaque ministre au regard de sa capacité à relayer au sein de son département ministériel la volonté présidentielle et gouvernementale de moderniser l’action publique. Elle est souhaitable mais jusqu’à présent peu opérante : la reconduction à un poste ministériel dépend très peu des qualités de son titulaire dans ses fonctions de ministre ;

2) Conditionner la nomination en tant que ministre à un accord sur la démarche réformatrice : c’est également souhaitable, et même indispensable pour des évolutions institutionnelles symboliques (ex : transferts de la direction du Budget, de direction de la législation fiscale et de la gestion du corps préfectoral à Matignon) qui peuvent se traduire immédiatement dans le décret d’attribution du ministre. Mais, au-delà de ces aspects institutionnels, c’est peu efficace dans l’exercice des fonctions au fil du temps, la révocation d’un ministre étant une décision lourde et inenvisageable pour le seul motif d’un faible empressement à conduire des réformes ;

3) Favoriser les ministres actifs en matière de réforme de l’action publique. Sans exclure les deux précédentes, c’est sans doute la plus praticable. Elle consiste à favoriser dans les différents arbitrages (budgétaires ou « métiers ») les ministères qui ont démontré un véritable engagement et des résultats tangibles en termes de MAP. La difficulté de mise en application est alors double : d’une part le poids politique du ministre reste un facteur important de l’arbitrage, quoi qu’on en pense, et d’autre part les conseillers du cabinet du Premier ministre auront du mal à proposer une forme de sanction pour mollesse réformatrice du ministère qu’ils suivent, dont ils proviennent le plus souvent, et avec lequel ils travaillent au quotidien.

Seule une posture personnelle ferme du Premier ministre, en accord avec le Président de la République, peut permettre de dépasser ces obstacles.

Une telle implication est favorisée par la constitution de « paquets » de réformes constitués d’un assortiment de mesures à mise en œuvre rapide et à forte visibilité et de mesures de longue haleine ou plus difficiles : le ou la ministre pourra ainsi se prévaloir des résultats des premières et du lancement des secondes.

Proposition n°19 : Concevoir des réformes de l’action publique qui rassemblent des mesures de court terme et des actions de longue haleine.

Enfin, chaque fois que possible, et en particulier pour les réformes lourdes dont la durée dépasse une (voire deux) législature(s), il est souhaitable de construire un consensus qui dépasse les clivages politiques , pour que la réforme traverse le temps politique. Ce n’est clairement pas dans la tradition française, mais quelques exemples existent, qui ont réussi. Le plus emblématique est celui de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), préparée par deux parlementaires de bord opposé (Alain Lambert et Didier Migaud), sous la gauche à la fin des années 90, et adoptée (à l’unanimité) puis mise en œuvre par la droite. De même pour la fusion des réseaux des services fiscaux (direction générale des impôts et direction générale de la comptabilité publique) en une direction unique (direction générale des finances publiques). Une telle approche n’est évidemment pas possible partout, mais le domaine de la MAP est sans doute l’un de ceux qui se prête le mieux à un dépassement des positions partisanes, le simple bon sens permettant à la part consensuelle de l’emporter de beaucoup sur les clivages. Le récent rapport Lambert-Boulard pour une simplification des normes touchant aux collectivités locales en est une illustration, les deux auteurs appartenant à deux bords politiques différents mais se retrouvant sur des constats et les solutions de bon sens qui en découlent.

Proposition n°20 : Faire élaborer puis porter, autant que faire se peut, les réformes lourdes par des parlementaires de bords politiques différents.

LA NECESSAIRE ASSOCIATION DES PARTIES PRENANTES A LA GOUVERNANCE DE LA REFORME

En amont des décisions, l’association large des parties prenantes lors de la conception permet de préparer de meilleures décisions, de les légitimer et d’en favoriser l’acceptation. Si le principe de la concertation fait l’unanimité, elle se résume le plus souvent en des consultations assez formelle, les administrations travaillant en parallèle sur les projets de texte : la concertation est avant tout un faire valoir, mais les orientations et les décisions sont préparées dans un cénacle limité et très administratif. Du coup, l’action des lobbies est d’autant plus importante : en amont des annonces, par des interventions non publiques auprès des administrations, puis par des actions publiques une fois les décisions annoncées, avec un battage médiatique d’autant plus fort que le groupe de pression n’aura pas été reçu dans la phase préalable. Au final, la préparation traditionnelle, très administrative, accentue les clivages et favorise les tensions autour d’un sujet. Á l’inverse, une réelle concertation, en amont et approfondie, permet de recenser les réels points de divergences entre les acteurs, d’analyser ceux qui touchent au fond ou relèvent de simples postures, de tester différentes options susceptibles de parvenir à un accord, et enfin de sensibiliser l’opinion sur les enjeux, de sorte que les décisions finales soient comprises et acceptées quand bien même elles ne satisfont pas tout le monde. Ce modèle, pratiqué de longue date dans les pays d’Europe du Nord, n’est clairement pas dans la tradition administrative française : dans notre culture, l’administration, et notamment ses élites, sait ce qui est bien pour la société, et sa volonté d’indépendance face aux acteurs impliqués lui fait privilégier le travail en chambre et les consultations plutôt que la concertation. Des avancées sont néanmoins perceptibles, qu’il faut intensifier et systématiser.

La gouvernance du Grenelle constitue à ce titre un modèle intéressant, qui a associé toutes les parties prenantes : Parlement, collectivités territoriales, associations, syndicats, industrie. L’exécutif (et notamment l’État central) n’est ainsi pas seul pour instruire et préparer les décisions/réformes. Pour autant, il n’abdique pas ses responsabilités, d’abord en assurant les fonctions de secrétariat des groupes de travail et des réunions plénières, ensuite en assumant au final son pouvoir de décision finale, qu’il conserve. Plus récemment, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive ou le débat public sur la transition énergétique forment d’autres exemples réussis d’une telle association large des parties prenantes, même sur des sujets particulièrement sensibles et même si le MEDEF n’a accepté qu’un constat sur la transition énergétique.

Une telle implication des acteurs extérieurs à l’État est encore plus nécessaire pour la modernisation de l’action publique, car une administration est rarement capable de se réformer elle-même et pourra très difficilement concevoir d’autres modèles d’intervention . Elle doit être confrontée aux attentes/critiques des autres parties prenantes pour que soient imaginées de nouvelles réponses en termes d’action publique.

Une alternative à une gouvernance de type Grenelle pourrait passer par un comité composé de représentants du Parlement et du Conseil économique et social environnemental (CESE). Dans cette hypothèse, plus légère que la précédente, la place des parties prenantes et de l’exécutif devrait être précisée.

Il convient toutefois d’être vigilant sur un risque lié à la concertation, consistant à produire un texte lénifiant et verbeux agrégeant les demandes de tous les acteurs pour ne mécontenter personne ou se contentant de grandes envolées évidemment consensuelles mais sans traduction concrète. C’est encore souvent le cas dans des plans nationaux ou régionaux pilotés par l’État. L’objectif de clarté et d’opérationnalité doit primer sur le consensus à tout prix.

Proposition n°21 : Impliquer systématiquement les parties prenantes à toutes les étapes d’une réforme, et notamment dans sa gouvernance.

Du côté des collectivités territoriales, leurs grandes associations (AMF [80] , ADF [81] , ARF [82] , AMGVF [83] , etc.) ne jouent pas le rôle qu’elles devraient , qui consiste à développer une réflexion en propre, alimentée par les idées et les réalisations que certaines collectivités ont portées. Elles pourraient également favoriser la diffusion des méthodes et des projets innovants testés avec succès au niveau local . Á titre d’exemple, le projet Gigalis de la région des Pays-de-la-Loire pour équiper en quelques années à faible coût public tout son territoire d’une offre internet à haut débit [84] aurait pu être largement relayé et disséminé via l’ARF. L’élaboration de doctrines communes et de partages d’expérience manquent cruellement, les différentes collectivités restant encore trop dans une vision « verticale », focalisées sur leurs relations avec l’État ou l’Europe d’un côté et vers les collectivités de l’échelon inférieur de leur territoire de l’autre côté.

Gigalis

Gigalis est le réseau régional public de télécommunication à très haut débit, mis en œuvre, depuis 2008, sur une initiative du Conseil régional des Pays de la Loire visant l’objectif d’assurer aux acteurs locaux publics et privés, l’accès aux offres du très haut débit à des niveaux de services et de prix attractifs, analogues à ceux rencontrés dans les plus grandes villes européennes.

La mise en œuvre et l’exploitation du réseau ont été confiées au syndicat mixte (dit syndicat mixte Gigalis, éponyme du réseau) fédérant avec la région, son financeur, d’autres collectivités et établissements (des conseils généraux, des villes et EPCI, la Chambre régionale de commerce et d’industrie, le Pôle Régional de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, les hôpitaux…). Pour ce faire, Gigalis a acquis des fibres longues distances entre les villes auprès d’opérateurs (Covage, Cofiroute…) et réalise en propre les artères complémentaires aux réseaux et infrastructures de génie civil existants pouvant être réutilisés.

Un ensemble de services dont la visioconférence, et la téléphonie IP complète l’offre de raccordement et d’accès internet.

A fin 2012, Gigalis compte plus 1 230 sites raccordés, toutes technologies confondues (fibres, sdsl, adsl…), dont 230 raccordements sur des fibres optiques. L’apport de Gigalis est essentiel pour les établissements publics et communautés d’intérêt général dont ceux de la santé, de l’enseignement supérieur et de la Recherche (accédant ainsi à RENATER [85] ), des lycées, … Les développements géographiques du réseau tendent à répondre aux exigences de mise en réseau de ces établissements, qui représentent bien une part très importante de l’activité du réseau (on compte 260 sites de santé raccordés toutes technologies confondues, dont une cinquantaine sur liens en fibres optiques ; une cinquante de lycées…).

Dans le champ concurrentiel privé, Gigalis se positionne en qualité d’opérateur d’opérateurs et commercialise le réseau :

– aux opérateurs (régionaux ou même nationaux), qui s’appuient sur ces fibres pour notamment construire leur réseau de téléphonie mobile de 4ème génération, ou renforcer le réseau de distribution vers leurs clients entreprises ;

– aux entreprises du secteur de l’informatique et des réseaux (SSII…) et hébergeurs qui peuvent s’appuyer sur les capacités du réseau régional pour leurs propres besoins de développement et collecter leurs clients. Gigalis dessert ainsi, pour le compte de ces opérateurs locaux, un certain nombre de sites entreprises, qui accèdent donc à des solutions télécom adaptées en termes de débits, de fibres noires, de fibres intersites, ou liens à faible latence pour la mise en place par exemple de plans de reprises ou de continuité d’activités (PRA ou PCA) etc.

Par ailleurs de nouveaux enjeux apparaissent. Gigalis a entamé la réflexion, avec les acteurs économiques locaux, à deux niveaux :

1) l’instauration d’une « place de marché ou point d’échange de l’Internet (« GIX NAP ) » : il s’agit de mettre en place les équipements visant à faciliter l’interconnexion entre eux des acteurs régionaux présents sur les différents réseaux infra régionaux en Pays de la Loire, et permettre des « échanges » de prestations entre acteurs régionaux (achat de l’un à l’autre ou mise en relation des clients, …) pour accroitre l’offre de service globale. Cela offrira également des possibilités d’achat de transit internet, localement, à un opérateur présent sur un nœud (à Nantes), ouvrant ainsi la voie à une baisse des coûts de transit de l’internet puisque évitant un transport vers les GIX parisiens ;

2) le développement des pratiques du « Cloud Computing » : il s’agit de distribuer l’hébergement des données informatiques sur un ensemble de serveurs géographiquement répartis. L’enjeu est de permettre aux acteurs locaux de l’hébergement de résister aux offres internationales (Amazon, Google, Apple, IBM…), par une organisation en réseau, de capter de la valeur en région, et d’offrir des espaces de développement aux entreprises innovantes, mais aussi de répondre aux problématiques de sécurisation et confidentialité des données publiques et industrielles hébergées (Patriot Act américains) et de performance.

Proposition n°22  : Mettre en place, à destination des collectivités territoriales et via leurs grandes associations (AMF, ADF, ARF, etc.), des partages d’expérience et la mise à disposition de bonnes pratiques.

UN RESEAU D’ACTEURS DE MODERNISATION A RENFORCER ET STRUCTURER

Seules des structures dédiées, dotées d’hommes compétents en matière de transformation (stratégie, processus, ressources humaines, accompagnement, outils) et dont c’est la tâche exclusive ou a minima essentielle, peuvent réussir une telle mission. Celle-ci doit être celle de construire la transformation et de remonter, le cas échéant, les demandes d’arbitrage au niveau politique (chef de l’exécutif local, ministre ou Premier ministre).

Pour ce qui concerne l’État , le réseau pour porter la réforme de l’action publique est en place. Au niveau politique, outre les conseillers à l’Élysée et à Matignon, il y a un référent MAP dans chaque cabinet ministériel. Mais c’est en général le conseiller budgétaire, ce qui présente un double inconvénient : d’une part il est accaparé par les questions budgétaires, ce qui lui laisse peu de disponibilités pour assurer les impulsions et le suivi dans la durée des instructions propres à la MAP, et, d’autre part, sa vision des sujets sera d’abord budgétaire, favorisant ainsi les dérives constatées du temps de la RGPP et perceptible avec la MAP de sélectionner les mesures avant tout en fonction de leur impact sur la dépense publique.

Au niveau administratif , la création du SGMAP en octobre 2012 a été une initiative heureuse. Son positionnement dans les services du Premier ministre auprès du SGG [86] est pertinent, comme est pertinent le fait de lui avoir confié la haute main sur les systèmes d’information via la DISIC [87] , et sur les données publiques via Etalab. La réintégration de la DGME, renommée DIMAP [88] , à Matignon dans le giron du SGMAP doit être également saluée. La gouvernance centrale de la modernisation de l’action publique est donc sur de bonnes bases, même si quelques ajustements restent encore à faire :

La DGAFP [89] devrait entrer dans le périmètre du SGMAP. En effet, la modernisation de l’action publique nécessite des évolutions du cadre de gestion des fonctions publiques et des discussions avec les partenaires sociaux sur les modalités des réformes. Ces aspects conditionnent fortement la réussite des réformes, et l’implication de la DGAFP serait d’autant plus étroite qu’elle serait placée sous l’égide du SGMAP. Á ce titre, la création d’un ministère rassemblant la fonction publique, la réforme de l’État et la décentralisation était judicieuse. Malheureusement, après quelques mois de mandats, il est vite ressorti que les trois sujets étaient traités de manière séparée ;

La répartition des rôles entre le SGMAP et la DIMAP devrait être clarifiée. Il est peu compréhensible qu’une direction ait le même intitulé (MAP) que l’entité qui la chapeaute, et donc a priori les mêmes missions. En outre, cela induit implicitement que les autres entités dépendant du SGMAP sont quantités négligeables. La confusion est renforcée par le fait que le Secrétaire Général du SGMAP est en même temps le directeur de la DIMAP. Il serait sans doute opportun de distinguer officiellement d’une part le pilotage d’ensemble et l’animation du réseau des secrétaires généraux des ministères, relevant du SGMAP, et d’autre part le soutien méthodologique et le portage d’un certain nombre de projets, qui relèveraient de la DIMAP, si possible baptisée d’un autre nom ;

Enfin, les effectifs actuels de la DIMAP et de la DISIC sont clairement insuffisants pour pouvoir tenir le choc face à une réelle montée en charge des réformes. Il n’est pas de bon ton dans ces temps de disette budgétaire de préconiser un renforcement des effectifs d’une structure, mais il serait tout à fait contre-productif, en termes budgétaires de court et moyen termes, de ne pas donner à la DIMAP les moyens lui permettant d’assurer convenablement ses missions.

Proposition n°23 : Faire entrer la DGAFP dans le champ du SGMAP
– mieux distinguer les missions du SGMAP et de la DIMAP
– renforcer les moyens de la DIMAP et de la DISIC.

Á l’échelon ministériel , les secrétaires généraux ont été désignés à juste titre comme les animateurs et les coordinateurs de la MAP au sein des ministères. Leur positionnement transversal leur permet d’avoir le recul nécessaire pour comprendre les administrations centrales sans être prisonniers des détails techniques, des habitudes et des cultures des différentes directions. Pour autant, les secrétaires généraux ont été constitués au départ pour assurer une fonction d’animation des directions des ministères. Á ce titre, ils assurent le lien entre les administrations centrales et les services déconcentrés de l’État, avec un rôle de plate-forme d’échange d’informations montantes et descendantes doublé d’un rôle d’alerte et de conciliateur/facilitateur entre les différents services. Mais, du coup, ils ont rarement en leur sein des porteurs de projet et des spécialistes de la modernisation . Ils ont donc un double handicap pour porter une politique de modernisation conforme à des objectifs ambitieux : leur légitimité institutionnelle vis-à-vis des directions « métiers » est faible au lancement, et elle est encore affaiblie par les limites de leur capacité opérationnelle de pilotage de projet, en nombre et en compétences. Dans nombre de secrétariat généraux, une équipe réduite à moins de trois personnes est chargée du « pilotage » de la MAP. Leur action se limite souvent, par la force des choses, à assister aux réunions interministérielles (RIM) d’arbitrage et à constituer et tenir à jour les tableaux de bord rassemblant les actions remontées des directions. L’impulsion et la coordination s’en trouvent la plupart du temps réduites à la portion congrue, et les actions proposées sont issues des « fonds de tiroirs » des directions, « recolorées » au sigle du moment (RGPP dans les années précédentes, MAP depuis la fin 2012). En tout état de cause, ce contexte ne favorise pas la remise en cause des pratiques et l’innovation.

Pour éviter que l’impulsion politique ne se perde dans les sables de l’administration centrale, il convient donc de confier officiellement et systématiquement aux secrétaires généraux des ministères la mission de réinterroger au fond les politiques publiques et leurs modalités de mise en œuvre. Ils devront être comptables des résultats, au même titre que les directions métiers. Au-delà des forces existantes dévolues à l’animation des réseaux, ils devront être renforcés des cellules « innovation » mentionnées précédemment et de chefs de projet pour porter les actions de modernisation.

Proposition n°24 : Confier aux secrétaires généraux des ministères la mission de réinterroger au fond les politiques publiques et leurs modalités de mise en œuvre, en les rendant comptables des résultats, au même titre que les directions métiers.

Au niveau des services déconcentrés de l’État et des opérateurs , des équipes « MAP » doivent être désignées et servir de correspondants aux secrétariats généraux. Fortes de quelques personnes, ce seront le plus souvent et naturellement les entités chargées des méthodes, de la qualité ou du contrôle interne. Elles doivent référer directement au préfet ou à son équivalent (recteur, directeur d’ARS, etc.).

Proposition n°25 : Désigner des correspondants MAP au sein des services déconcentrés de l’État et de ses opérateurs.

Les grandes collectivités territoriales devraient également se doter de cellules d’innovation , rattachées directement au directeur général des services (DGS). Ces cellules seraient en relation avec leurs correspondants des autres entités publiques au niveau local, ainsi qu’avec les équipes des associations de collectivités (AMF, ADF, ARF, etc.) chargées de ces sujets pour le niveau national.

Une stratégie claire appuyée sur un calendrier réaliste

DISPOSER D’UNE STRATEGIE CLAIRE, LISIBLE, EXPLIQUEE ET PARTAGEE EST UN PREALABLE AU SUCCES

Toute transformation est anxiogène, et de ce fait induit des peurs et des résistances, tant du côté des agents publics que de celui des citoyens. Seuls l’espoir et l’envie d’une amélioration de sa propre situation sont de nature à permettre de dépasser ces freins. Ils requièrent une bonne compréhension de ce qui est proposé et du cadre dans lequel cela s’inscrit. Comme l’indique Yannick Moreau dans son rapport sur la création d’un Commissariat général à la stratégie et à la prospective [90] , il convient de disposer d’une vision large et partagée de la société à construire, et en afficher les principales lignes de force. Cet affichage aura valeur pédagogique, et les lignes de force orienteront les arbitrages entre politiques publiques, mais aussi au sein d’une même politique publique [91] . La politique de modernisation pourra s’appuyer sur ce socle pour définir ses propres actions.

Quelques axes émergent, au-delà des invariants que sont la justice et la lutte contre les inégalités :

Une société du tout numérique : c’est une évidence pour les jeunes générations, qui doit irriguer toutes les réflexions. Les conditions de maîtrise des questions de sécurité et d’éthique liées à l’utilisation grandissante des TIC doivent être traitées concomitamment ;

L’intégration européenne : indispensable, elle pourra se faire dans un périmètre limité à quelques pays autour de l’Allemagne et la France. Elle inclura notamment une convergence fiscale et sociale ;

la relocalisation de l’emploi et des activités : cela renvoie à la recherche d’un meilleur ancrage local chaque fois que possible, afin de recréer de l’activité économique locale, des filières courtes, du lien social et un aménagement du territoire plus homogène ;

la transition énergétique : le développement des alternatives aux énergies fossiles et au nucléaire se conjuguera avec une société moins énergivore (logements, transports) ;

la jeunesse : elle constitue l’avenir du pays, et doit être traitée comme tel ;

la santé : préoccupation essentielle, qui ne doit pas être confondue avec les soins [92] .

Proposition n°26 : Définir et rendre publique la vision proposée à long terme pour la société, qui mentionne les quelques axes qui serviront aux arbitrages entre politiques publiques et au sein des politiques publiques.

