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Rapport

L’axe UMPFN : vers le parti patriote ?

Les orientations prises par l’UMP pour le second tour des élections législatives (rejet d’un front républicain, retraits de candidats FN ou UMP pour faire pièce à la gauche, récentes déclarations de candidats UMP…) et, avant elles, la radicalisation du discours de Nicolas Sarkozy ne relèvent pas seulement de la pure tactique de campagne. Elles signent l’aboutissement d’un processus, entamé depuis plusieurs années, de rapprochement idéologique et humain entre l’UMP et le FN, rendu possible par la dédiabolisation de l’ancien parti de Jean-Marie Le Pen par sa fille, et la dérive anti-humaniste de la droite de gouvernement impulsée par Nicolas Sarkozy. Ce rapport de Terra Nova, auquel ont contribué chercheurs, historiens et spécialistes de l’extrême-droite, retrace l’histoire de cette convergence, de ses entrepreneurs, révèle les lieux d’échanges et les ponts institutionnels vers un « parti patriote » réalisant l’union entre le FN et une part de l’UMP.

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Après le score historique de Marine Le Pen le 22 avril dernier (18,3 % et plus de 6 millions de voix), Nicolas Sarkozy a choisi de radicaliser toujours plus son discours, au point de le superposer à celui du Front national. Cette convergence entre le sarkozysme et le FN ne relève pas de la tactique conjoncturelle de campagne. Elle est structurelle : elle vient de loin, elle marque la victoire idéologique de la droite radicale, et elle ne peut que trouver – à court ou moyen terme – une traduction institutionnelle dans un « parti patriote » réalisant l’union des droites. Face à cette recomposition de l’espace politique, la gauche doit s’allier à toutes les forces humanistes, républicaines et démocrates pour former un large arc progressiste.    

1 – LA CONVERGENCE IDEOLOGIQUE UMP-FN EST ACHEVEE : ELLE DOIT PLUS A LA RADICALISATION DE L’UMP QU’A LA NORMALISATION DU FN

1.      1 – Une convergence qui vient de loin

C’est le GRECE[1] et le Club de l’Horloge qui, dès les années 1970, théorisent les éléments idéologiques d’une « nouvelle droite » décomplexée, visant à lutter contre ce qu’ils estimaient être la domination culturelle de la gauche.   Ce travail idéologique est ensuite relayé dans l’espace public. D’abord par des auteurs à plus large audience – ceux que Daniel Lindenberg a dénoncés comme « les nouveaux réactionnaires ». On y trouve notamment des personnalités comme Xavier Raufer, Jean Raspail, Maurice G. Dantec ou encore, dans des registres différents, Michel Houellebecq et Alain Finkielkraut.  

Ensuite, par un travail militant sur internet. Les sites comme Polémia (fondé par Jean-Yves Le Gallou) mais surtout François de Souche (80 000 visiteurs uniques par jour) servent de lieux de formation idéologique pour militants virtuels. Ces milliers d’activistes de la « fachosphère » essaiment ensuite sur le net, chassant en meute pour faire masse et faire croire qu’ils sont la majorité silencieuse du pays réel censurée par les élites et la désinformation des médias traditionnels. Ils sont sur les forums de jeux vidéos à la pêche aux jeunes, pourchassent sur doctissimo.fr les femmes au foyer et, surtout, investissent les commentaires des grands médias traditionnels, Figaro.fr en tête.  

Grignotée par ce travail de sape, la digue a désormais rompu dans l’espace public. La droite radicale a accès libre aux médias, à travers nombre de journalistes et éditorialistes comme Ivan Rioufol, Eric Zemmour, Elisabeth Levy ou Robert Ménard.   Avec l’élection présidentielle de 2012, la digue rompt également dans l’espace politique. Le rapprochement idéologique s’opère, par le double mouvement d’un FN déghettoisé et d’une UMP radicalisée.  

