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Chronique

Le dilemme post-électoral de Macron

L’analyse de Jean Pisani-Ferry
Emmanuel Macron réélu sait qu’il doit tenir compte d’une part de l’électorat qui avait choisi Jean-Luc Mélenchon au premier tour pour porter la voix de la Gauche. En l’absence de coalition électorale et sans renoncer aux fondamentaux de son programme, comment peut-il montrer qu’il est prêt à changer sa manière de gouverner et laisser plus de place à la concertation dans sa politique ?
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Réélu avec 58,5% des voix, Emmanuel Macron a recueilli 85% des suffrages à Paris et les trois quarts en Seine Saint-Denis où 30% de la population est immigrée. Mais dans sa terre natale de la Somme, sa rivale d’extrême-droite est arrivé en tête et elle rassemble 58% des suffrages dans le Pas-de-Calais où se situe sa residence secondaire. Dans un pays profondément divisé, la distance aux centres métropolitains apparaît comme le meilleur prédicteur du vote.

Plus encore que les inégalités de revenu, les inégalités face à l’emploi et à l’éducation jouent aussi. Selon une enquête d’Ipsos, les deux tiers des ouvriers ont voté Le Pen quand les trois quarts des cadres ont choisi Macron. Dans le même temps, les deux tiers des diplômés de l’enseignement supérieur optaient pour Macron contre un quart pour Marine Le Pen.

Les déterminants sociologiques sont aggravés par la localisation. La France est en passe de devenir un pays où l’on se regroupe entre pairs. Entre 2008 et 2018, la part des cadres et des salariés très qualifiés dans des villes comme Paris, Bordeaux ou Lyon a augmenté de quatre ou cinq points de pourcentage, tandis que les résidents de la classe moyenne inférieure et des classes populaires en sont sortis.

Plus profondément, d’un point de vue plus subjectif, le fait d’être ou non satisfait de sa vie a été un facteur déterminant du vote. Quelque 80 % des insatisfaits ont voté pour Le Pen. Comme l’ont montré Yann Algan et ses collègues, la confiance sociale influence considérablement les choix des électeurs.

Mais il serait trop simple de s’arrêter là, car le plus grand choc de cette élection n’a pas été l’issue du second tour Macron-Le Pen, remake attendu et sans réelle surprise de 2017, mais bien davantage la déroute des partis traditionnels lors du premier tour. Alors que leurs candidats avaient obtenu conjointement 56% des voix en 2012, ceux-ci n’en ont recueilli que 6,5% dix ans plus tard. Parmi les grands pays européens, seule l’Italie a connu une refonte aussi radicale du paysage politique ces dernières années.

Les vainqueurs de ce grand chamboulement sont Macron et Le Pen, mais aussi Jean-Luc Mélenchon : passé de ministre socialiste il y a plus de vingt ans à porte-drapeau non seulement de la gauche radicale mais aussi d’une partie du reste de la gauche, il a manqué de peu la qualification pour le second tour. Il a remporté le vote des jeunes urbains, la plupart de ceux qui auraient pu voter pour les Verts ou le Parti socialiste le considérant comme la seule chance de faire la différence et de figurer au second tour.

Les électeurs de Mélenchon ont contribué à la victoire de Macron : selon des estimations, 42% d’entre eux auraient voté pour le Président sortant au second tour (41% s’abstenant et 17% votant Le Pen). Mais au lieu de se préparer à former une coalition, comme il est d’usage dans un système à représentation proportionnelle où, au lendemain d’un scrutin, les partis concurrents prennent langue pour trouver un terrain d’entente pour gouverner, en France les partis rivaux se préparent déjà pour les élections législatives de juin. Celles-ci pourraient bien donner une majorité absolue à Emmanuel Macron.

Dans son discours de victoire, Macron s’est engagé à tenir compte des opinions de tous ceux qui ont voté pour lui, à écouter davantage et à gouverner différemment de ce qu’il a fait au cours des cinq dernières années. La question est de savoir ce que cela peut signifier dans la pratique. S’il veut gouverner à partir d’une base plus large que les 28 % qu’il a obtenus au premier tour, il doit prendre en compte les préférences de ceux dont le premier choix était Mélenchon.

Une alliance explicite n’est évidemment pas envisageable, mais même un rapprochement des volontés parait difficile à imaginer. Les programmes de Macron et Mélenchon sont aux antipodes l’un de l’autre. Alors que Macron a fait campagne sur l’augmentation de l’âge de la retraite, Mélenchon a promis de l’abaisser. Macron veut baisser les impôts des entreprises, alors que Mélenchon veut les augmenter. Et alors que Macron prévoyait 50 milliards d’euros (soit 2 % du PIB actuel) de nouveaux programmes de dépenses publiques, Mélenchon a appelé à une augmentation cinq fois plus importante.

L’unique sujet sur lequel ils seraient susceptibles de trouver un terrain d’entente est la transition écologique : Macron a explicitement endossé le concept de planification écologique cher à Mélenchon et s’est engagé à nommer un Premier ministre directement en charge de ce dossier. Mais, même dans ce domaine, des différences majeures apparaissent : Macron souhaite conduire la transition énergétique en lançant un programme de construction de nouveaux réacteurs nucléaires alors que Mélenchon défend une solution 100% renouvelables.

De ce point de vue, la France n’est pas très différente des États-Unis, où démocrates traditionnels et partisans de Sanders ne parviennent pas à s’entendre sur grand-chose de substantiel, et où leurs différends risquent d’aboutir à une défaite écrasante lors des élections de mi-mandat en novembre. En France, une lutte triangulaire durable et sans merci entre la gauche, le centre et l’extrême droite risquerait d’aboutir à ce qu’à un moment donné, Le Pen ou son héritier politique trouve le moyen d’entrer à l’Élysée.

La question pour Macron est de savoir comment donner à ses électeurs du second tour de vraies raisons de penser qu’il les a réellement entendus. Il ne peut pas et ne doit pas interrompre les réformes économiques dont il attend qu’elles mettent la France sur la voie d’un renouveau économique et permettent de financer les dépenses publiques. L’éducation ne peut pas attendre, le taux d’emploi est toujours inférieur de neuf points à celui de l’Allemagne et une société vieillissante ne peut pas négliger l’avenir de son système de retraites.

Mais il existe un potentiel d’ouverture sur trois questions connexes. Premièrement, la gestion de la transition écologique est une entreprise relativement nouvelle et globale, et bien que ce ne soit pas une entreprise aisée, les positions sont moins figées que sur la réforme de la fiscalité ou de la protection sociale. Deuxièmement, Macron doit concrétiser sa volonté de changer une pratique du gouvernement dont la verticalité a montré toutes les limites. Certes, il faut être deux pour danser le tango, mais le dialogue social, la négociation sectorielle ou territoriale et la démocratie participative valent la peine d’être tentés. Enfin, dans le domaine des politiques sociales, la signature de Macron a consisté à privilégier l’égalité des chances et l’émancipation individuelle sur la redistribution. Une approche plus équilibrée, avec une plus grande attention aux questions de distribution, contribuerait rassurer les électeurs qui l’ont réélu.

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