Á partir de cette vision large, de cette « stratégie vue de Sirius » qui devrait être élaborée sous l’égide du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, les stratégies sectorielles peuvent et doivent être déclinées. Là également, pour pouvoir adhérer et œuvrer à la réussite des réformes correspondantes, les acteurs doivent savoir ce qui va être fait, en comprendre les orientations et les justifications, et disposer des grands jalons de la mise en œuvre. Cette « urbanisation » globale et la publicité qui doit être associée permettent ainsi à chaque partie prenante (administration porteuse, autres administrations, industriels offreurs de produits ou services associés, associations, usagers, etc.) de définir sa propre stratégie et d’engager les actions qui en résultent : investissements immédiats ou différés dans l’attente de certains livrables, fédération d’acteurs pour proposer des outils/services en relation avec les annonces, adaptation des organisations, etc.

Ces stratégies sectorielles sont la plupart du temps non formalisées, et donc de fait inexistantes.

Extraits de l’audition de M. Sébastien Roché, directeur de recherche au CNRS par la mission de l’Assemblée nationale d’information sur la lutte contre l’insécurité sur tout le territoire (mardi 12 novembre 2013)

1) La France n’a pas de politique de sécurité intérieure :

Le dernier livre blanc date de 2006, et n’a aucune stratégie, il n’est qu’une collection de recettes à appliquer localement. On confond la sécurité intérieure et la police. La police n’est pas la sécurité. Du coup, on demande à la police ce qu’elle ne peut pas faire.

2) La France n’a pas de politique policière, n’a pas de doctrine policière :

La dernière et la seule doctrine de police, c’est la police de proximité, issue des discussions entre 1995 et 1998. Depuis, la seule doctrine de fait est « plus d’effectifs, plus de caméras, plus de voitures », c’est-à-dire plus de ce qui ne marche pas, comme si pour améliorer une usine qui construite des Trabant on devait en augmenter la taille et les effectifs.

3) La France n’a aucun outil d’évaluation des impacts des décisions prises par le Gouvernement :

Le Parlement et les responsables politiques n’ont aucune information pertinente. Comment considérer que la Gendarmerie est un programme ? C’est une organisation. Les indicateurs donnés au Parlement sont tous faux ou inutiles. Ils ne mesurent pas la performance du service rendu. Seuls le directeur générale de la police nationale, le ministre et peut-être le préfet de police de Paris croient encore aux chiffres.

On a besoin d’une réforme profonde et progressive. Pas pour le principe de réformer, mais parce que le système est, au bout de 50 ans, à bout de souffle, et doit être reconstruit. Une telle réforme prendra plus de 10 ans, et, s’il y a des politiques de gauche et de droite en matière de sécurité, il faut bâtir un nouveau système qui associe les deux bords, pour pouvoir aller au bout.

La seule façon d’arriver à faire changer le système, c’est de couper les crédits, pour que le système soit obligé de changer.

( Source : Assemblée Nationale )

Il en va de même pour les politiques publiques constitutives des stratégies sectorielles, puis pour les différents projets porteurs d’une politique publique : comme dans un jeu de poupées russes, chaque strate doit disposer de documents écrits et publics énonçant les caractéristiques de la stratégie suivie (objectifs, modalités, calendrier, etc.) .

L’existence de ces documents permettra de vérifier la cohérence d’ensemble des différentes strates, tant dans une approche verticale (i.e. les différents projets au sein d’une même politique publique ou d’un même département ministériel) ou dans une approche horizontale (i.e. actions publiques différentes mais impliquant les mêmes acteurs). De tels documents existent rarement à ce jour, et en tout état de cause ne sont ni consolidés ni rendus publics pour être soumis à l’analyse critique des parties prenantes. Du coup, les incohérences, inévitables, sont perçues par les acteurs privés comme une démonstration de l’incompétence de l’Administration, et par les différentes administrations porteuses de projets comme une erreur « des autres », chacun voyant midi à sa porte, ou comme une attaque de tel ou tel lobby (ce qui est parfois vrai…). Au final, cela incite encore plus au cloisonnement des acteurs, à une coopération faible ou inexistante, avec un cercle vicieux préjudiciable à tous.

La rédaction en un même effort de l’ensemble des documents de toutes les strates pour tout le champ de l’action publique est à l’évidence inenvisageable. Une fois définie la stratégie d’ensemble (i.e. les arbitrages correspondant aux axes émergents suggérés ci-dessus), seul le canevas de chaque strate serait défini, charge aux différents départements ministériels de proposer une rédaction pour les politiques publiques dont ils sont chefs de file. Puis la mise en concertation publique serait assurée en lien étroit avec le SGMAP, qui serait en outre chargé de s’assurer de la cohérence verticale et horizontale. Pour « boucler » le dispositif, et éviter des effets d’évitement de la part de certains départements ministériels, aucune réforme d’une certaine importance ne serait acceptée si elle n’a pas satisfait aux conditions précédentes .

Proposition n°27 : Définir, sur la base de la vision d’ensemble, les stratégies sectorielles et les rendre publiques, et décliner chacune d’elle en plans d’actions et en projets, dans une logique de poupées russes dont le SGMAP serait le garant de la cohérence verticale et horizontale.

LE CALENDRIER DES ACTIONS DOIT ETRE REALISTE

La stratégie est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante : c’est à l’issue de la phase de mise en œuvre qu’une réforme est réussie ou ratée. Les modalités de réalisation des réformes doivent donc faire l’objet d’une attention toute particulière. Tout d’abord sur les conditions matérielles : compétences métiers et surtout de conduite de projet, moyens financiers suffisants pour l’adaptation des outils (SI) et des organisations (aspects RH), une communication adaptée à chaque étape (i.e. qui évite les écueils que sont les sur-promesses/effets d’annonce en cas de communication trop précoce, et les craintes liées à un projet « secret » en cas de communication trop limitée ou trop tardive), et enfin un calendrier réaliste, à savoir qui respecte le principe de réalité.

Á cet égard, le calendrier et la communication autour de la MAP appellent des réserves : ils donnent à penser que les décisions des premiers CIMAP, tant dans le champ des simplifications que dans celui des évaluations des politiques publiques, vont participer à la réduction de déficits publics dès l’année 2013. Or, il est évident que les premiers effets possiblement significatifs de ces actions de fond n’interviendront pas avant 2015, et plutôt à compter de 2016. Du coup, la communication gouvernementale devrait être claire sur le sujet : la maîtrise des déficits passera d’ici là par une diminution des dépenses d’intervention des administrations publiques . Cela éviterait la perception qui se développe aujourd’hui d’une dérive de la MAP « à la RGPP », où seul compterait l’impact de la mesure de modernisation en termes de réductions d’emploi ou de baisse des dotations aux services (frais de fonctionnement).

Déficits publics et crédits d’intervention : exemple des routes

Les collectivités publiques dépensent chaque année 16 Md€ pour les routes : 8 Md€ pour l’entretien et 8 Md€ pour les nouvelles voies. La plus grande partie des dépenses est payée par les collectivités territoriales. Ces travaux sont peu « riches » en emploi rapportés aux montants en jeu (i.e. 1 M€ dépensé pour les routes génèrent moins d’emploi qu’1M€ dépensé dans les services ou même le bâtiment).

Pour participer à la réduction des déficits publics, qui mettra immanquablement les collectivités territoriales à contribution, sans induire un effet néfaste sur l’emploi et sur l’activité économique, il pourrait être envisagé de négocier avec les collectivités territoriales une division par deux pendant deux ou trois ans des dépenses sur les routes, et d’affecter les 8 M€ annuels ainsi dégagés à la réduction de la dette publique pour 4 Md€ [93] , l’autre moitié étant affectée par les entités publiques à des dépenses proportionnellement beaucoup plus génératrices d’emplois (bâtiment, soutien/création de pépinières d’entreprises, action sociale, éducation). Une telle orientation permettrait de sortir de la vision mortifère et défensive de la réduction des déficits.

D’autres champs d’intervention pourraient faire l’objet d’approches similaires.

Proposition n°28 : Faire peser l’essentiel des économies budgétaires dans les trois prochaines années sur les dépenses d’intervention, le temps que les réformes de fond ayant un impact sur les dépenses de personnel commencent à produire leurs effets. Á l’inverse, ne pas faire croire que les économies sur les dépenses de personnel seront de nature à régler la question du comblement des déficits publics.

La bonne gestion du calendrier passe aussi par la prise en compte des aspirations des différents acteurs. Pour concilier les objectifs de toute nature, il convient de programmer dans le même temps des actions à retours rapides (« quick wins ») qui permettent d’alimenter le discours politique et de donner une bonne visibilité à l’ensemble de la démarche, et des actions de fond (infrastructures, réorganisations, référentiels, etc.) moins visibles à court terme mais indispensables pour des évolutions plus fondamentales.

Comme pour les documents de stratégie, les calendriers devraient être établis aux différents niveaux , et confrontés de sorte à vérifier la compatibilité dans le temps des différents projets. Cela éviterait bien des désagréments, tels que des retards, des surcoûts ou des solutions « dégradées » par rapport à ce qui eut été possible. Là encore, et malgré les réticences évidentes que cela générera, le SGMAP devrait se voir confier la mission d’auditer les différents calendriers , pour en vérifier la faisabilité, la cohérence interne mais aussi la cohérence et les synergies possibles avec les calendriers des autres acteurs de l’action publique (autres ministères, collectivités territoriales, opérateurs, etc.).

Proposition n°29 : Définir des calendriers réalistes pour les différentes réformes, et les afficher pour permettre aux acteurs publics et privés de prendre leurs propres décisions en connaissance de cause. Confier au SGMAP le soin de s’assurer de la cohérence d’ensemble des différents calendriers.

Une organisation repensée, au-delà de l’évolution des organigrammes

L’organisation administrative actuelle de l’État est fondée sur le principe traditionnel d’administrations centrales qui conçoivent et pilotent les politiques publiques et de services déconcentrés qui, au plus près du terrain, appliquent ces politiques.

Ce modèle est organisé avec une entité nationale plus ou moins resserrée et une multitude d’entités locales. Il est encore pertinent pour les secteurs de la sécurité (police, gendarmerie) de l’éducation ou de la justice, lorsque les agents publics sont au plus près du terrain. Mais il ne l’est plus pour les services plus « administratifs ». En effet, les systèmes d’information permettent aux entités centrales de disposer d’une information riche et détaillée qui ne requiert souvent plus l’intervention d’un niveau intermédiaire. Ces outils informatiques les incitent fortement à intervenir jusque dans la décision locale, court-circuitant les agents locaux. Par ailleurs, les services déconcentrés, situés dans la ville chef-lieu de département ou la ville chef-lieu de région, « n’irriguent » plus les territoires comme avant, notamment du fait de la décentralisation, de la baisse des effectifs, de l’alourdissement de la réglementation et des missions et des exigences croissantes en reporting : s’ils apparaissent proches du terrain vu de Paris, les services déconcentrés de l’État apparaissent proches de Paris vu du terrain . Un phénomène équivalent peut être constaté pour les régions, mais aussi pour les opérateurs nationaux de l’État qui disposent d’implantations locales et pour les organismes sociaux : les implantations locales (i.e. hors de la ville chef-lieu de département) sont progressivement fermées ou mises à la charge des communes .

L’organisation actuelle de l’État date de la Révolution et correspond à un optimum d’efficacité avec les moyens de communication d’alors : un contribuable devait pouvoir aller payer ses impôts ou consulter son dossier fiscal en moins d’une journée à cheval de tout point du département. Du coup, les dossiers fiscaux ont été stockés dans des bureaux fiscaux, avec des agents fiscaux dans des bâtiments fiscaux au sein de cités administratives rassemblant les équivalents pour chaque ministère.

Cette organisation perdure deux siècles plus tard alors que tout a changé, et en particulier les moyens de locomotion et les moyens de communication. Il n’est manifestement plus adapté ni performant à l’heure d’Internet, du téléphone portable et de ce qu’on appelle maintenant « la mobilité ». Or, à l’exception des transferts de compétences liées aux lois de décentralisation, qui se sont traduites par des transferts de services entiers (une large part des DDASS [94] et des DDE [95] ), les réformes successives ont quasi exclusivement touché aux organigrammes. Du coup, l’État a créé des subdivisions ad hoc pour certaines politiques publiques, qui se superposent aux subdivisions historiques. C’est par exemple le cas avec la politique de la Ville, dont les 2493 quartiers, infra-communaux, ne correspondent pas totalement aux zones urbaines sensibles (ZUS) ou aux secteurs d’intervention de l’ANRU [96] [97] . La répartition des compétences entre État et collectivités territoriales est toujours aussi complexe, l’État continuant d’intervenir dans des champs où ses moyens humains et financiers sont maintenant réduits.

La RéATE (réforme de l’administration territoriale de l’État) menée sous la précédente mandature n’a pas remis en cause les fondements de l’organisation mais a procédé à un gigantesque meccano institutionnel : outre la prédominance donnée à l’échelon régional, elle a reconfiguré les services déconcentrés en réduisant d’une quarantaine de services et directions régionales à huit pôles, et en limitant à deux ou trois [98] les services départementaux dépendant directement du préfet (i.e. sans lien direct avec les administrations centrales). Au-delà de cette reconfiguration qui présente tous les aspects d’une réforme en profondeur (bien qu’à côté de ces pôles régionaux directement rattachés au préfet de région subsistent onze entités régionales étatiques indépendantes du préfet et une dizaine de services départementaux), elle n’a jamais reposé les questions principales : quelle est la meilleure organisation en fonction des objectifs de l’État sur chaque politique publique et des caractéristiques des territoires ? Á quoi servent des entités manifestement en dessous du seuil critique en matière de personnel [99]  ? Une telle réflexion reste à mener, même s’il semble difficile d’engager les agents publics des services déconcentrés dans une nouvelle réforme, qui plus est d’ampleur, quelques années seulement après qu’ils aient été fortement déstabilisés par la RéATE, et malgré des résultats relativement décevants à ce stade.

La RéATE vue par la Cour des Comptes [100]

Dans son rapport sur l’organisation territoriale de l’État, la Cour des Comptes, après avoir posé le constat d’une organisation administrative inadaptée et fait des propositions de rationalisation du partage des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, dresse un bilan sur la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE). Ce travail, précis et argumenté, et tout en reconnaissant des avancées, est une critique acerbe de la RéATE dans toutes ses composantes :

– absence de réflexions d’ensemble sur les compétences et l’organisation des services territoriaux de l’État, dans un contexte de réduction des effectifs et en lien avec l’existence d’opérateurs nationaux nombreux. La RéATE n’a en fait concerné qu’environ 100 000 agents, soit environ 10 % des effectifs de l’État territorial, hors enseignants ;

– maintien de la confusion dans la répartition des compétences entre État et collectivités territoriales, et entre services déconcentrés de l’État eux-mêmes ;

– existence de nombreuses entités qui n’ont pas la taille critique pour remplir leurs missions ;

– gouvernance des services déconcentrés à la fois trop pesante (multiplication des instructions et des demandes d’indicateurs) et défaillante (absence d’évaluation de l’action des services territoriaux) ;

– inadaptation des modalités actuelles de gestion (notamment de la structuration des BOP [101] ), des systèmes d’information (historiquement « verticaux » et conçus par les ministères), et dans la gestion des ressources humaines. Le tout avec l’absence d’une véritable évaluation des gains réels issus de la fusion de structures.

La Cour des comptes fait ensuite des propositions, en creux des critiques précédentes, fondées d’une part sur la simplification et l’adaptation de l’État territorial (suppression des doublons de compétences ; mise en cohérence des circonscriptions administratives ; modulation de l’action territoriale) et d’autre part sur la création des conditions d’un fonctionnement efficace (adaptation des méthode de gouvernance ; valoriser les ressources humaines ; moderniser les moyens de fonctionnement et les modes d’action).

La réflexion sur l’organisation devrait partir des grandes fonctions de l’action publique, comme l’a mentionné le rapport de Terra Nova sur le numérique [102]  : une présence effective au plus près du terrain pour l’Éducation, les forces de sécurité (police et gendarmerie) et, dans une mesure légèrement moindre, la justice .

Par ailleurs, pour les aspects administratifs, un accueil unique doit également être physiquement présent au plus près des citoyens, des associations et des entreprises , à savoir dans chaque arrondissement pour les plus grandes villes, dans la commune pour les villes petites ou moyennes, et dans les communautés de communes dans les zones rurales. La loi DCRA [103] prévoit dans son article 27 la possibilité de maisons de services publics rassemblant des services publics portés par des entités diverses (État, collectivités territoriales, sphère sociale, et même autres acteurs). Des conventions définissent les modalités de fonctionnement de ces maisons de service public. Mais le succès en est mitigé. Il convient à présent de généraliser l’accueil commun pour l’ensemble des services publics (État, collectivités territoriales, organismes sociaux, etc.) en le confiant aux communes (ou leur EPCI), comme cela est maintenant le cas pour la délivrance des passeports et des cartes d’identité. Cet accueil dépasserait la fonction de simple guichet pour devenir un véritable lieu d’assistance pour les relations avec les administrations, une sorte d’écrivain public. Il ne serait plus dépendant de la passation de conventions, qui dépendent du bon vouloir de telle ou telle entité et qui seraient trop lourdes à généraliser pour l’ensemble du territoire.

Cette fonction d’accueil devrait être professionnalisée, car elle nécessite à la fois des qualités humaines d’écoute et de pédagogie, et des compétences pour savoir se retrouver dans le maquis administratif et conseiller ou assister utilement les usagers. Ces accueils constitueraient de fait la vitrine des administrations et services publics : leur image dans l’opinion façonnerait celle de l’ensemble des services. Á cette fin, les personnels affectés à cette tâche devraient être reconnus à la juste valeur de leur mission, tant en termes de reconnaissance sociale que financière. Une telle idée de point d’accueil unique n’a rien de révolutionnaire, et elle est en vigueur depuis des années dans les pays à faible densité démographique (Australie, Canada, pays scandinaves) sous forme de « One stop shop ».

Le deuxième niveau d’intervention des administrations est l’expertise et le traitement de dossiers à des fins d’autorisation ou d’allocation de ressources (subventions, marchés, dotations). Dans de très nombreux cas, cette activité n’exige pas d’être localisée à proximité de l’entité concernée par le dossier : que ce soit pour des vérifications de droits, pour l’analyse de dossiers de demandes d’autorisation en fonction de critères fixés par voie réglementaire, ou pour l’allocation de ressources, l’instruction peut être effectuée en tout point du territoire dès lors que le dossier est complet. La constitution sur le territoire national de quelques équipes nombreuses et fortement spécialisées permettrait alors de fournir un meilleur service qu’avec un saupoudrage des ressources dans un grand nombre de localités. En effet, l’éparpillement des ressources génère des réponses différentes pour une même situation, avec atteinte au principe d’égalité.

Inégalités liées à l’organisation territoriale : l’exemple des CAF

Il existe environ 15 000 règles de droit dans le champ géré par les caisses d’allocation familiales (CAF). Les agents ne peuvent évidemment pas les maîtriser, et sont naturellement amenés à mieux connaître certains champs et certaines options que d’autres. Du coup, un même dossier peut déboucher sur des décisions ou des conseils différents selon les CAF et même selon les agents au sein d’une même CAF.

Les systèmes d’information, via des applicatifs nationaux, peuvent limiter cette hétérogénéité dans les réponses, mais alors la localisation géographique du service instructeur n’importe plus : le service peut être proposé par télé-procédure et par l’intermédiaire des agents d’accueil, qui peuvent appeler le cas échéant un expert du centre national compétent (qui a accès au dossier personnel du demandeur).

Il est en outre évident que la constitution de quelques centres nationaux d’expertise et de traitement permettrait des économies d’échelle substantielles.

La constitution de centres de production nationaux dans les différents domaines est envisageable, et peut apparaître souhaitable dans de nombreux cas. Elle existe d’ailleurs déjà dans quelques cas : par exemple en matière fiscale pour le recouvrement de certains types d’amende, ou pour le suivi des grandes entreprises avec la direction des grandes entreprises. Mais elle n’est pas indispensable : les systèmes d’information modernes permettent de dissocier totalement l’organisation de la localisation. La réflexion pourrait et devrait aujourd’hui être conduite en comparant les avantages respectifs entre diverses options allant d’une concentration en un point national unique à un éclatement complet. La logique d’aménagement du territoire, de gestion des RH et des compétences ou encore de coût de la vie pour les agents pourraient entrer en ligne de compte dans les choix opérés, contrairement à la situation actuelle.

Le troisième type de missions concerne les fonctions stratégiques, d’animation/impulsion et de contrôle/inspection . Ces missions relèvent pour une part du niveau national, et pour une autre part du niveau territorial. Pour ces deux échelons, on est loin de l’optimum. Les préconisations précédentes (cartographie des missions et des processus, analyse de la valeur, gestion des risques) permettraient de remettre à plat le périmètre et le rôle exact des directions d’administrations centrales, en exigeant notamment que soit élaborée et rendue publique la stratégie suivie sur chacune des politiques publiques entrant dans leur champ de responsabilité. Pour l’échelon local, des analyses équivalentes permettraient de recentrer les services déconcentrés sur les actions à plus forte valeur ajoutée.

Une telle réflexion amènera inévitablement à s’interroger sur le rôle du réseau préfectoral . Si les sous-préfectures n’ont plus aujourd’hui de justification et devraient disparaître, la question des préfectures devrait également être posée [104] . Comme le rapport de la Cour des Comptes l’a montré, le préfet n’a de fait autorité que sur environ 10 % des agents de l’État localement, non comptés les enseignants. Le seul rôle opérationnel sur lequel il n’est pas contesté est la gestion des situations de crise et le pilotage des plans qui y sont associés.

