Le nouveau clivage français

Le nouveau clivage français
Publié le 11 avril 2022
Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2022 montrent la poursuite de la recomposition politique engagée en 2017. Si près de trois quart des voix sont allées aux trois premiers candidats, cela signifie-t-il que notre système politique va s’organiser autour de trois blocs électoraux ? Il est trop tôt pour le dire, d’autant plus que le danger d’une victoire de l’extrême-droite le 24 avril n’est pas exclu. C’est pourquoi nous appelons à voter sans ambiguïté pour le seul candidat républicain, Emmanuel Macron.

La prophétie macronienne de 2017 annonçait qu’en lieu et place de l’opposition entre droite et gauche, une nouvelle summa divisio structurerait désormais le paysage politique français : l’opposition entre progressistes européens et nationalistes autoritaires.

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, cette configuration se confirme et il est trop simple d’y voir l’œuvre machiavélique d’Emmanuel Macron : elle est d’abord le résultat des rapports de force. Dans un monde où la polarisation de l’espace public et les colères sociales gonflaient les voiles des formations radicales, les forces de centre-gauche et de centre-droite ne pouvaient espérer survivre et gouverner qu’en se rassemblant dans un pôle progressiste et européen. Ainsi fut fait avec la création d’En Marche ! en 2016. Dès 2017, la première partie de la prophétie se réalisa avec l’éclatement de la gauche de gouvernement : las de batailler avec des néo-guesdistes et des eurosceptiques au sein du Parti socialiste, les sociaux-démocrates et les réformistes rallièrent majoritairement le camp d’Emmanuel Macron et la plupart d’entre eux ne l’ont pas quitté depuis. Le résultat de la candidate socialiste témoigne aujourd’hui de cette grande migration politique : privé des voix des écologistes qui avaient porté Benoît Hamon à un déjà très décevant 6,36% en 2017, elle finit à moins de 2% cinq ans plus tard…

La seconde partie de la prophétie vient de se réaliser en 2022 avec l’effondrement de la droite de gouvernement.  Avec moins de 5% des suffrages exprimés, la candidate LR ne peut prétendre être autre chose qu’une force d’appoint. Comble de l’humiliation, ses frais de campagne ne pourront même pas lui être remboursés ! De son côté, le bloc des progressistes européens sort clairement renforcé de ce premier tour : avec 27,6% des voix, il fait encore mieux qu’en 2017 (24,1%, soit plus d’un million de voix supplémentaires). Emmanuel Macron pourrait être le premier Président de la République réélu hors-cohabitation.

Ce nouveau monde politique est moins stable et plus inquiétant que le précédent. D’abord parce qu’il est moins simple que ne le prétendait la prophétie de 2017. A côté des progressistes européens et des nationalistes autoritaires, s’est formé un troisième bloc : le « pôle populaire » de Jean-Luc Mélenchon qui a lui-même progressé par rapport à la précédente élection présidentielle (avec 21,9% des suffrages exprimés, il fait 2,4 points de mieux qu’en 2017 et ne pointe qu’à 1,4 point de Marine Le Pen). Installé sur les terres historiques de la gauche radicale et de l’extrême-gauche, il a su attirer à lui plus de 7,6 millions d’électeurs. Certes, nombre d’entre eux ont voulu « voter utile », c’est-à-dire sans adhérer véritablement à toutes les idées de Jean-Luc Mélenchon, notamment en matière européenne et internationale ou pour apporter un soutien à certains éléments de son programme, certains affirmant par exemple qu’il serait plus ambitieux sur le climat que le candidat écologiste. Il reste que la fascination du leader de la France insoumise pour la Russie de Vladimir Poutine, son mépris des traités européens et son attirance pour les « socialismes tropicaux » n’ont pas suffi à leur inspirer un autre choix, ce qui marque une évolution sensible et, pour tout dire, inquiétante d’une partie de l’électorat de gauche.

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C’est donc un monde tripolaire qui s’est imposé hier. Il rassemble à lui seul 80% des voix : près de 22% pour le « pôle populaire », près de 28% pour le bloc des progressistes européens et environ 30% pour le bloc des nationalistes autoritaires (23,4% pour Marine Le Pen et 7% pour Eric Zemmour qui a logiquement appelé à voter pour la candidate du Rassemblement national au second tour). Bien sûr, les progressistes européens peuvent espérer l’emporter à nouveau le 24 avril prochain en s’efforçant d’intégrer l’essentiel des électeurs ayant choisi les « petites » candidatures (Valérie Pécresse, Yannick Jadot, Anne Hidalgo et Fabien Roussel ont d’ores et déjà appelé à voter pour Emmanuel Macron au second tour) et en menant une campagne efficace contre Marine Le Pen. Mais il nous faut désormais anticiper un monde où l’alternance ne pourrait être que rouge ou noire, et dans tous les cas de figure, anti-européenne, anti-OTAN, illibérale et pro-russe. Ce n’est objectivement pas une bonne nouvelle pour la démocratie.

Encore faut-il bien sûr qu’Emmanuel Macron remporte la seconde manche le 24 avril prochain. Le match sera plus serré qu’il y a cinq ans et l’abstention sans doute plus forte. Comme tous les défenseurs de l’Etat de droit et de la République, comme tous ceux qui refusent que notre pays s’aventure dans une « alliance » avec Poutine et que le destin de la nation soit confié à une femme qui dépend de créanciers russes et hongrois, comme tous ceux qui veulent que la France continue d’agir en faveur de la transition écologique et de la solidarité, et qu’elle ne sombre pas dans la xénophobie et le populisme, comme tous ceux qui veulent réaffirmer sans ambiguïté l’ancrage européen de notre pays, nous voterons Emmanuel Macron sans aucune hésitation le 24 avril prochain.  

Toutefois, s’il veut gagner d’autres voix que les nôtres – et il en aura besoin –, le candidat ne pourra pas se contenter d’exposer son projet comme il l’a fait jusqu’ici, ni de tenter de ressusciter un « Front républicain » bien moribond. Il devra aller chercher des électeurs tentés par l’abstention, notamment à gauche, et en convaincre d’autres de revenir aux urnes. Il devra batailler sur le terrain du pouvoir d’achat – préoccupation majeure des Français dans ce scrutin – et convaincre sur les enjeux de santé. Il devra affirmer son projet écologique et assumer pleinement son « avec vous » au moyen d’une méthode démocratique renouvelée, dont il lui faut définir plus clairement les horizons et le contenu.

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