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Note

Le service civique, un dispositif à étendre

Le service accompli par le citoyen, sous une forme exclusivement militaire, a profondément marqué la société française. Si les modes d’appartenance à la citoyenneté ont évolué, demeure l’exigence de développer la cohésion sociale, l’intégration et l’apprentissage du civisme. La création en mars 2010 d’un service civique fondé sur le volontariat à permis de créer un cadre unique unifiant et harmonisant les différentes formes de volontariats. Terra Nova ouvre le débat sur l’extension du service civique : dans cette note, Annie Crépin et le Club Raspail se prononcent en faveur de l’établissement à terme d’un service obligatoire, véritable outil d’intégration sociale, et proposent quelques pistes applicables au service civique volontaire, permettant un passage progressif à l’obligation.

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Synthèse

Au cours d’une histoire biséculaire, le service militaire obligatoire est devenu l’expression par excellence du service civique, à l’exclusion de toute autre forme. Certes, le service militaire obligatoire n’a pas continuellement fait montre des vertus qu’on lui prête dans une vision rétrospective. Mais il représente un élément tellement fondateur que, dans la loi de 1997, il n’est en principe que suspendu, même si de fait il est supprimé. Et très vite, cette suppression conduit les responsables de toute obédience à débattre à propos du vide institutionnel et symbolique que l’abrogation du service aurait induit et à chercher des substituts. Personne ne souhaite le rétablissement du service militaire mais tous veulent retrouver son équivalent en matière de cohésion sociale et d’apprentissage du civisme.

Plusieurs formes de volontariat civil continuent d’exister après la loi de 1997 ou sont alors élaborées. De même perdurent ou sont expérimentés des dispositifs tels que le SMA (Service militaire adapté) en vigueur dans les DOM TOM qui, bien qu’accompli sous l’égide de l’armée, a pour priorité, avant même leur instruction militaire, l’intégration des jeunes dans la société, ou le dispositif Défense deuxième chance, inspiré du SMA, destiné à 20 000 jeunes sans diplôme ni emploi, âgés de 18 à 21 ans. À la suite de la crise des banlieues, est créé le SCV (service civil volontaire), dont l’objectif est la mixité sociale et qui est destiné à des jeunes filles et jeunes gens âgés de 16 à 25 ans devant accomplir une mission d’intérêt général pendant six, neuf ou douze mois dans une collectivité locale ou une association.   Mais ces dispositifs ne touchent que peu de jeunes et ne parviennent donc pas à remplir les attentes sociales et civiques qui sont désormais assignées pour buts au service citoyen.    En mars 2010, une loi crée un service civique fondé sur le volontariat. La loi établit un double dispositif : le service civique, de 6 à 12 mois, s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans et, pour les plus de 25 ans, est créé un volontariat de service civique, de 6 à 24 mois. Il prend le relais du service civil et se superpose aux formes de volontariat civil. Il est effectué moyennant indemnité dans des associations agréées par l’Agence du service civique et de l’Éducation populaire, au sein des collectivités locales ou pour l’État, dans les domaines philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel. L’objectif est de toucher en 2010 10 000 volontaires puis 25 000 en 2011, 40 000 en 2012, 75 000 en 2015, ce qui représenterait 10 % d’une classe d’âge.   C’est un pas dans la bonne direction.   Mais une confusion est en germe entre service et engagement associatif, au risque de distendre le lien avec la citoyenneté. Il faudrait retrouver le sens premier du mot service qui n’est pas la même chose qu’un volontariat. Par ailleurs, s’il ne touche qu’une minorité, le service civique risque de se heurter aux mêmes limites que les autres dispositifs auxquels il se substitue ou s’ajoute. On ne peut vouloir créer un véritable outil d’intégration sociale si cet instrument n’est pas étendu à l’essentiel d’une classe d’âge.   C’est pourquoi nous jugeons indispensable d’établir à terme l’obligation. Pour la gauche ce sont la mixité et la solidarité qui doivent fonder la cohésion d’une société d’égaux.   Le caractère obligatoire du service est la condition nécessaire pour recréer cette mixité et cette solidarité qui devraient être une priorité absolue pour les progressistes et être le socle du programme de 2012.   Des pistes sont proposées pour ce passage progressif à l’obligation :   - diversification des formes du service civique et élargissement du périmètre d’intervention des volontaires, le service devenant un temps d’éducation à la protection civile, de formation et de mise en œuvre de la prévention sous toutes ses formes ; - refondation de la JDC (Journée de la Défense et de la citoyenneté) en la liant plus étroitement au service civique et en en y introduisant un temps d’éducation à la défense nationale ; - extension du service au plus grand nombre en le rendant plus attractif et en valorisant son accomplissement dans le cursus d’études et le parcours professionnel des volontaires ; – développement de la dimension européenne du service ; - proposition de projets collectifs par les associations, collectivités, etc.   Ces pistes prennent en compte les objections que soulève l’obligation au regard du droit du travail, ou qu’elles soient d’ordre philosophique et/ou financier. Sur ce dernier point, particulièrement sensible, il faut faire remarquer que le coût a été évalué uniquement dans le cas où un service serait de six mois continus. Or une telle durée n’est pas préconisée en général par les tenants du service obligatoire qui prévoient deux mois, pouvant être fractionnés. Le service obligatoire ne serait pas gratuit mais l’effort budgétaire ne serait pas non plus incommensurable par rapport à d’autres budgets. Il faut ainsi mettre en regard de son coût les économies réalisées grâce à un meilleur encadrement des jeunes. Ainsi, les actions de prévention déjà préconisées pour les volontaires et qui seraient encore plus nombreuses du fait de l’obligation permettraient d’éviter certaines dépenses, et le bénéfice social de l’obligation – une plus grande cohésion – aurait aussi des retombées économiques positives.