Remettre en cause la figure du préfet constitue à l’évidence une forme de sacrilège, mais nombreux sont ceux qui reconnaissent en privé que la préfectorale n’a plus la même pertinence et la même utilité depuis les lois de décentralisation et la montée en puissance de l’Europe. Le préfet représente certes l’État, et devrait incarner la prévalence de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, notamment des élus locaux, mais il apparaît en réalité de plus en plus faible :

De peur d’être désavoué par le niveau national, il est très souvent obligé de s’aligner sur la position des « grands élus » locaux, sans que celle-ci représente toujours l’intérêt général. Sa mission de garant de l’intérêt général est en permanence empêchée par son rôle politique, débouchant sur une perte de crédibilité de l’État (ex : autorisations de porcheries au-delà des seuils réglementaires en Bretagne, et pollutions induites des nappes phréatiques) ;

La complexité des sujets qu’il devrait trancher et leur nombre élevé rendent illusoire leur traitement par un homme seul. Du coup, soit il ne fait qu’entériner les propositions des services déconcentrés (directions régionales ou directions départementales interministérielles), soit les directions des préfectures ou les SGAR [105] font une seconde instruction pour son compte, comme le regrette la Cour des Comptes. Les deux situations se rencontrent fréquemment et ni l’une ni l’autre n’est satisfaisante.

Au final, il n’est plus certain que l’institution préfectorale présente encore de nos jours une valeur ajoutée suffisante : les sujets d’importance ou politiquement sensibles remontent au niveau national, et les autres peuvent être assurés par les services déconcentrés métiers ou par les collectivités territoriales. Son principal atout reste d’être l’interlocuteur normalement unique pour le compte de l’État pour les acteurs politiques et institutionnels locaux. Mais cette unicité étant de plus en plus factice, comme il a été montré précédemment, il n’est pas certain qu’elle justifie le maintien de la fonction préfectorale.

Proposition n°30 : Repenser l’organisation de l’action publique en distinguant les fonctions d’accueil (entièrement confiées aux communes/intercommunalités), les fonctions d’expertise/traitement et les fonctions de pilotage/évaluation/contrôle.

Trois autres réformes organisationnelles devraient être envisagées . La première concerne la composition du gouvernement , qui devrait être figée pour les principaux départements ministériels. Les novations sémantiques ou de périmètre des ministères sont certes amusants (ou inquiétants [106] ), mais sont d’une grande inefficacité et à l’origine de dépenses, notamment pour les fonctions supports (pour les SI en particulier). Il serait opportun , comme le proposait le rapport Picq, de fixer le libellé et le périmètre d’intervention des ministères de plein exercice , la souplesse de la composition pouvant être conservée pour les ministères délégués [107] .

Proposition n°31 : Figer la composition des ministres de plein exercice du Gouvernement.

La deuxième réforme concerne la gestion de l’interministérialité , dont l’efficacité conditionne celle du gouvernement. L’interministériel relève de Matignon, seul reconnu comme légitime par les ministères pour assurer cette fonction. La tradition française considérait que Matignon, entité de pure interministérialité, ne devait pas avoir de services en propre au-delà du SGG [108] . Le principe de réalité a conduit à abandonner de fait cette doctrine, en dotant progressivement le Premier ministre des moyens humains et des structures capables de gérer correctement les différentes facettes de l’interministérialité, et notamment les fonctions supports. Or, si le SGAE [109] , le SGDSN [110] , le SIG [111] , le Secrétariat général à la mer, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) et depuis l’automne 2012 le SGMAP [112] et les structures qui en dépendent (DIMAP [113] , Etalab, DISIC [114] ), sont bien des services du Premier ministre, il n’en va pas de même pour la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), transférée de Matignon à Bercy en 2008. La DGAFP devrait redevenir un service du Premier ministre . De même, quatre entités pourtant majeures de l’interministériel devraient être transférées dans ces services : la direction du budget (DB), la direction de la législation fiscale (DLF) du côté Bercy et la Direction générale des collectivités locales (DGCL) et la sous-direction du corps préfectoral et des administrateurs civils pour le ministère de l’Intérieur .

La DB, chargée des dépenses, et la DLF, chargée des recettes, pourraient être fusionnées à l’occasion du transfert en une véritable direction financière de l’État. Cette décision serait symboliquement très forte vis-à-vis de l’ensemble des ministères et des agents publics. Bercy deviendrait pour la première fois un ministère dépensier comme les autres, et son changement de statut permettrait d’aplanir nombre de résistances aujourd’hui à l’œuvre dans les autres ministères.

De même, le ministère de l’Intérieur pourrait se recentrer sur ses missions de base (sécurité publique), sans plus considérer incarner l’ensemble de l’État sur le terrain. En effet, le ministre de l’Intérieur est de fait depuis plus de 10 ans maintenant essentiellement celui de la sécurité et plus celui des territoires. Les services de l’État dans les départements sont maintenant gérés par le SGG. Il convient d’aller au bout de la logique et de traduire ces réalités dans les faits institutionnels.

Ces changements, symboliques mais majeurs, généreraient à l’évidence de très lourdes oppositions (tradition soi-disant républicaine, atteinte aux pouvoirs de Bercy et de Beauvau), mais serait de nature à modifier profondément le fonctionnement gouvernemental. Ils ne peuvent sans doute s’envisager qu’au moment de la constitution d’un nouveau gouvernement .

Proposition n°32 : Placer dans les services du Premier ministre la direction du budget, la direction de la législation fiscale, la direction générale des collectivités locales et la sous-direction qui gère le corps préfectoral.

La troisième réforme consiste à une profonde remise en cause des cabinets ministériels . Évoquée déjà dans les rapports Blanc-Ménéménis et Picq, une telle réforme n’a jamais été réellement mise en œuvre, malgré une limitation du nombre des conseillers annoncée depuis quelques gouvernements et systématiquement contournée par les ministres. Le passage en cabinet est un accélérateur de carrière pour la plupart des personnes concernées, et les cabinets constituent pour les ministres une ressource dévouée et disponible à toute heure du jour et de la nuit. Pour autant, les effets pervers des cabinets ministériels sont nombreux, qu’il s’agisse de la « technicisation » de la fonction politique (les cabinets instruisant une seconde fois le travail des services), de la coupure entre l’administration et le personnel politique (beaucoup de décisions sont prises par le cabinet au nom du ministre et sans son aval), ou encore de conflits d’intérêts de membres de cabinet en recherche d’un « point de chute ». La France fait office d’exception au sein des pays développés. Chez la plupart de nos voisins, les cabinets sont réduits en nombre, et les ministres travaillent plus en direct avec leurs administrations. Une telle organisation apparaît en définitive préférable, et sur ce sujet délicat, Terra Nova reprend les propositions suivantes :

Limitation stricte à 5 des membres du cabinet (hors Matignon) : un directeur de cabinet, un chef de cabinet, une « plume » et deux conseillers politiques, quel que soit le ministère considéré ;

Le ministre réunirait chaque semaine ses directeurs pour procéder aux grands arbitrages, indépendamment des réunions ad hoc qui nécessitent des décisions à son niveau ;

Les décisions importantes qui ne relèvent pas du ministre seraient arbitrées par le directeur de cabinet, les autres décisions restant du domaine des administrations. En cas de difficulté (différend entre directions, difficulté d’appréciation sur l’opportunité de remonter au directeur de cabinet ou au ministre), une réunion animée par le Secrétaire général du ministère permettrait d’acter la position de l’administration ;

Pour faciliter les échanges entre le ministre/cabinet et les directions, celles-ci désigneraient un « référent ministre » : ce référent serait l’interlocuteur privilégié entre le ministre/cabinet et la direction d’administration centrale, le directeur ne disposant souvent pas de la disponibilité nécessaire pour répondre à tout moment aux sollicitations du niveau politique. Ce référent serait lui joignable à tout moment et sa parole engagerait la direction concernée. Mais ce référent ne serait pas membre du cabinet et n’aurait donc pas une étiquette « politique ». Il n’engagerait donc pas la parole du ministre.

Cette modification aurait un impact dans le travail interministériel : les réunions interministérielles rassembleraient les administrations elles-mêmes sous l’égide du SGG et du cabinet du premier ministre, et les ministres pourraient demander un arbitrage à leur niveau en cas de décision non-conforme à leurs souhaits d’une réunion interministérielle. L’efficacité du travail gouvernemental en serait sans doute améliorée.

Elle induirait également une forte évolution dans les relations entre administrations centrales, qui seraient beaucoup plus obligées de travailler ensemble avant de monter au niveau politique : aujourd’hui, chaque direction a « son » conseiller au cabinet, et préfère remonter immédiatement au cabinet pour un arbitrage favorable plutôt que de « négocier » avec les autres directions concernées. En outre, moins de sujets remonteraient au niveau politique, permettant à celui-ci de se focaliser sur les aspects stratégiques et le portage politique au détriment des sujets immédiats qui font le quotidien des cabinets aujourd’hui. En outre, la situation des directions dépendant de plusieurs ministres (ex : 5 pour la DGCIS [115]  !) en serait simplifiée, car elle limiterait les injonctions dispersées ou paradoxales auxquelles elles sont soumises aujourd’hui. Des portefeuilles ministériels cohérents et sans chevauchement contribueraient à une telle amélioration.

Une conséquence naturelle d’une telle réorganisation serait que les ministres devraient avoir pleine confiance dans les directeurs d’administration centrale : l’évolution vers un système de « dépouilles » (spoil system) qui voit le remplacement automatique et accepté des directeurs en cas d’alternance semble inéluctable.

Proposition n°33 : Limiter le nombre des membres des cabinets ministériels à cinq personnes, quelle que soit la taille du ministère, demander aux ministres d’animer une réunion hebdomadaire avec les directeurs d’administration centrale et faire désigner par chaque directeur un correspondant pour le ministre parmi ses collaborateurs.

Une méthode plus professionnelle, notamment sur la conduite de projets et l’accompagnement du changement

Comme il a été dit précédemment, la mise en œuvre opérationnelle de réformes est un art d’exécution : les objectifs peuvent être légitimes, les moyens nécessaires mobilisés, les calendriers prévisionnels réalistes, et au final le projet être un échec retentissant ou lancinant (ce qui est plus grave encore car ça stérilise toute alternative). La méthode retenue pour porter la réforme dans la durée constitue donc, au même titre que les autres éléments, un point d’attention à ne pas négliger : même au niveau politique, on ne peut pas simplement considérer que « l’intendance suivra », une fois la décision prise.

Á l’évidence, quelle que soit la méthode, elle ne peut donner des résultats que si le pouvoir politique la porte et la soutient. Le parfait exemple est fourni par le Grenelle de l’environnement, innovant et exemplaire sur la méthode en matière de concertation et de pilotage, avec un début de mise en œuvre, jusqu’au revirement du Président de la République d’alors (« l’environnement, ça commence à bien faire ! »), coupant totalement l’élan initial. Á l’inverse, un engagement politique fort relayé par une méthode défaillante se traduira par un échec . L’exemple en est la RGPP, pour laquelle l’engagement politique n’a pas été ménagé, mais avec des résultats limités et souvent contre-productifs (rejet des administrations, désorganisation de nombreux services, etc.).

Il n’est évidemment pas dans l’ambition du présent rapport de décrire par le menu une méthode qui aurait toutes les vertus. Ce serait présomptueux et fallacieux. Il n’y a d’ailleurs pas une seule méthode, et elle doit être adaptée aux circonstances du moment et au contexte spécifique. Quelques éléments invariants seront cependant évoqués, notamment parce qu’ils ne sont pas encore toujours bien pris en compte au sein des administrations.

RECONCILIER LES APPROCHES « MACRO » ET « MICRO »

Comme en économie, une des grandes problématiques de la modernisation de l’action publique est la conciliation de l’approche d’ensemble (« macro ») de la vision stratégique avec la mise en œuvre opérationnelle au plus près du terrain (« micro ») . L’approche « macro » est indispensable, comme il a été dit précédemment, mais, pour rester stratégique, elle doit se concentrer sur les grandes orientations sans entrer dans un luxe de détails. Le risque du « yaka-faucon » est dès lors permanent, le diable se cachant dans les détails, et les belles idées énoncées dans d’innombrables rapports restent lettres mortes par oubli des réalités du terrain.

Á l’inverse, se concentrer sur des améliorations concrètes, locales, pragmatiques semble de prime abord une réponse de bon sens au risque de volontarisme hors sol. Mais de ces « mille fleurs qui s’épanouissent » naissent alors d’innombrables solutions locales différentes, incapables de s’interconnecter. Les coûts d’échanges et d’évolution s’en trouvent démultipliés, qui freinent la mise en place de services à forte valeur ajoutée pour les usagers comme pour les administrations, et qui accélérèrent l’obsolescence des services proposés. Cette approche ne permet pas des évolutions d’ensemble issues d’une mise en perspective. L’optimisation locale tue l’adaptation globale . L’utilisation à tous crins de la méthode LEAN d’optimisation des processus prônée par la DGME dans la deuxième étape de la RGPP en est un des exemples les plus marquants.

Pour tenir les deux bouts de la chaîne, à savoir concilier vision macroscopique et réalité du terrain, quelques pré requis méthodologiques doivent être remplis, qui procèdent quasiment tous des professions qui ont été confrontées à la conception, la programmation et la conduite de grands projets : les urbanistes et architectes, les secteurs industriels complexes (aéronautique, transports, informatique). Pour ne pas entrer dans un descriptif abscons, on peut citer notamment :

Savoir vraiment de quoi on parle :

Pour ce faire, il faut établir diverses cartographies, qui décrivent précisément les différentes facettes d’une réalité complexe : cartographie d’ensemble, appelée Plan d’occupation des sols de l’action publique (POSAP), cartographie des missions et des processus pour chaque entité administrative, cartographie des ressources et des compétences, cartographie de l’activité, cartographie des risques, cartographie des systèmes d’information, etc. L’annexe 5 donne quelques précisions sur ces différentes cartographies.

L’élaboration de ces documents constitue un travail énorme, qui prendra du temps . Mais c’est justement parce qu’elle prendra du temps qu’il faut l’engager sans tarder. Les « fonds de carte » qui en seront issus permettront de mieux appréhender l’existant et les besoins, et ainsi de mieux fonder les décisions en fonction de divers paramètres : SI existants, périmètres de responsabilités, niveaux de sécurité, entités concernées par un service ou une donnée, états d’avancement, etc.  Il y a une infinité d’utilisations dérivées de telles cartographies, certaines éclairantes pour un décideur de haut niveau, d’autres pour un chef de projet. Toute réflexion sur la réforme, tout projet d’une certaine ampleur qui ne disposerait pas d’un tel outil , fusse dans un degré sommaire de réalisation, est confronté jour après jour à des freins et des difficultés non anticipés, qui usent les porteurs de projets et les parties prenantes et peut aller jusqu’à l’épuisement et l’échec du projet. La filiation avec l’urbanisme est révélatrice et la reprise des termes qui en sont issus n’est pas anodine : on imagine mal une urbanisation bien conduite qui ne s’appuierait pas sur un fond de carte et des « couches » relatives aux réseaux de viabilisation, aux équipements collectifs, aux voiries, aux zones des différentes activités autorisées, etc. De même, un architecte qui voudrait concevoir et construire un bâtiment sans plans et les outils dérivés n’irait pas loin. Or, c’est bien ce que fait l’État quand il engage une réforme de son activité, de son organisation et, plus globalement, de l’action publique.

La DISIC, une des directions sous l’égide du SGMAP, a engagé des travaux d’élaboration d’un plan d’occupation des sols (POS) pour le seul périmètre de l’État . Ces travaux sont alimentés par une quinzaine de personnes travaillant dans les différents ministères et quelques opérateurs, en utilisant un outil commun. En outre, quelques ministères se sont lancés dans la démarche de cartographie des missions et/ou de recensement des activités, et la plupart disposent d’une cartographie des SI plus ou moins aboutie. Il y a donc un existant, qu’il conviendrait de structurer et d’amplifier. Au-delà d’un renforcement des moyens humains travaillant sur ces sujets, nécessaires mais qui seront forcément limités, il apparait tout à fait opportun d’ouvrir ce processus à l’ensemble des acteurs publics et privés, de sorte que les collectivités territoriales, les éditeurs de logiciels et tous les passionnés de ces sujets puissent contribuer . Il s’ensuivrait une démultiplication de la force d’élaboration de ces documents, favorisant l’appropriation des concepts sous-jacents et l’élaboration d’applications informatiques interopérables et offrant des services innovants.

Proposition n°34 : Élaborer les différentes cartographies nécessaires à une bonne structuration des réformes : missions/processus, risques, SI, ressources et compétences, activité, etc. Renforcer les moyens de la DISIC pour assurer la coordination d’ensemble et l’élaboration du « Plan d’occupation des sols de l’action publique » (POS) qu’elle a engagé.

Bien définir les objectifs et les modalités de mise en œuvre de chaque mission

Sur la base des différentes cartographies, une analyse précise et argumentée de chaque mission peut être menée avec des experts du sujet, mais en associant des agents qui connaissent le domaine mais n’y travaillent pas (inspections générales, secrétariats généraux) et des usagers. Ces revues de mission permettent de répondre à différentes questions :

la mission est-elle toujours pertinente/nécessaire ?

La manière dont elle est assurée est-elle adaptée ? (cf rapport IGF-IGA-IGAS annexé à la circulaire du PM du 7 janvier 2013)

Quel est son degré de priorité au regard des autres missions assurées par le service concerné, en fonction de l’analyse des risques et de l’analyse de la valeur ? (Cf. I.C.1 et I.C.2 ci-dessus)

la politique publique est-elle bien « bouclée », à savoir dispose-t-elle de tous les composantes nécessaires [116] d’une politique publique, notamment en matière d’évaluation de l’effectivité de la mission (la réglementation est-elle bien respectée ?) et d’évaluation de son efficacité (la réglementation est-elle utile au regard des contraintes qu’elle génère ?) ? (Cf. I.C.3 ci-dessus)

Les évaluations de politiques publiques (EPP) de la MAP procèdent de cette approche de revue de missions. Mais les EPP sont le plus souvent conçues pour des champs assez larges (la politique maritime, la politique de sécurité routière, la politique publique de numérisation et d’archivage électronique, etc.) [117] . C’est très bien et cela doit être continué, mais ce n’est pas suffisant : il faut également faire des revues de missions de périmètre réduit. Comme pour la stratégie, l’urbanisation d’ensemble de la conduite du programme de réforme doit se traduire par un emboîtement de revues de missions avec gestion des priorités entre les différents niveaux (caler les principes de niveau supérieur avant d’investiguer les niveaux inférieurs) pour assurer la cohérence d’ensemble.

Proposition n°35 : Faire une revue de chaque mission recensée pour en évaluer la valeur ajoutée et comparer les différentes modalités possibles de sa mise en œuvre, s’il apparaît pertinent de la conserver.

Favoriser l’échange de bonnes pratiques entre entités gestionnaires :

Tout n’a pas vocation à être décidé par le niveau national. Ce n’est ni possible, ni souhaitable. Une fois que sont définis les éléments nécessaires à une bonne interopérabilité, il appartient au niveau local de décider des outils et des organisations les mieux adaptées pour assurer la mission. Afin d’éviter une démultiplication des initiatives, inutiles et coûteuses, le niveau central doit organiser et favoriser les échanges entre les acteurs locaux concernés. Ceux-ci pourront ainsi d’une part concevoir ensemble les solutions nouvelles, et d’autre part comparer les solutions existantes afin de retenir les plus adaptées aux différentes situations locales. Cela passe notamment par la création et la mise à disposition de tous d’une bibliothèque des solutions existantes avec, pour l’entité concernée (service déconcentré de l’État, commune, conseil général, etc.), ses caractéristiques (population couverte, taille du territoire, application informatique utilisée, nombre d’agents concernés, etc.), les qualités et les défauts de la solution employée, et les modalités de sa mise en œuvre (accompagnement du changement, difficultés rencontrées, etc.). Ainsi, d’autres acteurs pourront s’en inspirer en profitant de l’expérience de leurs prédécesseurs, économiser du temps, de l’argent et augmenter le taux de réussite de ces projets. Pour les projets nouveaux, le fait de confier aux acteurs locaux concernés le soin de concevoir une solution ou une famille de solutions commune permet, là aussi, de mutualiser les efforts tout en s’assurant de l’adéquation de la solution aux besoins de leurs utilisateurs et des publics qui vont en être les bénéficiaires. Comme pour le POSAP, une ouverture du débat aux acteurs privés, notamment sous forme de crowdsourcing permettrait de renforcer la dynamique, notamment grâce aux éditeurs de logiciels.

Proposition n°36 : Mettre en place une bibliothèque d’échange sur les pratiques en matière d’actions publiques, qui rassemble leurs caractéristiques (objectif, activité, population couverte, SI utilisé, etc.).

Optimiser les processus de travail :

Une fois que les missions ont fait l’objet d’un audit (EPP) et que leurs modalités de mise en œuvre ont été réaffirmées, il appartient aux gestionnaires locaux de vérifier régulièrement que les processus opérationnels sont performants . Pour cela, les diverses méthodes utilisées classiquement dans le secteur privé peuvent être utilement employées, et notamment les techniques de l’audit interne, ou du LEAN lorsque c’est pertinent.

Proposition n°37 : Optimiser les processus de travail, au travers d’une démarche régulière (audit interne, LEAN, etc.).

Une telle organisation est lourde à installer, et ne correspond pas aux habitudes des diverses administrations. Sa mise en place sera inévitablement progressive et induira des résistances au début. Mais elle est de nature à modifier radicalement la perception respective des structures centrales et locales (qu’il s’agisse de l’État, des opérateurs ou des collectivités territoriales), et sera de plus en plus aisée à instaurer au fur et à mesure où les différents acteurs percevront son utilité et s’approprieront son contenu.

EN INTERNE, ASSOCIER LES AGENTS ET SUSCITER L’INTERET AU CHANGEMENT

Comme il a été dit précédemment, tout changement est anxiogène, et d’autant plus anxiogène qu’il est important et que le point d’arrivée de la réforme n’est pas clairement lisible par ceux qui vont la subir. Pour surmonter cette anxiété légitime et éviter les blocages et les risques d’échec auxquels elle conduit, deux aspects doivent être impérativement présents : l’association des agents à toutes les étapes, et l’incitation des gestionnaires et des agents au changement .

