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Série « Européennes 2024 »

Les avancées de l’Europe sociale

La politique sociale de l’UE a beaucoup évolué ces dernières années. L’UE a établi un document programmatique qui définit le socle européen des droits sociaux. La Commission de son côté a pris une série d’initiatives pour leur donner une consistance. Doit-elle aller plus loin ? Quelles sont les priorités pour approfondir l’action européenne en matière sociale ?

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Comment le socle européen des droits sociaux a changé la donne

Le Sommet social de Göteborg a adopté en 2017 un socle européen des droits sociaux (European Pillar of Social Rights, EPSR). Par cette proclamation, les institutions européennes – Parlement, Commission et Conseil -, les États membres et les partenaires sociaux européens s’engagent à mettre en œuvre 20 principes dans le cadre de leurs responsabilités respectives. Les principes de l’EPSR couvrent trois grands domaines des droits du travail et des droits sociaux : égalité des chances, conditions de travail équitables et protection et inclusion sociales. Certains expriment les droits des individus (« toute personne a droit à une éducation, une formation et un apprentissage tout au long de la vie inclusifs et de qualité », principe 1) ou les droits des travailleurs (« les travailleurs ont droit à un salaire équitable leur assurant un niveau de vie décent », principes 5, 6 et 7), tandis que d’autres fixent des objectifs concernant l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes (principe 2), un salaire minimum adéquat (principe 6), l’accès à un logement social ou à une aide au logement de bonne qualité (principe 19) ou encore un revenu minimum pour « assurer une vie dans la dignité » (principe 14).

L’EPSR met l’accent sur la qualité des emplois, de l’éducation et des services essentiels et la prévention des conditions de travail précaires, en donnant la priorité aux contrats à durée indéterminée et en interdisant l’abus de contrats atypiques. Il recommande également des mesures permettant aux personnes de gérer les transitions sur le marché du travail. L’EPSR est accompagné d’un tableau de bord social – une série d’indicateurs permettant d’évaluer les progrès réalisés. Le tableau de bord a été récemment révisé et nous y reviendrons lorsque nous discuterons des orientations politiques futures.

Contrairement à la Charte des droits fondamentaux qui ne couvre que les domaines de compétence de l’UE et qui est contraignante pour les institutions européennes et les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union européenne, le socle européen des droits sociaux est une déclaration politique appelant des mesures supplémentaires. Le préambule précise : « Pour être juridiquement applicables, les principes et les droits requièrent d’abord l’adoption de mesures ou d’une législation spécifique au niveau approprié ».

Bien que la Charte ait une valeur contraignante, son application est restée aléatoire au cours des décennies qui ont suivi son adoption. En matière d’emploi et de politiques sociales, l’histoire européenne est faite de progrès mais aussi de stagnation et parfois de reculs. Les textes programmatiques peuvent exercer une pression sur les décideurs politiques mais l’évolution des politiques n’est pas un processus linéaire.

Le socle européen a été adopté à un moment où les impacts sociaux de la crise des dettes souveraines étaient pleinement visibles et commençaient à menacer la légitimité même du projet européen. L’effondrement de la convergence sociale[1] entre le Sud et le Nord dans l’"ancienne UE" était particulièrement visible mais les tensions entre l’Est et l’Ouest augmentaient également. De larges secteurs de la population se sentaient non seulement confrontés à l’incertitude résultant de la mondialisation, de l’approfondissement de l’intégration économique et des nouvelles technologies, mais aussi au fait que l’UE ne les aidait pas à y faire face ou qu’elle aggravait encore la situation du fait de ses politiques économiques. Un changement de politique s’imposait. La Commission européenne et le FMI étaient en retard à cet égard. L’OCDE et la Banque mondiale avaient déjà produit des analyses qui soulignaient la nécessité d’un changement de politique. L’OCDE, en particulier, avait reconnu relativement tôt les risques sociaux et économiques associés à l’augmentation des inégalités.

La déclaration de Göteborg sur le socle social témoignait d’une prise de conscience. Auparavant, la compétitivité était au centre des préoccupations, ce qui se traduisait par une demande de réforme « néolibérale ». Dans son discours récent sur ce sujet, Mario Draghi a clairement rappelé que cette priorité donnée à la compétitivité avait sapé la reprise économique et affaibli les États-providence en Europe[2]. Dans la déclaration de Göteborg, la croissance des inégalités et l’incertitude grandissante parmi les principaux groupes de la population ont été reconnues comme une menace pour la cohésion et les performances économiques. Les groupes à faibles revenus ont beaucoup souffert pendant la crise et ont été les derniers à bénéficier de la reprise, et ce après deux décennies au cours desquelles les groupes aux revenus les plus élevés ont vu leurs revenus et leurs richesses augmenter bien plus que ceux du bas de l’échelle. Les personnes faiblement diplômées, de nombreuses femmes actives avec des enfants, les migrants et les jeunes avaient déjà, avant la crise de 2008, des emplois moins sûrs, des revenus plus faibles et étaient moins bien couverts par la sécurité sociale. La généralisation des formes d’emploi atypiques a accentué les effets de la crise car ces travailleurs étaient plus susceptibles de perdre leur emploi et de devoir reprendre un emploi dans des conditions plus précaires. La déclaration de Göteborg sur le socle européen des droits sociaux reflète une réflexion nouvelle, reconnaissant l’importance du droit du travail et la nécessité d’étendre la protection sociale[3]. Pour que ce changement d’orientation politique soit crédible, encore fallait-il mettre en œuvre des actions concrètes.

La Commission Juncker[4] a lancé plusieurs initiatives en matière de politique sociale, récoltant d’abord les fruits les plus faciles à cueillir, car plusieurs propositions importantes étaient prêtes, alors que la Commission Barroso les avait bloquées pendant près d’une décennie. La Commission suivante, sous la direction d’Ursula von der Leyen et de Nicolas Schmit en tant que commissaire à l’Emploi, aux Affaires sociales et à l’insertion, a établi un programme ambitieux de mise en œuvre de l’EPSR et a utilisé la réponse de l’UE à la crise Covid et les initiatives du Pacte Vert pour mettre en place des instruments pertinents afin de s’attaquer aux divergences sociales et de soutenir la convergence vers le haut.

 

L’UE doit-elle prendre des mesures dans le domaine social et de l’emploi ?

Plusieurs facteurs contribuent à l’augmentation des inégalités et de l’insécurité économique. Des tendances globales telles que la mondialisation des marchés, la numérisation et le vieillissement sont de nature universelle et non spécifiques à l’UE-27. D’autre part, les politiques sociales, de l’emploi et de l’éducation sont essentiellement nationales. Où se situe donc le besoin spécifique d’une action de l’UE ? La première réponse est assez simple : les Européens souhaitent une action européenne en faveur de l’emploi et de la protection sociale. Dans de nombreuses enquêtes, les citoyens européens considèrent que l’action de l’UE en matière de pauvreté et de chômage est souhaitable. Cela signifie non seulement qu’ils attendent un soutien de l’UE en cas de graves problèmes chez eux, mais aussi qu’ils ne se sentent pas en sécurité lorsque leurs voisins connaissent de graves difficultés ou un taux de chômage élevé. Outre la coordination des efforts et l’apprentissage mutuel, trois raisons plus spécifiques justifient l’action de la politique sociale au niveau de l’UE.

 

  • Tout d’abord, le marché unique : si les grandes tendances économiques et même sociales sont mondiales, leur impact sur les États membres et leur population passe par l’existence d’un marché intégré couvrant les biens, les services, les capitaux et les personnes. On peut dire que le marché unique a accru l’activité économique en Europe et amélioré le bien-être social dans son ensemble mais il existe des secteurs, des régions, des entreprises ou des personnes qui sont affectés par des changements structurels rapides ou une concentration plus rapide de l’activité économique. Le Fonds social européen a été introduit à l’origine pour soutenir les travailleurs qui souffrent d’un surcroit de concurrence résultant de l’établissement du marché commun. Les politiques nationales visant à prévenir ou à atténuer l’impact des mutations du marché du travail sur les individus et à les aider à s’adapter doivent également tenir compte de l’intégration du marché unique. Inversement, les politiques européennes doivent veiller à ce que le marché unique n’entrave pas le progrès social mais le soutienne, ce qui n’est pas automatiquement le cas, comme l’a récemment expliqué le rapport d’Enrico Letta (« Bien plus qu’un marché »). L’UE utilise son instrument le plus puissant – la réglementation – pour garantir la libre circulation des travailleurs et leur égalité de traitement en matière d’emploi, ainsi que pour veiller à ce que la mobilité entre les États membres ne porte pas préjudice aux droits des travailleurs en matière de sécurité sociale. L’action la plus forte en matière de politique sociale liée au marché unique concerne les droits des travailleurs qui se déplacent d’un Etat membre à un autre et la protection sociale de ces travailleurs mobiles. Les directives sur la santé et la sécurité sur le lieu de travail peuvent facilement être considérées comme contribuant à des conditions de concurrence équitables dans le marché unique.

La législation sur l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes est apparue très tôt dans l’histoire de la Communauté européenne. D’autre part, on se plaint régulièrement que les règles du marché unique de l’UE nuisent aux politiques nationales du travail et aux politiques sociales. Par exemple, le récent rapport d’Enrico Letta sur le marché unique note que la définition du logement social utilisée dans la politique de concurrence de l’UE est trop restrictive et entrave les politiques de logement social[5]. En particulier, les règles de l’UE sur la libre circulation des services (concernant les travailleurs détachés et les marchés publics) ont été considérés comme une interférence avec les politiques nationales du travail, la protection des travailleurs et les conventions collectives (voir ci-dessous le développement sur les travailleurs détachés). Les droits à la protection sociale pour les travailleurs mobiles ont également fait l’objet d’une législation précoce en faveur de la libre circulation des travailleurs.