1. 2 – Front national : de vraies ruptures mais un invariant idéologique xénophobe

  Sous l’impulsion de son nouveau leader, Marine Le Pen, le néo-FN a mis en œuvre deux ruptures fondamentales.  

La première rupture, sur la forme, est bien identifiée : la stratégie de dédiabolisation. Le FN de Jean-Marie Le Pen était un parti infréquentable, à relents néo-nazis et nostalgie vichyste. Le FN de Marine Le Pen cherche à se banaliser. La façade s’est mise aux normes républicaines : finis les dérapages racistes, les allusions nauséabondes à la Seconde Guerre mondiale. Et pour continuer à exister dans la société du spectacle qui a fait le succès de son père, la fille invente la « provocation politiquement correcte ». Conséquence : ceux qui n’osaient pas voter pour le FN sulfureux du père ont moins de complexes à voter pour le FN new look de la fille.   Mais la rupture n’est pas que formelle. Il y en a aussi une seconde, sur le fond : la volonté de construire une offre idéologique cohérente. Le FN est toujours un parti populiste, fondé sur le rejet du système – la mondialisation – et de ceux qui le pilotent – les élites. Mais c’est désormais un parti qui prétend vouloir gouverner, avec l’affichage d’un programme de gouvernement alternatif. Conséquence : il agrège, au-delà du vote protestataire, un vote d’adhésion.  

Cette rupture se cristallise sur les questions économiques et sociales. Le FN de Jean-Marie Le Pen, qui se présentait comme le « Reagan français », défendait un ultra-libéralisme poujadiste : il glorifiait la petite entreprise artisanale et commerçante contre l’Etat, les fonctionnaires, les impôts, les règles. Le néo-FN de Marine Le Pen opère un renversement à 180 degrés sur sa gauche et promeut un programme de protection économique et social. Protectionnisme économique : interdiction des délocalisations, sortie de l’OMC et de l’euro, restauration des barrières aux frontières nationales. Et protectionnisme social : un impôt sur le revenu redistributif, une sécurité sociale étendue – réservée uniquement aux « vrais Français », bien sûr.  

C’est que, à l’inverse, la ligne idéologique sur les valeurs demeure un invariant. Le fond de sauce xénophobe s’est modernisé en passant de l’antisémitisme au rejet de l’islam, mais ses ressorts n’ont pas changé : défense de l’identité nationale, rejet de l’étranger, de l’immigration mais aussi de la « cinquième colonne », hier les Juifs aujourd’hui les Français musulmans, qui diluent l’identité nationale dans un mondialisme délétère.  

L’islamophobie a trouvé un nouveau point d’appui dans la doctrine du néo-FN : la laïcité, valeur cardinale de la République française. Une laïcité dévoyée, une « laïcité de guerre » qui vise, à travers la bataille contre la menace islamiste, à stigmatiser la minorité musulmane du pays et à montrer que l’islam est incompatible avec la République.  

Au total, le néo-FN tente de crédibiliser une réponse globale à la crise que nous traversons. La France se perd parce qu’elle est entrée dans la mondialisation. Le crédo est donc simple : sortir de la mondialisation. Comment ? Par le protectionnisme – culturel (défendre les valeurs nationales), économique (défendre les emplois) et social (défendre la sécurité sociale). Un programme réactionnaire nostalgique de la « France éternelle » : « c’était mieux avant »… Mais aussi un programme de protection globale particulièrement attractif pour tous les Français qui sont travaillés par la crise et qui ont peur – peur de perdre leur identité, peur du déclassement, peur de perdre leur mode de vie.  

Ironie de l’histoire : c’est l’exacte stratégie de Bruno Mégret, « le félon » rejeté par Jean-Marie Le Pen, que Marine Le Pen met en œuvre[2].  

1.      3 – Le sarkozysme ou la radicalisation de l’UMP

Si le néo-FN se respectabilise en acceptant, sur la forme, les codes républicains, c’est l’UMP qui fait, sur le fond, l’essentiel du chemin de la convergence.  