L’engagement dans la réforme doit être une stratégie gagnante pour chacun d’eux . Cela passe notamment par redonner du sens à l’action des agents publics, leur redonner l’envie et la fierté de servir l’intérêt général. Les agents publics souhaitent dans leur grande majorité « que ça change », car ils sont conscients de la gravité de la situation et du malaise d’ensemble. Il n’y a pas d’opposition par principe à la modernisation de l’action publique. Mais il y a des peurs . D’abord pour l’avenir individuel, avec la crainte que l’emploi soit la variable d’ajustement pour atteindre les objectifs des réductions des déficits publics comme c’était clairement annoncé dans la RGPP. Ensuite sur la perte de repères quant aux missions qui leur seraient confiées à l’issue des réformes : l’absence de visibilité sur les perspectives amène les agents à se recroqueviller sur les pratiques héritées du passé et de l’idée qu’ils se font du rôle de l’État. C’est pourquoi, et contrairement à la RGPP, il est indispensable d’associer les agents à la démarche, à toutes ses phases (c’est prévu dans la MAP) et dans toutes ses facettes (des réflexions générales sur le rôle et la place de l’État/action publique jusqu’à la description fine des processus et des organisations). Il est important que chacun puisse comprendre que le changement se traduira par des missions plus intéressantes pour lui, mieux reconnues et plus utiles à la société française, même si des postes doivent être reconfigurés et certains être supprimés.

Une telle association est nécessaire, et au-delà des annonces, sa traduction concrète doit être prouvée, mais elle n’est pas suffisante. Il faut en outre que la volonté politique et les impulsions du national trouvent des « relais » dans les niveaux au-dessous, tant en administration centrale que dans les services déconcentrés et dans les autres administrations, pour éviter que chacun attende que le national agisse avant de bouger, car alors rien ne se passerait.

Dans cette perspective d’association des agents au changement, le rôle des syndicats des fonctions publiques est important. L’approche traditionnelle est loin d’être optimale : l’administration considère les syndicats comme des acteurs a priori hostiles à toute réforme qui ne se traduise pas par une augmentation des effectifs ou des rémunérations ; ils sont donc gérés comme une contrainte, un mal nécessaire, et ne sont associés que dans un cadre très formel et peu adapté. De leur côté, les syndicats sont méfiants face à tout projet de l’administration, considérant que la volonté réelle (réduction des moyens) n’est pas celle affichée (amélioration du service), et ce d’autant plus que l’information dont ils disposent est lacunaire, tardive et n’a pas fait l’objet de débats nourris en amont.

Ces attitudes de défiance de part et d’autre se nourrissent l’une l’autre, rendant très difficile un renversement de posture basée sur une approche confiante et constructive. Cependant, un tel renversement est possible dans la durée, sous réserve de s’y lancer et d’avoir une certaine constance. Il est évident que les traditions internes aux différents syndicats induiront des réponses différentes selon les cas, allant d’un accord rapide et explicite à une opposition sans concession, et il est également évident que l’administration ne peut attendre un soutien explicite et formel aux réformes mais, pour autant, l’implication réelle des syndicats à côté de celle des agents eux-mêmes est de nature à améliorer les chances de succès de nombre de projets et leurs qualités.

Proposition n°38 : Associer les syndicats des fonctions publiques et les agents à toutes les étapes des réformes, en passant d’une logique de défiance et de formalisme à une logique de confiance et d’échange.

Par ailleurs, du côté des décideurs administratifs, l 'immobilisme et l’inertie ne doivent pas être des stratégies gagnantes. Les gestionnaires, notamment locaux, n’ont aujourd’hui aucun intérêt à s’engager ouvertement dans des projets d’amélioration du fonctionnement de l’administration dont ils sont responsables : ils ne sont pas évalués selon ce critère, ce type de projet est déstabilisateur pour les équipes et les gains de productivité qui en découlent ne profitent ni aux agents (confort de travail, rémunération) ni au service (amélioration des marges de manœuvre). Dans tous les cas, le gestionnaire est réticent à « dévoiler » ses gains de productivité, de peur qu’ils soient intégralement récupérés par les budgétaires.

À l’inverse, les budgétaires ne distinguent pas les projets selon leur pertinence et les gains de productivité qui peuvent en découler, et la « justification au premier euro » est largement théorique. Les mécanismes de « rabot » et de gel restent les principales armes de la gestion budgétaire.

Le système est donc à la fois bloqué et contre-productif . Pour corriger ces défauts, les gestionnaires doivent avoir intérêt à s’engager dans des projets d’amélioration, et les budgétaires doivent pouvoir connaître à l’avance et de façon fiable les gains de productivité dans les différents services, à périmètre constant. Il est proposé de mettre en place un dispositif d’ incitation au mouvement/pénalisation de l’inertie : tout gestionnaire serait incité à lancer des projets d’amélioration de son service (voir encadré).

Système d’incitation au changement

Chaque projet ferait l’objet d’un descriptif (objet, durée, destinataires, budget, etc.) mentionnant notamment les gains de productivité attendus par année et par nature (i.e. en distinguant titre II – emplois – et autres titres - moyens financiers). Les crédits gelés en début d’année (5 à 10 % des crédits) seraient dégelés à hauteur de l’intégralité des gains de productivité attendus pour l’année. En outre, le gestionnaire récupérerait la moitié de ces gains, améliorant ainsi sa souplesse de gestion, l’autre moitié étant « rendue » pour la réduction des déficits ou le financement d’actions prioritaires. Quel que soit le calendrier de mise en place du projet, la direction du budget « récupérerait » la moitié des gains de productivité. Á l’inverse, une partie des sommes non dégelées seraient annulées, et la base réduite d’autant l’année suivante.

Ce dispositif, sans doute assez difficile à appréhender pour quelqu’un extérieur aux techniques budgétaires publiques, évite la sous-évaluation des gains de productivité par le gestionnaire (qui n’y a aucun intérêt, car il ne « profiterait » pas de la totalité du dégel possible) autant, évidemment, que leur surévaluation. Le gestionnaire préserve ainsi ses ressources (dégel et récupération de la moitié des gains) tandis que les budgétaires peuvent tabler sur des récupérations réelles et prévisibles sans avoir à expertiser tous les projets ni à évaluer les conditions de leur mise en œuvre.

Ces règles ne s’appliqueraient à l’Éducation nationale, aux forces de sécurité et à la Justice que pour ce qui concerne leur « back-office ». De même, les chiffres énoncés (gel de 5 à 10 %, rendu de 50 % des gains de productivité, etc.) le sont à titre indicatif et les curseurs peuvent être déplacés. L’enjeu est d’enclencher un cercle vertueux de projets visant à améliorer la qualité des services rendus tout en réduisant leurs coûts et en responsabilisant gestionnaires et agents.

Par ailleurs, il convient de prévoir des fonds d’intervention destinés aux projets/structures qui se transforment, de sorte à augmenter l’appétence des gestionnaires pour la modernisation. Cependant, et contrairement à ce qui a été fait le plus souvent jusqu’à présent, ces fonds seraient octroyés sur la base de résultats obtenus et non sur la base de projets envisagés .

Proposition n°39 : Inciter au changement et pénaliser l’immobilisme.

Des systèmes d’information considérés à leur juste place

Les fonctions supports restent les parents pauvres des administrations, même si des progrès sont intervenus. C’est notamment le cas des systèmes d’information (SI), qui ne sont pas en France au niveau où ils devraient être. Or, au XXIème siècle, des systèmes d’informations insuffisants interdisent des services publics performants et de qualité. Ces sujets doivent être placés en haut de la pile des priorités pour que les efforts consentis par ailleurs ne soient pas annihilés du fait de SI inadaptés.

Sans avoir pour objectif de faire un audit de la gestion des SI des administrations publiques, quelques éléments seront évoqués : l’investissement dans les SI, la gestion de projet et la gouvernance des SI.

Investir massivement dans les SI publics est une nécessité absolue . Historiquement, la France investit beaucoup moins dans ses SI que beaucoup de pays développés, et notamment que les Etats-Unis. Il est classiquement considéré que l’investissement en SI devrait s’élever à 3 % du budget [118] . Or, les dépenses se montent à environ 4,6 M€ pour 2013, soit 1,15 % des dépenses. Dès lors, la France ne peut rattraper son retard et profiter pleinement des potentialités et des gains de productivité induits par les systèmes d’information. Même en période de disette budgétaire, et on devrait dire surtout dire surtout en période de disette budgétaire, l’investissement dans les SI devrait être sanctuarisé et conforté.

Proposition n°40 : Faire passer l’investissement public en systèmes d’information de 1,15 % à 3 %, pour rattraper le retard de la France en ce domaine et bénéficier à court terme des gains en qualité de service pour les usagers et les agents et des économies induites.

Mais un surcroît d’investissement ne doit pas se traduire par des projets pharaoniques comme la France en a le secret. Il doit être organisé et ciblé, sur la base d’une urbanisation d’ensemble se traduisant par un plan d’action à 10 ans. La DISIC [119] travaille à une telle urbanisation avec l’aide des ministères, et ce travail important constitue un apport considérable pour une action publique modernisée (cf. I.I.1 ci-dessus).

La gestion des projets informatiques doit également évoluer : le développement d’un SI est encore dans de nombreux cas le fait d’informaticiens, les directions métiers n’étant ou ne sentant impliquées que dans une phase initiale d’expression de besoin plus ou moins sommaire puis dans l’utilisation du produit une fois développé. Par ailleurs, les informaticiens ont longtemps eu la tentation de grands projets informatiques totalement intégrés répondant en une seule fois à l’ensemble des problématiques d’une administration. Ces pratiques ont montré leurs limites, et les désastres de grands projets publics ont défrayé la chronique, le dernier en date étant le logiciel de paie des militaires, Louvois. L’annexe 6 présente les lacunes dans la conduite du projet Louvois qui en expliquent l’échec actuel. Le temps des CHORUS, Hélios et autres ONP [120] est révolu : les technologies aujourd’hui disponibles permettent de ne plus devoir passer par ces énormes projets, longs, coûteux, risqués et peu évolutifs, et de les remplacer par le développement de modules applicatifs faisant appel en tant que de besoin à des ressources externes et communes. L’urbanisation de la stratégie et des plans d’actions, l’existence de cartographies faciliteront l’urbanisation des SI et l’élaboration de tels modules, qui « grignoteront » progressivement les vieux applicatifs existants sans avoir à prévoir de Big bang informatiques, toujours incertains.

Projet Chorus : de l’importance de prendre en compte les processus de travail dans la démarche d’informatisation

Le projet Chorus, initié en 2006 et déployé progressivement depuis 2008, vise à mieux intégrer les différentes comptabilités de l’État (35 millions d’écritures par an) via un outil informatique centralisateur, et à passer d’une comptabilité de caisse à une gestion patrimoniale, conformément à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001.

Ce double objectif supposait d’adapter les processus de travail et les applications qui les traduisent préalablement à la mise en place de l’outil, et d’abord dans les services ordonnateurs où le passage à une comptabilité patrimoniale, similaire à celle des entreprises, modifie en profondeur l’organisation de l’activité comptable.

Le rapport public annuel 2011 de la Cour des comptes montre que le projet est encore loin de converger faute d’une prise en compte suffisante de ces processus :

– retards de paiement de l’État envers ses fournisseurs évalués à 6 Md€ en juillet 2010, tous ministères confondus ;

– module de restitution des informations comptables renvoyé à plus tard «  faute de réflexion interministérielle aboutie  » ;

– sous estimation du nombre des utilisateurs «  sans qu’une analyse de fond ait été faite sur l’organisation de la gestion financière et comptable de l’État  » conduisant à la mise en place d’échanges d’information en dehors du nouveau système et à une comptabilisation tardive des services faits ;

– une comptabilité d’analyse des coûts insuffisante pour être utile aux gestionnaires ;

– une consolidation des comptes différée dans l’attente «  d’un travail de définition du périmètre et de la méthode de consolidation, et en tant que de besoin d’harmonisation et de stabilisation des référentiels comptables  » (réponse du ministre du budget).

Le rapport de certification des comptes de l’exercice 2012, publié en mai 2013, relève que la question des processus de travail n’a toujours pas été résolue.

«  A l’exception de la direction générale des finances publiques au ministère de l’économie et des finances et du ministère de l’éducation nationale, qui ont cartographié leurs processus – bien que l’exhaustivité du périmètre couvert ne puisse être appréciée – aucun des autres ministères ne dispose d’une description formalisée et actualisée énonçant de manière détaillée et documentée l’ensemble de ses processus de gestion  ».

Source : Cour des Comptes

Proposition n°41 : Urbaniser les SI publics dans une perspective à long terme, et faire évoluer les projets informatiques vers des projets de taille réduite, modulaires, qui sont moins coûteux, moins risqués, plus facile à faire évoluer et plus interopérables.

Indépendamment de l’accroissement de l’effort en matière de SI, certaines orientations permettraient d’améliorer la qualité des services rendus tout en générant des économies non négligeables. Ainsi, il est très souhaitable de mutualiser les moyens en SI , tant pour les développements que pour l’exploitation, pour atteindre des masses critiques en termes de compétences et les économies d’échelle constatées dans le secteur.

Pour ce qui concerne l’État, la création de 4 ou 5 pôles d’exploitation serait adaptée, de même que deux ou trois structures de gestion de projet interministérielles. Cela permettrait d’augmenter substantiellement le nombre d’applications développées à budget constant, favoriserait la diffusion de solutions interopérables entre administrations et améliorerait fortement la qualité de l’hébergement, tant en termes de disponibilité que de sécurité et de coûts. Une approche équivalente pourrait être proposée aux collectivités territoriales, aucune d’entre elle mis à part Paris n’ayant la taille justifiant une exploitation autonome. Via leurs associations, les régions, les départements et les communes pourraient créer quelques structures chargées de porter les projets de SI les concernant et de les exploiter, avec là aussi des économies tout à fait substantielles et un bond qualitatif. L’informatique hospitalière pourrait être impliquée dans une démarche équivalente, seule l’AP-HP ayant la dimension suffisante pour justifier une exploitation internalisée.

Ce type de mutualisation rencontrera sans aucun doute l’opposition des informaticiens des entités concernées (ministères, grandes collectivités, hôpitaux), souvent très attachés à la beauté des salles informatiques et des alignements de serveurs nombreux et puissants. La justification souvent mise en avant d’une meilleure sécurité d’exploitation et d’une proximité permettant d’intervenir rapidement en cas de dysfonctionnement ne tient pas à l’analyse, ni en termes de qualité de service ni de coûts induits dès lors que des astreintes doivent être mises en place. Une volonté clairement affichée d’une telle mutualisation est donc nécessaire pour dépasser ces freins. Elle devrait être accompagnée d’un recentrage explicite des DSI publiques vers le pilotage d’ensemble des projets et la bonne articulation entre les directions métiers, les informaticiens et les usagers. Leur légitimité institutionnelle en ressortirait renforcée, et l’efficacité d’ensemble améliorée.

Proposition n°42 : Mutualiser les centres de développement et d’exploitation informatique.

Un des aspects principaux en matière de SI sera de définir, sur la base de l’urbanisation d’ensemble, les référentiels de toute nature [121] nécessaires à la création des SI agiles et interopérables attendus. Á cette fin, la DISIC devrait être fortement renforcée, notamment pour mener à bien l’urbanisation générale des SI de l’action publique, en lien avec les autres acteurs administratifs (cf. I.I.1 ci-dessus). Le secteur privé devrait être associé à cette tâche ainsi qu’à celle d’élaboration et de maintenance des référentiels de toute nature nécessaires pour garantir l’interopérabilité entre tous les systèmes.

Proposition n°43 : Travailler en priorité sur les référentiels de toute nature impactant les SI (sémantiques, d’échanges, d’architecture, etc.), en y associant les parties prenantes.

Comme il a été dit précédemment, la France a pris un retard certain en termes de SI publics. Elle doit le rattraper et investir à cette fin, pour ne pas perdre pied dans l’environnement international et la compétitivité entre États. Elle pourrait ainsi bénéficier rapidement des immenses gains de productivité encore latents. Elle pourrait ainsi renforcer son influence sur le marché des logiciels, le marché français disposant d’un fort pouvoir d’influence sur les éditeurs internationaux pour le marché européen continental (« market-maker »), pour peu qu’il soit un peu organisé. C’est notamment le cas pour la gestion des ressources humaines, les processus administratifs, les systèmes d’information hospitaliers ou les solutions de sécurisation des échanges (identification et gestion des habilitations).

Une gestion des ressources humaines profondément rénovée

Comme l’indique Jean-Ludovic Silicani, rapporteur général du rapport Picq et auteur du livre blanc de 2008 sur l’avenir de la fonction publique, «  la réforme de la fonction publique est le cœur de la réforme de l’action publique et la réforme de l’action publique est la condition de la réussite de toutes les autres réformes concernant les politiques publiques  ». Le livre blanc sur l’avenir de la fonction publique [122] et le rapport Pêcheur [123] remis au Premier ministre le 4 novembre 2013 ont analysé en détail à quelques années d’intervalle les règles régissant les trois fonctions publiques (État, collectivités territoriales, hôpitaux) et préconisé différentes mesures d’amélioration. Ils font suite à de nombreux rapports (rapports Blanc et Picq, déjà cités, mais également rapport public du Conseil d’État en 2003 [124] ). Comme l’indique le livre blanc : «  la variété des méthodes retenues et la diversité des profils et des sensibilités des personnes qui ont participé à ces différents travaux [les rapports mentionnés précédemment] donnent à leurs conclusions un crédit certain. Le diagnostic ainsi dressé, de façon de plus en plus précise, a été de plus en plus sévère  ». Plus loin : «  notre système de fonction publique apparaît à bout de souffle ». On ne saurait mieux dire.

La piètre qualité des administrations en matière de gestion des ressources humaines est une réalité ancienne. La critique, une fois de plus, ne concerne pas les gestionnaires des RH eux-mêmes, qui font ce qu’ils peuvent dans le cadre qui leur est fixé. Malgré la mise en œuvre d’une large part des préconisations du rapport Picq de 1994 précité [125] , malgré les lois de 2007 [126] et 2009 [127] , la situation n’est toujours pas satisfaisante, loin de là : agents comme encadrement se plaignent des lourdeurs et des contraintes des procédures applicables, tant dans le recrutement que pour l’évaluation, les évolutions de carrière ou la rémunération. La situation semble moins dramatique pour les collectivités territoriales que pour l’État et les services qui en dépendent (administrations centrale, services déconcentrés, opérateurs de l’État). Á tous les niveaux, les responsables administratifs ne sont ni outillés ni incités à avoir une politique managériale digne de ce nom. Ils ne sont d’ailleurs pas formés au management, et ne sont pas recrutés sur cette compétence : certains ont des qualités naturelles en la matière, tous se forment « sur le tas », mais les résultats sont très hétérogènes.

Les directions « métiers » des ministères se cantonnent pour l’essentiel au recrutement, ainsi qu’à l’évaluation des agents mais d’une manière formelle. C’est la direction des ressources humaines du ministère qui assure les aspects institutionnels (relations avec les syndicats, CAP, etc.) et le suivi des carrières. Du coup, pour les directeurs, et plus largement pour l’encadrement, la gestion des ressources humaines (GRH) se résume dans le meilleur des cas à la motivation des équipes, et elle est le plus souvent totalement absente de leurs préoccupations : chacun est là pour faire son métier, le responsable passant les commandes et procédant aux arbitrages.

La situation est sensiblement différente chez les opérateurs, dont certains ont d’ailleurs été créés sous forme de Groupement d’intérêt public (GIP) ou d’établissement public pour échapper à ce carcan de la fonction publique d’État. Les dirigeants de ces opérateurs ont l’ensemble des responsabilités, dont celle des sujets RH. Mais, malgré des règles applicables a priori moins lourdes, la GRH consomme beaucoup de temps et d’énergie de la direction pour une valeur ajoutée limitée : grilles de rémunérations imposées par Bercy qui ne permettent pas au dirigeant de recruter les profils dont il a besoin ; coexistence de personnels aux statuts divers générant des tensions internes (rémunération, droits annexes) et rendant la création d’une culture commune plus difficile ; management des déroulements de carrière compliqué, le « retour » des fonctionnaires dans leur administration d’origine étant souvent délicat. Au final, la GRH reste chronophage et peu satisfaisante, tant du point de vue des dirigeants que de celui des agents. On est de fait dans une gestion administrative des personnels là où est nécessaire une véritable gestion des ressources humaines.

Avant même d’aborder la question du statut de la fonction publique ou des rémunérations, il est donc indispensable d’instiller dans les administrations de l’État une culture de la négociation, et donc de compromis, sur les sujets touchant aux ressources humaines. Pour qu’une telle culture diffuse à l’intérieur même des directions d’administration centrales et des directions déconcentrées, il faut donner aux directeurs des marges de manœuvre, notamment sur l’organisation du travail et sur les effectifs. Les dirigeants des administrations doivent avoir l’ensemble des prérogatives d’un manager. C’est possible, comme le démontrent les fonctions publiques territoriale et hospitalière : même si les contraintes existent, les gestionnaires disposent d’une capacité de négociation réelle et le dialogue social « de proximité » existe. Á défaut, la gestion d’une entité comme un hôpital deviendrait rapidement impossible.

Proposition n°44 : Instaurer au sein même des directions centrales et déconcentrées de l’État un véritable dialogue social avec les organisations syndicales. Á cette fin, élargir les prérogatives des directeurs afin qu’ils aient des marges de manœuvre, notamment en matière d’organisation du travail et d’effectifs.

Sur un plan général des RH, le rapport Pêcheur reconnaît que le constat est «  globalement inquiétant  », et Jean-Ludovic Silicani considère que le relatif échec des réformes des RH depuis vingt ans provient de ce qu’on n’a pas voulu mener une réforme globale et visible de la fonction publique [128] . Or, les hommes constituent le facteur de production essentiel de l’action publique. Il est donc nécessaire et urgent de mener une rénovation en profondeur des règles applicables en la matière.