Note intégrale

1 – Un fondement de la citoyenneté française 

En France, pendant deux siècles, le service civique s’est confondu avec le service militaire. Institutionnalisant les expériences de la Révolution française, le Directoire crée une armée nationale de conscription en 1798. Même si la conscription n’est pas encore le service personnel obligatoire, la défense devient un devoir accompli par celui qui n’est plus nécessairement un soldat de métier mais avant tout un citoyen. Ce devoir de défense est considéré comme l’expression suprême de la citoyenneté et un instrument d’intégration et d’unification nationales, avant même que la troisième République, en imposant à chacun de servir en personne, n’en fasse un des fondements du modèle républicain et la seconde école du citoyen.

 Certes, le service militaire obligatoire n’a pas continuellement fait montre des vertus qu’on lui prête dans une vision rétrospective. Mais il représente un élément tellement fondateur que, dans la loi de 1997, il n’est en principe que suspendu, même si en réalité il est supprimé. Dans le même esprit, un article de la loi rappelle que « tous les citoyens concourent à la défense de la nation » et qu’en vertu de ce principe, les garçons et filles âgés de 16 à 18 ans doivent répondre à cet appel qui dure une journée, d’où son nom initial de JAPD (Journée d’appel des préparations à la défense)[1].

La loi du 28 octobre 1997 ne donne pas vraiment lieu à un débat. La diversification – louable en soi – des formes du service depuis les années 1960 a fait ressurgir les inégalités de la conscription du XIXe siècle : le service est redevenu impopulaire et ses exigences moins compréhensibles aux yeux de l’opinion publique. En même temps, la redéfinition de la guerre et son déploiement sur des théâtres d’opération extérieurs où il semble difficile d’envoyer le contingent rendent encore plus nécessaires le recours à des spécialistes et la professionnalisation des forces armées. La finalité militaire – prioritaire– du service n’a plus de raison d’être, d’où sa suppression, mais du même coup disparaissent ses corollaires, apprentissage du civisme, intégration et cohésion sociale, même si le service national ne les réalisait plus qu’imparfaitement à la fin du XXe siècle.

2 – Formes et limites des dispositifs de volontariat 

Après la loi de 1997, plusieurs formes de volontariat civil continuent d’exister ou naissent alors[2]. De même perdure le SMA (Service militaire adapté) en vigueur depuis 1961 dans les DOM TOM : bien qu’accompli sous l’égide de l’armée, son but prioritaire est l’intégration (ou la réintégration) des jeunes dans la société, qui passe avant l’instruction militaire. En juin 2005, à la suite d’une proposition faite par la CAJ (Commission Armée-Jeunesse), il est prévu d’étendre le SMA en métropole et, en août 2005, est adopté le dispositif  Défense deuxième chance, inspiré du SMA, destiné à 20 000 jeunes sans diplôme ni emploi, âgés de 18 à 21 ans.