La radicalisation de la droite de gouvernement, si elle a des prémices anciennes[3], est impulsée par Nicolas Sarkozy. Loin d’être une simple tactique politique conjoncturelle, il s’agit d’une entreprise systématique, mise en œuvre dans les deux campagnes présidentielles de 2007 et 2012, mais surtout au pouvoir, comme ministre puis à la présidence de la République.  

Le sarkozysme a déplacé le centre de gravité de la droite, qui était au centre-droit avec le gaullisme social du RPR et le christianisme social de l’UDF, vers une droite radicale, aux portes de l’extrême droite. Cette radicalisation s’est faite notamment sur les valeurs, à travers une véritable rupture anti-humaniste. C’est une victoire idéologique pour le Front national : que ce soit avec l’original lepéniste ou la copie sarkozyste, la xénophobieet le rejet de l’autre – l’altérophobie – triomphent désormais à droite.  

Cette altérophobie se caractérise par la recherche systématique de coupables, de boucs-émissaires à désigner à la vindicte collective. Il y a toujours les bons citoyens à protéger et les mauvais à bannir hors de la communauté nationale. Il y a les jeunes « fainéants », la « racaille » de banlieue, les « monstres » délinquants, les Roms qui sont des voleurs, les « assistés » qui abusent du système au détriment de « la France qui se lève tôt », les fonctionnaires privilégiés…  

Mais la figure de l’autre est avant tout, comme pour le Front national, l’immigré. L’étranger, qu’il faut maintenir ou bouter hors de France. Et, plus encore, le Français d’origine musulmane. C’est la « cinquième colonne » qui menace notre mode de vie. Quick halal, burqa, piscines réservées aux femmes voilées, prières de rue, minarets qui agressent les paysages « français » : tout y passe, jusqu’au marqueur ultime du FN, le « racisme anti-français » des musulmans, une nouvelle fois avancé dans les discours de l’entre-deux tours, à Strasbourg et Toulouse, par Nicolas Sarkozy.   Les dérapages sont désormais l’apanage du gouvernement et de l’UMP, et non plus du FN. Il y a Brice Hortefeux, de sa saillie contre « les Auvergnats » (« Quand il y en a un ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ») jusqu’à « la France n’est plus la France ». Chantal Brunel et son « remettons-les dans les bateaux ». Nadine Morano, pour qui les musulmans doivent se montrer « discrets » ou qui suspecte la porte-parole de campagne de François Hollande, Najat Vallaud-Belkacem, de faire prévaloir ses origines marocaines sur son identité française – la cinquième colonne au cœur du pouvoir, le même fantasme que pour l’affaire Dreyfus… Claude Guéant, intronisé « adhérent d’honneur du FN » par Marine Le Pen, pour l’ensemble de son œuvre : « le nombre de musulmans pose problème », « immigration incontrôlée », « toutes les civilisations ne se valent pas », « les deux tiers des élèves en situation d’échec scolaire sont des fils d’immigrés »…  

Mais le principal moteur de cette dérive radicale, c’est bien Nicolas Sarkozy lui-même. C’est lui qui prononce « Si certains n’aiment pas la France, qu’ils la quittent », paraphrasant Jean-Marie Le Pen. Lui qui lance les débats nauséabonds sur l’identité nationale, la laïcité et l’islam, la binationalité… Lui qui dérape avec les « musulmans d’apparence ». Lui qui multiplie les transgressions dans la campagne du second tour. Au point que l’hebdomadaire Newsweek, en octobre dernier, avait choisi Nicolas Sarkozy pour illustrer sa « une » sur la montée de l’extrême droite en Europe.  

1.      4 – L’idéologie radicale UMPFN

La convergence idéologique est achevée. Les idées de l’UMP s’arriment à celles du FN. Un axe « UMPFN » est né.  