Proposition n°45 : Engager une réforme globale, claire et lisible de la gestion des fonctions publiques, pour sortir d’une situation dans l’impasse fondée sur une gestion administrative plus que sur une gestion des ressources humaines.

Pour ce qui concerne les préconisations, elles sont nombreuses et argumentées dans les deux rapports. Quelques-unes d’entre elles appellent un commentaire :

Le statut général de la fonction publique et la place des contractuels

Le rapport Pêcheur comme le livre blanc considèrent encore pertinent l’existence d’un statut général de la fonction publique, soubassement d’une fonction publique de carrière. Il est de nature à garantir le professionnalisme et l’impartialité de l’action publique. Mais si aucun des deux ne remet en cause la nécessité d’emplois contractuels, le livre blanc rappelle que les contractuels des fonctions publiques (un peu plus d’un million sur 5,3 millions d’agents publics) ne sont pas protégés par le statut général des fonctionnaires, non plus que par le code du travail. Dès lors, au régime purement dérogatoire que continue de promouvoir le rapport Pêcheur, le livre blanc suggère de reconnaître pleinement la place des agents sous contrats, agissant en complément des fonctionnaires. Leur nombre serait établi pour chaque administration dans le cadre d’une négociation d’ensemble, l’administration proposant une répartition globale (pourcentage des postes entre agents contractuels et fonctionnaires).

Par ailleurs, le livre blanc propose de placer les agents publics sous contrats sous le régime de droit commun (i.e. le code du travail), et non plus sous un régime dérogatoire à un régime qui est déjà lui-même dérogatoire (le statut des fonctionnaires). Le code du travail s’appliquerait donc aux contractuels pour toutes ses dispositions qui ne seraient pas contraires aux règles de la fonction publique. Terra Nova souscrit à cette approche, plus protectrice pour les personnes concernées, plus juste et plus conforme à la réalité. En effet, les syndicats des fonctions publiques sont centrés, et c’est naturel, sur la protection des fonctionnaires. De plus, les dispositions du code du travail résultent dans une large part du dialogue social entre les syndicats de salariés et les représentants des employeurs, sous l’égide de l’État qui dispose du pouvoir de décision par la loi et le règlement. C’est donc un droit très « construit », et il apparaît pertinent que les agents contractuels, qui n’ont pas vocation à faire toute leur carrière dans une administration, puissent bénéficier des mêmes droits et obligations tout au long de leur carrière, que leur employeur soit public ou privé, pour autant que ces droits et obligations ne sont pas contraires aux règles applicables dans la fonction publique lorsque leur employeur est une administration.

Proposition n°46 : Placer les agents contractuels sous le régime du code du travail pour les dispositions qui ne sont pas contraires aux règles de la fonction publique.

Les corps et les cadres professionnels/statutaires

L’administration est découpée en corps. Ceux-ci ont été créés par une ordonnance de 1959. Alors qu’il y avait 120 cadres d’emplois à la Libération, date de la création du statut général des fonctionnaires, le nombre des corps est monté à 1 000 à la fin des années 90. Il est maintenant redescendu à environ 300. Á part les corps d’emblée interministériels (administrateurs civils, ingénieurs, etc.), la plupart des corps étaient rattachés à une administration spécifique, bloquant ainsi toute mobilité et renforçant les tours d’ivoire. Un décret du printemps 2008 [129] a rendu de fait tous les corps interministériel en instaurant que «  les fonctionnaires de l’Etat ont vocation à exercer les fonctions afférentes à leur grade dans les services d’un ministère et, nonobstant toute disposition statutaire contraire : 1° Dans les établissements publics placés sous la tutelle de ce ministère ; 2° Dans les services et établissements publics de l’Etat relevant d’autres départements ministériels  », mais cette disposition est de fait peu employée.

Si le rapport Pêcheur propose d’expérimenter des « cadres professionnels communs » aux trois fonctions publiques, il ne remet pas en cause fondamentalement le système de corps. Le livre blanc est opportunément plus audacieux et suggérait de créer un régime statutaire de niveau législatif, extrêmement simplifié, le reste relevant de la gestion. L’annexe 7 est la traduction, sous forme d’un projet de loi [130] , de ce nouveau régime statutaire élaboré par Jean-Ludovic Silicani à la demande du ministre de la fonction publique de l’époque. Ce projet de loi, court et s’en tenant aux grands principes, viendrait remplacer les textes actuels. Le gouvernement avait décidé in fine de ne pas y donner suite. Terra Nova considère que l’adoption de ce texte, simple et clair, serait un signal fort et positif d’une rénovation réelle de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique.

Dans ce régime statutaire unique, les 300 corps seraient fusionnés en 50 à 100 « cadres statutaires » regroupés en quelques grandes filières professionnelles, et les 150 statuts d’emploi seraient supprimés. Par nature, tous ces cadres statutaires seraient interministériels, et communs aux trois fonctions publiques. Cette proposition du livre blanc est de fait déjà en vigueur dans la fonction publique territoriale, qui n’est aujourd’hui composée que de 60 cadres d’emplois, et a démontré sa pertinence.

Proposition n°47 : Suivre les recommandations du livre blanc en créant un régime statutaire de niveau législatif, et la création de 50 à 100 cadres statutaires correspondant à des filières professionnelles et qui viendraient remplacer les 300 corps et les 150 statuts d’emploi actuels.

Les règles de rémunération

La rémunération des agents publics est d’une simplicité apparente mais également d’une grande opacité. Elle est constituée de deux éléments, trois pour certaines catégories :

le régime indiciaire, correspondant au grade de l’agent (qualification/corps auquel il appartient et son ancienneté). Il est indépendant de son emploi, et donc normalement de son ministère de rattachement ;

le régime indemnitaire, correspondant « aux primes », qui prend en compte le poste occupé. Il représente en moyenne 15 % de la rémunération totale [131] , mais cette proportion est beaucoup plus importante pour les postes à responsabilité. Pertinent dans son principe, il a été dévoyé dans sa mise en œuvre, avec des disparités entre ministères qui sont injustifiables : si des agents de niveau équivalent vont avoir un régime indiciaire à peu près équivalent, leur régime indemnitaire peut varier dans une fourchette allant de 1 à 4 (moyenne : variation de 1 à 2). Cette disparité entre ministères est un frein majeur à la mobilité, un agent d’un ministère bien doté (ex : Bercy) n’ayant aucun intérêt à postuler pour un poste dans un autre ministère, incapable de s’aligner sur le régime indemnitaire du ministère des finances ;

enfin, a été instaurée une prime de fonction et de résultats (PFR) pour prendre en compte la manière de servir. Testée à partir de 2005 pour 200 directeurs d’administration centrale, elle a été ensuite étendue à quelques milliers d’agents. Elle intègre des éléments factuels (atteinte d’objectifs quantitatifs mesurables) pour 80 %, les 20 % restant correspondant à l’appréciation sur la manière de servir par le niveau hiérarchique supérieur. Dans les faits, l’atteinte des objectifs chiffrés est conditionnée dans de nombreux cas à des facteurs qui ne dépendent pas de la personne concernée, ce qui fausse grandement le caractère « mathématique » de cette appréciation du mérite individuel. Mais, même si le dispositif est imparfait, il a le mérite d’exister.

Le rapport Pêcheur est, là encore, moins audacieux que le livre blanc. Ce dernier propose de conserver deux composantes dans la rémunération de tout agent public : d’une part une rémunération de base correspondant à son niveau de qualification et d’autre part une rémunération complémentaire de nature indemnitaire avec une partie fixe (fonction exercée) et une partie variable (mérite et manière de servir). La partie fixe des primes nécessite de coter tous les emplois, comme c’est déjà le cas pour les postes à rotation fréquente dans différents ministères (ex : postes diplomatiques ou de la préfectorale).

Pour les fonctionnaires, la rémunération de base serait constituée par un traitement évoluant dans le temps de façon similaire pour tous les cadres statutaires d’un même niveau, ce qui simplifierait drastiquement la gestion, reconnue comme particulièrement lourde par tous les acteurs. Le rapport Pêcheur considère quant à lui qu’il convient de conserver une modulation de la vitesse d’avancement dans la carrière (via le changement d’échelon) en fonction de la manière de servir de l’agent. Mais la solution proposée reste lourde et peu lisible. Dès lors que les primes (régime indemnitaire) seraient prises en compte dans le calcul de la retraite et que leur part dans la rémunération totale augmenterait sensiblement, les critiques sur les propositions du livre blanc n’apparaissent plus justifiées et devraient être mises en œuvre.

Proposition n°48 : Abolir les différences de régime indemnitaire entre ministères, et augmenter la part des primes dans la rémunération, en les incluant dans le calcul de la retraite. Plus largement, mettre en œuvre les dispositions du livre blanc en la matière.

La mobilité

La faible mobilité des agents publics est un problème connu de longue date. Outre les limites induites par les différences de rémunérations entre ministères (cf. ante ), les outils de mise en relation de l’offre (les agents) et de la demande (les emplois proposés) sont encore insuffisants. Le rapport Pêcheur comme le livre blanc proposent à cet égard la mise en place d’une bourse de l’emploi public sur laquelle seraient obligatoirement publiés tous les emplois vacants. Une telle bourse existe aujourd’hui, mais ne recense qu’une toute petite partie des 100 000 mutations annuelles.

Un autre aspect lié à la mobilité est la tension entre polyvalence et spécialisation (Cf. I.A.2 ci-dessus). Les agents souhaitent évoluer et progresser dans leurs fonctions (mobilité fonctionnelle) tout en restant stables sur le plan géographique (stabilité géographique). Or, la spécialisation favorise la stabilité géographique mais au détriment de l’évolution fonctionnelle. Á l’inverse, la polyvalence favorise la mobilité fonctionnelle, mais qui doit s’accompagner rapidement d’une mobilité géographique, peu compatible pour beaucoup avec les contraintes familiales. L’édiction de quelques principes favoriserait la conciliation de ces souhaits a priori paradoxaux. Ainsi, une obligation de mobilité fonctionnelle au bout de quelques années (ex : 5 ans maximum) serait utile si elle était couplée avec des profils de carrière (ex : tel emploi fonctionnel est suivi par tel autre emploi), y compris pour les profils techniques .

De même, l’ouverture des postes de cadres dirigeants, notamment en administration centrale, devrait être réservée aux agents ayant occupé des postes en services déconcentrés ou en collectivité territoriale, et qui disposent de compétences avérées dans d’autres disciplines que les matières traditionnelles que sont le droit et les finances publiques . Les formations initiales des agents publics devraient intégrer à titre obligatoire avec un poids suffisant des matières aujourd’hui essentielles que sont la gestion de projet, les systèmes d’information ou l’animation d’une équipe et d’une réunion . Ces lacunes sont bien connues, mais les modifications ont été faites à doses homéopathiques. Une remise à plat substantielle des systèmes de formation et de sélection des agents publics ne peut plus être éludée.

Proposition n°49 : Favoriser la mobilité des agents, fonctionnelle et géographique. Á cette fin, systématiser, comme le préconise le rapport Pêcheur, le recours à la bourse de l’emploi public et conditionner l’accès à certains emplois à l’exercice de certaines responsabilités (services déconcentrés, postes difficiles, etc.).

Par ailleurs, les évolutions des missions et des organisations vont nécessiter un fort accompagnement des agents , tant en administration centrale que dans les services déconcentrés de l’État et dans les autres administrations. L’acceptation de cette modernisation par les agents et les syndicats passe par la garantie que ces reconfigurations seront favorables aux agents en place, tant sur le plan des conditions de travail, que sur l’intérêt de celui-ci et sur le plan financier. Les discussions avec les syndicats des fonctions publiques devront donc être permanentes et porter clairement sur ces sujets et les modalités de leur mise en œuvre. Sauf à accepter une désaffection des jeunes pour les métiers qui portent l’action publique ou le recours croissant aux contractuels au détriment de fonctionnaires, il faut oser les mettre sur la table et aller au fond des sujets avec les syndicats.

Le coût des mesures préconisées par le livre blanc a été estimé à l’époque par son auteur à 2 Md€ : 1 Md€ pour l’harmonisation des grilles indiciaires et le second milliard sur le fonctionnel. En contrepartie, les économies induites du fait des simplifications proposées sont évaluées par Jean-Ludovic Silicani comme étant de l’ordre de 1 Md€ par an pendant dix ans. Ces chiffres restent à être confirmer, mais il est indéniable que le bilan sur quelques années est financièrement positif, pour peu d’accepter de « mettre au pot » au lancement de la réforme. C’est sans doute une décision délicate dans la période actuelle de déficits publics importants, mais elle est indispensable dans une vision de moyen terme et dans le cadre d’une réforme d’ensemble, claire et simple qui permette de sortir de l’impasse dénoncée par tous.

Conclusion

Le temps de l’Administration n’est pas celui de la société. Les évolutions naturelles de l’une et l’autre sont différentes et débouchent sur un décalage croissant entre les attentes de la société et le cadre fixé par l’action publique. Historiquement, ce sont les crises graves, et en premier lieu les guerres, qui étaient l’occasion d’une « resynchronisation » entre les deux. Les sorties de crise étaient propices à la remise à plat de certaines pratiques et la mise en place de nouvelles organisations ou de nouvelles politiques fondées sur de nouveaux principes. La Révolution, l’instauration des deux Empires, et en dernier lieu le Conseil national la Résistance illustrent ces remises à plat substantielles mais aussi brutales. Depuis près de 70 ans, l’absence de guerre sur le territoire national ne permet plus que les cartes soient rebattues selon le « modèle » classique, et l’évolution vertigineuse des techniques d’échange d’information durant les dernières décennies induit une accélération de l’évolution de la société. La déconnexion est donc particulièrement importante entre action publique et attente sociale, avec une insatisfaction grandissante de la population et des entreprises vis-à-vis des gouvernants, tenus pour responsables de cette situation. Elle explique au moins en partie les montées de l’abstention et des extrêmes aux élections.

La question fondamentale qui est ainsi posée est de savoir si la « resynchronisation » est possible sans une crise préalable pour briser les tabous et les rigidités de la société et des administrations. Le réformisme est-il une solution praticable dans notre pays comme il l’a été dans d’autres pays ? Terra Nova en est convaincue, mais la preuve n’en a pas encore été faite. La différence structurelle entre la vitesse d’adaptation actuelle des administrations et l’évolution de la société au moment où la réduction des déficits publics impose ses contraintes rend nécessaire une action énergique et rapide. Elle nécessite un courage politique certain, doublé d’une vision et d’une méthode. Le lancement de la MAP par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault constitue une première étape intéressante à plus d’un titre, mais qui doit être approfondie et intensifiée et même, il faut le dire, réorientée. Une deuxième phase de la MAP doit être engagée, mais qui ne doit pas revenir à l’illusion d’une réduction significative et rapide de la dépense en jouant sur les dépenses de personnel. Des économies sont possibles en la matière, mais elles seront progressives et insuffisantes au regard des enjeux. Les exemples étrangers le démontrent. Ces économies ne peuvent être qu’une résultante des réformes et non leur point d’origine. Se tromper sur ce point serait dramatique, pour la réussite de l’assainissement de nos finances publiques comme pour la modernisation de notre action publique.

Á l’heure où prédomine le sentiment de crise politique permanente, des rythmes scolaires aux scandales sanitaires puis à la tromperie sur la nourriture, l’enjeu de la modernisation de l’État n’est pas du tout une rationalisation technocratique ou une économie de moyens mais une refonte complète de la conception de l’action publique, son organisation, ses outils, ses processus de décision, avec un fil conducteur : l’efficacité, la capacité de reprendre prise sur le réel, le retour de l’État non pas comme une entité bureaucratique mais comme instrument de la volonté populaire… et avec la légitimité qui va avec ! Á défaut, le risque est fort que la population ne soit in fine pas reconnaissante des résultats obtenus, insuffisants à ses yeux au regard des efforts consentis.

Et si la gauche ne parvenait pas à porter cette mutation, elle apporterait la preuve à titre posthume que la RGPP, symbole de la réforme de l’État vue par la droite, serait le modèle à retenir. La gauche ne peut manquer cette occasion de démontrer la pertinence d’une vision progressiste de la modernisation de l’action publique, qui porte une rénovation réelle, profonde et durable de nos administrations et de leurs actions, et une réduction des déficits publics, pour le bien de chacun. Osons, il est temps.

Annexe 1 – Lettre de mission du groupe

A l’heure où les contraintes budgétaires s’accroissent et où les attentes de la société envers l’ensemble des administrations publiques sont très fortes, dans un contexte de crise exceptionnelle, moderniser l’action des pouvoirs publics est une nécessité absolue.

La réforme de l’Etat, pour ne parler que d’elle, fait partie du paysage intellectuel et politique français depuis près d’un siècle. Même si certaines réussites ont été enregistrées, notamment ces dernières décennies grâce aux progrès de l’administration électronique, ces questions ont toutefois, pour l’essentiel, été abordées sous un angle excessivement technique et avec un prisme lié aux mécanos institutionnels dont les citoyens ne perçoivent pas immédiatement l’intérêt. La décentralisation, aujourd’hui trentenaire, a bouleversé l’action publique dans son ensemble, mais le diagnostic sur la nécessité d’une nouvelle étape de modernisation est largement partagé. Quant à l’environnement européen (droit communautaire) et mondial (OMC, mondialisation avec ses normes de droit ou de fait), il impose une adaptation des politiques nationales et des organisations qui les portent.

En ce début de quinquennat, les lignes ont déjà commencé à bouger, la page de la recherche de réduction des coûts brutale et injuste de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) portée depuis 2007 par la DGME et pilotée au plus haut niveau de l’Etat étant tournée. Les réflexions doivent maintenant s’élargir, tant dans « l’espace » en intégrant notamment les thèmes liés à la décentralisation, que dans le temps en prenant en compte le caractère nécessairement évolutif des dispositifs et organisations administratifs à bâtir.

La question se pose donc de définir quelles réformes structurelles, c’est-à-dire durables, peuvent ou doivent être lancées pour l’action publique, et des modalités applicables pour des réformes réussies, efficaces et à la hauteur des enjeux. Les missions régaliennes ou de service public doivent être revisitées, ce qui englobe l’État, tant au niveau central que déconcentré, mais aussi les opérateurs de l’État, les collectivités territoriales et les autres entités chargées d’un service public. La modernisation de l’action publique est, à ce titre, « la mère de toutes les réformes », car seules des administrations adaptées à leurs temps et performantes pourront efficacement porter des réformes en phase avec les attentes et les besoins des populations. Une réflexion sur l’évolution des modes d’action de l’administration est également indispensable, alors que l’Etat gestionnaire s’est petit à petit transformé en Etat régulateur, largement désarmé au profit d’agences et autres structures qui échappent à l’exécutif. Il est notamment nécessaire de se pencher sur la notion de régulation, trente ans après la naissance des premières autorités administratives indépendantes. Analyser ces questions et proposer des réponses est l’objectif du groupe de travail « modernisation de l’action publique » dont Terra Nova souhaite vous confier la responsabilité.

Le groupe analysera ensuite les objectifs assignés à cette modernisation, dans ses différentes composantes : évolution du périmètre des politiques publiques, amélioration de la qualité des services fournis et amélioration du fonctionnement interne (incluant celle des conditions de travail des agents). La réforme doit être l’un des principaux moyens permettant aux administrations de respecter les restrictions budgétaires, y compris dans les collectivités locales, en préservant ou même en améliorant la qualité des services rendus et les conditions de travail des agents. Elle est aussi une condition essentielle de la relance économique. Il indiquera par grands types de mission (définition des stratégies, mise en œuvre opérationnelle, évaluation, contrôle, etc.) le schéma qui lui semble optimal. Il pourra également proposer la méthode et les enjeux de l’évaluation des politiques publiques.

Au-delà du « quoi ? », le groupe de travail réfléchira sur le « comment ? », et tout d’abord sur les stratégies d’ensemble à adopter pour obtenir des effets positifs et durables. Chacun sait aujourd’hui que, pour des réformes de cette ampleur, il est illusoire de croire que tout pourra être simultanément modifié comme a pu le faire le Canada de 1995 à 1997, et à l’inverse qu’il est inefficace de négliger certains volets importants du sujet. Le groupe sera donc amené à proposer le cadre conceptuel permettant de concilier une dynamique d’ensemble dans laquelle la réforme pourra être progressivement et utilement instillée, avec des projets raisonnables, réalistes et cohérents. Il analysera notamment les synergies possibles entre projets de longue haleine et projets à gains rapides, ou encore entre projets portant sur des infrastructures et projets de services.

Au-delà de cette démarche macroscopique, le groupe évoquera les méthodes spécifiques disponibles pour la conduite du changement (pilotage par les risques, LEAN, SI, aspects RH, etc.), et les conditions d’une bonne articulation entre elles, ainsi que les conditions d’acceptabilité de la démarche par les différents acteurs (politiques, acteurs institutionnels, agents, acteurs économiques, usagers). En complément, il fera des propositions sur la manière d’inciter les acteurs, à tous les niveaux, à s’inscrire volontairement et activement dans la démarche de réforme attendue.

Enfin, le groupe traitera des sujets du suivi et de l’évaluation des politiques de réforme engagées, ainsi que des aspects institutionnels pour l’État sensu stricto (rôle des secrétariats généraux des ministères, structures nationales de pilotage, etc.) et de la communication pertinente en la matière. Pour alimenter ses réflexions, le groupe de travail veillera à s’appuyer sur les expériences étrangères. Terra Nova souhaite que le groupe et la diversité des personnalités qui le compose formulent des propositions originales et innovantes, en toute indépendance, sans qu’aucune dimension ne puisse apparaître comme tabou. C’est à cette condition que notre travail pourra faire œuvre utile.

