Non au referendum d’initiative populiste
Soyons clair : l’agitation par Nicolas Sarkozy de l’arme du référendum est une nouvelle illustration du populisme soft qu’il tisse régulièrement depuis cinq ans, et qui a mené l’UMP aux portes du Front national.
C’est vrai sur les thèmes choisis : les chômeurs et les immigrés – deux des boucs-émissaires favoris du sarkozysme et du lepénisme. C’est vrai sur la posture : une diatribe, lors du meeting de Marseille, glorifiant le peuple contre les élites qui ont trahi, et contre les corps intermédiaires (les syndicats, les fonctionnaires…) qui bloquent les réformes nécessaires de la société.
Cette agitation populiste est d’autant moins légitime que, sur le fond, les référendums annoncés portent sur des sujets mineurs : la réforme de la formation professionnelle et la réunification du contentieux des étrangers, aujourd’hui éclaté entre les juridictions administratives et judiciaires. Rien qui justifie d’en appeler directement aux Français.
Et comment comprendre ce brusque prurit référendaire du candidat Sarkozy alors que Sarkozy président en a écarté l’usage ? Son projet prend le contre-pied de son bilan. Il y a eu neuf referendums sous la Vème République, mais zéro sous la mandature. Pourtant, la question se posait avec le traité de Lisbonne : le peuple avait rejeté la Constitution européenne, n’était-il pas seul habilité à valider le traité qui s’y substituait ? Pourtant encore – et c’est un point qui n’a pas été évoqué jusqu’ici – la réforme constitutionnelle de 2008 a renforcé le référendum législatif en introduisant la possibilité de l’initiative populaire, sur la base d’un dixième des électeurs (article 11 alinéa 3 de la Constitution). Mais, quatre ans après, cette disposition constitutionnelle n’est toujours pas applicable en l’absence de loi organique d’application.
L’abus politicien qu’en fait Nicolas Sarkozy donne une nouvelle fois une image négative du referendum. Envisagé tant par les Girondins que les Jacobins sous la Révolution française, on sait que le référendum demeurera longtemps discrédité par l’usage plébiscitaire qui en sera fait par Napoléon Bonaparte. Les juristes le considèreront pendant cent cinquante ans comme incompatible avec la démocratie parlementaire, avant sa réhabilitation par Raymond Carré de Malberg et son introduction à l’article 3 alinéa 1 de la Constitution de la Vème République : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Le referendum est un instrument puissant d’une démocratie rénovée, plus directe, plus participative. Mais il doit être encadré. Il faut d’abord éviter sa manipulation plébiscitaire par le pouvoir. Dans le référendum tel qu’il a été institutionnalisé en France, la décision est certes transférée aux citoyens mais le pouvoir d’initiative demeure entre les mains du Président. Un exemple avec le traité constitutionnel européen : le gouvernement en a négocié le contenu et il soumet son adoption au vote des citoyens. Il n’y a pas en France de « vrai » référendum : le référendum d’initiative populaire. Il existe dans quelques pays, aux Etats-Unis et en Italie notamment. Aux Etats-Unis, présent dans plus de vingt Etats, il prend trois formes : le référendum législatif ou constitutionnel, qui permet l’adoption d’une loi nouvelle voire d’un amendement constitutionnel nouveau ; le référendum abrogatif, qui aboutit à l’abrogation d’une loi existante ; et lerecall, référendum révocatoire qui permet de destituer un élu avant la fin de son mandat. La France devrait l’expérimenter.
Il faut également éviter les manipulations populistes sur les sujets complexes (le nucléaire) ou émotionnels (les minarets, en Suisse).
Terra Nova réfléchit en ce sens à un dispositif nouveau : le « référendum délibératif ». Il prend modèle sur l’expérimentation en cours en Islande. Le gouvernement islandais a réuni un panel représentatif de la population – 2.500 citoyens tirés au sort – pour rédiger une nouvelle constitution. Ce panel a pris le temps de la réflexion, aidé par des juristes constitutionnalistes, et le temps du dialogue, pour faire émerger un consensus. Le projet qui en est sorti est proposé à tous les citoyens par référendum. Le texte soumis au vote a ainsi été travaillé pour exprimer la position raisonnée du « peuple ». En conclusion, et pour le dire en un mot : oui au référendum d’initiative populaire, non au référendum d’initiative populiste.
Voir la tribune sur lemonde.fr