C’est Nicolas Sarkozy qui en fait la synthèse dans son discours de Toulouse, le 29 avril, centré sur la frontière. Il y fait l’apologie de la Nation et de la frontière, face à la menace de la mondialisation et aux élites qui ont trahi, rejoignant ainsi la mythologie populiste du FN. La frontière est envisagée comme une protection globale de ceux qui sont à l’intérieur contre ceux qui sont à l’extérieur : frontière culturelle pour protéger l’identité nationale, frontière économique pour protéger les emplois, frontière sociale pour sauver la sécurité sociale. Le même triptyque que le FN de Marine Le Pen. L’imaginaire est désormais commun.  

Au plan programmatique, il reste des différences importantes sur les questions économiques, notamment sur la sortie de l’euro que n’envisage pas Nicolas Sarkozy. Mais la jonction se fait sur les questions sociales (la lutte contre l’assistanat) et culturelles (la défense des valeurs nationales). L’altérophobie est le ciment idéologique de l’axe UMPFN.  

C’est que, pour Nicolas Sarkozy, la frontière ne passe pas à l’extérieur de l’Hexagone mais bien à l’intérieur – entre les « bons Français » et l’ivraie. Une frontière altérophobe, qui érige des barrières au sein de la Nation, cassant le monde du travail entre les « vrais travailleurs » et les profiteurs, et rétrécissant l’identité nationale à une vision néo-conservatrice figée sur l’identité fantasmée du passé, à tentation ethnique (blanche), à coup sûr culturaliste (religieuse, les racines chrétiennes). Une identité fermée, immuable, que « ceux qui arrivent », selon l’expression de Nicolas Sarkozy[4], sont sommés d’assimiler, sous peine d’exclusion. Une crispation identitaire qui tend à exclure de l’identité nationale l’islam et la culture musulmane. L’altérophobie est, avant tout, une islamophobie.  

Cette convergence idéologique, le Wall Street Journal la synthétise en une formule choc, dans un éditorial de décryptage de la campagne intitulé : « Nicolas Le Pen ».  

2 – LA CONVERGENCE INSTITUTIONNELLE EST EN COURS : VERS LE PARTI PATRIOTE

2.      1 – Les lieux d’échanges historiques

Une fois la convergence idéologique réalisée, la convergence institutionnelle devient irrésistible. Elle l’est d’autant plus qu’elle a été préparée de longue date par des échanges humains – des personnalités qui franchissent la digue et qui peuvent ainsi servir de vecteurs de rapprochement.    Les premiers échanges entre l’extrême droite et la droite de gouvernement sont réalisés dans les années 1970. L’Institut supérieur du travail (IST), créé par Georges Albertini, ancien collabo, aura été le pont principal entre Occident et la droite parlementaire. Alain Madelin, Patrick Devedjian ou Gérard Longuet ont été blanchis par ce canal.  

Le journal Minute a aussi servi de lieu de passage. Patrick Buisson, le conseiller politique de Nicolas Sarkozy, en a été le rédacteur en chef. Un de ses successeurs, Bruno Larebière, vient d’appeler à voter pour Nicolas Sarkozy.   L’UNI (Union nationale interuniversitaire) et le MIL (Mouvement initiative et liberté), fondés par Jacques Rougeot, un ancien de l’OAS, forment des activistes de la droite radicale depuis les années 1970.  

D’autres liens humains se tissent, dans le sud-est de la France, autour de la « Nostalgérie ». Les électeurs FN d’origine pied-noire y sont « fixés » politiquement par des maires de droite qui ont entretenu le souvenir de l’Algérie française : Jacques Médecin à Nice, Paul Alduy à Perpignan, Maurice Arreckx à Toulon… Cette réalité politique explique d’ailleurs l’insistance de la droite sur les politiques mémorielles, autour du passé colonial français et, singulièrement, de l’histoire des rapatriés.