Jean-Philippe THIELLAY,

Vice-président de Terra Nova

Annexe 2 – Liste des personnes rencontrées

Sophie BROCAS, Conseillère Administration, service public et décentralisation du Président de la République

Antoine BRUGIDOU, ancien responsable mondial du conseil secteur public et santé, Accenture

François CHAMBON, directeur de l’IRA de Metz

Etienne COMBET, Directeur associé de Sealweb

Stephan CLÉMENT, Adjoint au Secrétaire général des ministères sociaux

Éric DELZANT, Délégué interministériel à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale

Jérôme FURET, conseiller général du canton de Crépy

Patrick HALLINGER, Secrétaire national de l’UGFF-CGT

Patrick JOUIN, Directeur général des services de la région des Pays de la Loire

Alain LAMBERT, ancien ministre, Président du conseil général de l’Orne

Christine LECERF, Présidente de l’Union régionale de la région Centre de la CFTC

Alain MÉNÉMÉNIS, Président de sous-section du contentieux au Conseil d’État

Cyril OLIVIER, consultant en stratégies numériques publiques

Denis PIVETEAU, ancien Secrétaire général des ministères sociaux,

Jean-Luc PORCEDO, directeur de cabinet du Président de l’Assemblée nationale

Marc SCHWARTZ, Associé Mazars, Responsable du secteur public

Pierre SERNE, Vice-Président de la Région Île-de-France chargé des transports, Vice-président du syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF)

Jean-Ludovic SILICANI, Président de l’ARCEP, auteur du livre blanc sur l’avenir de la fonction publique, ancien rapporteur général du « Rapport Picq »

Florent TOURNOIS, directeur du GIP « Guichet-entreprises »

Benoît THIEULIN, Directeur de la Netscouade, Président du Conseil national du numérique

Michel YAHIEL, Conseiller Travail, emploi et protection sociale du Président de la République, ancien rapporteur général de la COSA

Robert ZARADER, Président d’Equancy & Co

Annexe 3 – Principales mesures du rapport Picq de 1994 mises en œuvre

Les précisions sur les modalités de réalisation sont inscrites entre parenthèses [132]

Première partie : Les responsabilités de l’État

Chapitre I – Les responsabilités fondamentales

Expérimenter les politiques publiques avant généralisation,

Création d’un Commissariat à la prospective et à l’évaluation (création au printemps 2013 du Commissariat à la stratégie et à la prospective),

Commande régulière de livres blancs dans les domaines importants de la vie publique (mais en déclin depuis le début des années 2 000),

Réorganisation profonde du débat budgétaire,

Certification des comptes publics par la Cour des Comptes,

Obligation d’une étude d’impact pour tout projet de loi,

Codification générale des dispositions législatives et réglementaires,

Chapitre II – Les responsabilités de souveraineté

Refonte de la carte judiciaire avec suppression de cent à deux cents tribunaux peu actifs,

Création d’une version moderne des juges de paix (fait en 2002 sous la forme des juges de proximité, mais dont la disparition est programmée pour 2015),

Révision de la carte des zones de police et de gendarmerie,

Meilleure mesure de l’activité de la police (politique « du chiffre » entre 2003 et 2012),

Intégration des services du ministère de la Coopération au sein du Quai d’Orsay,

Regroupement des services compétents pour les affaires économiques, financières ou commerciales internationales (intégration de la DREE [133] au sein de la DG Trésor),

Chapitre III – Les responsabilités partagées

Limitation du nombre des directions d’administration centrale du ministère de l’Éducation nationale,

Autonomie des universités,

Réduction à trois le nombre des directions du ministère de la culture (il existe maintenant quatre directions en plus du secrétariat général),

Nomination par l’État des chaînes de radio et de télévision du secteur public (fait sous le précédent quinquennat, mais retour en 2013 à une nomination par le CSA),

Accroissement des capacités d’expertise et d’évaluation de l’administration centrale sur les activités de recherche (création en 2009 de l’AERES [134] ),

Élaboration d’un schéma directeur national d’aménagement du territoire (Directive territoriale d’aménagement et de développement durable – DTADD),

Réforme de la taxe professionnelle,

Distinction les fonctions de gestionnaire des infrastructures de celle de l’exploitation des réseaux de transport,

Conformité des documents d’urbanisme à des documents de niveau national ou régional (les PLU [135] doivent être conformes à la DTADD [136] , au SCOT [137] , au SDAGE [138] , etc.),

Généralisation du rapprochement des directions départementales de l’équipement (DDE) et de l’agriculture (DDA),

Création d’un décideur unique en matière de santé, tant au niveau national que régional (création des ARS [139] au niveau régional en 2009),

Rapprochement des organismes chargés de la mise en œuvre des différentes composantes de la politique de l’emploi : recensement et placement des chômeurs, indemnisation du chômage et délivrance des aides diverses à l’emploi (création de Pôle emploi),

Création au sein du ministère de l’économie d’une direction unique chargée de traiter les questions touchant à la monnaie, aux marchés financiers et, en général, au financement de l’économie (Création de la DG Trésor),

Création d’une direction unique chargée de favoriser les intérêts stratégiques de l’appareil de production, dans les domaines de l’industrie et des services (création de la DGCIS [140] ).

Deuxième partie : l’organisation de l’État

Chapitre IV – Assurer la direction de l’État

Introduction d’indicateurs de moyens et surtout de résultats,

Renforcer le rôle et les moyens du médiateur de la République (création en 2008 du Défenseur des droits, disposant de pouvoirs élargis par rapport au Médiateur de la République tels que pouvoir provoquer un contrôle ou une enquête),

Réduction drastique des cabinets ministériels (instaurée durant quelques mois en 1995 dans le gouvernement Juppé, puis reprise périodiquement de manière beaucoup moins drastique et sans rapport avec la philosophie préconisée par le rapport),

Recrutement de tous les collaborateurs personnels des ministres sur des emplois de contractuels,

Création d’un secrétaire général dans chaque ministère, chargé de la coordination des procédures administratives, juridiques et financières du ministère,

Première affectation des fonctionnaires sortant de l’ENA sur le terrain dans des fonctions du niveau des collaborateurs qu’ils seront amenés à diriger dans le déroulement de leur future carrière (en partie instauré durant quelques années après la sortie du rapport, puis tombé en désuétude),

Réduction de moitié du nombre des directions d’administrations centrales de l’État (annonce faite par Nicolas Sarkozy en 2007, mais réduction limitée dans les faits à 10 %),

Chapitre V – Déléguer la responsabilité

Regroupement des services déconcentrés de l’État en quelques grandes directions territoriales (regroupement des pôles régionaux en 8 directions régionales, et des directions départementales en DDI [141] , dans le cadre de la RéATE [142] ),

Création de nouvelles agences pour gérer autrement les services publics.

Chapitre VI – Mobiliser les fonctionnaires

Instauration d’un entretien individuel annuel,

Répartition de la rémunération en trois parties : traitement principal (grade), complément indiciaire (fonction) et complément indemnitaire (performance individuelle),

Réduction du nombre des statuts de la fonction publique,

Introduction d’une gestion prévisionnelle des effectifs (mise en place de la GPEC [143] ).

Chapitre VII – Maîtriser la dépense publique

Amélioration de la procédure budgétaire (la mise en place de la LOLF [144] a permis de répondre à différentes préconisations du rapport),

Rapprochement des règles de la comptabilité publique de celles de la comptabilité générale,

Rénover le contrôle budgétaire et financier

Modernisation de l’administration des finances (création de la DGFiP [145] ),

Mise en œuvre d’une véritable politique de gestion patrimoniale de l’État.

Annexe 4 – Moderniser l’action publique et réduire les déficits : des synergies mais des risques

La recherche d’amélioration de l’action publique (MAP) devrait être constante et indépendante des circonstances. Elle devrait même être plus forte en période d’augmentation des moyens, les marges de manœuvre budgétaires facilitant les transformations. Malheureusement, cela n’a jamais été le cas. Á l’inverse, une contrainte budgétaire forte constitue à la fois une opportunité et un risque : une opportunité liée à l’acceptation collective de solutions nouvelles du fait de la nécessité de bouger, permettant ainsi la remise en cause de certaines habitudes, voire de tabous ; un risque d’un prisme essentiellement budgétaire dans les évolutions recherchées, faisant dériver le projet de MAP en opération de cost killing comme l’est rapidement devenue la RGPP. Si profiter de l’opportunité est automatique, éviter le danger est une nécessité à la fois impérieuse et délicate, car la contrainte budgétaire doit en tout état de cause être satisfaite. La présente note analysera en quoi la MAP peut aider à s’inscrire dans la contrainte budgétaire à court et moyen termes.

Les économies issues de projets MAP ont des origines multiples. En schématisant et à des fins didactiques, on peut distinguer différents processus débouchant sur des gains de productivité et/ou des économies (les premiers pouvant, sous certaines conditions, devenir les secondes) :

on fait mieux (ou a minima pareil) avec moins de ressources

élimination des doublons :

Les compétences croisées, avec instructions multiples des mêmes dossiers et les redondances de structures ont des conséquences très largement négatives : frictions institutionnelles et blocages qui peuvent être induits, ralentissement des décisions par attente des réponses d’une multitude d’acteurs, découragement à demander devant le maquis institutionnel et la lourdeur des démarches cumulées, etc. Le coût de cette complexité est massif, d’abord sur le plan économique, mais également par étouffement de l’esprit d’entreprendre des acteurs économiques (notamment au sein de l’économie sociale et solidaire, mais pas uniquement), et enfin par embolisation des acteurs publics eux-mêmes, qui mobilisent beaucoup de ressources humaines et financières dans cette « non-qualité » au détriment d’autres actions où leur présence est essentielle.

Il est évidemment inenvisageable d’éliminer tout doublon. Il est même parfois utile qu’il y en ait. Mais ces cas positifs ne peuvent servir à justifier la situation actuelle, et un énorme effort doit être fait pour assainir la situation, même si cet effort prendra du temps et verra inévitablement se lever de multiples opposants, d’accord sur le principe général mais hostiles dès lors qu’il s’appliquerait à eux.

Dématérialisation

L’utilisation massive des systèmes d’information permettrait de faire des économies considérables, par plusieurs effets :

L’automatisation de tâches, évitant les resaisies et le traitement des fautes associées : le temps humain économisé, tant du côté du demandeur/destinataire que des différents instructeurs est plus que significatif. La mise en place d’outils de GED (gestion électronique de documents), annoncée depuis longtemps n’en est encore qu’à ses balbutiements. De même, de nombreux contrôles peuvent être automatisés, et le reporting facilité dès lors qu’il s’appuie sur des données « de base » ou agrégées automatiquement à partir de celles-ci,

la simplification des démarches : seules les données pertinentes au cas considéré sont demandées, limitant les incompréhensions et les allers-retours pour incomplétude du dossier ou inexactitude dans le remplissage. Beaucoup a déjà été fait, mais il reste encore beaucoup à faire, en travaillant sur les conditions de récupération des pièces justificatives (pour les cas où elles restent réellement indispensables),

la diminution de coûts liés aux supports papier : les coûts complets de traitement d’un document papier (incluant les frais d’affranchissement) sont beaucoup plus élevés que ceux des documents électronique, surtout lorsque ces derniers sont structurés (formulaires). La dématérialisation massive des échanges au sein et entre les acteurs publics induiraient des économies directes et significatives. Á l’inverse, l’existence d’un double circuit papier/électronique est souvent plus coûteuse que le seul circuit papier.

Mutualisation

Les économies d’échelle sont nombreuses dans l’administration, notamment dans les fonctions supports et dans les fonctions de traitements de dossiers métiers complexes. Les systèmes d’information rendent possibles de telles mutualisations, à commencer sur leur propre champ (développement et exploitation informatique), dès lors que, comme le préconise le rapport terra Nova sur le numérique, on ne lance plus de très grands projets informatiques sensés résoudre de multiples problèmes en même temps, et qui s’avèrent très longs et difficiles à mener à bien, ruineux pour les finances publiques et quasiment impossibles à faire évoluer rapidement. Une approche modulaire fondée sur l’interaction de briques simples est à privilégier. Elle requiert une véritable urbanisation des SI, avec définition des référentiels obligatoires, nécessaires et suffisants permettant de garantir l’interopérabilité des éléments.

meilleure organisation

L’organisation administrative date globalement de Napoléon. Là encore, les systèmes d’information permettent d’imaginer une organisation générale plus adaptée aux attentes des citoyens et beaucoup plus économes en ressources. Ainsi, on pourrait distinguer les fonctions d’accueil (sans doute totalement confiées aux communes ou aux communautés de communes), les fonctions de traitement et d’expertise, concentrées dans des centres nationaux ou inter-régionaux (même pour les collectivités territoriales) et les fonctions de pilotage, d’évaluation et de contrôle, réparties aux différents échelons territoriaux en fonction des besoins réels.

Un tel bouleversement organisationnel est envisageable dès lors que l’on découple activité et localisation pour les fonctions pouvant être exercées à distance du territoire (même si elles concernent un territoire). A titre d’illustration, l’ARS de Poitou-Charentes a choisi de « régionaliser » toutes ses missions (i.e. un agent est susceptible de traiter un dossier de tout lieu de la région), ne laissant que cinq à six agents dédiés à « l’animation territoriale [146]  ». Pour autant, les agents « régionalisés » n’ont pas obligation de déménager dans la ville chef-lieu de région, et la fonction est « multi-sites ». La localisation géographique est questionnée lorsque l’agent quitte le service.

Ce mode d’organisation, qui a fait ses preuves dans plusieurs endroits (CPAM de Montpellier, CPAM de Marseille, ARS de Poitou-Charentes, etc.) présente des inconvénients (frais de déplacements importants tant que la visio-conférence n’est pas correctement outillée et utilisée), mais il rend possible des évolutions significatives sans bouleversements massifs obligés pour les agents concernés.

processus optimisés

Il n’est pas dans la culture administrative française de s’interroger sur la qualité de ces processus de travail. Le management n’est pas une tradition dans la fonction publique et les hauts fonctionnaires n’ont aucune formation en la matière : l’intelligence individuelle et le charisme supposés sont sensés s’imposer à la hiérarchie, l’intendance et les collaborateurs devant suivre les instructions. Cette période apparaît dépassée, et l’amélioration continue de la qualité doit entrer dans les mœurs. Elle permet d’éliminer des dysfonctionnements, des étapes ou actions inutiles, coûteuses, comme le sont les non qualités et les risques d’un processus mal maîtrisé.

Cette démarche, poussée par la DGME dans la seconde partie de la RGPP, est positive dès lors qu’elle ne se limite pas au plaquage idiot et systématique d’une méthode (ex : le LEAN), mais qu’elle inclut une vraie dimension managériale globale utilisant une batterie d’outils en fonction des circonstances.

Les gains possibles sont là aussi importants, surtout en qualité de ce qui est produit et en amélioration des conditions de travail.

On fait différemment

Changement de logique

Faire mieux ce que l’on fait est bien, et générera de belles économies. Mais le changement de logique autorise des gains plus rapides, car coupant à la racine la cause de la complexité. Pour être socialement acceptables, ces gains doivent être répartis en trois parties : la première pour être réallouée vers des missions sous-dotées, la seconde pour améliorer la rémunération des agents et la troisième pour diminuer les déficits. La répartition des différentes parts doit être négociée en amont avec les syndicats.

Externalisation

L’externalisation est souvent considérée à gauche comme contraire à l’intérêt général et aux valeurs du service public. C’est parfois vrai, lorsque c’est fait pour des considérations idéologiques (ex : les partenariats publics-privés – PPP), ou ça peut l’être, lorsque c’est une décision « défensive » pour se conformer à des plafonds d’emplois en baisse.

Mais l’externalisation peut également être positive, en « profitant » des économies d’échelle qu’un prestataire privé génère avec ses différents clients. Dès lors que les conditions de délivrance du service ne portent pas atteinte aux valeurs fondamentales du service public et que la puissance publique reste effectivement capable de maîtriser les choses, il peut être positif pour l’usager et/ou le contribuable que tout ou partie du service soit externalisé : les gains issus de la mutualisation par le prestataire doivent être partagés en deux (une part pour le prestataire, son profit, et une part pour l’acteur public). La principale difficulté vient de la capacité de l’acteur public de bien négocier le contenu de la prestation attendue et les conditions de rémunération. Malheureusement, ce n’est encore que très rarement le cas.

On ne fait plus

Il existe certainement des missions à abandonner totalement, ce qui génère immédiatement des gains et, sous les mêmes conditions que précédemment, des économies. Mais de telles missions totalement obsolètes sont sans doute rares. Sans s’interdire de les débusquer, il est préférable de donner la priorité au reformatage des autres.

Ces économies peuvent concerner le nombre des agents publics comme les moyens des administrations. Cependant, elles n’apparaîtront que progressivement, parfois même après une bosse de dépenses (ex : projets SI, coûts de transformation RH et/ou immobilier, etc.). En outre, les économies générées seront la plupart du temps de faibles montants unitaires répartis sur l’ensemble du territoire, et les « mobiliser » n’est souvent pas évident. Pour autant, leur montant cumulé peut atteindre des sommes très importantes, sans doute de plusieurs milliards d’euros en base au bout de cinq ans dans l’hypothèse d’une approche volontaire et large [147] .

Les démarches de modernisation doivent donc être engagées sans tarder, mais ne peuvent participer de façon significative au respect de la contrainte avant un ou deux ans. Il est donc nécessaire d’agir sur l’autre grand type de dépenses : les dépenses d’intervention, tant au niveau de l’État qu’au niveau des autres acteurs de l’action publique.

Ce mode d’action est techniquement plus simple et donne des effets immédiats. Il est cependant politiquement très délicat car le Gouvernement doit assumer de moins doter certaines politiques publiques. En outre, l’effet récessif d’un abaissement des dépenses d’intervention est fort.

La réponse au risque politique ne peut passer que par des mesures allant dans le sens d’une plus grande équité. On peut ainsi s’interroger sur la justification des aides au logement pour les étudiants dont les parents disposent de revenus très conséquents. Le principe d’équité pourrait dans ce cas l’emporter sur celui d’égalité.

Pour ce qui concerne le risque économique, la meilleure réponse consiste sans doute à orienter les dépenses d’intervention vers les actions les plus « riches en emploi » par euro distribué. Une telle priorisation pourrait intervenir à deux niveaux : entre politiques publiques (dans le respect des grandes priorités « stratégiques ») mais aussi au sein de chaque politique. Il conviendrait d’évaluer les conséquences macro-économiques d’une telle inflexion dans les critères d’attribution, mais il n’est pas certain qu’elles soient négatives, l’effet d’augmentation de la « productivité en emploi » l’emportant sur la baisse brute des dépenses d’intervention.

Plan d’occupation des sols de l’action publique (POSAP)

Il recense les secteurs fonctionnels des acteurs publics, avec pour chacun d’eux les aspects métiers (ex : missions et programmes LOLF pur l’État), ainsi que les secteurs relatifs aux fonctions supports (RH, finances, immobilier, juridique, etc.) au pilotage (incluant le contrôle), aux échanges (avec les usagers, les autres administrations, les acteurs internationaux, etc.) et enfin aux données transverses (relatives aux usagers, aux entités publiques ou privées, aux diverses nomenclatures, etc.).

Annexe 5 – Les cartographies à élaborer

Cartographie des missions et des processus

Elle doit être élaborée à chaque niveau administratif, par zooms successifs de chaque case du POSAP. Ce travail de recensement et de structuration de ce qui devrait être fait, en application des textes, et des processus sous-jacents n’existe que rarement, tant au niveau de l’État que des collectivités territoriales et des opérateurs. Les textes constitutifs des entités, les rapports annuels et les fiches de poste des agents sont souvent les seuls éléments écrits sur ces sujets, sans traduction opérationnelle, ce qui les rend insuffisants au regard des besoins.

Cartographie de l’allocation des ressources et des compétences :

Sur chaque mission (et si possible chaque processus), cette cartographie recense les ressources affectées pour remplir la mission (moyens financiers, moyens humains, types de compétences, localisation géographique), par entité et au global pour la mission/processus, à l’instant présent et à échéance.

Cartographie de l’activité

Pour chaque mission/processus elle mentionne le nombre de dossiers traités, d’entités à piloter, contrôler ou évaluer, etc.

Cartographie des risques

Pour chaque mission/processus, cette cartographie indique les dangers, leur criticité, leur probabilité d’occurrence, ainsi que les moyens de maîtriser ces risques, les risques résiduels, etc.

Cartographie des systèmes d’information

Recensement des SI disponibles, des projets, avec leurs principales caractéristiques (gouvernance, conditions d’exploitation et de maintenance, compatibilité aux règles d’interopérabilité, etc.). Cette cartographie couvre les applications métiers, mais aussi les référentiels, les fonctions d’échange, de pilotage ou de support, dans une logique d’urbanisation, traditionnelle en SI.

Annexe 6 – Grands projets informatiques : les raisons de l’échec actuel du logiciel Louvois de paie des militaires

Les auditions parlementaires concernant le logiciel Louvois, qualifié de désastre par le ministre de la défense le 27 mai 2013 à Nancy, illustrent les défauts des grands projets publics.

1/ Un projet trop ambitieux pour être réaliste

Il s’agissait de refondre en une fois les systèmes de solde des trois armes, d’y intégrer la gestion des ressources humaines fournissant en amont les éléments de calcul, puis dans le même mouvement de raccorder le tout à l’opérateur national de paye (ONP).

La complexité de ce type de logiciel, tenant à la diversité des règles à prendre en compte et à la grande difficulté à les documenter à mesure qu’elles ont été ajoutées aux programmes existant, ne semble pas avoir été appréhendée.