À la suite de la crise des banlieues, le président de la République Jacques Chirac annonce, le 14 novembre 2005, la création du SCV (service civil volontaire) qui doit toucher 50 000 jeunes en 2007. Il est destiné à des jeunes filles et jeunes gens âgés de 16 à 25 ans qui réaliseront une mission d’intérêt général pendant six, neuf ou douze mois dans une collectivité locale ou une association et recevront une indemnité. Mais il n’obtient pas le succès escompté, faute de moyens alloués par l’État, et n’attire que 3 000 jeunes, des diplômés presqu’exclusivement, ce qui ne correspond pas à  son objectif de mixité sociale.

Le dispositif Défense deuxième chance, géré par l’EPIDe (Établissement Public d’Insertion de la Défense), se développe, lui, avec un bilan positif[3]. Cependant, il ne touche qu’un public restreint[4], actuellement 2 500 stagiaires volontaires répartis dans 20 centres, uniquement des jeunes en voie de marginalisation ou en situation d’exclusion.

En somme, malgré leurs intentions initiales, ces dispositifs ne touchent que peu de jeunes et ne parviennent donc pas à remplir les attentes sociales et civiques qui sont désormais assignées pour buts au service citoyen.

En effet, le débat qui n’avait pas eu lieu à la fin des années 1990 ressurgit au début des années 2000 dans la société civile et parmi les politiques. Les effets pervers de la disparition d’un système qui représentait un lien essentiel entre l’armée et la nation sont déplorés. Des officiers d’active eux-mêmes s’interrogent à ce sujet. Mais le principal motif d’inquiétude n’est pas la professionnalisation des forces armées, qui n’est pas remise en cause : c’est le vide sociétal.

Le 5 novembre 2003, le PS dépose une proposition de loi intitulée « Créer un service civique pour tous les jeunes »[5]. Il est envisagé d’instaurer un service civique obligatoire de deux mois pour les jeunes gens et jeunes filles à partir de l’âge de 18 ans ; effectué dans les secteurs de l’action humanitaire, de l’environnement, de l’éducation, de la solidarité, il serait assorti d’une période facultative de six mois à un an.

En juin 2004, l’Institut Paul Delouvrier, qui place les formes de volontariat civil au cœur de ses préoccupations[6], présente ses « Propositions pour un volontariat civil national et européen » [7].

En 2005, dans son ouvrage La défense à plusieurs voix[8]le Club Raspail envisage l’éventualité de l’obligation tout en insistant sur les conditions préalables, notamment financières, qui la rendraient acceptable. 

Le 17 novembre 2005, l’hebdomadaire La Vie lance un « Appel pour un service obligatoire »[9], insistant sur le rôle civique que jouerait un tel service « citoyen », d’où la nécessité qu’il soit obligatoire. Il est signé par 10 000 personnes, dont plusieurs futurs candidats et la future candidate à l’élection présidentielle de 2007. Mais après l’élection de Nicolas Sarkozy, Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 n’évoque plus cette question. Toutefois, une mission sur le sujet est confiée à l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Luc Ferry.

3 – La création du service civique

À la suite du rapport remis par Luc Ferry, la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, sous l’égide de Martin Hirsch, alors Haut-commissaire, présente en juillet 2009 un Livre vert dont la proposition n° 55 débouche sur une loi promulguée le 10 mars 2010. Elle crée un service civique sous l’égide d’un groupement d’intérêt public, l’Agence du service civique et de l’Éducation populaire[10].

Le service civique s’adresse à des volontaires de plus de 16 ans, français ou résidant en France depuis une année. Il prend le relais du service civil et se superpose aux formes de volontariat civil évoquées plus haut. Il est effectué dans des associations agréées par l’Agence du service civique, au sein des collectivités locales ou même pour le compte de l’État, dans les domaines philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel. La durée du service est de 6 à 12 mois, sans interruption, à raison de 24 heures par semaine et moyennant une indemnité de 440 euros[11], intégralement versée par l’État par l’intermédiaire de l’Agence du service civique. L’organisme ou l’association d’accueil doit verser un complément de 100 euros (en nature ou en espèces) plus une couverture sociale (dont bénéficiaient aussi les jeunes du SCV).

La loi établit un double dispositif : le service civique proprement dit s’adresse aux gens âgés de 16 à 25 ans et, pour les plus de 25 ans, est créé un volontariat de service civique, uniquement financé par la structure d’accueil, qui dure de 6 à 24 mois.