2. 2 – Les creusets contemporains

Les rapprochements se sont accélérés depuis dix ans. Ils passent d’abord par le « sommet ». Le Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers a constitué un sas et un trait d’union entre les deux familles politiques. Ainsi Guillaume Peltier, directeur national adjoint du Front national de la jeunesse (avec Nicolas Bay, aujourd’hui porte-parole de Marine Le Pen) puis fondateur de « Jeunesse action chrétienté » au sein de la nébuleuse mégrétiste, se recycle comme secrétaire général du MPF avant d’intégrer l’UMP et de devenir porte-parole de Nicolas Sarkozy pour la campagne présidentielle. En sens inverse, Paul-Marie Couteaux, ex-député européen MPF, est devenu porte-parole de Marine Le Pen.  

La politique de décoration de l’Elysée permet aussi d’envoyer des signes et de créer des liens. Ainsi, Nicolas Sarkozy a multiplié les appels du pied aux plus radicaux des partisans de l’Algérie française afin de récupérer l’électorat pied-noir frontiste. Il remet, en novembre 2011, la Grand Croix de la légion d’honneur à Hélie Denoix de Saint-Marc, officier putschiste de 1961. Exemple encore plus frappant : Jean-François Collin a été décoré de la légion d’honneur par le président de la République par décret du 5 mai 2011. Membre de l’OAS et condamné à cinq ans de prison, il déclare lors de sa remise de décoration : « C’est une croix dédiée à tous les combattants de l’OAS fusillés par le plus grand traître de l’Histoire de France ».  

Mais les rapprochements humains passent surtout, désormais, par la base. La blogosphère en est le vecteur clé. Le blog de Christian Vanneste (député de la Droite populaire), les sites de la mouvance traditionaliste catholique[5], les sites islamophobes comme gaullisme.biz ou insolent.fr servent d’agora virtuelle pour les échanges entre militants et sympathisants UMP et FN. L’agence de presse d’extrême droite Novopress valorise abondamment les prises de position des députés UMP radicaux. En sens inverse, le site 24heuresactu, animé par un militant UMP, affiche sa sympathie récurrente pour Marine Le Pen. Quant au site www.dumait.fr, il prône le rapprochement institutionnel UMP-FN.   De cette blogosphère émerge un site : Riposte laïque. C’est le principal creuset de l’axe UMPFN. Fondée en 2007 par Christine Tassin et Pierre Cassen, deux militants politiques proches de l’Union des familles laïques (UFAL), la revue en ligne vise à mobiliser la laïcité contre la menace islamiste. Riposte laïque surgit dans l’espace public par ses évènements médiatiques où se mêlent les droites. Avec le groupuscule d’extrême droite du Bloc identitaire, elle annonce l’organisation le 18 juin 2010 d’un « apéro saucisson géant » à la Goutte d’Or, pour protester contre les prières de rue des musulmans de la rue Myrha, « adversaires résolus de nos vins de terroir et de nos produits charcutiers ». Riposte laïque, toujours en partenariat avec le Bloc identitaire, réussit ensuite un tour de force : réunir un millier de personnalités issues de la droite et de l’extrême droite aux Assises de l’islamisation le 18 décembre 2010. En somme : le premier meeting commun UMPFN.

2. 3 – Les ponts institutionnels vers le parti patriote

  La convergence idéologique est faite, les rapprochements humains se sont multipliés à la base et au sommet : l’espace UMPFN est prêt pour la convergence institutionnelle.  

Du côté FN, si Marine Le Pen réfute officiellement toute idée d’alliance, Wallerand de Saint-Just, le trésorier du FN, est plus explicite : « La volonté d’ouverture de Marine Le Pen peut se concrétiser aux législatives. Elle a proposé un grand pôle de rassemblement patriote avec ceux qui sont sincères. Elle a évoqué la possibilité d’investir des candidats qui ne sortent pas du FN ». Un micro-parti a été créé en ce sens : le SIEL (Souveraineté, Indépendance et Libertés). Le SIEL se propose de « former avec le Front national et les partis qui le voudront un pôle de rassemblement à vocation majoritaire ».  

