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Rapport

L’Europe contre l’Europe

Olivier Ferrand, président de Terra Nova et spécialiste de l’Europe, publie aujourd’hui L’Europe contre l’Europe, et inaugure ainsi la collection éditoriale Terra Nova/Hachette Littératures. Cette collection a vocation à héberger les travaux de Terra Nova, issus notamment de ses groupes de travail.
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Le livre. Aujourd’hui, l’Europe ne se heurte plus à la coalition des souverainismes, mais d’abord à elle-même. Ce sont les partisans de l’Europe qui pourraient bien en être les principaux fossoyeurs. Telle est la thèse paradoxale de ce livre. L’Europe d’aujourd’hui – ses méthodes, ses acteurs, ses politiques – se dresse contre l’Europe de demain. Elle menace de se diluer en une grande Suisse, ou de muter, avec la dynamique de l’élargissement, en une Europe-monde sans frontières. Le mythe de l’Europe fédérale est-il mort ? Il y a un nouvel espoir. Le Parlement européen, le seul organe proprement démocratique de l’Union, a désormais les moyens d’un « coup de force » politique. A lui d’agir. A nous, la nouvelle génération européenne, de le mandater pour sortir l’Europe de l’ornière.

L’auteur. Olivier Ferrand est président de la fondation Terra Nova. Spécialiste de l’Europe, il a été conseiller du Premier ministre Lionel Jospin sur les affaires européennes, puis conseiller du Président de la Commission européenne Romano Prodi. Il a participé à l’élaboration du traité constitutionnel comme sherpa français, puis à la campagne politique du référendum comme responsable national du parti socialiste pour les questions européennes.

La collection. L’Europe contre l’Europe est le premier livre de la collection éditoriale Terra Nova/Hachette Littératures. Cette collection a vocation à héberger les travaux de Terra Nova, issus notamment de ses groupes de travail.

 Europessimisme, eurosclérose, euroscepticisme. Crise des institutions, crise du projet, crise des frontières. Crise de la chaise vide, crise agricole, crise de l’euro… L’Europe a fabriqué pour désigner ses difficultés une palette linguistique presque aussi large que les Inuits pour décrire la neige.

Mais la crise actuelle de l’Europe est différente de toutes les précédentes. Elle traduit la bataille qui se noue, depuis le début des années 1990, autour du changement de nature de la construction européenne : la transition de l’Europe économique d’hier à l’Europe politique de demain. Et cette transition est en échec : l’Europe ne parvient pas à franchir le Rubicon fédéral.

1 – LA CRISE EUROPEENNE ACTUELLE : L’ECHEC DE L’EUROPE FEDERALE


L’Europe fédérale, c’était le rêve des pères fondateurs, au sortir de la guerre. Ils ont failli y parvenir, avec la Communauté européenne de défense (CED). Elle faisait le grand saut avec une armée européenne, dotée d’un gouvernement politique. Mais le projet échoue, rejeté par l’Assemblée nationale française en 1954, à l’issue d’un psychodrame politique majeur.

Les pères fondateurs de l’Europe ne renoncent pas. Ils tirent les leçons de l’échec de la CED. L’Europe politique ne passera pas en force, ex nihilo ; la « révolution fédérale » est impossible face aux nationalismes d’après-guerre encore brûlants. Il faut inventer une autre méthode, plus gradualiste, moins frontale, renoncer à faire l’Europe politique aujourd’hui pour pouvoir la faire demain. C’est ainsi que Jean Monnet et Robert Schuman conçoivent la Communauté économique européenne (CEE), « première étape » permettant de créer la confiance, les solidarités, la masse critique nécessaires pour basculer, un jour, vers l’Europe fédérale.

Pour leurs héritiers, ce jour est venu avec la chute du mur de Berlin. Il offrait la dynamique politique, après trente ans de construction européenne réussie. Témoignage de cette volonté, le changement de dénomination de l’Europe opérée par le traité de Maastricht en 1992 : de la Communauté économique européenne à l’Union européenne – de l’Europe technique à l’Europe politique. Une volonté qui se manifeste au grand jour douze ans plus tard avec la Constitution européenne.

