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Rapport

Normes européennes loi française : le mythe des 80 %

Terra Nova publie son rapport « Normes européennes, loi française : le mythe des 80% », rédigé par Matthias Fekl, maître de conférences en droit public à Sciences po, et Thomas Platt, chargé de mission à Terra Nova. L’impact de l’Europe sur les activités législatives nationales est largement surestimé, tant par les politiques que dans les médias. Un chiffre est toujours cité : 80% des lois nationales seraient d’origine communautaire. Ce chiffre, né d’une reprise déformée de propos de Jacques Delors, est un mythe. L’étude détaillée menée par Terra Nova montre que l’impact réel se situe autour de 10%.
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Lorsqu’il s’agit d’estimer l’impact normatif de la construction communautaire à l’échelle nationale, les croyances sont tenaces. Un chiffre, en particulier, a la vie dure, tant dans les discours politiques de tout bords que dans la sphère médiatique, en France comme dans le reste de l’Europe : 80% des lois françaises seraient d’origine communautaire, marquant ainsi la prééminence normative de l’Europe sur les Etats-membres. Ce chiffre a une portée quasi-mythologique : il renvoie à la figure de Jacques Delors, qui l’a prononcé à plusieurs reprises. Ce dernier n’avait certes formulé le « 80% » qu’à titre de pronostic pour l’avenir (et non comme une réalité), et pour le seul domaine de l’économie et du marché intérieur (et non pour toutes les politiques publiques). Mais la force du mythe a peu à peu gagné les esprits et la légende s’est installée.

 Car il s’agit bien d’une légende sans fondement. La démystifier est l’objet de cette étude. Elle a cherché à répondre à la question : « L’activité législative nationale est-elle réellement constituée à 80% de mesures de transposition ou d’adaptation du droit communautaire ? ». L’étude a scruté sur dix ans, de 1999 à 2008, la législation nationale. L’équipe de travail a analysé, pendant plus de quatre mois, plus de 1.000 textes de loi, près de 20.000 articles de loi.

Soulignons d’emblée que l’exercice de quantification est difficile et risqué. La méthodologie est instable : doit-on mesurer au niveau de la loi, des articles de loi ? A quel moment peut-on dire qu’une loi est d’origine européenne ? Quand l’un de ses articles, 10%, tous, sont d’origine européenne ? Sans compter que le classement d’un article en « origine européenne » ou non est parfois hasardeux. Surtout, le classement quantitatif ne rend pas compte de l’impact qualitatif : des lois sont plus importantes que d’autres sur le fond, même si elles sont plus courtes. Les résultats sont donc à interpréter avec prudence.

 Malgré tout, il ressort sans ambiguïté que le chiffre de 80% utilisé pour décrire l’impact du droit européen sur la législation nationale ne correspond à aucune réalité. L’étude a utilisé plusieurs méthodes de mesure. Elle aboutit aux résultats suivants : Normes européennes, loi française : le mythe des « 80% »

• Environ 25% des dispositions législatives adoptées par le Parlement comportent un ou plusieurs articles transposant des dispositions d’origine communautaire.

• Moins de 10% des lois comportaient une part significative de mesures de transposition du droit communautaire.

• Moins de 10% du total des articles législatifs adoptés ont vocation à transposer des dispositions communautaires.

Que ce soit donc loi par loi, ou article par article, l’impact réel du droit européen sur l’activité législative nationale se chiffre autour de 10%.

L’impact a maxima peut être chiffré à 25% : une loi sur quatre comporte au moins une mesure – parfois marginale – d’origine européenne.

 La mesure sectorielle de cet impact s’inscrit dans la logique des compétences transférées à l’Union : un impact fort pour l’agriculture, les transports, l’économie, l’environnement ; un impact modéré mais réel pour l’emploi et le social (témoignage de la montée de l’Europe sociale), la justice ; un impact marginal pour la culture, l’éducation, la défense, les affaires étrangères.

Mais, contrairement à une idée reçue, même dans les secteurs les plus européanisés, la législation nationale « autonome » demeure largement majoritaire. Le cas de l’agriculture, secteur considéré comme de la compétence exclusive de l’Union, et historiquement première politique commune, est le plus révélateur. Un peu plus de 60% des lois comportent des éléments d’origine communautaire (ce qui en laisse tout de même près de 40% sans aucune influence européenne). Mais, quand on affine par article, on s’aperçoit que seulement 18% de l’activité législative nationale dans ce domaine a une origine communautaire.

 On est donc loin des 80%, martelés tant par les fédéralistes soucieux de montrer l’importance de l’Europe que par les souverainistes cherchant à dénoncer le poids tentaculaire de la « bureaucratie » bruxelloise. La vérité se situe autour de 10%, chiffre que l’on retrouve aussi dans les études étrangères. Le Parlement français est encore largement souverain. Il y a encore de la place pour la poursuite de la construction européenne.

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