  • Deuxièmement, la monnaie unique rend cette situation encore plus brûlante car elle limite la marge de manœuvre des États membres en matière de politique économique et budgétaire. La crise de 2008 a été un excellent exemple de cette interaction. L’application des règles de politique budgétaire et monétaire de l’UE a prolongé la récession par rapport aux États-Unis. Elle a également aggravé les difficultés sociales notamment par l’ingérence des créanciers dans les pays du Sud de l’Europe. L’UE doit encore trouver des moyens de partager les bénéfices de la monnaie unique (et du marché unique) de manière équitable. Dès la Commission Barroso, des propositions pour une capacité budgétaire accrue de l’UE ont été élaborées, y compris différents modèles d’assurance chômage au niveau européen. Nous n’abordons pas ici la question de la modification des règles budgétaires de la zone euro et du développement d’une capacité budgétaire au niveau de l’UE, mais nous reviendrons sur la question de savoir si les programmes sociaux pourraient être utilisés comme mesures de stabilisation au niveau de l’UE.
  • Troisièmement, il existe une divergence Est-Ouest qui concerne en fait le rythme de la convergence entre pays. Les salaires sont clairement au centre de cette divergence. Il faudra un temps relativement long pour que les salaires et les revenus en Europe centrale et orientale se rapprochent de ceux des pays voisins d’Europe occidentale. Cette situation a suscité deux types de craintes : premièrement, celle d’un nivellement par le bas en raison de l’affaiblissement des normes, notamment dans les pays d’Europe occidentale ; deuxièmement, celle d’un exode continu de la main-d’œuvre plus active et plus qualifiée qui compromet la capacité des économies d’Europe centrale et orientale à rattraper leur retard. La fuite des cerveaux de l’Est vers l’Ouest et l’écart entre les revenus et les salaires continuent de susciter des tensions. Les différences de salaires et de conditions de travail étaient au cœur de la demande des États membres plus riches de restreindre le détachement des travailleurs. La révision de la directive sur les travailleurs détachés en 2018 ainsi que les nouvelles conditions du marché du travail (voir ci-dessous) semblent avoir apaisé les conflits, sans toutefois y mettre fin. 

 

Les initiatives politiques de la période 2016–2023

Les mesures prises par l’UE sous les Commissions Juncker et Van der Leyen ont concerné la libre circulation des travailleurs, la législation sur le travail et l’égalité des sexes, la protection sociale et la coordination des politiques économiques et enfin les mesures de financement principalement liées à la crise du Covid-19 pour lutter contre le chômage et les difficultés sociales.

Libre circulation des travailleurs

Initiatives sur la mobilité de la main-d’œuvre :

Directive sur le détachement (2014/67/UE)

Autorité européenne du travail (ELA)

2018 : la directive sur le détachement a été révisée (2018/957),

2020/1057 pour le secteur du transport routier

Dans ce domaine, les mesures les plus importantes concernent les travailleurs détachés (qui relèvent des services puisque les entreprises fournissent des services en envoyant des travailleurs). Une forte pression a été exercée pour que des mesures soient prises à la suite des affaires traitées par la Cour de Justice de l’UE (notamment Laval et Rüffert). En 2014, la directive sur l’exécution du détachement (2014/67/UE) a été adoptée et a renforcé les exigences en matière d’information, de contrôle et de coopération administrative, ainsi que la position des travailleurs contre les représailles de leurs employeurs. Elle a également étendu la protection aux situations de sous-traitance. En 2018, la directive sur le détachement a été révisée (2018/957, 2020/1057 pour le secteur du transport routier). La directive a élargi les conditions d’emploi applicables, y compris la rémunération (pas seulement le salaire), conformément au principe d’un salaire égal pour un travail égal au même endroit, et a renforcé les règles relatives au travail intérimaire et au détachement de longue durée (après 12 + 6 mois, le droit du travail du pays d’accueil s’applique). La Commission a proposé de réviser la coordination de la sécurité sociale afin de clarifier la législation applicable (pays d’accueil ou pays d’envoi – ce qui n’est pas sans importance car les taux de cotisation peuvent varier considérablement) et les règles relatives à l’exportation des prestations de chômage. Malgré un accord provisoire entre le Conseil et le Parlement européen en 2021, le dossier est toujours en suspens. Il existe de nombreuses manières pour les employeurs de contourner les mesures favorables aux travailleurs détachés (qui sont souvent en position de faiblesse et très dépendants de leur employeur), ce qui compromet également la concurrence loyale.

La question se pose de savoir ce que l’on peut faire si la concurrence déloyale et les mauvais traitements infligés aux travailleurs se poursuivent malgré une législation plus stricte. Est-il nécessaire de réviser davantage les règles ou d’appliquer rigoureusement les règles en vigueur ? Des études suggèrent que de nombreux résultats pourraient être obtenus si les règles étaient appliquées de manière plus stricte[6]. La Commission Juncker a créé l’Autorité européenne du travail (AET) pour aider les États membres à appliquer les règles de l’UE en matière de mobilité transfrontalière et de sécurité sociale. Cette autorité suit l’évolution de la situation, facilite la coopération entre les autorités nationales, partage des informations, organise le renforcement des capacités et des inspections conjointes ou concertées et joue un rôle de médiateur en cas de litige.

Droit du travail, fixation des salaires et égalité des sexes sur le marché du travail

Initiatives sur le droit du travail,

Directive (2019/1152) relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles

Directive sur le salaire minimum (UE 2022/2041)

Directive relative à l’amélioration des conditions de travail sur les plates-formes (accord prov:7212/24)

Lignes directrices sur l’application du droit de la concurrence de l’Union aux conventions collectives relatives aux conditions de travail des travailleurs indépendants solos ;

Proposition de révision de la directive sur le comité d’entreprise européen (CEE) (COM 2024/14)

Directive sur le devoir de diligence des entreprises en matière de développement durable (DDEDD) : les entreprises doivent prévenir les effets négatifs sur les droits de l’homme et l’environnement dans le cadre de leurs propres activités et de leurs chaînes de valeur (COM (2022)71).

Règlement sur le travail forcé (COM 2022/453)

 

Initiatives sur le partage du travail rémunéré et des soins non rémunérés et la stratégie de l’UE en matière de soins

La directive sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée (2019/1158)

La stratégie européenne en matière de soins (2022/C/476/01)

Recommandation du Conseil sur des systèmes d’éducation et d’accueil de la petite enfance (EAJE) de grande qualité (2019/C 189/02)

 

Initiatives sur l’égalité entre les hommes et les femmes :

Directive sur la transparence des rémunérations (2023/970)

La directive sur les femmes dans les conseils d’administration (2022/2381)

Révision de la directive sur les normes relatives aux organismes de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes en matière d’emploi, (accord prov. 16722/23)

Initiatives en matière de santé et de sécurité :

Révision de la directive amiante de 2009 (2023/2668)

Directive sur l’exposition des travailleurs aux agents cancérigènes et aux produits toxiques similaires

Les deux Commissions qui ont succédé à celle de Barroso ont lancé un certain nombre d’initiatives en matière de droit du travail, parmi lesquelles la directive sur le salaire minimum est peut-être la plus importante. Une nouvelle législation sur l’égalité entre les hommes et les femmes sur le marché du travail devrait faire une réelle différence.

La directive relative à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée (2019/1158) a été la première à donner aux deux parents le droit de prendre des congés pour s’occuper d’un enfant et de protéger leurs droits de reprendre le travail après avoir pris un congé ou de travailler à temps plein après avoir réduit leurs heures de travail. La directive stipule également le droit de travailler à temps partiel pour s’occuper d’un enfant. Elle prévoit un congé de paternité de dix jours et un congé parental de quatre mois, dont deux ne peuvent être transférés d’un parent à l’autre. La proposition de la Commission est plus ambitieuse, notamment en ce qui concerne le niveau des prestations (incitant davantage le parent gagnant le plus à prendre un congé) mais la directive reconnaît toujours que l’égalité entre les femmes et les hommes sur le marché du travail nécessite non seulement la mise en place de services de garde d’enfants et d’éducation de la petite enfance mais aussi un partage plus équitable des tâches et du travail rémunéré entre les parents. La stratégie européenne en matière de soins[7] et la recommandation du Conseil sur les systèmes d’éducation et d’accueil de haute qualité des jeunes enfants (2019/C 189/02) complètent la directive en ce qui concerne les systèmes d’éducation et d’accueil des jeunes enfants.

La directive sur la transparence des rémunérations (2023/970), qui contraint les employeurs à informer les demandeurs d’emploi et les travailleurs des niveaux de rémunération ventilés par sexe, a permis de réaliser des progrès juridiques substantiels en matière de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle exige une évaluation de l’égalité salariale au niveau de l’entreprise et des mesures correctives si l’évaluation révèle des écarts de plus de 5 %. Elle prévoit le droit à une indemnisation complète pour les travailleurs victimes de discrimination salariale fondée sur le sexe. Comme dans la directive sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, la charge de la preuve dans les cas de discrimination est inversée. Les employeurs doivent démontrer qu’ils n’ont pas violé les règles de l’UE en matière d’égalité de rémunération ou de droits des travailleurs ayant des responsabilités familiales. Un autre acte législatif important sur l’égalité des sexes dans l’économie est la directive sur les femmes dans les conseils d’administration (2022/2381)[8] .

La directive (UE 2019/1152) relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles a été adoptée après des années de demandes de révision des dispositions relativement faibles de la directive sur la déclaration écrite (UE 91/533). Bien que la proposition de la Commission visant à définir le statut d’un salarié au niveau européen n’ait pas été acceptée par le Conseil, elle étend son application aux contrats zéro heure et aux travailleurs travaillant plus de 3 heures par semaine. Les employeurs doivent informer les travailleurs des détails de leur contrat dans un délai d’une semaine au lieu de deux mois. La période d’essai ne doit pas dépasser 6 mois. La directive limite l’utilisation des contrats à la demande. Le contrôle de ces dispositions est un exercice complexe. De nombreux commentateurs y voient des améliorations substantielles mais certains se demandent dans quelle mesure la directive aidera les travailleurs vulnérables[9].

