L’Europe, la guerre et les élections présidentielles vues de Berlin

L’Europe, la guerre et les élections présidentielles vues de Berlin
Publié le 23 mars 2022
Comment regarde-t-on la campagne présidentielle française outre-Rhin ? Le bouleversement de la scène politique française, avec l’affaiblissement des principaux partis de gouvernement, l’effacement du clivage gauche-droite et la montée en force des extrêmes a de quoi inquiéter un pays attaché à la stabilité politique. Mais les défis nouveaux qui nous attendent à l’échelle européenne dominent surtout l’intérêt allemand pour le résultat des élections : quel partenaire la nouvelle coalition au pouvoir à Berlin aura-t-elle prochainement en face d’elle ?

La guerre et ses atrocités en Ukraine, le prix du carburant qui flambe, l’inquiétude concernant l’approvisionnement en gaz, mais également les conséquences de la pandémie et les sujets plus fondamentaux liés à la transition économique et écologique et au changement climatique…devant cette actualité brûlante, l’élection présidentielle française ne semble que peu passionner les Allemands.

Et pourtant, si l’on regarde le fond de ces dossiers, le rôle clé de la France, et en conséquence de celui ou celle qui la gouverne, est évident. De l’évolution en France, le plus important partenaire de l’Allemagne en Europe et sur la scène internationale, dépendra pour une large partie de la possibilité à pouvoir répondre, agir et gérer les crises mentionnées.

Si cette réalité n’a jamais été contestée par Berlin, la guerre en Ukraine a remis sur le devant de la scène la fragilité de l’Europe. Même l’Allemagne, le plus grand des Etats-membres, dépend dans beaucoup de dossiers de la solidarité des autres Européens – et c’est particulièrement vrai dans le domaine militaire, « l’enfant pauvre » de l’intégration européenne, mais également en ce qui concerne sa dépendance au gaz russe.

Pendant de longues années, les présidents français – de Jacques Chirac à François Hollande – ne parlaient pas d’Europe, ou alors très prudemment et sur la défensive (« défendre la France… »). Cela semblait également convenir aux dirigeants allemands, qui se contentaient du statu quo en Europe, plus ou moins avantageux pour l’Allemagne, selon les dossiers, mais sans se préoccuper de la fragilité de la construction européenne sur le moyen terme, ou face aux crises venant de l’extérieur.

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Tout cela vient de changer. Notamment avec l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 et sa stratégie de parier sur l’Europe – pour la faire changer. Pour cela, il dépendait du concours de l’Allemagne, sans chercher le rapport de force avec ce pays, comme certains de ses adversaires le préconisaient, et comme certains de ses prédécesseurs l’avaient tenté : Macron préférait rappeler l’Allemagne à ses responsabilités. En renvoyant le gouvernement allemand aux engagements communs qui forment la base de la construction européenne, il le forçait à se décider et à prendre sa place – qui est et qui reste aux côtés de la France.

En conséquence, une nouvelle dynamique franco-allemande (traité d’Aix-la-Chapelle, négociation d’un accord entre les parlements, avec l’établissement d’une chambre parlementaire franco-allemande) s’est déployée. Celle-ci a permis ensuite le retour du couple franco-allemand en Europe, avec l’annonce d’une proposition commune pour financer ensemble un « fonds de relance » européen.

Avec son nouveau gouvernement, le chancelier allemand Olaf Scholz, qui avait déjà, en tant que ministre des finances, négocié avec Bruno Le Maire la proposition commune du fonds de relance, découvrit très vite la réalité géopolitique de l’Europe. Face à l’agression russe et aux attentes des autres Européens, il n’hésita pas à suspendre la mise en service du gazoduc germano-russe « NordStream II », renversant ainsi 15 ans de politique social-démocrate d’interdépendance énergétique entre Allemagne et Russie. Il a montré le même courage politique en corrigeant quelques fondamentaux de la politique de sécurité et de défense de l’Allemagne tout en annonçant une « enveloppe » de 100 Milliards d’euros destinée à moderniser l’armée allemande (Bundeswehr). A cela s’ajoute un budget annuel de la défense de plus de 50 Milliards d’euros, plus qu’en France par exemple.

