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Revue de presse

Les parlementaires réussiront-ils un jour à être plus transparents?

Quelle que soit l’issue judiciaire de l’affaire Fillon, députés et sénateurs vont devoir introduire plus de transparence dans l’exécution de leur mission s’ils veulent reconquérir la confiance des électeurs.
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Messieurs les députés, osez la transparence! Vous ne pouvez plus vous y soustraire. Ne serait-ce que pour démontrer à vos concitoyens votre attachement à défendre la démocratie, plutôt qu’à lui planter des couteaux dans le dos. Car l’affaire Fillon n’a pu que dégrader l’impression des citoyens qui, selon le dernier baromètre politique du Cevipof de janvier dernier, ne sont plus que 45% à avoir confiance en leur député et plus que 11% à se fier encore aux partis alors que la politique leur inspire de la méfiance pour 40% d’entre eux et du dégoût pour 28%. La réhabilitation du politique ne pourra pas se limiter à un ripolinage de circonstance.

Sans même présumer de l’issue judiciaire du « Penelope-gate », il y a encore beaucoup de pain sur la planche pour aller au bout du travail de moralisation de la vie publique qui a été engagé depuis pourtant une trentaine d’années, sans que les précédentes avancées n’aient permis d’aller jusqu’au bout du projet.

Ce travail fut entamé en 1988 avec les premières lois prises par Jacques Chirac sur le financement des partis politiques, et poursuivi par Michel Rocard qui mit notamment en place la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Après les partis, le législateur s’est focalisé sur les hommes à la suite de scandales qui ont sali la représentation nationale, obligeant par exemple les membres du gouvernement et les élus à procéder à des déclarations de patrimoine et créant la Haute autorité pour la transparence de la vie publique suite à l’affaire Cahuzac. Le non cumul des mandats et l’encadrement des relations entre les groupes de lobbying et les pouvoirs publics pour prévenir les actes de corruption entrent dans le même champ de moralisation.

Le cercle de réflexion Terra Nova, proche de la gauche, insiste sur ce point dans son rapport sur les conflits d’intérêt et la vie démocratique rendu public début le 3 février. Il considère que « le mandat parlementaire doit être incompatible avec tout autre mandat électif, voire avec toute autre fonction, y compris privée ». Il estime aussi que « deux mandats successifs constituent une durée maximale raisonnable pour mener à bien les projets que l’on peut avoir pour la collectivité que l’on représente », ce qui est loin d’être le cas en France pour les parlementaires qui font carrière en politique.

Mais s’agissant des sommes qui passent par les mains des élus, la transparence gagnerait beaucoup si une réelle simplification était introduite dans le détail des indemnités perçues par les parlementaires. L’affaire Fillon en fait la démonstration. Elle vient rappeler aux citoyens qu’une indemnité parlementaire (7.142 euros brut) est constituée de trois éléments, à savoir une indemnité de base (5.547 euros brut), une indemnité de résidence et une indemnité de fonction –cette dernière (de 1.428 euros) n’étant d’ailleurs pas imposable. Ce qui permet au parlementaire de toucher une indemnité nette mensuelle de 5.357 euros.

En outre, dans le cadre du cumul de mandats qui ne sera plus autorisé à partir de juillet 2017 pour les députés (et octobre pour les sénateurs), un plafond avait été fixé à 1,5 fois l’indemnité de base, soit 2.773 euros de plus. Même avec l’interdiction de cumul, on pourrait imaginer plus simple.

Mais surtout, la complexité va grandissante. L’élu touche une enveloppe de 5.805 euros par mois pour ses frais de représentation: c’est la fameuse indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) que le parlementaire peut utiliser à sa guise, sans fournir aucun justificatif, et qui depuis longtemps fait débat sans qu’aucune véritable réponse n’ait été apportée. Pour un parlementaire qui jugerait son indemnité de base trop chiche, voilà une rallonge possible à portée de main. Le scandale couvait, il faudra bien percer l’abcès. Car en l’occurrence, il s’agit bien d’un détournement de fonds publics.

 Enfin, une autre enveloppe de 9.561 euros par mois est destinée à la rémunération des collaborateurs, calculée en principe pour salarier trois personnes. C’est l’utilisation de cette enveloppe qui fait débat dans le dossier Fillon.