La directive sur le salaire minimum (UE 2022/2041) est l’expression d’un changement de politique assez radical. Radical dans la mesure où l’opinion dominante était que l’UE n’avait aucune compétence légale pour légiférer sur les salaires et que la plupart des acteurs politiques ainsi que les départements de la Commission responsables des politiques économiques ne considéraient pas qu’une telle action était souhaitable. Le mécontentement s’est accru lorsque la Commission a conseillé aux États membres d’ouvrir leurs systèmes de fixation des salaires, d’affaiblir la négociation collective et de ne pas augmenter les salaires minimums. L’intervention directe des créanciers de l’UE, par l’intermédiaire de la Troïka, dans la fixation des salaires a été un pas de trop. Une coalition de gouvernements des États membres[10], des groupes politiques du Parlement européen et la Confédération européenne des syndicats ont demandé à l’UE d’intenter une action en justice.

Les pays nordiques et leurs syndicats se sont opposés à la directive, car ils craignaient (et craignent toujours) que l’UE n’interfère avec leurs systèmes nationaux de négociation collective. Sous sa forme actuelle, la directive tient compte de ces craintes, car elle traite des salaires minimums et de la négociation collective et n’oblige pas un pays à introduire un salaire minimum[11]. Elle exige des États membres qu’ils augmentent le nombre de négociations collectives et qu’ils intensifient les négociations collectives sur la fixation des salaires, qu’ils renforcent la capacité de négociation des partenaires sociaux et qu’ils protègent les travailleurs et les organisations engagées dans des négociations collectives. Elle demande aux pays où le taux de couverture des négociations collectives est inférieur à 80 % de préparer un plan d’action pour augmenter ce taux. Les États membres qui disposent de salaires minimums légaux veillent à ce qu’ils permettent d’atteindre un « niveau de vie décent »[12]. Les salaires minimums doivent être régulièrement mis à jour en impliquant les partenaires sociaux et les organes consultatifs. Tous les États membres sont tenus de collecter des données afin de contrôler la protection du salaire minimum et de veiller à ce que les travailleurs aient accès à la résolution des conflits et au droit de recours. La directive établit des obligations de rapport pour obliger tous les États membres à examiner sérieusement les moyens d’améliorer la situation des bas salaires : sur le niveau et la couverture pour les États membres ayant des salaires minimums légaux, pour ceux qui n’ont pas de salaires minimums légaux, sur les taux de rémunération les plus bas dans les conventions collectives et la couverture des travailleurs à bas salaires, ainsi que sur le niveau des salaires des travailleurs non couverts, et pour tous les États membres sur le niveau et le développement de la négociation collective[13].

Dans le domaine de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail, une révision de la directive de 2009 sur l’amiante était attendue depuis longtemps. Elle a finalement été adoptée en 2023 (2023/2668), prescrivant notamment une réduction du niveau maximal d’exposition à l’amiante de 0,1 à 0,01 fibre par cm3 – ce qui est considéré comme une étape importante étant donné que 3 cancers professionnels sur 4 sont liés à l’amiante. Pour certains, les niveaux sont encore trop élevés (il est difficile de contester le fait que l’exposition à l’amiante devrait être nulle). La directive sur l’exposition des travailleurs aux agents cancérigènes et aux produits toxiques similaires a été mise à jour en plusieurs étapes entre 2017 et 2022. Les deux révisions sont considérées comme des modernisations – la grande question est comme toujours la mise en œuvre et le contrôle.

La proposition de directive sur les travailleurs des plates-formes est considérée comme un premier pas vers la protection des travailleurs des plates-formes numériques et vers la réglementation des conditions de travail dans le secteur du numérique. Le compromis récemment adopté a été largement contraint par l’opposition inattendue des gouvernements allemand et français à un stade avancé des négociations. Finalement, ces deux gouvernements ont continué à s’opposer mais se sont trouvés en minorité au Conseil. L’un des éléments essentiels qui a été supprimé est la liste des critères permettant de définir un travailleur comme un salarié mais la notion de « faits indiquant un contrôle et une direction » a été conservée. Cette formulation, associée à la présomption d’une relation de travail, reste une disposition importante qui protège les travailleurs de la gig economy[14]. Une autre partie importante de la directive concerne la gestion algorithmique du travail dans l’économie des plateformes. Souvent, les instructions sont données par l’intermédiaire d’applications et les performances sont évaluées par l’intermédiaire de l’application – il n’y a pas de contact personnel avec un superviseur. La directive prescrit des règles de transparence, des droits d’information pour les travailleurs, des règles de protection des données et des exigences de consultation. Les questions centrales pour un travailleur, telles que la rémunération et le licenciement, devront être traitées par une personne. Le traitement numérique des données relatives à la santé mentale et émotionnelle des travailleurs et des données traditionnellement protégées par la lutte contre la discrimination est interdit. Il est important de noter que certaines règles relatives à la gestion algorithmique s’appliquent à toutes les personnes effectuant un travail sur une plateforme, c’est-à-dire également aux travailleurs indépendants. Une mesure connexe importante adoptée par la Commission en 2022 est constituée par les Lignes directrices sur l’application du droit de la concurrence de l’Union aux conventions collectives relatives aux conditions de travail des travailleurs indépendants isolés, qui confirment le droit des travailleurs indépendants isolés à s’organiser et à mener des négociations collectives – un domaine juridique situé à la frontière entre le droit de la concurrence et le droit du travail[15].

 La directive sur le devoir de diligence des entreprises en matière de développement durable (DDDD), qui oblige les entreprises à prévenir les effets négatifs sur les droits de l’homme et l’environnement dans le cadre de leurs propres activités et de leurs chaînes de valeur (COM (2022)71), a été dès le départ une initiative importante et assez controversée. L’objectif est de s’assurer que les entreprises contrôlent le respect des droits de l’homme et du droit du travail non seulement dans leur propre production, mais aussi chez leurs fournisseurs tout au long de la chaîne de valeur. Cette initiative est importante pour les travailleurs de l’UE et du monde entier[16]. Le Conseil a adopté un texte qui n’était soutenu ni par la France[17] ni par l’Allemagne (alors que le SPD et les Verts y sont fortement favorables, le FDP s’y est opposé – l’Allemagne s’est donc abstenue). Seules les entreprises employant plus de 1 000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros sont désormais concernées. On estime que seul un tiers du nombre d’entreprises envisagées à l’origine (mais les plus grandes) sont encore couvertes. Mais ceci n’exclut pas de plus petites entreprises qui pourraient être indirectement couvertes. La Commission a également proposé un règlement sur le travail forcé (COM 2022/453) interdisant les produits fabriqués au moyen du travail forcé sur le marché de l’Union – le règlement a fait l’objet d’un accord préliminaire entre le Conseil et le Parlement le 13 mars 2024 et, comme la directive sur la chaîne de valeur, n’a pas été soutenu par l’Allemagne en raison de l’opposition du FDP. En ce qui concerne la directive sur la chaîne de valeur, la proposition a été affaiblie et c’est à l’expérience qu’on verra l’efficacité de la lutte contre l’esclavage moderne. 

La Commission a proposé de renforcer la directive sur le comité d’entreprise européen (CEE) (COM 2024/14), notamment en facilitant l’accès des travailleurs des entreprises multinationales au comité d’entreprise, en renforçant la capacité de celui-ci, en améliorant l’équilibre entre les hommes et les femmes dans sa composition et en facilitant l’accès aux voies de recours.

La Commission a également proposé une directive sur l’amélioration des normes pour les organismes de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle rend ces organismes plus efficaces, en renforçant leur indépendance et leurs droits à être consultés et leur position dans les actions en justice. Un accord provisoire a été conclu en décembre 2023.

Protection sociale

Protection sociale :

Recommandation du Conseil sur l’accès à la protection sociale des travailleurs et des indépendants (2019/C/387/01)

Recommandation du Conseil sur le revenu minimum adéquat garantissant l’inclusion active (2023/C 41/01)

Rapport du groupe de haut niveau sur « L’avenir de la protection sociale et de l’État providence dans l’UE » (https://data.europa.eu/doi/10.2767/35425)

Dans le domaine de la protection sociale[18], la Commission Juncker s’est aventurée sur un nouveau terrain en préparant une recommandation sur l’accès à la protection sociale pour les travailleurs et les indépendants. Les initiatives de l’UE en matière de protection sociale sont controversées car les États membres sont fermement convaincus de leur responsabilité exclusive et plus encore en ce qui concerne la protection sociale des travailleurs indépendants. Néanmoins, ils ont accepté de soumettre des rapports utilisant des indicateurs communs sur les progrès réalisés pour atteindre un niveau élevé de couverture effective, d’adéquation et de transparence des prestations.

Même si une recommandation n’est pas contraignante, la « Recommandation du Conseil sur un revenu minimum adéquat garantissant l’inclusion active » (2023/C 41/01) contient quelques points novateurs pertinents : « Le revenu minimum est un élément clé des stratégies de sortie de la pauvreté et de l’exclusion et peut agir comme un stabilisateur automatique ». « L’accès effectif aux services publics » et « l’intégration effective sur le marché du travail de ceux qui peuvent travailler » complètent l’aide au revenu. Il attire l’attention sur les lacunes en matière de couverture et de recours, qui expliquent pourquoi les régimes de revenu minimum existants ne permettent pas de lutter contre la pauvreté autant qu’on le souhaiterait. Les jeunes adultes doivent être inclus dans le revenu minimum. Le niveau des prestations devrait être déterminé par « le seuil national de risque de pauvreté ou la valeur monétaire des biens et services nécessaires, y compris une alimentation adaptée, le logement, les soins de santé et les services essentiels, selon les définitions nationales ». Ces niveaux devraient être atteints au plus tard en 2030. Le suivi par les États membres devrait être inclus dans le « semestre européen ». Il préconise des études d’impact pour évaluer l’effet des mesures budgétaires et des réformes « y compris sur les plus défavorisés ». 

Les deux recommandations et le suivi en termes d’indicateurs et de contrôle ainsi que les études d’impact peuvent constituer un outil important s’ils sont repris dans l’exercice de coordination de la politique économique et sociale au niveau de l’UE et utilisés par les acteurs nationaux dans le processus politique[19]. Il n’est pas surprenant que la nature non contraignante du document ait fait l’objet d’une controverse et que des propositions aient été faites, notamment par le Parlement européen, en faveur d’une « directive-cadre sur le revenu minimum »[20] .