Dès lors, et face aux crises qui menacent l’Europe, l’Allemagne a plus que jamais besoin de la France. Du coup, l’Allemagne (ses responsables politiques) semble tellement parier sur la réélection d’Emmanuel Macron qu’elle oublie de s’intéresser de plus près à la société française. On entend regretter, à gauche, les difficultés qu’affichent les camarades à Paris de bâtir leur projet politique sur une analyse des réalités sociales. Devant l’échec de la « Primaire populaire », on se demande (mais on n’est plus très nombreux à s’en souvenir) pourquoi le PS et les VERTS semblent avoir tant du mal à se réclamer du gouvernement de Lionel Jospin et de sa « gauche plurielle » – qui avait pourtant si bien réussi à la France « black-blanc-beur » de la coupe du monde de 1998 !? Aujourd’hui, la contestation, les forces vives de la nation, ne semblent plus se retrouver dans les partis de gauche – des Gilets Jaunes aux revendications de la jeunesse corse, en passant par la primaire populaire, les principaux mouvements collectifs ne semblent pas en phase avec la social-démocratie à la française, mais pas davantage avec La France Insoumise ou le PCF.

Tout au plus, c’est le projet écologique et social de Yannick Jadot qui parlait à la gauche allemande, mais cela c’était avant la guerre. Devant le retour annoncé du nucléaire, le revirement sur la politique militaire, une exposition au commerce international et à ses incertitudes, l’Allemagne et une grande partie de sa gauche ont perdu leur « boussole stratégique », mais ne trouvent pas de réponse en regardant les partenaires français. Encore une fois, le seul qui paraissait avoir vu juste et dont l’analyse sur la nécessité de développer une « autonomie stratégique » de l’Europe semblait présager la situation actuelle, est Emmanuel Macron. Mais, comme en France, les forces politiques en place en Allemagne ont du mal à saisir la personnalité de ce Président, ce qui crée une certaine méfiance. Cela vaut pour les conservateurs de la CDU-CSU, qui se souviennent de son action déterminée pour empêcher Manfred Weber d’accéder à la présidence de la Commission européenne, mais aussi pour le SPD, qui craint les allures de « président de l’Europe » qu’Emmanuel Macron affiche de plus en plus depuis le départ d’Angela Merkel.

Devant les alternatives possibles, le choix est cependant vite fait. Habitués au système parlementaire et fédéral, avec ses éternelles coalitions et sa permanente négociation de compromis, les responsables politiques ne laissent aujourd’hui aucun doute sur le fait qu’ils espèrent continuer à coopérer avec Emmanuel Macron.  

Et c’est plutôt en dehors des cercles du pouvoir qu’on s’interroge en Allemagne sur la concurrence des candidats et des sujets d’extrême droite. Si l’on s’était presque habitué au phénomène Le Pen, qui, vu d’Allemagne, pouvait se classer parmi le folklore de la France éternellement mécontente et des Français toujours prêts à provoquer leurs gouvernants, la situation en 2022 est plus difficile à comprendre et presque gênante pour les observateurs allemands. Avec toute la sympathie qu’on peut éprouver pour le vote protestataire et le mécontentement populaire, on reste sans voix devant les provocations calculées d’Eric Zemmour et leur succès auprès de l’électorat français. Si dans une perspective franco-allemande, le soutien ouvert d’une partie de la population et de certains médias au candidat d’extrême droite reste embarassant, une récente étude montre que les Allemands ne jugent qu’à peine plus rassurant un éventuel succès de Valérie Pécresse. Largement inconnue du public et des médias allemands (d’ailleurs connaît-elle l’Allemagne ?), on découvre aujourd’hui en premier lieu sa tentation de chercher l’électorat conservateur sur les terres des extrémistes – une politique qu’on craignait souvent de la part du CDU en Allemagne, mais il s’agit là d’un pas que ce parti n’a jamais franchi. Les tergiversations et les hésitations des Républicains autour de « l’union des droites », font d’eux un partenaire difficile pour la CDU. Malgré toute sa méfiance, ce parti se reconnaît beaucoup plus dans la vision économiquement libérale et socialement moderne défendue par Emmanuel Macron.

Après les années perdues à s’observer mutuellement, à jouer du rapport de force là où il aurait fallu une action franco-allemande commune pour faire progresser l’Europe, l’Allemagne paraît enfin prête à répondre aux demandes françaises. Cependant, on peut craindre que la nature des crises qui menacent l’Europe, ou alors le libre choix du peuple français, fasse capoter cette constellation franco-allemande, qui était sur le point de retrouver enfin la place qui devrait être la sienne en Europe.

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Stefan Seidendorf