L’objectif est de toucher en 2010 10 000 volontaires avec une montée en puissance : 25 000 en 2011, 40 000 en 2012, 75 000 en 2015, ce qui représenterait 10 % d’une classe d’âge.

 L’entrée en vigueur de la loi est trop récente pour que soit établi un bilan exhaustif, on peut tout au plus établir un constat. Les associations de jeunesse ayant activement participé aux discussions qui ont précédé la loi disent qu’elles sont satisfaites de la promulgation d’une mesure qu’elles appelaient de leurs vœux. Certaines apprécient l’existence d’un cadre unique pour toutes les formes de volontariat. Mais d’autres déplorent que les objectifs et les moyens de la formation citoyenne à dispenser soient encore flous. Par ailleurs, elles pointent le risque de confusion, sous couleur de simplification et d’harmonisation, entre service national et engagement associatif. Elles ne s’en préoccupent cependant qu’à propos du « volontariat de service civique » réservé aux plus de 25 ans. Elles s’inquiètent de la confusion possible entre les volontaires et leurs propres salariés, entraînant leur mise en concurrence, voire la substitution par le service civique d’une politique publique de l’Emploi en direction de la Jeunesse[12]. Certains jeunes diplômés de plus de 25 ans craignent eux aussi de le voir devenir le seul emploi possible pour eux, emploi au rabais et très faiblement rémunéré.

Propositions 

Le service accompli par le citoyen, sous une forme exclusivement militaire, a profondément marqué la société française mais les modes d’appartenance à la citoyenneté ont évolué et il faut en prendre acte. Le lien fondamental avec la citoyenneté que permettait le service personnel obligatoire, même s’il faut se garder de toute idéalisation rétrospective, est à recréer au moyen d’autres formules.

Il faut aussi garder à l’esprit que le service – militaire ou civil – ne peut se substituer aux autres lieux et aux autres instances, notamment l’école, où doit se faire cet apprentissage de la citoyenneté. Il ne saurait être une solution miracle ou un palliatif des manques et des échecs de ces autres instances. Mais, s’il ne représente pas l’unique solution, il est indispensable.

La création du service civique représente un pas dans la bonne direction, sous réserve d’un bilan plus approfondi qui ne pourra être établi que lorsqu’il aura eu une existence plus longue. Mais d’ores et déjà apparaît un risque de confusion entre service – même civil –  et volontariat. Ne faut-il donc pas retrouverle sens premier du mot service qui n’est pas, comme les associations en ont l’intuition, la même chose qu’un volontariat, aussi généreux soit-il ?

Par ailleurs, s’il ne touche qu’une minorité, le service civique ne risque-t-il pas de se heurter aux mêmes limites que les autres dispositifs auxquels il se substitue ou s’ajoute ? On ne peut vouloir créer un véritable outil d’intégration sociale si cet instrument n’est pas étendu à l’essentiel d’une classe d’âge.

C’est pourquoi nous jugeons indispensable d’établir à terme l’obligation. Certes, les finalités civiques et de cohésion sociale, assignées désormais au service, ne sont pas l’apanage exclusif de la gauche, mais pour la gauche ce sont la mixité et la solidarité qui doivent fonder cette cohésion et une société d’égaux.

Le caractère obligatoire du service est la condition nécessaire pour recréer cette mixité et cette solidarité qui devraient être une priorité absolue pour les progressistes et être le socle du programme de 2012.

Le passage à l’obligation sera progressif et, parmi les pistes retenues, la plupart peuvent être appliquées au service civique volontaire, mais elles sont en même temps une préparation à l’obligation.

Quelques pistes

Poursuivre la diversification des formes du service civique et élargir le périmètre d’intervention des volontaires

Le service civique pourrait devenir un temps d’éducation à la protection civile. Certes, les volontaires peuvent s’engager dans des associations qui se consacrent à l’environnement. Mais il faudrait aussi qu’ils puissent agir en cas d’urgence. Les catastrophes naturelles ne sont-elles pas l’occasion de mettre en œuvre une défense civile qui est aussi… civique ? Est-il  normal par exemple que les militaires d’active agissent seuls quand il faut ramasser des boulettes de fuel sur les plages ?