La pandémie de grippe aviaire, la solidarité fiscale et la coordination des politiques économiques

Depuis la crise de 2008, l’État-providence a démontré sa capacité à renforcer la résilience des sociétés européennes[21]. La pandémie a ensuite démontré la contribution unique des États-providence à l’atténuation de l’impact économique et social de la crise et à la préservation de la capacité de production de l’économie de l’Union européenne. L’UE a mis en place le programme de soutien à l’emploi (Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency, SURE)[22] qui a fourni une assistance financière (100 milliards d’euros) aux programmes nationaux de maintien de l’emploi et a ainsi permis aux États membres disposant d’une marge de manœuvre budgétaire limitée de financer le maintien des travailleurs sur le marché du travail.

Grâce au financement de l’UE, les États d’Europe du Sud qui pouvaient difficilement se permettre de tels programmes pendant la crise des dettes souveraines ont pu les mettre en œuvre pendant la pandémie. Selon le bilan mené par la Commission, ces pays (ainsi que l’UE dans son ensemble) ont enregistré un taux d’emploi plus élevé et un taux de chômage beaucoup plus faible que prévu par rapport au déclin de l’activité économique[23]. En outre, le chômage partiel a concerné un ensemble de travailleurs beaucoup plus large (également des femmes, des jeunes et des travailleurs sous contrat atypique) que lors de la crise financière de 2008 (principalement des travailleurs de l’industrie).

Le mécanisme de redressement et de résilience (Recovery and Resilience Facility, RRF) est utilisé, entre autres objectifs, pour l’investissement social. Les chercheurs David Bokhorst et Sven Schreurs rapportent qu’"un pourcentage non négligeable de 30 % des dépenses est en moyenne consacré à des objectifs sociaux" tels que « renforcer les institutions sociales, remédier aux pénuries de compétences, stimuler l’emploi des femmes et assurer une protection adéquate du marché du travail et de l’inclusion sociale »[24]. Ils établissent un lien entre le RRF et la recommandation du Conseil (2021/1004) sur la garantie européenne pour l’enfant. La garantie pour l’enfant élargit la prise en charge des enfants à l’éducation de la petite enfance afin de briser le cycle de la pauvreté intergénérationnelle. Les rapports sur le FRR suggèrent que les États membres l’utilisent pour l’activation des politiques d’emploi, l’éducation et la formation et pour la garde d’enfants (construction et rénovation d’équipements, mais aussi pour certaines dépenses de fonctionnement).

La bonne nouvelle est que les processus de coordination des politiques économiques adoptent désormais un point de vue plus positif sur l’État providence et les politiques sociales. Par exemple, l’Institut Jacques-Delors/Notre Europe a évalué le contenu des recommandations spécifiques par pays (RSP) sur les salaires minimums au cours de la dernière décennie. Les années précédentes, les recommandations exprimaient principalement des inquiétudes quant à la compétitivité et aux effets négatifs sur l’emploi. Depuis 2017–2018, elles concernent principalement la formation et les mécanismes de fixation du salaire minimum.[25]

Les programmes de réponse à la crise du Covid, en particulier le RRF, lient l’aide européenne à la mise en œuvre des recommandations dans le processus de coordination. La question de l’efficacité de cette conditionnalité du financement reste ouverte. B. Hacker[26] analyse la manière dont ce lien entre la politique et le financement du RRF s’est concrétisé dans la pratique. En utilisant le tableau de bord social de l’ESPR, il compare la position des pays en termes d’indicateurs du tableau de bord et la part estimée des dépenses pour l’investissement social dans leurs plans du FRR. Les pays ayant de meilleures performances « sociales » affichent également des parts plus élevées d’investissement social[27] – ce qui paraît logique, mais ne suggère pas que les États « moins soucieux du social » se soient sentis fortement poussés à promouvoir des objectifs sociaux dans leurs plans de FRR.

L’EPSR, et notamment le tableau de bord social, sont désormais pleinement utilisés pour l’analyse qui sous-tend le semestre européen, le processus de coordination économique et sociale. Les rapports nationaux de la Commission contiennent une description assez détaillée des tendances sociales et de l’emploi, de la pauvreté, de l’emploi précaire et des inégalités, et comprend des recommandations spécifiques par pays. Pour les ministres du Travail et des Affaires sociales, l’étape suivante consiste à intégrer le socle social dans les travaux sur la réforme des règles budgétaires de l’UE. Un « cadre de convergence sociale » est censé établir des normes européennes pour évaluer si les États membres font des progrès suffisants dans la mise en œuvre des principes de l’EPSR. La présidence belge du Conseil a organisé une réunion conjointe des ministres des Finances et des ministres du Travail et des Affaires sociales en mars 2024. Ils ont reconnu l’importance de l’investissement social pour la croissance de la productivité et l’offre de main-d’œuvre, et l’impact de l’investissement social sur les performances économiques sera analysé.

Le RRF répond non seulement à la pandémie de COVID, mais aussi aux défis résultant de l’agression russe contre l’Ukraine, de la transformation énergétique et en particulier de la transition vers la neutralité climatique – qui ont tous des répercussions importantes sur le plan social et de l’emploi[28]. C’est pourquoi l’UE a mis en place deux autres mécanismes de financement de la solidarité. Le Fonds de transition juste, doté d’une capacité de 20 milliards d’euros, finance les mesures prises par les États membres dans les territoires qui devraient être les plus touchés par la transition climatique. Parmi ces mesures figurent la mise à niveau et la requalification des travailleurs, la création de nouveaux emplois et de nouvelles entreprises, ainsi que l’aide à la recherche d’emploi. Avec le Fonds de cohésion, il existe un potentiel considérable pour les programmes dont le rôle est essentiel pour maintenir le soutien public à la transition climatique.

Le Fonds social pour le climat, conçu pour soutenir les groupes vulnérables, notamment les ménages en situation de précarité énergétique ou ceux dont les charges de mobilité sont élevées (ou qui pourraient être menacés si la transition énergétique entraînait des coûts supplémentaires importants), constitue une nouveauté. Les États membres pourront également utiliser une partie des fonds pour soutenir directement les revenus des personnes vulnérables. Les États membres soumettront leurs plans d’ici juin 2025. Le montant estimé est de 87 milliards d’euros. Le financement provient de la mise aux enchères des quotas de l’ETS 2 et de 50 millions de quotas de l’ETS existant. Le fonds est ainsi plus indépendant des aléas du processus budgétaire de l’UE.

Les politiques sociales et la prochaine Commission et le PE

Réflexions générales

On pourrait facilement commencer par une vision optimiste de ce que l’UE a réalisé et de ce qui pourrait arriver ensuite. La plupart des analyses disponibles sur le passé récent sont positives mais se terminent généralement par un point d’interrogation ou expriment la crainte d’une évolution vers l’austérité au niveau de l’UE[29].

Même si l’on ne peut pas simplement supposer que le passé détermine l’avenir, il existe de sérieuses raisons de penser que la politique sociale ne peut pas simplement disparaître de l’agenda de l’UE. Bokhorst et Schreurs en présentent trois : premièrement, la pression économique résultant du vieillissement de la population et de la transition climatique créera des pénuries croissantes de main-d’œuvre qui nécessiteront des investissements dans les compétences, l’éducation, les services sociaux et les services à la personne. La démographie modifiera l’équilibre des forces entre les travailleurs et le capital et imposera des efforts pour offrir des emplois de qualité et répondre à la demande d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée afin d’attirer davantage de personnes sur le marché du travail. Deuxièmement, le soutien de l’UE aux politiques sociales et du travail s’est révélé décisif :  « Les décideurs politiques compareront les expériences politiques et économiques négatives de la crise de l’euro avec le rebond rapide après Covid-19 quand la prochaine crise se présentera ». Troisièmement, sur le plan institutionnel, les responsables politiques de l’UE ont accepté un rôle plus prononcé de l’UE dans les politiques sociales si bien qu’un retour à la position précédente est peu probable[30]. En outre, la digitalisation du travail et des processus de production n’est pas gérable au niveau national sans au moins un cadre européen. Il y a donc de bonnes raisons pour que l’activité de l’UE en matière sociale se poursuive à un rythme raisonnable.

Bien que tout ceci suggère qu’il y aura beaucoup à faire pour la politique sociale au niveau de l’UE et qu’il y aura une forte pression pour plus d’action, il se peut que d’autres forces entrent en jeu. Tout d’abord, les difficultés à se mettre d’accord sur le contenu se sont récemment accrues, tout comme le temps nécessaire à l’adoption d’un texte. La comparaison de certains dossiers majeurs (la directive sur la chaîne de valeur et celle sur les plateformes numériques) avec les dossiers antérieurs relatifs au droit du travail est éloquente. Cela s’explique par le fait qu’il s’agit de questions plus complexes, par des changements politiques dans les États membres (par exemple, la rébellion du FDP dans la coalition à Berlin) et par une certaine fatigue – peut-être typique de la fin d’un mandat. Deuxièmement, l’urgence des inégalités et des tensions sociales pourrait être moins ressentie maintenant que le verdissement de l’économie, la transition énergétique, l’agression russe contre l’Ukraine, les menaces extérieures et la défense dominent l’agenda de l’UE. Troisièmement, il est peu probable que l’UE soit en mesure d’augmenter ses budgets comme elle l’a fait pendant la période pandémique et post-pandémique. Reconnaître ce fait ne signifie pas céder à l’austérité. Bien que certains facteurs puissent suggérer une plus grande prudence dans le lancement de nouvelles initiatives, il est probable que, dans des domaines importants, le développement de politiques sera nécessaire et fortement demandé par les parties prenantes.

L’un des arguments utilisés récemment dans les négociations sur les nouvelles règles était qu’elles surchargent les entreprises européennes de bureaucratie et de coûts et menacent ainsi leur compétitivité. Comme l’a expliqué Mario Draghi lors de la conférence de La Hulpe, il ne faut pas retomber dans les vieux concepts. Les spécialistes de la politique sociale ont de bonnes raisons d’affirmer que des politiques sociales et de l’emploi bien conçues contribueront à une meilleure productivité et à une main-d’œuvre plus qualifiée, deux éléments déterminants pour la prochaine décennie. La conférence de La Hulpe a souligné que l’investissement social améliorerait en fait la compétitivité de l’économie de l’UE. Nous pouvons espérer que l’importance renouvelée accordée à l’implication des partenaires sociaux contribuera à éviter la bureaucratie et des règles trop compliquées.

