Pour une primaire à la Française
Terra Nova publie « Pour une primaire à la française », essai rédigé par Olivier Duhamel et Olivier Ferrand. Le rapport est issu des travaux du groupe « projet primaire » de Terra Nova. Le groupe de travail était présidé par Olivier Duhamel, professeur des universités à Sciences Po, et Olivier Ferrand, président de Terra Nova. Il était composé de : Alain Bergounioux (historien, secrétaire national aux études du PS), Loïc Blondiaux (chercheur au CERAPS), Anne-Lorraine Bujon (directrice de Humanity in Action – France), Aurélie Filippetti (députée PS), Antoine Garapon (magistrat), Marc Lazar (historien, spécialiste de l’Italie), Bernard Manin (politologue), Jean-Louis Missika (sociologue, maire adjoint de Paris), Jean-Luc Parodi (politologue). Son rapporteur était Matthias Fekl (maître de conférences à Sciences-Po, adjoint au maire de Marmande).
La crise actuelle de la gauche française est avant tout une crise de leadership. La succession de Lionel Jospin n’est toujours pas assurée La cause est structurelle : il n’existe aucune procédure institutionnelle pérenne pour permettre la sélection entre les candidats à la succession.
Dans ces conditions, seule l’émergence d’un leader « naturel » permet de résoudre la crise. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé à droite, où la formidable montée en puissance de Nicolas Sarkozy à partir de 2002, conjuguée à l’empêchement de ses principaux concurrents potentiels (Alain Juppé, Dominique de Villepin), ont permis de réussir la succession de Jacques Chirac.
A gauche, dans une compétition où les positions sont trop serrées pour qu’une personnalité ne s’impose d’elle-même, la crise de leadership perdure. Les institutions actuelles du PS ne permettent pas de la résoudre.
Il est vital pour le parti socialiste de mettre en place une procédure de sélection efficace et pérenne. Faut-il, dans ce contexte, sur la base de l’expérience de la primaire socialiste de 2006, introduire en France un système de primaire ? Et si oui, selon quelles modalités ?
Tel est l’objet du rapport « Pour une primaire à la française ». Aux termes d’une analyse inédite, tirant les leçons des antécédents français et menant pour la première fois l’étude comparée des exemples étrangers (Etats-Unis, Italie, Royaume Uni, Grèce…), il propose des conclusions en trois points.
1. Pour un système de « primaire à la française ».
Une primaire consiste à faire dépendre le choix du leader du suffrage universel direct de la « base ». C’est une bonne procédure :
- La primaire permet d’adapter le fonctionnement des partis au régime présidentialiste français. Le candidat est choisi dans les mêmes conditions que le président de la République, par un vote au suffrage direct. Il procède donc de la même légitimité : une légitimité qui intègre la personnalité du candidat, son adéquation à l’opinion publique. C’est toute la logique des primaires aux Etats-Unis.
- La primaire introduit une modernité institutionnelle au sein des partis. Elle développe la démocratie dans leur fonctionnement : le choix du leader n’est plus entre les mains de l’appareil et de ses cadres, mais confié à la base (militante ou sympathisante). Elle répond également à un besoin contemporain de personnification de la politique. C’est ce qui explique que des systèmes de primaire se soient implantés dans les régimes parlementaires européens – Italie, Royaume Uni, ponctuellement en Allemagne.
- Enfin, il y a les antécédents français. Ces antécédents, contrairement à une idée reçue, sont anciens : le principe de la primaire est inscrit dans les statuts du parti socialiste depuis 1971 et le congrès d’Epinay. La première primaire officielle, encore sommaire, a eu lieu dès 1995, entre Henri Emmanuelli et Lionel Jospin. Mais la première primaire moderne s’est déroulée en 2006 : elle a permis de choisir Ségolène Royal comme candidate à la présidentielle, face à Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Cette primaire a été un succès : elle a créé un engouement dans les médias et l’opinion, modernisé l’image du parti socialiste et offert une dynamique au début de campagne de Ségolène Royal. Elle a d’ailleurs entraîné l’organisation d’une primaire « concurrente » à l’UMP, largement factice, pour légitimer la candidature présidentielle de Nicolas Sarkozy.
Au total, la primaire répond bien à l’objectif : assurer une désignation du candidat à la direction du pays systématique (non-dépendante d’un hypothétique leadership « naturel »), légitime (démocratique) et efficace (adaptée à l’élection présidentielle). Une telle évolution du parti paraît difficilement réversible. Certes, il y a des cas de primaires sans lendemain en Espagne ou en Allemagne. Mais après l’expérience réussie de 2006, l’abandon des primaires par le parti socialiste ne manquerait pas d’être interprété comme un retour en arrière et une crispation de l’appareil. Il serait contraire aux évolutions de fond constatées dans les principales démocraties occidentales.
2. Une nécessaire codification à froid
Il s’agit tout d’abord d’éviter de reproduire les déficiences de la primaire de 2006. En l’absence d’une codification ex ante, ses modalités ont été organisées à chaud. Elles ont fait l’objet de négociations, au dernier moment, entre les courants du parti. Elles ont donc obéi à des considérations tacticiennes contre-productives. Au final, la primaire de 2006 a présenté quatre vices d’organisation :
- Le caractère très fermé de l’accès à la candidature. La règle retenue (soutien par 15% du conseil national) constitue un verrou qui limite l’accès à la candidature aux personnalités les plus établies et empêche tout renouvellement. Mathématiquement, cette règle limite à six le nombre maximal de candidats à la primaire. En pratique à pas plus de quatre, à partir du moment où les candidats peuvent ramasser plus de 15% des soutiens. En l’état actuel des choses, un « Barack Obama français » n’aurait aucune chance d’émerger car il ne pourrait tout simplement pas « concourir ».