Le service civique pourrait aussi devenir un temps de formation et de mise en œuvre de la prévention sous toutes ses formes. Par exemple, la protection civile s’entendrait également comme la prévention des catastrophes naturelles (surveillance des feux de forêts, etc.) qui demandent des moyens humains considérables et non solvables.

Cet élargissement[13] ne saurait être éparpillement. Il ne peut se faire que dans les champs suivants déjà très vastes en eux-mêmes : champ militaire et de la protection civile, champ social, humanitaire et de la solidarité, champ de l’environnement.

Refonder la JDC

Lors des débats qui précédèrent la loi de 1997, il avait été proposé (par Philippe Seguin et les parlementaires RPR) d’instaurer en lieu et place du service militaire « un rendez-vous citoyen » obligatoire, d’une à huit semaines. Le projet fut abandonné pour des raisons financières mais le président Chirac proposa ensuite la création d’un « rendez-vous » d’au moins une semaine. Finalement la JAPD, devenue JDC – Journée de la Défense et de la citoyenneté – consacrée en partie à une sensibilisation aux enjeux historiques et mémoriels de la défense actuelle, se réduit à une journée. C’est insuffisant quantitativement et, qualitativement, cela risque d’obérer sa rénovation récente qu’il faut nécessairement poursuivre.

Une semaine au moins serait nécessaire. Le contenu théorique et pratique devrait être repensé de manière à en faire un temps fort du parcours du citoyen, en y introduisant un temps d’éducation à la défensenationale, pas uniquement conçue dans une perspective historique. Alors que la défense nationale avait été pensée comme devant se dérouler exclusivement sur des champs de bataille, la guerre elle-même s’est diversifiée. Par exemple, à côté du combat « sophistiqué », il y a le combat contre le terrorisme qui, en France, il y a quelques années, s’est déroulé… dans les couloirs du métro ou du RER.  N’est-ce pas éviter le recours à une dictature sécuritaire que d’inculquer aux citoyen/ne/s des notions et un esprit de sang froid qui les empêche de tomber dans « l’obsession sécuritaire » et de se jeter dans les bras « d’un sauveur » ?

La JDC pourrait être aussi un temps d’éducation civique pratique, ce qui la lierait de fait au service civique. Ce temps permettrait d’apprendre par exemple les gestes de premier secours, l’assistance aux personnes en danger. Il donnerait aussi l’occasion de découvrir des services publics parfois vilipendés dans certaines banlieues (pompiers, etc.).

Il faut lier la JDC au service civique en la plaçant éventuellement au début de celui-ci, même s’il n’est accompli que par des volontaires. 

 Rendre attractif le service civique en valorisant son accomplissement dans le cursus d’études et le parcours professionnel des volontaires

Il faut prendre garde à la réapparition de l’inégalité, et à ce que seule une « élite »  –  déjà très intégrée socialement –  accomplisse le service civique, la plupart des jeunes craignant un retard dans leurs études s’ils se portaient volontaires ou, étant donné la situation du marché du travail, donnant la priorité à la recherche d’un emploi, pendant que des jeunes « marginalisés » continueraient à préférer les formules du type Dispositif deuxième chance. Ce serait la négation de l’intégration et du creuset social que l’on cherche à mettre en place et qui devrait brasser des jeunes de tous horizons sociaux et culturels.

Il faudrait donc que le fait d’avoir accompli le service civique soit un atout et non un handicap au cours de la poursuite des études et dans la présentation du CV en début de carrière professionnelle. On songe à l’attribution d’unités de valeurs qui pourraient être capitalisées dans le parcours éducatif.  Certains suggèrent même une priorité d’embauche au moment du recrutement dans les services publics[14].

 Permettre au service civique d’être un creuset social par une meilleure prise en compte des situations économiques et sociales des volontaires

Le service civique, on l’a vu, risque de ne pas attirer des jeunes de tous les horizons et de tous les milieux sociaux, malgré les intentions qui ont présidé à sa création. Certains suggèrent de proratiser l’indemnité en fonction de critères sociaux.

– Proposer des projets collectifs plutôt qu’un projet individuel

C’est ce que préconisait déjà le rapport Ferry en s’inspirant de l’exemple du service civil volontaire tel qu’il est pratiqué en Italie où seuls des projets collectifs sont proposés par l’organisme qui supervise le service et qui assure ainsi le brassage des jeunes volontaires.