En tout état de cause, les actes législatifs adoptés depuis 2017 doivent être mis en œuvre au niveau de l’UE, au niveau national, souvent au niveau des partenaires sociaux et au niveau local, ce qui nécessitera l’attention des décideurs politiques, des efforts de la part de la Commission pour contrôler et suivre les infractions le cas échéant, ainsi que des ressources humaines de tous les côtés. La mise en œuvre et l’application seront particulièrement importantes pour les travailleurs vulnérables. Il suffit de penser aux travailleurs détachés dans des secteurs tels que le transport routier, les services à la personne et la propreté. Premièrement, leur travail est solitaire, ce qui réduit les possibilités de plaintes et d’actions collectives, alors que l’intérêt économique et sociétal (dans le secteur du soin, par exemple) pour une utilisation flexible et un faible coût est particulièrement fort. Deuxièmement, les travailleurs sont moins soutenus par les organisations syndicales et les employeurs ont recours à la sous-traitance et à la délocalisation pour éviter les contrôles. Troisièmement, du côté de l’application, la pression est moindre et la difficulté plus grande, précisément en raison de l’isolement de ces travailleurs.[31] Des facteurs similaires, peut-être à un niveau moins radical, influencent l’application d’autres nouvelles directives. Une attention particulière est donc nécessaire si la lutte contre l’inégalité de traitement doit être une priorité.

 

Quelques domaines d’action potentiels de l’UE

Comme mentionné ci-dessus, je pense que les politiques sociales de l’UE seront occupées à veiller à la bonne mise en œuvre des actes juridiques déjà adoptés. Les responsables de la politique sociale devront faire entendre leurs préoccupations dans le cadre de la coordination annuelle de la politique économique (semestre européen) et du processus budgétaire, et argumenter leurs propositions. Le nouveau cadre de politique économique accordera-t-il la priorité à l’investissement social[32] et à la réforme ? Le cadre de convergence sociale identifiera-t-il les risques sociaux et aura-t-il des implications pour la coordination des politiques économiques ? Les évaluations de l’impact sur les inégalités mentionnées ci-dessus sont mentionnées dans un amendement à la directive sur les exigences relatives aux cadres budgétaires des États membres (ainsi que les impacts environnementaux) – la Commission les utilisera-t-elle lors de l’examen des efforts budgétaires des États membres ? Les instruments de coordination des politiques et les instruments financiers de l’UE permettront-ils de lutter efficacement contre la pauvreté, le chômage et l’emploi précaire, de combler les écarts entre les hommes et les femmes et de soutenir les jeunes et les enfants vulnérables ? Si, dans cinq ans, la réponse à ces questions est positive, ce sera grâce aux efforts massifs de toutes les parties concernées.

 

Qu’en est-il des progrès en matière de convergence sociale au sein des pays de l’UE et entre eux – l’une des grandes promesses de l’EPSR ? Le tableau de bord social de l’EPSR a été révisé, mettant l’accent sur la mesure s inégalités dans l’utilisation des indicateurs de politique sociale et du marché du travail[33] entre les États membres de l’UE et à l’intérieur de ceux-ci. Un exemple : parmi les trois principaux objectifs[34] (emploi, pauvreté, éducation des adultes) pour 2030, l’UE en a un concernant l’éducation des adultes : un taux de participation à la formation continue de 60 % par an. Actuellement, ce taux varie entre 20 % dans certains États membres de l’Europe centrale et orientale, autour de 40 % dans d’autres États membres de l’Europe centrale et orientale et en Europe du Sud, autour de 50 % et plus en France et en Espagne et au-dessus de l’objectif en Europe du Nord. L’écart par niveau d’éducation est même dans les pays les plus performants de l’ordre de 1à 2, mais généralement de 1 à 3 ou 1 à 4, même si le premier groupe aurait manifestement besoin de l’éducation des adultes de façon plus urgente. En outre, il existe peu de pays où les chômeurs participent à l’éducation des adultes dans des proportions comparables à celles des salariés. La situation est similaire en ce qui concerne la garde des enfants. Les enfants de moins de 3 ans qui vivent dans des ménages exposés au risque de pauvreté ne bénéficient qu’à hauteur de 20 % à des services de garde formels, tandis que les enfants qui vivent dans des ménages non pauvres y participent à hauteur de 40 %. L’objectif pour 2030 concernant les enfants de moins de 3 ans a été porté de 30 à 45 %. Il s’agit d’une étape importante, mais sans efforts massifs, les familles à faibles revenus n’en tireront que peu de bénéfices.

Comment remédier aux inégalités à travers la prise en charge de la petite enfance (early child care education), l’éducation et la formation continue ? La réponse classique consiste à promouvoir l’égalité d’accès et à aider ceux qui participent moins (voir la recommandation sur les comptes individuels de formation[35] ). Mais cela suffirait-il à réduire les écarts entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci ? Les personnes dont les revenus ou le niveau d’éducation sont plus faibles ont besoin d’une aide plus importante que la promesse d’un financement. Elles ont besoin d’employeurs qui les encouragent à se former et d’un climat dans lequel l’apprentissage des adultes est « normal », voire « attendu ». De telles considérations ont sans doute conduit les auteurs du « rapport du Conclave »[36] à suggérer : « L’UE devrait renforcer la maîtrise de l’information et en faire une obligation et un droit (je souligne) pour tous les citoyens européens ». Comment établir un droit et une obligation dans l’ensemble de l’UE avant et après la scolarité obligatoire ? Même si l’on peut s’appuyer sur les textes européens sur l’enfance et la jeunesse, cela reste un grand défi pour les décideurs politiques.

Une question centrale est de savoir dans quelle mesure la solidarité budgétaire sera prolongée et, le cas échéant, si la nouvelle Commission, le nouveau Conseil et le nouveau Parlement européen continueront à soutenir les programmes sociaux. SURE est largement considéré comme la preuve que les programmes sociaux peuvent fonctionner comme des stabilisateurs automatiques très efficaces et atténuer les tensions sociétales dans les situations de crise. Le « rapport du conclave » suggère de transformer SURE en un instrument facilement disponible pour les situations de crise et de développer un système européen de réassurance chômage (EU-UI). Il propose également d’augmenter le budget du Fonds social pour le climat à 130 milliards d’euros. Il est important de noter que ce fonds est financé par les revenus de l’ETS et que le « rapport du conclave » suggère que l’EU-UI soit financé par le budget de l’UE et non exclusivement par le marché des capitaux. Le « rapport du conclave » demande « de nouvelles sources de revenus, en taxant d’autres sources de valeur ajoutée (en particulier dans le secteur numérique) et un large éventail d’émissions de carbone ». En effet, des propositions du commissaire au budget sont sur la table pour une taxe sur le marché unique pour les grandes coopérations et une taxe sur le numérique.

Le débat sur la suite à donner au programme SURE et à la réassurance chômage s’est presque arrêté parmi les décideurs politiques – malheureusement, comme c’est souvent le cas lorsque le chômage est moins préoccupant et que des fonds sont (encore) disponibles. Il est important d’encourager la prochaine Commission et le Parlement européen à revenir à la transformation du programme SURE en un système facilement mobilisable pour se préparer à une crise grave[37] et à envisager des modèles appropriés de réassurance chômage[38].

Le travail numérique et les systèmes algorithmiques sur le lieu de travail[39] sont clairement un chantier pour la prochaine Commission et le Parlement européen. Il suffit de rappeler que le nombre de travailleurs des plateformes numériques devrait passer de 28 à 43 millions en 2025. Les actions de l’UE dans ce domaine revêtent une importance particulière car les plateformes et les employeurs n’agissent pas seulement dans plusieurs États membres, mais peuvent également se déplacer facilement entre eux. Des normes réglementaires communes sont donc nécessaires. La directive sur les plateformes numériques ayant été affaiblie, on peut s’attendre à ce que les parties prenantes demandent des mesures supplémentaires dans ce domaine. La demande s’est également élargie. Un point central reste la définition des critères de l’emploi dépendant (pour couvrir dans de nombreux cas les travailleurs indépendants et les soi-disant free-lance)[40]. De plus, il existe une forte demande pour aller au-delà du travail sur plateforme, étant donné que l’utilisation de l’IA se répand largement sur le lieu de travail et dans l’organisation de la production. La gestion des systèmes algorithmiques dans un large éventail d’activités économiques est un défi auquel l’UE pourrait répondre par l’idée d’un « contrôle humain ». La généralisation du télétravail et l’augmentation des cas de télétravail à long terme (nomades numériques) pourraient également nécessiter une action au niveau de l’UE pour garantir que les droits du travail sont en place et que le traitement des travailleurs est équitable.

En ce qui concerne l’égalité entre les hommes et les femmes, la mise en œuvre de la directive sur la transparence des rémunérations, associée au renforcement des organismes de promotion de l’égalité, pourrait changer beaucoup de choses. La fixation d’objectifs de réduction des écarts de salaires et peut-être de pensions entre les hommes et les femmes pourrait rendre le défi politique plus visible. Il est sans doute tout aussi important d’attirer l’attention sur l’écart entre les hommes et les femmes en matière d’heures de travail rémunéré – l’écart entre les hommes et les femmes en matière de taux d’emploi diminue, mais dans de nombreux endroits, beaucoup plus de femmes travaillent à temps partiel que d’hommes, ce qui se traduit par des salaires plus faibles, mais aussi par des pensions et d’autres droits à la sécurité sociale plus faibles. Un aspect important est la promotion d’une répartition plus équitable du travail rémunéré, du travail à domicile et de la répartition des tâches entre les femmes et les hommes. Les femmes fournissent plus de travail domestique et de soins non rémunérés que les hommes (13 heures par semaine). Le travail rémunéré des hommes dure en moyenne 5 heures de plus, ce qui s’explique en grande partie par la part plus importante du travail à temps partiel chez les femmes (28 %) que chez les hommes (8 %)[41] . Pourrait-on envisager de fixer un objectif de réduction de l’écart entre le nombre d’heures de travail rémunérées par semaine des femmes et des hommes ?[42]

L’augmentation de l’offre de main-d’œuvre dans les économies confrontées à des pénuries de main-d’œuvre et à la pression démographique est généralement considérée comme une priorité. L’un des obstacles à cet égard pourrait être le manque de soins de qualité pour les enfants ou les personnes dépendantes. Dans cet esprit, l’UE pourrait proposer des mesures visant à garantir que le travail dans le domaine des soins soit traité sur un pied d’égalité avec les emplois exigeant un niveau comparable de qualifications, de compétences et de responsabilités. La recherche suggère que des facteurs tels que les dispositions contractuelles, l’autonomie, la pression temporelle et l’emploi du temps sont importants au même titre que la rémunération.