Mais cette bataille fédérale est un échec. Traités de Maastricht (1992), Amsterdam (1997), Nice (2001), Constitution européenne (2004), traité de Lisbonne (2007) : négociations après négociations, l’Europe politique est repoussée. Les gouvernements résistent. Les citoyens hésitent.

2 – LES RAISONS D’UN ECHEC : L’EUROPE CONTRE L’EUROPE

1954 – 2004 : cinquante ans après la CED, l’Europe fédérale est à nouveau rejetée avec le traité constitutionnel. Pourquoi ?

La faute au souverainisme de nos vieilles nations européennes, se hâte-t-on de répondre. Ce n’est pas vrai.

Depuis un demi-siècle, les souverainismes ont partout reflué. Certes, ils s’expriment encore bruyamment, mais ils sont désormais minoritaires dans les opinions européennes. Les pères fondateurs avaient raison. L’Europe économique a permis de créer entre les ennemis mortels d’hier des relations de confiance et une interdépendance toujours plus étroites. Ces liens rendent aujourd’hui possible l’avènement de l’Europe politique.

Si le basculement vers l’Europe politique est en échec depuis quinze ans, ce n’est pas de la faute des souverainismes affaiblis. C’est de la faute de l’Europe :

-    La faute aux fondateurs de l’Europe : le « paradoxe Monnet »

Jean Monnet, un des pères de l’Europe, a théorisé cette construction en deux étapes, de l’Europe technique à l’Europe politique. La « méthode Monnet » est un coup de génie au départ : la première étape « technique » rend possible la naissance et le développement de l’Europe, en dépit des nationalismes. Mais elle est devenue aujourd’hui contre-productive. L’Europe technique s’est développée au prix de la bureaucratisation, du dérèglement technocratique, du déficit démocratique. L’Europe de la première étape est ainsi devenue un puissant repoussoir de l’Europe politique que l’on prétend construire lors de la seconde étape.

-    La faute aux acteurs européens, et notamment à la Commission européenne : le « paradoxe Barnier »

La Commission ne veut pas de l’Europe politique. Michel Barnier, alors Commissaire européen, avait exprimé ce déni démocratique de manière brutale en 2002 lors de la négociation du traité constitutionnel européen : pour pouvoir continuer à défendre l’intérêt général européen, la Commission doit rester non-partisane et à l’abri des passions citoyennes. Au-dessus des partis et sans compte à rendre aux citoyens européens : c’est le gouvernement des experts contre la démocratie. Les défenseurs de l’Europe théorisent ainsi les institutions européennes actuelles, une construction soi-disant sui generis, oubliant que cette Europe technique n’a été conçue que comme une étape transitoire vers l’Europe politique.

-    La faute aux politiques européennes : le « paradoxe Delors »

L’Europe politique trouve sa raison d’être dans la défense du modèle de développement européen – un modèle qui se caractérise par l’irréductibilité de la dignité humaine et qui trouve son expression, notamment, avec l’Etat-providence. Or l’Europe s’est construite, pour l’essentiel, dans le domaine économique. Elle a développé des politiques sans rapport avec son modèle, qui est avant tout social. Pire, avec l’Acte unique de Jacques Delors en 1984, les politiques européennes ont basculé dans une logique libérale de plus en plus radicale, au point de constituer une menace pour la pérennité du modèle européen, d’essence sociale-démocrate.

Ainsi, les partisans de l’Europe pourraient bien en être les principaux fossoyeurs. L’Europe d’aujourd’hui bloque l’émergence de l’Europe de demain. L’Europe se dresse contre l’Europe.

3 – SORTIR DE LA CRISE : TROIS SCENARIOS POUR L’EUROPE DE DEMAIN

Peut-on sauver l’Europe de l’Europe ? Trois avenirs potentiels se dessinent :


-    Le scénario du statu quo : la Suisse européenne

C’est le scénario le plus probable. On tente souvent de dramatiser en agitant le spectre du démantèlement de l’Union européenne : « si le vélo n’avance pas, il tombe », entend-on souvent. C’est faux : un équilibre stable peut être trouvé autour de l’Europe actuelle, une Europe intégrée selon un modèle de « Suisse européenne ». On voit d’ailleurs, depuis quinze ans, les institutions évoluer dans le sens d’une stabilisation autour d’un système confédéral, où les Etats (au sein du Conseil) prennent le pas sur l’institution fédérale, la Commission européenne. Ce n’est pas la fin de l’Europe, mais la fin de la construction européenne. Au prix du renoncement à peser sur la destinée du monde : l’Europe sortirait de l’Histoire, pour la première fois depuis l’Antiquité.