Audition de l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées [148]  : «  Mais j’en viens à penser que c’est le cœur du système Louvois qui constitue le fond du problème : vraisemblablement, il a été mal, ou insuffisamment, spécifié. Qui a pris ces décisions techniques ? […] il faut préciser que les spécifications ont été définies sans que les armées y soient systématiquement associées  ».

2/ Une mise en place aux forceps, déconnectée de la réalité

Le démantèlement d’éléments essentiels du dispositif en place – les centres chargés des soldes de l’armée de terre – a été engagé sans garantie d’aboutissement de la nouvelle application, alors qu’ils pouvaient continuer à assurer leur fonction. Comme pour couper les ponts et faire avancer coûte que coûte la machine administrative.

Audition de l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées : «  On dit souvent que l’ancien logiciel de solde de l’armée de terre était obsolète : il est vrai qu’il vieillissait, mais on ne peut pas dire qu’il risquait de s’effondrer de façon imminente à l’automne 2011. Il est d’ailleurs encore utilisé pour la solde de nos 96 000 gendarmes, quelle que soit la complexité de leur régime indemnitaire. Simplement, le vieillissement du logiciel conduit à une hausse des coûts de maintenance.  »

3/ L’absence de procédures formalisant les responsabilités

L’absence de procédures conformes aux règles de l’art de la gestion des grands projets informatiques, permettant de responsabiliser les décideurs, ressort des auditions parlementaires.

Les processus internes de décision ne se sont pas appuyés sur des évaluations formalisées, identifiant les responsabilités :

Audition de M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration [149]  : «  D’ailleurs, toutes les décisions de bascule ont été collectives, présentées par l’ensemble du ministère au ministre  ».

Audition de M. Jacques Roudière, contrôleur général des armées, ancien directeur des ressources humaines du ministère de la Défense [150]  : «  Lorsque j’ai pris la tête du comité directeur, en mai 2010, aucun test de bout en bout de la chaîne de Louvois n’avait été réalisé  ».

Audition de M. Christian Piotre, chef du contrôle général des armées [151]  : «  je suis formel : si des alertes sur la gravité de ce qui allait se passer étaient parvenues au ministre ou à ses grands subordonnés, dont notamment le CEMA et moi-même, jamais il ne lui aurait été conseillé d’opérer le raccordement. Le ministre était dans une relation de confiance avec ses principaux collaborateurs. Cela dit, je n’exclus pas qu’il y ait eu soit des ruptures dans la remontée de l’information du terrain, soit une mauvaise prise en compte de celle-ci du fait des bouleversements d’organisation que nous avons connus.  »

Le contrôle de la relation avec les prestataires semble s’être focalisé sur le cahier des charges, sans s’attacher suffisamment à vérifier la réalité des travaux réalisés :

Audition de M. Christian Piotre, chef du contrôle général des armées : «  S’agissant des prestataires extérieurs, les procédures des marchés ont a priori été respectées, qu’il s’agisse de l’ouverture à la concurrence ou des conditions de passation de ceux-ci. Le ministère de la défense a procédé à la modernisation de sa fonction achat et les représentants du pouvoir adjudicateur sont maintenant au bon niveau. Mais il peut y avoir des difficultés sur les cahiers des charges. Soit ils sont imprécis, et ils laissent une marge de manœuvre importante aux prestataires et l’on constate a posteriori des prestations qu’on n’avait pas envisagées – il faudra voir si c’est le cas en l’occurrence -, soit leur niveau d’exigence est tel qu’il accroît sensiblement le coût de la prestation.  »

Audition de l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées : «  Il est vrai que Louvois a fait l’objet de trop peu de tests. Les marchés publics de ce type comprennent toujours une clause optionnelle, permettant le développement de plateformes de simulation ou de tests à la demande du ministère. Mais cette option a un coût, et l’ordonnateur du marché a souvent tendance à « rogner » sur cette dépense. C’est au directeur de programme qu’il appartient d’être suffisamment puissant pour obtenir la réalisation des tests nécessaires ; ils mériteraient d’ailleurs d’être rendus obligatoires.  »

Annexe 7 – Projet de loi relative à l’organisation de la fonction publique et aux garanties fondamentales accordées à ses agents

Les textes ci-dessous ont été rédigés par Jean-Ludovic Silicani à la fin de l’année 2008 à la suite du libre blanc sur l’avenir de la fonction publique et afin de le mettre en œuvre si le gouvernement le souhaitait. Terra Nova tient à remercier leur auteur d’avoir accepté de les joindre en annexe de ce rapport.

PRESENTATION DU PROJET DE LOI

I. OBSERVATIONS GENERALES

Le projet de loi porte sur les éléments fondamentaux du nouveau régime visant à la mise en place d’une fonction publique de métiers dans l’esprit du livre blanc sur l’avenir de la fonction publique : principes fondamentaux d’organisation et garanties fondamentales accordées aux agents, conformément à l’article 34 de la Constitution.

Cette « loi-cadre », qui traite de tout ce qui est commun à l’ensemble de la fonction publique, dans ses trois composantes, serait complétée par une loi plus détaillée traitant notamment des dispositions spécifiques à chacune des trois composantes de la fonction publique, et par des décrets d’application.

Cette loi est brève et rédigée dans des termes qui cherchent à éviter les concepts trop techniques.

L’objectif est qu’elle soit claire compréhensible par le plus grand nombre.

II. OBSERVATIONS PARTICULIERES A CERTAINS ARTICLES

Art. 1er : Le concept de fonction publique couvrirait désormais tous les agents, qu’ils soient titulaires ou contractuels.

Art. 2 : Il pose le principe nouveau que tous les emplois de la fonction publique peuvent être occupés par des agents titulaires et, à titre complémentaire, par des agents contractuels.

TITRE II (droits et obligations)

Pour la première fois les « droits et obligations » concerneraient tous les agents titulaires ou contractuels.

Art. 3 : On introduit dans la loi la référence au corpus des valeurs et des principes, fondement de l’éthique de la fonction publique, et on prévoit la charte qui les rassemble et en précise la portée pratique.

Art. 4 à 8 : Ils reprennent et rassemblent, en les résumant, les modernisant et les complétant, des dispositions actuelles, parfois éparses. L’article 8 prévoit que les obligations, en matière d’hygiène et de sécurité, sont identiques à celles prévues par le code du travail (pour le secteur privé) généralement plus favorables aux agents et déjà applicables à certains services publics.

Art. 9 à 13 : Mêmes remarques que pour les articles 4 à 8.

TITRE III : Les principes fondamentaux de l’organisation de la fonction publique

Cette partie de la loi est presqu’entièrement nouvelle. Elle comporte des articles applicables à tous les agents (14 à 17), aux seuls titulaires (18 à 24) ou aux seuls contractuels (25).

Art. 14 : Toute personne peut accéder à la fonction publique, sans plus aucune autre condition que celle de la jouissance des droits civiques, notamment de nationalité. L’essentiel des emplois de la fonction publique sont déjà ouverts aux communautaires. Il s’agit de les ouvrir à tous : pourquoi l’ouvrir à un maltais et pas un québécois ? pourquoi accepter aujourd’hui un contractuel sénégalais (qui peut occuper un emploi important) et pas un titulaire de la même nationalité ? La sélection des candidats permettra évidemment de vérifier leur nécessaire maîtrise de la langue française.

Art. 15 : Le principe d’égal accès à la fonction publique (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) est, bien sûr, confirmé mais sans faire référence expresse aux concours. Les concours seront évidemment toujours possibles et seront fréquemment utilisés, mais pas obligatoires, afin de diversifier les profils et d’enrichir la fonction publique.

Art. 16 : Mise en œuvre du « principe de mobilité ». Mention de la publicité obligatoire de tous les emplois vacants sur la bourse de l’emploi public (commune aux trois fonctions publiques).

Art. 17 : Définition et portée de l’entretien d’évaluation, outil décisif de la personnalisation des carrières.

Les articles 18 à 24 concernent les agents titulaires.

Art. 18 : Il fixe la nouvelle organisation de la fonction publique de métiers : plusieurs filières professionnelles, cadres statutaires ; distinction du grade et de l’emploi.

Art. 19 : Il fixe le nouveau régime de la rémunération à deux composantes : celle du grade et celle de l’emploi, la seconde comportant une part fixe liée à la fonction et une autre variable liée aux résultats.

Art. 20, 21 et 22 : Reprennent, en les ajustant, les dispositions actuelles.

Art. 23 et 24 (relatifs à la discipline et à la cessation des fonctions) : ils reprennent, en les ajustant, les dispositions actuelles.

Art. 25 : Relatif au régime des contractuels.

Les agents contractuels des administrations ne bénéficient actuellement ni de la protection du statut des titulaires, ni de celle du code du travail. L’objectif est donc de les faire bénéficier d’une de ces deux protections.

Pour les emplois comportant une prérogative de puissance publique, il est prévu que les agents contractuels sont régis par les dispositions de la présente loi précisées par décret en Conseil d’Etat.

Pour les autres emplois, les agents contractuels sont régis, d’une part, par certaines dispositions de la présente loi (art. 3 à 17 et 26 à 30), d’autre part, par les dispositions du code du travail qui ne sont pas contraires aux mêmes articles de la présente loi, afin de tenir compte des spécificités du service public.

Art. 26 : Il porte sur la participation et le dialogue social. La principale innovation consiste à prévoir que, comme dans le secteur privé, les accords collectifs pourront avoir force obligatoire, ce qui ouvrira un champ considérable à la négociation.

Art. 27 : Il prévoit des dispositions finales notamment relatives au « reclassement » des agents en activité à la date d’entrée en vigueur de la loi.

PROJET DE LOI RELATIVE A L’ORGANISATION DE LA FONCTION PUBLIQUE ET AUX GARANTIES FONDAMENTALES ACCORDEES A SES AGENTS

TITRE I : DISPOSITIONS LIMINAIRES

Art. 1er : La fonction publique, au sens de la présente loi, se compose, en premier lieu, des agents de l’Etat, à l’exception des magistrats de l’ordre judiciaire, des militaires et des agents des assemblées parlementaires, en deuxième lieu, des agents des collectivités territoriales, et enfin, des agents de leurs établissements publics administratifs, notamment hospitaliers.

Art. 2 : Les emplois de la fonction publique sont occupés, à titre principal, par des agents titulaires, et, à titre complémentaire, par des agents contractuels.

TITRE II : LES DROITS ET LES OBLIGATIONS DES AGENTS DE LA FONCTION PUBLIQUE

Art. 3 : Les agents de la fonction publique et les employeurs publics doivent respecter, notamment dans leurs relations réciproques et vis-à-vis des citoyens et des usagers du service public, d’une part, les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, d’autre part, les principes du service public tels que la légalité, la probité, l‘impartialité, la laïcité, la continuité, l’adaptabilité, l’efficacité et l’obligation de rendre compte de son action. Ces valeurs et principes constituent le fondement de l’éthique de la fonction publique.

Une charte, qui n’a pas, par elle-même, de caractère normatif, rassemble, en précisant leur portée pratique, ces valeurs et ces principes. Elle est élaborée par une commission nationale qui a, par ailleurs, pour mission de veiller au respect de ces valeurs et principes et de faire, en ce domaine, des recommandations aux pouvoirs publics.

CHAPITRE I : LES DROITS

Art. 4 : La liberté d’opinion, la liberté de se présenter à une élection, le droit de créer un syndicat ou d’y adhérer et le droit de grève sont garantis aux agents de la fonction publique. Ces libertés et ces droits s’exercent dans le cadre des lois en vigueur, notamment des articles L. 2141–1 à L. 214I-3, L.2141–5 à L. 2141–8 et L. 2512–2 à L.2512–4 du code du travail.

Art. 5 : Aucun agent de la fonction publique ne peut faire l’objet d’une discrimination, directe ou indirecte, en raison de ses opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de son origine, de son sexe, de son orientation sexuelle, de son âge, de son état de santé, de son handicap, de son patronyme, de son apparence physique, de son appartenance, véritable ou supposée, à une race, une ethnie ou une communauté.

Toutefois des dispositions peuvent être édictées par la loi, prenant en compte le sexe, l’âge ou l’aptitude physique de l’agent, si ces facteurs ont une incidence déterminante sur les conditions mêmes d’exercice de certains emplois.

Art. 6 : Aucun agent de la fonction publique ne peut subir de harcèlement notamment, d’une part, du fait d’une personne dont le but est d’octroyer des faveurs de nature sexuelle, à son profit ou au profit d’un tiers, d’autre part, qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Art. 7 : Tout agent de la fonction publique bénéficie, à l’occasion de ses fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont il dépend, conformément aux dispositions du code pénal et aux autres dispositions législatives en vigueur.

La collectivité publique est notamment tenue, d’une part, de protéger l’agent contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il pourrait être victime à l’occasion de ses fonctions, et réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté, d’autre part, d’accorder la protection à l’agent, ou l’ancien agent, dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle.

Art. 8 : Tout agent de la fonction publique bénéficie, durant son travail, de conditions d’hygiène et de sécurité, de nature à préserver sa santé physique et mentale, identiques à celles des salariés régis par le code du travail.

CHAPITRE II : LES OBLIGATIONS

Art. 9 : Tout agent de la fonction publique consacre l’intégralité de son activité professionnelle aux missions qui lui sont confiées. Il ne peut exercer d’activités professionnelles privées lucratives.

Des dispositions législatives déterminent les exceptions à ces obligations, les conditions de cumul d’activités ainsi que les conditions d’exercice d’activités lucratives par les agents de la fonction publique ayant cessé leurs fonctions.

Art. 10 : Tout agent de la fonction publique, quel que soit son niveau hiérarchique, est responsable de la bonne exécution des missions qui lui sont confiées. Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés.

Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement l’ordre public.

Il peut être requis dans les conditions et selon les modalités définies par le code de la défense.

Art. 11 : Tout agent de la fonction publique peut voir sa responsabilité financière mise en cause, à raison des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, devant la cour de discipline budgétaire et financière, conformément au code des juridictions financières, sans préjudice de l’action pénale ou disciplinaire.

Art. 12 : Tout agent de la fonction publique est tenu au secret professionnel dans les conditions prévues par le code pénal.

Il doit, en outre, faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Il ne peut être délié de cette obligation, en dehors des cas expressément prévus par les dispositions en vigueur, notamment en matière d’accès aux documents administratifs, que par décision expresse de l’autorité dont il dépend.

Art. 13 : Tout agent de la fonction publique doit satisfaire aux demandes d’information du public, sous réserve des informations protégées par la loi.

Il doit notamment respecter les obligations d’information prescrites par l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

Il doit, en outre, transmettre au procureur de la République les informations prévues par l’article 40 du code pénal.

TITRE III : LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE L’ORGANISATION DE LA FONCTION PUBLIQUE

CHAPITRE I : DISPOSITIONS COMMUNES A TOUS LES AGENTS DE LA FONCTION PUBLIQUE

Art. 14 : Toute personne jouissant de ses droits civiques peut accéder à la fonction publique, dès lors qu’elle s’exprime en français, oralement et par écrit.

Art. 15 : Afin de rendre effectif le principe d’égal accès aux emplois publics, la sélection des candidats recrutés se fait exclusivement en fonction de leurs mérites et de leurs compétences, dans des conditions et selon des modalités garantissant le caractère impartial de la sélection. Le même principe s’applique à la promotion des agents.

Art. 16 : Afin de rendre effectif le principe de mobilité des agents de la fonction publique, ceux-ci ont accès à l’ensemble des emplois de la fonction publique, sous réserve que leurs compétences correspondent à celles exigées pour les emplois à pourvoir et, s’agissant des professions réglementées, que les agents détiennent les diplômes et titres requis. Tous les emplois vacants sont rendus publics par la voie d’une bourse de l’emploi public. L’agent exerce son emploi dans le cadre d’une convention d’affectation.

Art. 17 : Afin de rendre effectifs, en les conjuguant, les principes d’égalité et d’efficacité, l’appréciation de la valeur professionnelle d’un agent, la fixation des objectifs qui lui sont assignés, la vérification des résultats atteints, l’identification de ses attentes et de ses besoins professionnels, s’opèrent dans le cadre d’un entretien périodique d’évaluation. Cet entretien est effectué dans des conditions et selon des modalités garantissant son caractère contradictoire et impartial.

Cette évaluation est prise en compte pour la détermination du parcours professionnel de l’agent, pour sa promotion et pour la fixation de la part variable de sa rémunération.

CHAPITRE II : DISPOSITIONS RELATIVES AUX AGENTS TITULAIRES DE LA FONCTION PUBLIQUE

Art. 18 : Pour ce qui concerne les agents titulaires, la fonction publique est composée de plusieurs filières de métiers qui comportent chacune quatre niveaux de qualification. A chaque niveau correspond, en principe, un cadre statutaire. Il peut exceptionnellement y correspondre plusieurs cadres statutaires.

Tout agent relève d’un cadre statutaire. Il y accède, soit dans les conditions fixées à l’article 15 de la présente loi, soit directement, si l’intéressé occupait déjà un grade ou un emploi public de même niveau que ceux du cadre statutaire d’accueil.

Les cadres statutaires peuvent être communs à l’ensemble de la fonction publique ou spécifiques, soit à l’Etat, soit aux collectivités territoriales, soit enfin aux établissements hospitaliers.

Chaque cadre statutaire est régi par des règles fixées par décret en Conseil d’Etat. Il comprend plusieurs grades.

Chaque agent est titulaire d’un de ces grades.

Le grade est distinct de l’emploi.

Il est tenu, pour chaque agent, un dossier individuel, auquel il a en permanence accès, qui doit comprendre toutes les pièces intéressant sa situation administrative. Il ne peut y être fait état, ni de ses opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques, ni des mentions effacées par l’amnistie.

Art. 19 : Tout agent bénéficie, outre les prestations et indemnités liées à sa situation familiale, d’une rémunération qui comprend deux éléments : l’un, le traitement, lié à son grade ; l’autre lié à son emploi. Ce second élément comprend une part fixe correspondant à la fonction confiée à l’agent et une part variable dont le niveau est déterminé au regard des résultats atteints par l’agent, appréciés dans les conditions prévues à l’article 17 de la présente loi.

Les deux éléments ouvrent des droits pour la retraite.

La rémunération d’un agent est réduite ou supprimée si les obligations de service de l’agent ne sont pas, ou ne sont que partiellement, remplies.

Art. 20 : Tout agent bénéficie de congés annuels, des fêtes légales fériées prévues par l’article L.3133–2 du code du travail, de congés de maternité, de paternité, de naissance ou d’adoption ainsi que des congés liés aux charges parentales. Il bénéficie, en outre, de congés de maladie, de longue maladie et de longue durée ainsi que de congés pour accident du travail.

Art. 21 : Tout agent bénéficie de prestations d’action sociale, distinctes de la rémunération, ainsi que d’une protection sociale, dans le cadre du régime général des salariés ou de régimes spéciaux.

Art. 22 : Tout agent bénéficie d’une formation initiale et d’une formation professionnelle tout au long de la vie.

Art. 23 : Toute faute commise par un agent dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par le code pénal.

Le pouvoir disciplinaire appartient à l’autorité investie du pouvoir de nomination.

L’instance disciplinaire a un caractère paritaire.

L’agent auteur d’une faute propre, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, peut être suspendu par l’autorité ayant le pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, l’instance disciplinaire.

L’agent à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel. L’administration doit informer l’agent de son droit.

Art. 24 : La cessation définitive d’activité, qui entraîne la perte du statut d’agent titulaire de la fonction publique, résulte : 1) de la démission régulièrement acceptée ; 2) de la non réintégration à l’issue d’une cessation temporaire d’activité ; 3) de l’admission à la retraite ; 4) du licenciement ; 5) de la révocation ; 6) de la déchéance de ses droits civiques ; 7) de l’interdiction par décision de justice d’exercer un emploi public. A l’expiration de la période de privation des droits civiques ou d’interdiction d’exercer un emploi public, l’agent peut solliciter sa réintégration auprès de l’autorité ayant pouvoir de révocation.

CHAPITRE III : DISPOSITIONS RELATIVES AUX AGENTS CONTRACTUELS DE LA FONCTION PUBLIQUE

Art. 25 : Lorsqu’ils occupent des emplois comportant des prérogatives de puissance publique, les agents contractuels de la fonction publique relèvent exclusivement des dispositions de la présente loi précisées par décret en Conseil d’Etat.

Lorsqu’ils occupent d’autres emplois, les agents contractuels de la fonction publique sont régis, d’une part, par les articles 3 à 17 et 26 à 30 de la présente loi, d’autre part, par celles des dispositions du code du travail qui ne sont pas contraires aux dispositions de ces mêmes articles de la présente loi.

Des conventions et accords collectifs négociés et conclus aux différents niveaux de l’administration, dans les conditions prévues à l’article 26 de la présente loi, déterminent les conditions d’emploi et de travail, les modalités de la formation professionnelle et les garanties sociales des agents contractuels.

TITRE IV : LA PARTICIPATION ET LE DIALOGUE SOCIAL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Art. 26 : Les organisations syndicales de la fonction publique ont qualité pour débattre, aux différents niveaux de l’administration, avec les employeurs publics, et pour conduire avec eux des négociations portant sur les questions concernant les agents qu’elles représentent. Ces négociations peuvent se conclure par des accords collectifs ayant force obligatoire, dans des domaines et selon des modalités fixées par la loi.

Les accords collectifs peuvent porter notamment sur les sujets mentionnés à l’article 25 de la présente loi ainsi que sur la politique de l’emploi de chaque administration.

Les agents de la fonction publique participent, par l’intermédiaire de leurs délégués, dans le cadre d’organes consultatifs, à l’organisation et au fonctionnement des services, à l’élaboration des textes qui les régissent et à l’examen de certaines décisions individuelles les concernant, enfin, à la définition et à la gestion de l’action sociale, culturelle et sportive les concernant.