En ce qui concerne la santé et la sécurité sur le lieu de travail, il semble que les risques psychosociaux fassent l’objet d’une attention croissante, notamment en raison de l’évolution structurelle vers les services et en particulier de la numérisation de la production. Le Parlement européen a demandé une action en justice sur la santé mentale[43]. Le lieu de travail lui-même devient une catégorie moins définie (télétravail, travail à l’étranger, travail sur plateforme) et la préparation d’une législation sur les conditions de travail sûres pour le travail numérique devrait être envisagée. 

Cela nous amène à un aspect spécifique de la politique de sécurité sociale de l’UE. Le monde numérique permet non seulement aux entreprises de déplacer plus facilement leur production dans l’Union, mais aussi aux travailleurs de travailler à distance depuis l’étranger, ce que font d’ailleurs beaucoup de personnes (« nomades numériques »). Outre le droit du travail, les règles de coordination de la sécurité sociale de l’UE et la fiscalité transfrontalière entrent en ligne de compte. Il semble que de réels progrès puissent être réalisés si les trois domaines sont examinés ensemble et si des définitions et des normes communes sont élaborées. Cela nécessite une coopération entre les services de la Commission ainsi que dans les domaines politiques respectifs du Conseil et du Parlement européen.  

Plus généralement, en ce qui concerne la protection sociale, les deux recommandations (protection sociale pour tous et revenu minimum) fournissent une matière abondante pour le dialogue politique, l’analyse et la pression des pairs. Quelle serait la valeur ajoutée si l’UE visait une directive-cadre sur le revenu minimum. Serait-il possible de convenir de normes contraignantes comme le proposent Bea Cantillon, Maurizio Ferrera et Martin Keune ? Ils préconisent également « un rôle plus important pour le financement social de l’UE afin de permettre aux politiques nationales de répondre aux besoins de base »[44].

La libre circulation des travailleurs et la coordination de la sécurité sociale restent d’actualité non seulement en raison de l’augmentation du nombre de « nomades numériques », mais aussi parce qu’après une baisse en 2020/21, les chiffres de la mobilité sont revenus en 2022 aux niveaux d’avant la pandémie[45]. Il semble que ce soit l’un des domaines où l’application rigoureuse par les autorités nationales des réglementations européennes est de la plus haute importance, étant donné la différence marquée de pouvoir entre les travailleurs en déplacement et leurs employeurs, comme nous l’avons vu plus haut. Les partenaires sociaux des pays d’accueil devraient être des acteurs centraux, mais ce n’est pas toujours le cas. L’Agence européenne pour l’emploi (AEE), créée dans l’espoir de contribuer à l’application de la législation, fera l’objet d’un réexamen en 2024, vraisemblablement accompagné d’une évaluation de ses réalisations. Les résultats pourraient conduire à des ajustements du mandat, des plans de travail et, le cas échéant, des ressources.

L’autre aspect de la tension autour de la libre circulation des travailleurs concerne l’impact sur les pays lorsque les travailleurs, en particulier ceux qui ont un niveau d’éducation élevé, partent en grand nombre. Les pays d’origine soutiennent que les pays d’accueil plus riches bénéficient économiquement et socialement de l’investissement dans l’éducation, alors que la charge budgétaire reste à la charge des pays d’origine. En effet, une étude menée dans 12 grands pays de l’UE[46] révèle qu’une majorité de la population en Grèce, en Hongrie, en Italie, au Portugal, en Roumanie et en Espagne, ainsi que près de 50 % en Pologne, est préoccupée par l’émigration et, dans certains pays, plus encore que par l’immigration. Cette question sera l’une des tâches les plus difficiles de la prochaine Commission. Il est clair que l’UE ne voudra pas renoncer à l’une de ses libertés fondamentales, celle de choisir librement de travailler dans un autre pays. Pourrait-on, par exemple, envisager des paiements compensatoires pour le système éducatif des pays d’origine ? Bien sûr, la meilleure façon d’avancer serait d’accélérer la convergence des salaires – et heureusement, les écarts de salaires entre les 27 États membres sont en train de diminuer[47]. Les partenaires sociaux nationaux et européens pourraient-ils être encouragés à agir ensemble pour accélérer encore ce processus ? D’autre part, il est important que les travailleurs mobiles, qu’ils viennent d’autres pays de l’UE ou de pays tiers, puissent mettre en avant leurs qualifications et leurs compétences. Le rapport d’Enrico Letta sur le marché unique plaide vigoureusement en faveur de l’accélération de la reconnaissance des compétences afin de contribuer à réduire la pénurie de main-d’œuvre et à améliorer les perspectives d’emploi.

Cette note n’a pas abordé deux domaines plus vastes et pertinents pour les politiques sociales : les compétences et le logement, qui mériteraient certainement des notes politiques distinctes. Le développement des compétences étant toujours plus essentiel pour les performances économiques futures, nous avons souligné l’importance cruciale de veiller à ce que non seulement tout le monde ait accès au développement des compétences, mais aussi à ce que les personnes ayant un faible niveau d’éducation puissent effectivement se former.

Le logement pour les groupes à faibles revenus est clairement une préoccupation majeure, voire un cauchemar dans certains pays de l’UE. L’EPSR plaide en faveur du logement social et demande un soutien aux personnes vulnérables. Il a été suivi par la « Déclaration de Lisbonne sur la plate-forme européenne de lutte contre le sans-abrisme » adoptée en 2021. Des preuves empiriques suggèrent que les engagements de l’ESPR et, plus tard, les engagements et la déclaration ont été utilisés par la société civile et les responsables de la politique sociale pour faire face au risque d’expulsions pendant la période Covid et pour soutenir les actions en faveur des programmes de « logement d’abord ». Bien sûr, l’UE pourrait adopter une approche beaucoup plus large car le logement est un défi sérieux pour les groupes à revenus moyens et en particulier pour les jeunes générations. L’UE peut-elle apporter une réelle contribution au-delà de l’analyse et de l’échange de bonnes pratiques ? Elle pourrait émettre une recommandation sur le modèle de l’EPSR. Mais ne pourrait-elle pas utiliser ses instruments financiers (Fonds structurels, RRF et BEI) pour soutenir la construction et la rénovation de logements sociaux ? Notons que le rapport d’Enrico Letta sur le marché unique qui vient d’être publié – tout en reconnaissant que le logement n’est pas une compétence de l’UE – suggère entre autres deux actions : la mise en place d’une « Taskforce sur l’accessibilité du logement » et l’élargissement de la définition du logement social dans la décision sur les services d’intérêt général de 2012.

 

Conclusion

L’adoption du socle européen des droits sociaux marque un changement de politique reflétant une large reconnaissance du fait que les fortes inégalités et la précarité généralisée sont devenues des obstacles au développement économique et social et que les divergences sociales croissantes menacent la légitimité du projet de l’UE. Les inégalités, la qualité de l’emploi et la vulnérabilité sont désormais des questions centrales dans le processus de coordination des politiques économiques. La législation du travail a redémarré, avec notamment une directive sur le salaire minimum et une autre sur le travail sur plateforme numérique. Un certain nombre d’initiatives importantes ont été prises en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Un consensus a été atteint sur la protection sociale pour tous, y compris les travailleurs précaires et les travailleurs indépendants, et sur un revenu minimum adéquat. Tout cela représente des progrès plus importants que ceux auxquels on aurait pu s’attendre il y a dix ans. La réponse de l’UE à la pandémie comprenait le financement de programmes sociaux, de SURE, du RRF et de deux programmes sur les aspects sociaux de la transition énergétique. Les questions sociales et de travail doivent être pleinement intégrées dans les politiques de l’UE et même la libre circulation des travailleurs et le détachement divisent moins qu’il y a dix ans. Cela suggère que la politique sociale continuera à être une activité principale de la Commission, du Conseil et du Parlement européen. La mise en œuvre et l’application des directives et des initiatives adoptées devrait maintenant démontrer que les promesses du socle social sont prises au sérieux. En effet, la récente déclaration de La Hulpe sur l’EPSR demande, en ce qui concerne les initiatives depuis 2017, « une transposition complète et une mise en œuvre adéquate », ainsi qu’un « un suivi efficace ». 

En ce qui concerne le regain d’intérêt pour la compétitivité, on ne peut qu’espérer que les leçons du passé ne seront pas oubliées, comme l’a clairement résumé M. Draghi dans son discours à la conférence de La Hulpe sur l’EPSR en avril 2024. C’est une bonne nouvelle que la déclaration de La Hulpe ait confirmé les engagements pris dans le cadre de l’EPSR, qu’elle souligne l’importance du dialogue social et de la coopération avec la société civile et qu’elle énumère un certain nombre de priorités d’action, y compris l’intégration des objectifs sociaux dans les politiques économiques.

Les priorités de l’UE ont évolué de manière spectaculaire : le verdissement de nos économies, la transition énergétique, l’IA et l’expansion de l’activité numérique, ainsi que les guerres qui se rapprochent des frontières de l’UE. Tous ces éléments contribuent à un sentiment d’insécurité généralisé dû aux turbulences économiques mondiales[48]. Il est important de souligner que les politiques sociales et du travail sont des compléments importants à ces défis plus larges, précisément parce qu’elles s’attaquent à l’insécurité économique et contribuent à la croissance de la productivité.