On ne peut d’ailleurs vouloir créer un véritable instrument d’intégration sociale que dans le cadre de projets collectifs. Ces projets collectifs seraient élaborés par les organismes, associations, etc. qui accueillent les volontaires du service civique.

Développer une dimension européenne du service

Il faudrait s’inspirer de certaines expériences, par exemple du programme Amicus, mis en œuvre par La Ligue de l’Enseignement[15] et aussi du SVE.

Dans l’immédiat, il ne paraît pas possible, étant donné l’approche différente qu’ont les pays européens du service national, de créer un service commun au niveau européen. On devrait donc s’appuyer sur le service civique français dont une telle expérience serait le prolongement, par exemple en prévoyant qu’une partie de la mission soit systématiquement accomplie dans une association en lien avec l’Europe, voire dans un pays de l’Union européenne.

Dans la formation théorique dispensée au cours de la JDC rénovée, il ne faudrait d’ailleurs pas négliger la dimension européenne pour aboutir à un esprit européen de défense.

– Amplifier l’impact du service et passer progressivement à l’obligation

Rien dans les textes de création du service civique n’ouvre la perspective d’un service obligatoire. L’obligation soulève des objections sérieuses qui ont fait préférer le volontariat.

Les unes sont d’ordre philosophique. Selon des sondages rapides, les jeunes gens se refuseraient à une « corvée » et surtout à ce qui pourrait ressembler à une forme de militarisation ou de caporalisation. « On ne peut pas faire appel à la générosité de quelqu’un qu’on oblige à faire quelque chose », disait Luc Ferry en présentant son rapport. Certes, mais c’est d’abord l’apprentissage du civisme qui est sollicité prioritairement et, si l’on s’en tient au sens premier des mots, un service ne coïncide pas totalement avec un engagement bénévole. L’école, autre lieu fondamental de l’éducation des citoyen/ne/s, n’est-elle pas partout obligatoire ? La citoyenneté donne des droits : la contrepartie des droits est un devoir.

Par ailleurs, la diversification des formes de service civique devrait limiter le sentiment de corvée, les citoyens ayant la liberté de choisir le type de service civique réalisé.

Les jeunes auraient le sentiment de perdre leur temps, argument qui en son temps vint à l’appui de l’abrogation du service militaire. Mais cet argument est encore plus puissant à l’encontre du volontariat car certains ont l’impression que, s’ils accomplissaient le service civique, ils partiraient avec retard dans leur cursus universitaire et professionnel. La pétition de La Vie recommandait d’ailleurs d’interroger les jeunes pour savoir ce qu’ils pourraient apporter, plutôt que de se couler dans le moule des formes d’engagement bénévole, vieux de plusieurs décennies[16].

Les autres objections sont d’ordre juridique et relèvent du droit du travail. Les formes civiques et civiles du service obligatoire deviendraient  un substitut ou un concurrent d’emplois rémunérés tenus par des professionnels. Mais cet  argument fut déjà lancé à l’encontre du volontariat. Surtout, ce service pourrait être considéré comme illégal et, en tant que travail forcé, entrerait en contradiction avec l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais la Convention exclut de cette définition « tout travail ou service formant des obligations civiques normales » et il faut donc absolument faire la preuve que, volontaire ou obligatoire, ce service est accompli en vertu de l’intérêt général.

Enfin, et  c’est la raison essentielle du choix du volontariat, la principale objection est d’ordre financier : le coût d’une telle mesure est évalué à 5 milliards d’euros pour une classe d’âge de 750 000 à  800 000 garçons et filles.

En fait ce coût a été évalué uniquement dans le cas où le service serait d’une durée continue de six mois. Or les tenants du service obligatoire n’ont jamais préconisé une telle durée. En général, ils ont proposé deux mois. Certes, on ne peut mécaniquement diviser par trois les fonds qui seraient nécessaires dans ce cas ; on peut raisonnablement avancer la somme de 2 milliards.

Il est impératif de prévoir un dispositif léger, mais s’adressant à tous, de 2 mois, extensibles éventuellement sur la base du volontariat à une période comprise entre 9 et 12 mois.