Du côté UMP, deux courants servent de pointe avancée pour permettre la convergence institutionnelle avec le FN. Il y a d’abord la « Droite populaire ». Fondée en 2010 par Thierry Mariani et Lionnel Luca, elle regroupe 35 députés, pour l’essentiel du sud-est. Son crédo : incarner l’aile droitière de l’UMP sur les valeurs. C’est la Droite populaire qui pousse l’UMP vers l’islamophobie. Il y a aussi la mal nommée « Droite sociale » de Laurent Wauquiez. Elle s’attaque aux questions sociales sous l’angle de l’assistanat dépeint comme le « cancer de la société française ».  

A l’UMP aussi, certaines personnalités sortent du bois, comme Christian Vanneste : « Marine Le Pen est dans une logique de concurrence. Si elle était dans une logique d’alliance, ce serait à nous de réfléchir ».  

Le moment du dénouement est encore incertain – dès les législatives de 2012 ou pour les échéances de 2017. Mais, incontestablement, la convergence institutionnelle est en route.  

3 – FACE A LA NOUVELLE DROITE UMPFN : QUELLE STRATEGIE POUR LA GAUCHE ?

3. 1 – Défendre les valeurs humanistes : un choix moral, une stratégie politique majoritaire

La droite de gouvernement s’est radicalisée pour rejoindre les idées du Front national. La gauche doit-elle suivre le même mouvement, afin de répondre aux aspirations de son électorat qui souffre face à la crise ?  

La gauche ne doit naturellement pas s’engager dans cette voie délétère. Le danger existe : d’autres gauches en Europe, aux Pays-Bas par exemple, ont basculé dans le « social-populisme », dénonçant l’immigration, l’islam, les assistés, l’Europe… Prendre en compte les peurs des Français qui se sentent abandonnés ne signifie pas y apporter les mêmes réponses populistes que le Front national. La gauche y perdrait son âme. Et le virus lepéniste aurait définitivement métastasé dans tout le corps démocratique.  

Faut-il, dès lors, ne pas parler des valeurs, mettre ces sujets sous le tapis puisqu’ils font le jeu de la droite ? Non. La radicalisation anti-humaniste de la droite lui a fait perdre, définitivement, l’électorat centriste, de culture chrétienne-démocrate, et qui place justement l’humanisme au cœur de ses valeurs politiques. Elle a ébranlé l’électorat républicain de droite, comme en témoigne la prise de position de Dominique de Villepin. Le rapport de force à l’issue de l’élection est nouveau : il oppose les progressistes (gauche et centre) à un bloc populiste-conservateur (UMP radicalisée et FN dédiabolisé).  

Les marqueurs humanistes sont clivants, mais ils sont nettement majoritaires : ils fédèrent une large part de la société française – des classes populaires des quartiers aux classes moyennes et aux professions intellectuelles, jusqu’à l’électorat de culture chrétienne-démocrate. Pour la gauche, affirmer ses valeurs, c’est faire de la politique dignement, c’est aussi élargir son assise électorale à tous les progressistes. Dans cette logique, François Hollande a raison de défendre, même en pleine bourrasque populiste, le droit de vote des étrangers aux élections locales.  

3.      2 – Les voies progressistes pour faire reculer le populisme

Pour parler à l’électorat qui a fui vers le FN, la gauche doit mettre les questions économiques et sociales en avant.  

La question sociale : elle doit répondre – c’est dans son ADN – au besoin de protection sociale. Et défendre les acquis de la protection sociale contre le travail de sape anti-assistanat. La sémantique montre la victoire idéologique de la droite radicale dans l’espace public : le mot « solidarité » s’est effacé pour laisser la place à « assistanat ». Pour surmonter le clivage entre « assistés » et « France qui se lève tôt », classes populaires déclassées (chômeurs et précaires) et classes populaires qui ont peur du déclassement (ouvriers et employés en emploi stable), il faut redonner le sens d’un destin commun à l’ensemble des classes populaires. Le mouvement des Indignésy est parvenu. Avec l’intensification de la crise, ce destin commun est une réalité. Il n’y a plus d’imperméabilité entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors. Plusieurs millions de salariés précarisés ont déjà connu une rupture professionnelle qui les a expulsés de leur emploi stable pour rejoindre les précaires. Les salariés menacés, encore en emploi stable, savent qu’ils sont les prochains sur la liste en cas de nouveau recul économique. Précaires, précarisés, menacés : ce sont des trajectoires professionnelles convergentes qui unifient une majorité du monde du travail[6].  