 


[1] En 2007, les taux de chômage dans l’UE et la zone euro avaient convergé vers une moyenne d’environ 7 %, avec un écart de 2 à 3 points. En 2010, les différences étaient énormes et, en 2016, après quelques années de reprise, l’écart entre le taux de chômage moyen et les taux de l’Espagne et de la Grèce était supérieur à 10 points de pourcentage. Les faibles niveaux d’activité économique ont augmenté non seulement la pauvreté monétaire, mais aussi la proportion de ménages privés de certains biens et services de base. Ce phénomène est mesuré par la part des ménages en situation de privation matérielle sévère (SMD). En 2016, cette proportion a doublé dans les pays d’Europe du Sud, atteignant plus de 20 % en Grèce et plus de 10 % en Italie et à Chypre. Certains pays d’Europe centrale et orientale affichaient des niveaux similaires de privation matérielle sévère, mais ils avaient diminué même pendant la période de crise.

 

[2] Mario Draghi à la conférence de La Hulpe sur l’ESPR le16 avril 2024 : « En 1994, l’économiste Paul Krugman, prix « Nobel » d’économie, a qualifié de  »dangereuse obsession" le fait de se concentrer sur la compétitivité. Son argument était que la croissance à long terme provient de l’augmentation de la productivité, qui profite à tout le monde, plutôt que d’essayer d’améliorer votre position relative par rapport aux autres et de capturer leur part de croissance. L’approche que nous avons adoptée en matière de compétitivité en Europe après la crise de la dette souveraine semble lui donner raison. Nous avons délibérément poursuivi une stratégie visant à abaisser les coûts salariaux les uns par rapport aux autres – et avons combiné cette stratégie avec une politique budgétaire procyclique – ce qui n’a eu pour effet que d’affaiblir notre propre demande intérieure et de saper notre modèle social (je souligne). Le problème essentiel n’est pas que la compétitivité soit un concept erroné. C’est que l’Europe s’est trompée d’objectif".

 

[3] Voir par exemple Georg Fischer, « Social Europe – the Pillar of Social Rights » in Structural Reforms for Growth and Cohesion. Lessons and Challenges for CESEE Countries and a Modern Europe", Edward Elgar, Cheltenham, Northampton, 2018.

[4]Il serait faux de dire qu’avant 2014, la Commission n’a pris aucune mesure pour remédier aux difficultés sociales résultant de la crise. L’accès aux Fonds structurels a été simplifié pour les États les plus touchés par la crise. La garantie pour la jeunesse et l’initiative pour l’emploi des jeunes ont été introduites en tant qu’instruments de financement, de même que le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD). Ils peuvent être considérés comme des pilotes pour les nouveaux programmes sociaux qui seront examinés ultérieurement.

[5] Enrico Letta, Bien plus qu’un marché. Rapidité, sécurité, solidarité, Rapport présenté au Conseil européen, le 18 avril 2024, p. 99. https://institutdelors.eu/publications/bien-plus-quun-marche/

[6] « Enfin, la question se pose de savoir s’il est vraiment nécessaire de poursuivre constamment les changements législatifs. Après tout, il semble que plusieurs dispositions relatives à l’accès à l’information, à l’enregistrement des travailleurs détachés, à l’exécution et enfin au contrôle, qui sont établies, entre autres, par les règlements de coordination, soient encore sous-utilisées. À cet égard, des mesures supplémentaires pourraient être prises par les États membres, mais aussi au niveau de l’UE (avec le soutien de l’Autorité européenne du travail), dans le domaine de l’application et du contrôle », F. De Wispelaere, I. Vukorepa, « The EU social security rules on posting : defining problems and potential solutions », https://www.elgaronline.com/

[7] La stratégie européenne en matière de soins met l’accent sur la valeur sociale et économique des soins à la petite enfance et souligne l’importance d’améliorer l’attractivité, la rémunération et les conditions de travail dans le secteur de la petite enfance. Pour une analyse positive mais aussi critique, voir l’étude de la FEPS, The European care Strategy – A chance to ensure inclusive care for all?, 8 mars 2023.

[8] Elle exige que 40 % des postes d’administrateurs non exécutifs ou 1/3 de tous les postes d’administrateurs soient occupés par le sexe sous-représenté.

[9] David Jonas Bokhorst, Sven Schreurs, « Europe’s social revival: from Gothenburg to Next Generation EU”, Swedish Institute for European Policy Studies; European Policy Analysis; 2023/14, p. 5. https://cadmus.eui.eu/handle/1814/76083

 

[10] La France était traditionnellement favorable à la législation européenne sur le salaire minimum, tandis que l’Allemagne l’avait bloquée en déclarant que les salaires étaient du ressort exclusif des partenaires sociaux. Dès que l’Allemagne a été contrainte de reconnaître que les partenaires sociaux avaient perdu le contrôle d’une partie substantielle de leur rôle en la matière et qu’elle a introduit un salaire minimum, sa position s’est assouplie. Finalement, l’Allemagne est devenue un fervent partisan.

[11] La directive n’exige pas qu’un pays introduise un salaire minimum s’il n’en existe pas. Cela faisait partie du compromis avec les pays nordiques. Seuls cinq pays de l’UE n’ont pas de salaire minimum : l’Autriche, le Danemark, la Finlande, l’Italie et la Suède. Ces pays présentent en effet des taux de couverture élevés en matière de négociation collective et, à l’exception de l’Italie, une proportion relativement faible de travailleurs à bas salaires.

[12] La directive demande d’utiliser « le pouvoir d’achat des salaires minima légaux, en tenant compte du coût de la vie » et « l’utilisation de valeurs de référence pour guider leur évaluation de l’adéquation telles que 60% du salaire médian brut et 50% du salaire moyen brut et/ou des valeurs de référence indicatives utilisées au niveau national ».

[13] Bien que la directive ne soit pas encore entrée en vigueur, une évaluation préliminaire indique déjà un impact significatif à la fois des salaires minimaux et des mesures encourageant les négociations collectives : https://www.socialeurope.eu/not-done-yet-applying-the-minimum-wages-directive

[14]Voir une analyse intéressante dans Social Europe : https://www.socialeurope.eu/gig-workers-in-europe-the-new-platform-of-rights.

[15] Les lignes directrices (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_22_5796) précisent que le droit de la concurrence ne s’applique pas aux travailleurs indépendants qui sont dans une situation comparable à celle des travailleurs. Il s’agit notamment des travailleurs indépendants isolés qui (i) fournissent des services exclusivement ou principalement à une entreprise ; (ii) travaillent côte à côte avec des travailleurs ; et (iii) fournissent des services à ou par l’intermédiaire d’une plateforme numérique de travail. La Commission n’appliquera pas les règles de concurrence de l’UE aux conventions collectives conclues par des travailleurs indépendants qui sont en position de faiblesse dans les négociations. C’est le cas, par exemple, lorsque les travailleurs indépendants isolés sont confrontés à un déséquilibre du pouvoir de négociation en raison de négociations avec des entreprises économiquement plus fortes ou lorsqu’ils négocient collectivement en vertu de la législation nationale ou européenne. Voir García-Muñoz Alhambra A, “Collective bargaining of self-employed workers and competition law in the EU”, Lavoro Diritti Europa, numero 3 / 2023.

[16] En ce qui concerne les positions critiques, voir par exemple l’Open Society Foundation sur les lacunes dans le secteur des TIC (trop étroite, couverture insuffisante, octobre 2022) et CEPS « We should be worried about corporate due diligence – but for the right reasons » (9 mars 2023). La CES reconnaît que la directive est un pas dans la bonne direction, tout en maintenant certains points critiques (CES 14.12.23).

[17] Voir la lettre de Human Rights Watch au président Macron sur la position française : https://www.hrw.org/news/2024/03/06/letter-president-macron-eu-corporate-sustainability-due-diligence-directive

[18] Le rapport du groupe de haut niveau sur « L’avenir de la protection sociale et de l’Etat providence dans l’UE » mérite d’être lu car il exprime une sorte de « nouveau consensus » sur la protection sociale dans l’UE. Il préconise un contrat social pour une Europe sociale plus forte, souligne l’importance de régimes de protection sociale solides pour la résilience économique et sociétale, pour le renforcement des capacités des personnes et développe les concepts de citoyenneté sociale et d’investissement social.

[19] La présidence belge a l’intention de renforcer le cadre des indicateurs pour le suivi de la mise en œuvre par les pays membres.

[20] Voir aussi : Bonfils, Nyman, Rabahi et Roy, leaders de la Plate-forme sociale, Caritas Europe, EAPN, Eurodiaconia dans l’Europe sociale de février 2024. De même, trois chercheurs principaux du projet EuSocialCit : Bea Cantillon, Maurizio Ferrera et Martin Keune, « Stepping up the agenda on social citizenship », Social Europe, 12 avril 2024.

[21] Voir par exemple « L’héritage de la crise : résilience et défis » Commission de l’EMPL, ESDE, chapitre 1, 2014.

[22] SURE, financé par des obligations sociales, fournit des prêts à faible taux d’intérêt aux États membres. Cela a permis de concentrer les fonds sur les pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire réduite. Les subventions auraient pu présenter des avantages (voir par exemple Vandenbroucke et al. "The European Commission’s SURE Initiative and Euro Area Unemployment Re-Insurance” in VoxEU, April 2020). Les fonds SURE ont été dépensés en deux ans et sont proches des dépenses totales du FSE-plus sur une période de sept ans.

[23] De plus, une comparaison avec les Etats-Unis montre qu’entre 2019 et 2022, les taux d’activité dans l’UE ont augmenté pour les hommes (de 78,9 à 79,4) et les femmes (de 67,9 à 69,5), tandis qu’aux États-Unis, la participation des femmes a stagné (de 68,9 à 69,0) et celle des hommes a diminué (de 79,5 à 79,1), le travail à temps partiel n’étant guère utilisé. Et ce, bien que l’activité économique américaine se soit rétablie plus rapidement après la pandémie. « SURE after its sunset: final bi-annual report » (COM 2023/291).

[24] David Jonas Bokhorst, Sven Schreurs, « Europe’s social revival: from Gothenburg to Next Generation EU”, Swedish Institute for European Policy Studies; European Policy Analysis; 2023/14, p. 11.

https://cadmus.eui.eu/handle/1814/76083

[25] (https://www.delorscentre.eu/en/publications/fair-and-adequate-minimum-wages p 7/8).