-    Le scénario de l’élargissement indéfini : l’Europe-monde

L’Europe a consacré son énergie à tenter de débloquer ce qui ne marche pas, l’approfondissement politique, et à ignorer ce qui marche, l’élargissement. Et si elle faisait l’inverse, si elle décidait de s’appuyer sur son point fort ? La dynamique de l’élargissement, en effet, ne se tarit pas. Les adhésions sont des succès : elles apportent stabilisation démocratique et développement économique. Après chaque élargissement, les pays aux nouvelles frontières de l’Union veulent à leur tour adhérer.

Dans ce scénario, l’Union n’a pas de frontières ultimes. Elle est la préfiguration régionale de l’Organisation des Nations Unies de demain, une ONU qui marche, capable de développer entre ses membres des solidarités économiques, des liens juridiques, des échanges humains suffisamment forts pour rendre la guerre impossible, une ONU capable de régler efficacement les différends entre ses membres par la négociation et l’arbitrage – comme l’Union européenne a été capable de le faire entre ses membres.

Une telle vision de l’Europe-monde n’est pas si iconoclaste. Elle constitue, tout le monde l’a oublié, un retour aux sources à la vision cosmopolite des premiers fondateurs de l’Europe, qui voulaient bâtir une démocratie mondiale en commençant par l’Europe. Elle correspond aussi à l’idée de l’Europe, à ses valeurs universelles qui n’ont pas de frontières. C’est aussi cette logique que l’on retrouve à l’œuvre dans la construction européenne depuis 1957 : les compétences transférées à l’Union ne sont pas des compétences externes de type fédéral (diplomatie, défense) mais des compétences internes, tournées vers la régulation de ses membres.

-    Le scénario fédéral : l’Europe puissance

L’Europe politique est-elle devenue un scénario impossible ? Il est vrai que la fenêtre d’opportunité, grande ouverte au cours des années 90, s’est refermée. Les énergies se sont épuisées, la flamme est presque éteinte. Il reste pourtant un espoir. Une Ière République européenne peut encore voir le jour. Elle se fera à traité constant : aucune réforme institutionnelle d’envergure n’est plus envisageable dans l’Union à 27. Elle ne viendra ni de la Commission, ni des gouvernements : les moteurs historiques de la construction européenne ont cassé. La clé se trouve au Parlement européen, dernière institution où souffle « l’esprit européen ».

Le point central pour faire la bascule fédérale, c’est de transformer la Commission européenne, aujourd’hui exécutif technique de l’Europe nommé par les Etats, en véritable gouvernement politique responsable devant les citoyens européens. Le Parlement européen peut le faire : il a les moyens de repousser les nominations des Etats et d’imposer une Commission issue de la majorité politique sortie des urnes. Mais les règles du jeu ne sont pas les mêmes avec ou sans le traité de Lisbonne. Sans lui, il faudra un véritable « coup d’Etat » politique du Parlement pour passer à l’Europe fédérale. Avec lui, l’opportunité juridique est ouverte et il reviendra alors aux parlementaires de prendre leur responsabilité.

Mais pour que l’Europe politique voie le jour, une nouvelle génération d’Européens doit prendre le relais. La génération d’après-guerre a réalisé la première étape européenne : elle l’a menée de la guerre à la paix, de la ruine à la prospérité. Une nouvelle génération, avec de nouveaux idéaux, de nouvelles méthodes, de nouveaux lieux d’action, doit prendre aujourd’hui le relais pour bâtir la seconde étape, de l’intégration économique à la puissance politique.

Ce livre est un appel aux nouveaux Européens pour construire l’Europe de demain.

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