TITRE V : DISPOSITIONS FINALES

Art. 27 : A compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les agents titulaires de la fonction publique en activité à cette date sont reclassés dans le cadre statutaire correspondant au domaine et au niveau de qualification de leur corps, cadre d’emplois ou emploi d’origine, à un indice égal ou immédiatement supérieur à celui qu’ils détenaient précédemment. A emploi égal, leur nouvelle rémunération ne peut être inférieure à celle dont ils bénéficiaient précédemment.

A compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, il sera proposé aux agents contractuels de la fonction publique, soit de conserver leur régime juridique existant, soit, pour ceux d’entre eux n’exerçant pas de prérogatives de puissance publique, de bénéficier d’un contrat, dans les conditions prévues par l’article 25 de la présente loi, dont les clauses substantielles, notamment la nature de l’emploi exercé, le lieu du travail et la rémunération, sont identiques à celles de leur précédent contrat.

Art. 28 : La présente loi sera complétée, d’ici à son entrée en vigueur, par des dispositions législatives et sera précisée par des dispositions règlementaires.

Art. 29 : Abrogation.

Art. 30 : La présente loi entre en vigueur à compter du …

  1. Pseudonyme.

  2. Cf l’étude décennale sur les valeurs des Européens. Pierre Bréchon et Frédéric Gonthier : Atlas des Européens. Valeurs communes et différences nationales ; Armand Colin, 2013.

  3. Prospectives de la conduite du changement dans le secteur public : premiers résultats. In Regards prospectifs sur l’État stratège , pp. 65–69, Le Plan, 2003. La Documentation française.

  4. Télé-services remplissables en ligne, adaptés à la situation du demandeur, aide en ligne, simplification des termes, etc.

  5. Nelly Fesseau et Gabriel Lavenir, Numérique : Renouer avec les valeurs progressistes et dynamiser la croissance , Terra Nova, 2012 – proposition n°36. http://www.tnova.fr/sites/default/files/121012Terra%20Nova%20-%20Rapport%20-%20Numerique%20-%20Contribution%20n%C2%B025_1.pdf

  6. Sur le RSA activité, deux tiers des personnes éligibles à cette prestation ne font pas valoir leurs droits.

  7. L’ouverture du Référentiel grande échelle (RGE) de l’IGN a induit un bénéfice social estimé à 114 M€, pour un manque à gagner de 6 M€ de redevances. En Grande-Bretagne les bénéfices induits pour la société britannique sont estimés à 7,9 Md€ pour 2010 et 2011, dont 5,8 Md€ de bénéfices sociaux.

  8. Exemple : http://challenge.gov : le Gouvernement américain ou une de ses agences soumet un problème auquel il/elle est confronté(e). Les citoyens et entreprises qui le souhaitent peuvent relayer le problème autour d’eux et proposer des solutions dans un calendrier fixé au préalable.

  9. Gigalis, réseau régional public de télécommunication à très haut débit, mis en œuvre, depuis 2008, sur une initiative du Conseil régional des Pays de la Loire.

  10. Direction générale de l’administration et de la fonction publique.

  11. Pour un Commissariat général à la stratégie et à la prospective , Yannick Moreau, Rapport au Premier ministre, décembre 2012. La Documentation française.

  12. Cour des Comptes, L’organisation territoriale de l’État , juillet 2013. www.ccomptes.fr .

  13. 50 sous-préfecture ont 10 ETP ou moins. Dans 31 départements, les effectifs chargés de la concurrence et de la répression des fraudes sont de 3 à 9 agents (source : Cour des Comptes).

  14. A titre de comparaison, les banques dépensent chaque année entre 8 % et 12 % de leur chiffre d’affaires en SI.

  15. Jean-Ludovic Silicani : «  Libre blanc sur l’avenir de la fonction publique », avril 2008. La Documentation Française

  16. Entretien avec la mission, octobre 20013.

  17. En France, après la phase de reconstruction (jusqu’à la fin des années 60) et d’équipement massif des ménages (voitures, électroménager), le baby-boom, l’exode rural et la décolonisation induisent un chômage de masse. La fin d’une inflation forte à partir années 80 stoppe l’augmentation rapide des salaires, accentuant le sentiment des ménages d’une stagnation de leur pouvoir d’achat. L’impression d’un monde dur, d’une période de rigueur sans fin s’installe malgré une croissance quasi ininterrompue jusqu’à aujourd’hui.

  18. Cf l’étude décennale sur les valeurs des Européens. Pierre Bréchon et Frédéric Gonthier : Atlas des Européens. Valeurs communes et différences nationales ; Armand Colin, 2013.

  19. Il est aujourd’hui estimé qu’environ 2/3 de la réglementation est directement (règlements) ou indirectement (directives) d’origine communautaire.

  20. Cf le rapport public thématique de la Cour des Comptes : L’organisation territoriale de l’État , juillet 2013.

  21. Forces de défense et de sécurité, justice.

  22. Comptes rendus de la commission de contrôle de l’application des lois – forum sur l’application des lois – 16 avril 2013. Sénat. (http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20130415/applois.html).

  23. Conseil d’État, rapport public annuel 2006, Sécurité juridique et complexité du droit , site du Conseil d’État ou La Documentation française.

  24. L’État en France – Servir une nation ouverte sur le monde , mission sur les responsabilités et l’organisation de l’État, mai 1994, La Documentation française.

  25. L’organisation territoriale de l’État – rapport thématique. Cour des Comptes juillet 2013 ; page 146. www.ccomptes.fr

  26. Voir à ce propos l’excellent rapport de Thierry Mandon, député de l’Essonne, «  Mieux simplifier – La simplification collaborative  » ; Rapport au Premier ministre, 2013. Le présent rapport adhère à la fois au constat et aux propositions. http://www.economie.gouv.fr/files/rapportfinal_thmandon.pdf

  27. Christian Blanc et Alain Ménéménis, Pour un État stratège, garant de l’intérêt général , rapport de la Commission « État, Administration et Services Publics de l’An 2000 », Commissariat général du Plan, La documentation française, 1993.

  28. Sylvie Trosa, in Politiques et management public, année 1993, Volume 11, Numéro 3, p. 176 – 179.

  29. L’État en France – Servir une nation ouverte sur le monde , mission sur les responsabilités et l’organisation de l’État, mai 1994, La Documentation française.

  30. Système d’information du ministère des finances destiné aux opérations budgétaires et comptables de l’État. Lancé au début des années 2000 pour accompagner la mise en œuvre de la LOLF, sous le nom d’Accord, puis d’Accord 2, il est reformaté en 2006 et prend alors le nom de CHORUS.

  31. IGF-IGA-IGAS, Bilan de la RGPP et conditions de réussite d’une nouvelle politique de réforme de l’État , Marianne Bondaz, Sophie Delaporte, Werner Gagneron, Philippe Rey, Cyrille Bret, Martine Marigeaud, Pierre Deprost, Nathalie Destais, Yves Rabineau et Michel-Henri Mattera, septembre 2012, La Documentation française.

  32. Direction des relations économiques extérieures.

  33. Prospectives de la conduite du changement dans le secteur public : premiers résultats. In Regards prospectifs sur l’État stratège , pp. 65–69, Le Plan, 2003. La Documentation française.

  34. Mission interministérielle de soutien technique pour le développement des technologies de l’information et de la communication dans l’administration.

  35. Commission pour les simplifications administratives.

  36. Commission pour la simplification des formalités.

  37. Agence pour le développement de l’administration électronique.

  38. Agence pour les technologies de l’information et de la communication dans l’administration.

  39. Délégation pour la modernisation de la gestion publique et des structures de l’État.

  40. Délégation aux usagers et aux simplifications administratives.

  41. Direction générale de la modernisation de l’État.

  42. Direction de la réforme budgétaire.

  43. Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique et Direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique.

  44. IGF-IGA-IGAS, Cadrage méthodologique des politiques publiques partenariales – guide , Jean-Pierre Battesti, Marianne Bondaz, Martine Marigeaud et Nathalie Destais, décembre 2012.

  45. La réforme de l’État à l’étranger , rapport d’information n° 348, Sénat, 2001.

  46. IGF, Étude des stratégies de réforme de l’État à l’étranger , n° 2010-M-098–02, Maud Bailly, Jérôme Itty, Victor Paulhac, Déborah Lévy, Matthieu Hybert, Anne Paugam, avril 2011. La Documentation française.

  47. Cette contrainte indépassable de continuité de fonctionnement explique dans une large mesure que la mise en place de la LOLF en France, qui devait être un bouleversement total dans la gestion publique, ne l’a été dans les faits que pour le Parlement et assez peu pour les administrations qui, ne disposant au milieu des années 2 000 ni des outils (SI), ni des compétences pour s’adapter aux nouvelles règles, ont dû mettre en place des stratégies de contournement : elles géraient en mode « ordonnance de 59 » avec les apparences du mode LOLF. Sur la persistance d’une gestion fondée sur l’Ordonnance de 59, voir le rapport IGA-IGF : Réforme de l’administration territoriale de l’État : optimisation des modalités de gestion budgétaire et de gestion des ressources humaines , Valérie Péneau, Dominique Beillon, Ariane Cronel, François Auvigne et Jean-Pierre Jochum, IGF n° 2012-M-009–01.

  48. Réforme de l’État en Suède, synthèse des bonnes pratiques , Mission économique de Stockholm, novembre 2004.

    http://www.minefi.gouv.fr/performance/comparaisons/BonnesPratiquesSuede2004.pdf

  49. Voir à ce propos l’exemple Australien : The Australian Experience of Public Sector Reform , Australian Public Service Commission, 2003. http://www.apsc.gov.au/publications-and-media/archive/publications-archive/history-of-reform.

  50. Un tel service existe déjà en France avec « mon.service-public.fr », lancé en 2004 et ouvert en 2008. Peu médiatisé, il est mal connu du public.

  51. Voir à ce sujet Michel Crozier et Erhard Friedberg « L’acteur et le système », Éditions du Seuil, 1977, et Pierre Bourdieu « La noblesse d’État », Éditions de Minuit, 1989.

  52. https://www.pre-plainte-en-ligne.gouv.fr/

  53. Voir à ce propos :

    http://www.ccomptes.fr/content/download/53089/1415090/version/1/file/2_1_4_RSA_activite.pdf .

    http://rsa-revenu-de-solidarite-active.com/dossier-rsa/11-formulaire-rsa.html

    http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/dossier_de_presses/rapport_-de_christophe_sirugue_depute_de_saone-et-loire.pdf

  54. Direction de la modernisation de la gestion publique et des structures de l’État.

  55. Évaluation des politiques publiques.

  56. Le principe du droit administratif selon lequel l’administration est a priori de bonne foi en est une illustration : en cas de désaccord avec l’usager, c’est par principe elle qui a raison.

  57. Jugée sur sa propre représentation de la qualité, à savoir en premier lieu l’absence d’erreur dans l’application des textes.

  58. Le délai de réponse pour les administrations est variable : il peut aller de 1 mois (ex : déclaration de travaux) à plusieurs années (ex : trois ans pour la réponse à un contribuable en matière fiscale).

  59. http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do?idDocument=JORFDOLE000027383954&type=general

  60. Source : Cour des Comptes, Référé, Les relations entre l’État et l’ordre des pharmaciens, mars 2013. www.ccomptes.fr .

  61. Source : Cour des Comptes, L’organisation territoriale de l’État , juillet 2013. www.ccomptes.fr .

  62. On utilisera indifféremment les termes de puissance publique, d’action publique ou d’État. Ces notions ne se recoupent pas totalement, mais ne se distinguent pas non plus simplement : leurs frontières varient selon le sujet abordé. En tout état de cause, cette « confusion sémantique » n’affecte pas le raisonnement.

  63. En fait, ce sont surtout les connaissances sur ces dangers qui augmentent plus que les dangers eux-mêmes. On peut citer toute la sécurité environnementale (pollutions sonores, de l’air ou de l’eau) ou la sécurité alimentaire (perturbateurs endocriniens, effets cocktails).

  64. Le pouvoir discrétionnaire correspondait peu ou prou à une telle évaluation in concreto. L’appréciation négative du pouvoir discrétionnaire devrait être reconsidérée, dès lors qu’une justification vient éclairer la décision et qu’elle peur faire l’objet d’une contestation.

  65. Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication.

  66. Voir à ce propos l’exemple canadien d’initiative pour réduire la paperasserie (2011) : www.reduirepaperasserie.gc.ca et un rapport de l’OCDE de 2007 : Éliminer la paperasserie : des stratégies nationales . www.oecd.org/fr/gov/politique-reglementaire/38016347.pdf

  67. L’IFN consiste à ce que l’administration adopte systématiquement l’interprétation du droit qui est la plus favorable à la demande de l’usager (citoyen ou entreprise). Cette proposition a fait l’objet d’une circulaire du Premier ministre le 2 avril 2013.

  68. Un droit initial trop restrictif ou précis tend à générer des dérogations. Redonner sa place au pouvoir d’appréciation par les acteurs chargés d’appliquer les textes permettrait de redonner au droit son rôle de cadre de référence et limiterait le besoin de dérogations.

  69. Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail.

  70. Centre d’information, de conseil et d’accueil des salariés. C’est un service commun aux caisses des régimes complémentaires ARRCO (tous salariés) et AGIRC (cadres).

  71. De bons exemples sont fournis par la déclaration de revenu sur Internet, par les déclarations de TVA ou par les déclarations sociales des entreprises sur net-entreprises.fr .

  72. Voir notamment le changement de coordonnées (incluant le changement d’adresse postale) de mon.service-public.fr.

  73. Voir notamment le site de paiement des amendes, très simple d’emploi ( https://www.amendes.gouv.fr/portail/index.jsp ) ou le service de mesure de la dépendance (GIR) pour l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ( http://www.aidesociale.com/Dossiers/calcul_du_gir.htm ).

  74. Est considérée comme illettrée une personne qui a appris à lire, à écrire et à compter mais qui en a perdu la maîtrise.

  75. Comparaison du coût de traitement des feuilles de soins papier et électroniques faite par La CNAMTS au milieu des années 2000. Il est vraisemblable que ce différentiel a encore augmenté depuis.

  76. Cf ante sur le RSA activité, pour lequel deux tiers des personnes éligibles à cette prestation ne font pas valoir leurs droits.

  77. 160 Md€ pour le seul État, soit 40 % de ses dépenses.

  78. Mohammed Adnène Trojette : «  Ouverture des données publiques » , rapport au Premier ministre. http://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/fichiers-attaches/20131105-rapporttrojetteannexes.pdf

  79. Institut géographique national.

  80. Association des maires de France.

  81. Assemblée des départements de France.

  82. Association des régions de France.

  83. Association des maires des grandes villes de France.

  84. L’objectif de la région des Pays-de-la-Loire était d’offrir en tout point du territoire un débit équivalent à celui disponible à Paris/La Défense au prix de Paris/La Défense.

  85. Réseau National de télécommunications pour la Technologie l’Enseignement et la Recherche.

  86. Secrétaire général du gouvernement.

  87. Direction interministérielle pour les systèmes d’information et de communication.

  88. Direction interministérielle à la modernisation de l’action publique.

  89. Direction générale de l’administration et de la fonction publique.

  90. Pour un Commissariat général à la stratégie et à la prospective , Yannick Moreau, Rapport au Premier ministre, décembre 2012. La Documentation française.

  91. Le terme même de politique publique recouvre une palette de réalités : selon la granularité retenue, on peut avoir des politiques publiques qui s’emboîtent telles de poupées gigognes ou se croisent (ex : politique agricole vs politiques sectorielles, ou politique en faveur de l’agriculture biologique vs élevage ou maraîchage). De même, toute action publique est-elle sous-tendue par une politique publique ? La réponse diffère selon les interlocuteurs et mériterait sans doute une réflexion spécifique pour éviter certaines incompréhensions.

  92. D’après différentes études, les soins n’interviennent que pour 10 à 17 % dans la santé d’une population, contre 16 à 28 % pour les facteurs biologiques (notamment génétique), 20 % pour les facteurs environnementaux (eau, air, bruit) et 34 à 53 % pour les facteurs comportementaux (alimentation, activité physique et activités à risque). Source : Nicola Cantoreggi, Pondération des déterminants de la santé en Suisse , Groupe de recherche en environnement et santé (GRES), Université de Genève, août 2010. www.unige.ch/environnement/gres/Recherches/RapportDSS.pdf .

  93. Cette réduction passerait par une diminution des dotations de l’État aux collectivités territoriales.

  94. Direction départementale des affaires sanitaires et sociales.

  95. Direction départementale de l’équipement.

  96. Agence nationale de rénovation urbaine.

  97. Source : Cour des Comptes.

  98. Direction départementale des territoires (DDT), direction départementale de la protection des populations (DDPP), et directions départementales de la cohésion sociale (DDCS), ces deux dernières étant fusionnées en une DDCSPP dans les 46 départements de moins de 400 000 habitants.

  99. 50 sous-préfecture ont 10 ETP ou moins. Dans 31 départements, les effectifs chargés de la concurrence et de la répression des fraudes sont de 3 à 9 agents (source : Cour des Comptes).

  100. Cour des Comptes, L’organisation territoriale de l’État , juillet 2013. www.ccomptes.fr .

  101. Budget opérationnel de programme.

  102. Nelly Fesseau et Gabriel Lavenir, Numérique : Renouer avec les valeurs progressistes et dynamiser la croissance , Terra Nova, 2012. www.tnova.fr/sites/default/files/121012Terra%20Nova%20-%20Rapport%20-%20Numerique%20-%20Contribution%20n°25_1.pdf.

  103. Loi n° 2000–321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

  104. Voir à ce propos le résumé du colloque « figures du préfet : une comparaison européenne », Toulouse, 17 et 18 novembre 2011.

  105. Secrétariat général aux affaires régionales.

  106. Comme le sinistre ministère de l’immigration et de l’identité nationale entre 2007 à 2009.

  107. Il serait pertinent d’abandonner la notion de secrétariat d’État, qui n’a pas d’équivalent dans les autres pays (hormis au Etats-Unis où il n’y en a qu’un qui est le ministre des Affaires étrangères), et qui donc n’est pas réellement reconnu comme un représentant politique dans les échanges internationaux.

  108. Secrétariat général du gouvernement.

  109. Secrétariat général pour les affaires européennes.

  110. Secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale.

  111. Service d’information du gouvernement.

  112. Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.

  113. Direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique.

  114. Direction interministérielle pour les systèmes d’information et de communication.

  115. Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services.

  116. Procédures de récupération des données utile, de définition de la stratégie, de pilotage, de mise en œuvre, d’évaluation de l’efficacité de l’action publique, de contrôle de l’effectivité et enfin de communication.

  117. www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/fichiers-attaches/dp- cimap _4_ evaluer .pdf

  118. A titre de comparaison, les banques dépensent chaque année entre 8 % et 12 % de leur chiffre d’affaires en SI.

  119. Direction interministérielle chargée des systèmes d’information et de communication.

  120. Office national de paie.

  121. Les référentiels ne concernent pas que les aspects « techniques » des SI, mais également la sémantique et les règles d’échange (notamment pour les aspects liés à la sécurité : identification et gestion des habilitations).

  122. Jean-Ludovic Silicani : «  Libre blanc sur l’avenir de la fonction publique », avril 2008. La Documentation Française.

  123. Bernard Pêcheur : « Rapport à Monsieur le Premier ministre sur la fonction publique » : octobre 2013. http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/11.04_rapport_bernard_pecheur_sur_la_fonction_publique.pdf

  124. Perspectives pour la fonction publique, rapport public 2003 du Conseil d’État, rapporteur général : Marcel Pochard. La Documentation française.

  125. Entretiens individuels d’évaluation chaque année ; subdivision de la rémunération en trois parties (une correspondant au grade, un complément indiciaire dépendant de la fonction et un complément indemnitaire pour la performance individuelle) ; règles déontologiques ; réduction du nombre des statuts (passage de 1700 à 200 – le rapport préconisait de descendre à 300) ; mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois.

  126. Loi n° 2007–148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique et loi n° 2007–209 du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale.

  127. Loi n° 2009–972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique.

  128. Entretien avec la mission, octobre 20013.

  129. Décret n° 2008–370 du 18 avril 2008 organisant les conditions d’exercice des fonctions, en position d’activité, dans les administrations de l’Etat.

  130. Projet de loi relative à l’organisation de la fonction publique.

  131. Cette moyenne est de fait réduite par le poids de l’Éducation nationale, où la moyenne du régime indemnitaire est à 9 %.

  132. L’appréciation du degré de mise en œuvre est parfois délicate : seuls les éléments marquants sont mentionnés.

  133. Direction des relations économiques extérieures.

  134. Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

  135. Plan local d’urbanisme.

  136. Directive territoriale d’aménagement et de développement durable.

  137. Schéma de cohérence territoriale.

  138. Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux.

  139. Agence régionale de santé.

  140. Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services.

  141. Directions départementales interministérielles (direction départementale des territoires –DDT, et direction départementale de cohésion sociale –DDCS ou direction départementale de protection des populations – DDPP).

  142. Réorganisation territoriale de l’État.

  143. Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

  144. Loi organique relative aux lois de finances.

  145. Direction générale des finances publiques, issue de la fusion de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique.

  146. Les échanges avec les acteurs du département concerné. Ces délégations territoriales ne traitent pas les dossiers métiers à leur niveau. C’est en quelque sorte la fonction d’accueil évoquée plus haut).

  147. Au début des années 2000, la Grande-Bretagne avait évalué à plus de 27 Md€ les économies générées par une utilisation massive de l’administration électronique ( e-government ). La France, et notamment la direction du budget, a toujours récusé ses chiffres, au motif que si c’était vrai, cela aurait été fait depuis longtemps !

  148. www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/12–13/c1213078.asp#P4_390.

  149. www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/12–13/c1213067.asp.

  150. www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/12–13/c1213075.asp.

  151. www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cdef/12–13/c1213076.asp#P3_69.

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