[26] B. Hacker, “Die Europäische Säule sozialer Rechte : Wirkung und Weiterentwicklung”, SWP, mai 2023.

[27] Par exemple, la France se situe, pour 8 indicateurs sociaux et de travail, au-dessus de la moyenne de l’UE et prévoit d’utiliser 40 % des fonds du FRR à des fins sociales (au-dessus de la moyenne de l’UE, quantifié à 28 % par Hacker). B. Hacker, “Die Europäische Säule sozialer Rechte : Wirkung und Weiterentwicklung”, SWP, mai 2023, p. 32.

[28] Le Conseil a adopté une recommandation substantielle sur « la garantie d’une transition équitable vers la neutralité climatique » (9107/22), recommandant aux États membres de mettre en place des trains de mesures globaux tenant compte des incidences sociales et des effets sur l’emploi.

[29] Voir par exemple l’invitation à une conférence conjointe ETUI/OSE : « Avec les transitions verte et numérique qui se sont rapidement imposées dans l’agenda de la Commission von der Leyen, on commence à se rendre compte que leur succès dépend largement du soutien des travailleurs. Le néolibéralisme barrosien est en train de disparaître, remplacé par un nouveau paradigme qui a été légitimé, bien que de manière sélective, par le pilier européen des droits sociaux. Ce  »tournant social" se reflète dans les efforts déployés pour consolider les droits des travailleurs et accroître la responsabilité des entreprises, à la recherche d’un équilibre planète-personne-profit soutenu par une politique industrielle verte. Les revenus des travailleurs sont désormais protégés par une directive sur le salaire minimum, le tout premier texte législatif susceptible de stimuler les négociations collectives (inter)sectorielles dans les États membres. Les pays de l’UE se sont également engagés (bien que de manière beaucoup plus souple) à renforcer les filets de sécurité sociale, notamment grâce à un revenu minimum adéquat et au lancement d’une plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme. La santé et la sécurité sur le lieu de travail sont revenues sur le devant de la scène après des années en arrière-plan, tandis que les risques psychosociaux pourraient devenir le prochain champ de bataille des décideurs politiques de l’UE. Enfin, des tentatives sont en cours pour mieux ancrer les comités d’entreprise européens dans le paysage des relations industrielles. Entre-temps, les grandes entreprises sont invitées à devenir plus transparentes en ce qui concerne leurs pratiques en matière d’environnement et de droits de l’homme, non seulement au niveau national, mais aussi tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Cependant, on peut se demander si le changement de paradigme « social » – la mise en œuvre sélective du socle social par l’UE – sera maintenu dans le contexte de « l’austérité 2.0 », qui se profile à l’horizon alors que l’Europe se prépare à des élections".

[30] David Jonas Bokhorst, Sven Schreurs, « Europe’s social revival: from Gothenburg to Next Generation EU”, Swedish Institute for European Policy Studies; European Policy Analysis; 2023/14, p. 14. https://cadmus.eui.eu/handle/1814/76083

[31] Voir l’excellente étude d’Anita Heindlmaier et Carina Kobler, “Essential, lonely and exploited: why mobile EU workers’ labour rights are not enforced”, Journal of Ethnic and Migration Studies, 49:15, 3689–3708, 2023. DOI : 10.1080/1369183X.2022.2102971.

[32] L’investissement social est défini dans un avis conjoint EMCO/CPS (approuvé par le Conseil) comme « les dépenses publiques liées aux investissements et aux réformes qui, en plus de poursuivre des objectifs sociaux, devraient produire des résultats en termes de croissance économique grâce à leur impact sur le capital humain et la productivité, y compris par le biais d’une plus grande capacité d’innovation et de l’absorption de nouvelles technologies, et/ou de l’offre de main-d’œuvre ». Les éléments suivants sont cités : l’apprentissage tout au long de la vie, l’amélioration et la requalification des compétences, l’éducation, en particulier dans la petite enfance, les politiques actives du marché du travail, la prévention des maladies et la réadaptation liée au travail.

[33] Exemples d’indicateurs secondaires révisés qui mesurent l’inégalité : sous-performance dans l’éducation (y compris dans les compétences numériques), participation des adultes peu qualifiés à l’apprentissage, part des adultes au chômage ayant une expérience d’apprentissage récente, écart de sous-performance entre le quart inférieur et le quart supérieur de l’indice socio-économique (PISA) ; et l’un des indicateurs primaires supplémentaires traite également de l’inégalité : l’écart d’emploi entre les personnes handicapées et les autres.

[34] L’UE s’est fixé trois grands objectifs pour 2030 : 78 % des personnes âgées de 20 à 64 ans devraient avoir un emploi, au moins 60 % de tous les adultes devraient participer à une formation chaque année, le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale devrait être réduit d’au moins 15 millions. Ces trois objectifs sont liés à trois autres : "Réduire au moins de moitié l’écart entre les hommes et les femmes en matière d’emploi par rapport à 2019, augmenter l’offre de services formels d’éducation et d’accueil de la petite enfance et réduire le taux de NEET (15–29 ans) de 12,6 à 9 %.

[35] Voir la recommandation du Conseil sur les comptes individuels de formation (8944/22) qui préconise, entre autres, un budget de formation personnalisé ainsi que des dispositions sur les congés payés/les aides au revenu, un financement durable et la possibilité pour les employés de participer à des formations pendant les heures de travail. La recommandation souligne que ces comptes devraient être accessibles à tous, indépendamment du niveau d’études, de la profession ou de la situation sur le marché du travail.

[36] Conclave : Europe 2040, « Tomorrow is Today, Co-building a global, sustainable, and responsible power », ch. 17 : les questions fondamentales auxquelles les Européens doivent s’attaquer pour rester pertinents.

[37] Pour SURE en particulier, cela devrait inclure une réflexion sur la question de savoir si le maintien de l’emploi devrait toujours être au centre des préoccupations, comme il l’a été à juste titre lors de la pandémie.

[38] Ce que défendait Mario Draghi en 2018 : « The Right Thing to do ».

[39] Le site Social Europe a publié récemment les résultats d’études sur l’impact de la numérisation sur l’autonomie et la qualité de l’emploi (A. Piasna, 28 février 2024). Quelques citations pertinentes : « Les salariés ne ressentent pas de différences significatives dans leur autonomie par rapport à la numérisation. Les freelance, en revanche, subissent des pertes d’autonomie. Pour ce groupe de travailleurs plus vulnérables, qui comprend les faux indépendants et les travailleurs des plateformes, la numérisation du processus de travail conduit à plus de contrôle et de subordination, plutôt qu’à une libération en tant qu’ »entrepreneurs« . Sachant que les freelance sont également plus exposés aux technologies numériques au travail, il y a de quoi s’inquiéter. Dans le même temps, le travail avec des appareils numériques engendre de nouveaux défis en termes de demandes psychologiques et de risques psychosociaux et ergonomiques. Le contrôle du processus de travail par les technologies numériques peut être mieux maîtrisé dans les pays où le contrôle humain individuel est ancré dans des structures de relations industrielles plus larges. Les dispositions institutionnalisées protègent mieux les travailleurs des diverses pressions, qui peuvent inclure celles découlant de la numérisation. Par conséquent, l’effet final de la numérisation sur le travail dépend du contexte institutionnel dans lequel la technologie est introduite ».

[40] Une bonne explication de la distinction de moins en moins convaincante entre les travailleurs et les nombreux indépendants est donnée par C. Countouris et allii, « Social Europe needs a new concept of 'worker’ », in Social Europe, 10 avril 2024.

[41] Toutes les données dans B. Gerstenberger, « Gender equality – What’s next ? Let`s focus on the world of work », Eurofound, 25 octobre 2023,

[42] Un tel objectif pourrait également être mesuré en taux d’emploi équivalent temps plein, mais il ne s’agit pas d’un concept facile à comprendre. Une question à explorer est de savoir si les données sur le travail non rémunéré à la maison sont suffisamment fiables pour produire des indicateurs réguliers afin de mesurer les progrès réalisés en matière de partage du travail rémunéré et du travail non rémunéré à la maison entre les parents.

[43] Voir une étude demandée par la commission EMPL du PE : « Prescriptions minimales de sécurité et de santé pour la protection de la santé mentale sur le lieu de travail » qui affirme que les États membres ne prennent pas suffisamment de mesures de protection contre les risques psychosociaux et qu’une action de l’UE est nécessaire, mai 2023 : IPOL_STU(2023)740078_EN.pdf

[44] Bea Cantillon, Maurizio Ferrera et Martin Keune, « Stepping up the agenda on social citizenship », Social Europe, 12 avril 2024.

[45] Voir le rapport annuel de la Commission sur la mobilité intra-UE 2023 : le nombre de migrants actifs a augmenté entre 2021 et 2022, passant de 6,5 millions à 7 millions, celui des travailleurs transfrontaliers de 1,6 million à 1,7 million et celui des travailleurs détachés de 2,6 millions à 3,1 millions (l’augmentation la plus forte). Les taux d’emploi des migrants de l’UE sont légèrement plus élevés que ceux des ressortissants nationaux (77 % et 75 %) et beaucoup plus élevés que ceux des ressortissants de pays tiers (69 %). La mobilité annuelle de retour a également augmenté, passant de 590 000 à 660 000. L’emploi des migrants dans les secteurs des TIC a augmenté de plus de 50 %.

[46] Ivan Krastev, Mark Leonard, « A New Political Map: Getting the European Parliament Election Right », 21 March 2024, ECFR, https://ecfr.eu/publication/getting-the-european-parliament-election-right/

[47] Voir W. Zwysen, « Wage inequality in Europe – and why it is falling », Social Europe, 10 avril 2024.

[48] Ivan Krastev et Mark Leonard présentent également une enquête sur 9 grands États membres – en moyenne, mais aussi dans 4 des 9 États membres, les turbulences économiques mondiales sont identifiées comme le facteur qui a le plus changé la façon dont le répondant envisage l’avenir : Ivan Krastev, Mark Leonard, « A New Political Map: Getting the European Parliament Election Right », 21 March 2024, ECFR, https://ecfr.eu/publication/getting-the-european-parliament-election-right/

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