La gauche doit aussi assumer, pleinement, la sécurité des biens et des personnes. La sécurité n’est pas une valeur de droite, c’est une valeur républicaine : tout citoyen a droit à la sécurité. Si elle était positionnée politiquement, il s’agirait d’une valeur de gauche : ce sont les classes moyennes et populaires du pays qui souffrent le plus de l’insécurité. La sécurité est, aussi, une question sociale.   La gauche doit surtout trouver une réponse à la crise économique. C’est la crise qui nourrit le populisme. Une sortie de crise l’assèchera. Les ouvriers et employés qui votaient à gauche et ont basculé au FN l’ont fait avant tout par déception économique. La gauche n’a pas su répondre à leurs attentes en termes de pouvoir d’achat, de perspectives de carrière, d’avenir des enfants. La crise n’est pas une fatalité. Il n’y a pas une fatalité occidentale dans la mondialisation face à l’essor de la Chine et des pays émergents. La France peut réussir dans la mondialisation. Des pays européens proches de nous, les pays nordiques notamment, affichent des taux de croissance dignes des Trente Glorieuses. Réindustrialisation et investissement dans le capital économique du pays, investissement dans l’éducation et la formation professionnelle, investissement dans la recherche et l’innovation : telles sont les solutions pour retrouver la prospérité – et faire reculer le lepénisme.  

Dernier point : la République doit être exemplaire. « Si la classe politique est incapable de trouver des solutions pour le pays, au moins qu’elle se comporte bien », exigent à juste titre les Français. De ce point de vue, le climat des affaires qui pèse sur le gouvernement fait le jeu du « tous pourris ». Au-delà du respect du code pénal, on attend aussi des élus un comportement moral irréprochable. François Hollande a proposé une charte éthique pour les élus, une baisse des rémunérations des ministres et du président, l’instauration du mandat parlementaire unique. C’est faire œuvre de salubrité publique. Comment justifier le cumul des mandats, comment expliquer que l’on cumule trois voire quatre rémunérations lorsque tant de Français peinent à en conserver une seule ?  

Sortir de la crise économique ; garantir la pérennité de la sécurité sociale, en y incluant la sécurité des biens et des personnes ; promouvoir la République exemplaire : telles sont les voies progressistes pour repousser la nouvelle droite UMPFN. Et éviter la gangrène de la République par des valeurs de haine.  

[1] GRECE : Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (créé en 1968)

[2] Pas étonnant, dans ces conditions, de retrouver dans la garde rapprochée de Marine Le Pen une bonne partie de ceux qui avaient suivi Bruno Mégret dans la brève aventure du MNR : Bruno Bilde, Steeve Briois, Nicolas Bay, Philippe Olivier, Jean-Yves Le Gallou…

[3] Cf. les dérives de Charles Pasqua dans les années 1980 et 1990 notamment, mais aussi la création des « réformateurs » en 2002 (ils réunissent les parlementaires de la droite « décomplexée » sous la houlette de Gérard Longuet et Hervé Novelli) et surtout de la « Droite libre », en 2002 également. Fondé par Rachid Kaci et Alexandre del Valle, ce mouvement, initié en réaction aux attentats terroristes du 11 septembre, vise à « déculpabiliser la droite » sur les valeurs : il défend un « libéralisme populaire » contre les élites et l’assistanat et défend une laïcité explicitement tournée vers « la lutte contre l’islamisme radical ».

[4] Dans sa fameuse tribune du Monde du 8 décembre 2009.

[5] Notamment : lesalonbeige.blogs.com, e-deo.info et bernard-antony.blogspot.com.

[6] Cf. note Terra Nova de Philippe Askenazy – à venir.

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