Ainsi, en considérant le montant net de son indemnité (hors cumul, pour ne pas alourdir l’addition) et ces différentes enveloppes, ce sont donc quelque 20.700 euros que gère chaque mois un parlementaire « de base », et plus s’il reçoit des indemnités spéciales pour présider une commission ou autre. Tout cela hors frais de voyages et de communications, car un parlementaire profite de facilités de circulation pour effectuer un certain nombre de voyages gratuitement par avion ou par le train, ainsi que d’une dotation de l’ordre de 12.500 euros sur la législature pour financer les équipements informatiques, à laquelle vient s’ajouter un crédit pour les communications téléphoniques…

A partir de là, comme le parlementaire peut employer un membre de sa famille et n’est pas obligé de rendre des comptes sur son indemnité représentative de frais de mandat, on peut aisément imaginer les dérives possibles sans faire particulièrement preuve d’une imagination perverse. Car, face à cette complexité, des « dysfonctionnements » étaient évoqués depuis plusieurs années –et notamment celui qui consisterait à piocher dans l’indemnité de frais de mandat à des fins personnelles. Le député UDI Charles de Courson a souvent pointé ce risque de détournement d’une partie de l’indemnité, et l’écologiste François de Rugy préconise de lever toute équivoque en allant plus loin en matière de transparence. Et pour Terra Nova, la proposition est sans détour: il conviendrait notamment d’« interdire l’embauche discrétionnaire par un parlementaire d’un parent ou d’un conjoint comme collaborateur ou assistant rémunéré sur les fonds publics alloués à sa mission ». Ce qui est au cœur du débat sur le « Penelope-gate ».

Certes, la lutte contre l’opacité progresse. Ainsi, des règles ont été récemment introduites dans l’utilisation de la réserve parlementaire qui permet aux députés de soutenir des investissements dans sa circonscription, ou d’aider des associations locales. Au total, pour chaque parlementaire, l’enveloppe des subventions qui peuvent être distribuées et sont versées via l’Assemblée nationale atteint environ 130.000 euros par an. Mais des associations pouvaient être de faux nez. Une nouvelle traçabilité des sommes ainsi versées garantit la destination et l’utilisation de ces fonds, dissuadant tout détournement frauduleux.

Dans le contexte actuel, quelles que soient les conclusions de la justice sur le dossier de François et Pénélope Fillon, la représentation nationale ne pourra pas faire l’économie d’une révision des conditions d’utilisation de ces sommes, et d’aller plus loin encore en matière de transparence. D’une part, en simplifiant. D’autre part, en justifiant.  

Jusqu’à présent, les élus les plus combatifs sur ce terrain n’ont pas réussi emporter la décision finale, à cause d’arguments divers. Par exemple, dans l’autre camp, d’aucuns mettent en avant une insuffisante indemnité en comparaison des salaires du privé. Mais l’argument tombe à l’eau: un travail de directeur ou de chef d’entreprise ne peut être comparé à une mission d’homme politique participant à la représentation nationale.

Les deux carrières ne sont pas parallèles, l’une menée au titre de la création de richesses, l’autre au service de la vie de la nation. Vouloir faire fortune sur fonds publics en misant sur la politique, c’est trahir la démocratie à des fins personnelles. Et à chaque fois que l’une vient à recouper l’autre, le scandale éclate et la démocratie en sort meurtrie.

C’est une évidence; encore faudrait-il s’en souvenir. On entend parfois qu’avec des traitements plus élevés, les risques de détournement ou de corruption seraient moindres: si la tentation existe, c’est que la fonction n’est pas bien comprise et que l’enrichissement personnel prime sur l’intérêt collectif à la base du travail de parlementaire. 

Dans ces conditions, l’engagement politique au service d’un collectif est une usurpation. C’est ce que l’opinion publique exprime lorsqu’elle crie au « tous pourris » qui ruine la légitimité de la représentation nationale et dégrade, dans les baromètres de confiance, l’image des politiques.

Ainsi, quels que soient les arguments, ce n’est pas en empêchant une avancée vers plus de transparence que les parlementaires pourront régler les problèmes, qu’il s’agisse des frais à engager pour exercer leur fonction ou de la hauteur de leur indemnité globale. A l’Assemblée nationale comme au Sénat, les parlementaires vont devoir démontrer leur détermination.

Car, avec une affaire comme celle qui met en cause l’ancien Premier ministre François Fillon et son épouse, toute la classe politique est montrée du doigt. Il aura fallu, comme pour l’affaire Cahuzac ou d’autres, que la presse révèle l’affaire, pour que des dysfonctionnements ou des scandales soient révélés et que la justice s’en empare. Comme si les institutions étaient incapables de faire le ménage en leur sein.

Voilà qui est de nature à jeter l’opprobre sur tous les parlementaires qui seraient solidaires pour que certaines pratiques restent dans l’ombre. Et cela, ce n’est pas les journalistes qui l’inventent, mais les électeurs qui le réclament pour continuer à croire dans le jeu démocratique et le fonctionnement des institutions.

Gilles Bridier

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