Une modalité de ce dispositif pourrait être le fractionnement du service en deux ou plusieurs périodes. On pourrait ainsi envisager deux périodes de quatre semaines chacune, réparties sur deux années, au cours desquelles il ne serait pas nécessaire de loger les jeunes. Les quatre semaines de la première année seraient divisées en quatre stages dont chacun permettrait l’obtention d’une unité de valeur ou de crédits ECTS : par exemple, un stage de secourisme, un stage d’apprentissage de la sécurité routière, un stage d’apprentissage de l’encadrement physique et sportif. La séquence de l’année suivante serait consacrée à un stage auprès des services hospitaliers, à un stage d’apprentissage des secours en mer ou en montagne, à un stage auprès des sapeurs-pompiers, etc.

Même si l’on s’en tient à un point de vue strictement comptable, on observera que le pays n’est pas devenu soudainement plus riche au moment de la suppression du service militaire.  Le service obligatoire, grâce aux actions de prévention déjà préconisées pour les volontaires, comme il a été dit plus haut et qui seraient encore plus nombreuses du fait de l’obligation, permettrait d’éviter certaines dépenses, et son bénéfice social – une plus grande cohésion – aurait aussi des retombées économiques positives : il faut ainsi mettre en regard de son coût les économies réalisées grâce à un meilleur encadrement des jeunes.

Certes, l’extension du service civique ne serait pas gratuite mais l’effort budgétaire ne serait pas non plus incommensurable par rapport à d’autres budgets. Le coût financier est une chose, les conséquences humaines et sociales en sont une autre, qui sont un véritable enjeu politique.

Le Club Raspail réunit des militaires et des civils, enseignants, juristes, journalistes, syndicalistes, animateurs d’associations, animés par un même intérêt pour les réalités de la Défense et par une même sensibilité de gauche. Site : www.club-raspail.fr.

[1] Depuis la publication du Livre blanc, la JAPD s’appelle désormais la JDC (Journée Défense et Citoyenneté) et son contenu a été rénové en lien avec les orientations du Livre blanc.

[2] Par exemple le VA (Volontariat associatif), le VCCSS (Volontariat civil de cohésion sociale et de solidarité), le VCAT (Volontariat civil à l’aide technique pour l’Outre-mer), le VSI (Volontariat de solidarité internationale), le VIE ou VIA (Volontariat international en entreprise ou en administration), le Volontariat de prévention, de sécurité et de défense civile, le SVE (Service volontaire européen) dans le cadre de l’Union européenne.

[3] Voir sur le site du Club Raspail, www.club-raspail.fr

[4] C’est pourquoi certains souhaitent que le SMA soit étendu en métropole, comme cela avait été prévu en 2005.

[5] Assemblée nationale, XIIe législature, Commission des Affaires culturelles, Proposition de loi n° 1199 présentée par Jean-Marc Ayrault, Daniel Vaillant et les membres du groupe socialiste et apparenté.

[6] Dès 2002, l’Institut Paul Delouvrier recommande l’instauration d’un service civil de six mois à un an, mais destiné aux seuls volontaires.

[7] Institut Paul Delouvrier, « Propositions pour un volontariat civil national et européen », juin 2004. Voir aussi ses propositions du 1er juillet 2008.

[8] Club Raspail, La Défense à plusieurs voix, éditions de l’Ours, 2005.

[9] La Vie, 17 novembre 2005.

[10] Ce groupement d’intérêt public est constitué entre l’État, l’INJEP (Institut national de la Jeunesse et de l’Éducation populaire), l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, l’association France Volontaires.

[11] À titre de comparaison, il était alloué aux volontaires du SCV une indemnité de 656,20 euros et la durée hebdomadaire de ce service était de 26 à 35 heures.

[12] Voir les réponses de certaines associations de jeunesse et d’éducation populaire à l’enquête lancée par le Club Raspail à propos de la mise en application de la loi de 2010, www.club-raspail.fr.

[13] Il est déjà pratiqué Outre-Mer. Il est vrai que, dans ce cas, il a été conçu pour remplacer  le volontariat civil à l’aide technique et que, par une spécificité propre à l’Outre-Mer, le volontariat de service réservé en métropole aux plus de 25 ans peut s’adresser ici aux moins de 25 ans. Voir la note « Mise en œuvre du service civique » de la Délégation générale à l’Outre-Mer du 22 mars 2011.

[14] Lors de l’instauration de la conscription, au début du XIXe siècle, on ne pouvait pas devenir fonctionnaire public si on ne justifiait pas d’avoir satisfait aux obligations de la conscription.

[15] Voir Le Mensuel de la Ligue de l’Enseignement, n° 183, novembre 2010.

[16] La Vie,  17 novembre 2005.

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