- Le calendrier trop tardif de la primaire. La date retenue, le 16 novembre, ne laissait que trop peu de temps avant le début de la campagne présidentielle, début janvier. Conséquence : il n’y a pas eu le temps nécessaire pour panser les plaies entre les compétiteurs de la primaire ; la candidate, une fois désignée, n’a pas eu le temps suffisant pour préparer sa campagne.
- L’organisation, trop courte et aseptisée, de la campagne. On n’en savait pas plus après qu’avant sur les candidats, leur programme, leurs équipes.
- L’absence de conclusion de la séquence de la primaire. Il n’y a pas eu de moments fédérateurs pour ressouder le parti après la bataille interne. Il a manqué l’équivalent de la Convention de Denver d’août 2008 scellant la réunification des Démocrates autour de Barack Obama.
La codification à froid est également nécessaire pour choisir entre les différents modèles de primaire. Les nombreux exemples étrangers montrent en effet une diversité de systèmes, dans leurs objectifs et leurs modalités :
- Les débats au sein du parti socialiste se cristallisent à tort autour du corps électoral : qui peut voter ? Il oppose les tenants de la « novation » favorables à une primaire ouverte aux sympathisants et ceux de la « tradition » qui défendent une primaire fermée réservée aux adhérents. Ce n’est pourtant pas l’enjeu principal : la distinction entre primaires ouverte et fermée est plus limitée qu’il n’y paraît.
D’abord, point fondamental, il n’y a pas d’enjeu sur la désignation : le résultat d’une primaire ne change pas selon qu’elle est ouverte ou fermée. Globalement, les militants votent comme les sympathisants. Pour une raison simple : les militants sont représentatifs des sympathisants.
Par ailleurs, les différences de corps électoral peuvent s’estomper en pratique, dès lors que la primaire fermée est « élargie ». Le système retenu en 2006 des « nouveaux adhérents » à tarif réduit (20 euros) a, de fait, permis de faire voter près de 100.000 sympathisants. En descendant le tarif au niveau italien, à 5 voire 1 euro, on obtiendrait des afflux massifs de votants et le PS deviendrait, au moins le temps de la présidentielle, un parti de masse, intégrant en son sein ses sympathisants. Une primaire fermée élargie à des nouveaux adhérents à 1 euro se rapprocherait dès lors singulièrement d’une primaire ouverte.
- Le principal enjeu est ailleurs : la date du vote – le choix du leader en fin ou en début de mandature ? Il assigne à la primaire des objectifs différents. Choisir le leader en fin de mandature, juste avant la présidentielle, c’est choisir le candidat à la présidentielle : c’est un modèle de type présidentiel, à l’instar des Etats-Unis. Le choix du leader en début de mandature correspond à un autre modèle, de type parlementaire : dès le début de la mandature, la défaite électorale consommée, on choisit un nouveau leader de l’opposition, candidat, sauf accident, à la direction du pays aux prochaines échéances électorales. C’est le modèle britannique, singulièrement celui des tories.
- Un autre enjeu clé est le champ politique de la primaire : le PS ou toute la gauche ? Une primaire de toute la gauche, sur le modèle italien, permet d’unifier les partis de gauche autour d’un candidat unique. C’est une primaire de légitimation : le candidat est connu d’avance. Une primaire au sein du PS est une primaire compétitive dont l’objectif est de trancher entre des candidatures concurrentes.
3. Deux modèles pour la gauche
Le rapport conclut en analysant les modèles théoriques applicables à la gauche française :
La primaire de toute la gauche : un modèle à écarter
Une primaire pour toute la gauche, sur le modèle italien, aurait deux vertus. D’abord, une unification des partis de gauche, éloignant le spectre de l’élimination au premier tour de 2002. Ensuite, une mobilisation du « peuple de gauche » autour d’un candidat unique : cela règlerait le problème des reports de voix au second tour.
Une telle primaire ne semble pourtant pas praticable en France. L’extrême gauche refuserait de rentrer dans un tel processus. La primaire se limiterait à la gauche de gouvernement et deviendrait du coup contre-productive : elle cliverait la gauche entre gauche de gouvernement et gauche radicale, libérant ainsi un espace politique considérable pour cette dernière. Même au sein de la gauche de gouvernement, la faisabilité de la primaire paraît aléatoire. Des partis de l’ex-gauche plurielle (PCF, Verts) pourraient ne pas jouer le jeu non plus, tant il est difficile de renoncer à la visibilité politique et aux moyens financiers qu’offre la participation au premier tour de l’élection présidentielle.
Au fond, une primaire de toute la gauche n’a guère de sens en France car elle existe déjà : il s’agit du premier tour de l’élection présidentielle. Le vrai enjeu se situe bien au sein du PS, pour trancher entre ses compétiteurs.
La primaire PS de type présidentiel : le modèle le plus adapté à la vie politique nationale, mais le plus éloigné de la vie partisane socialiste
Le premier système de primaire possible, le plus spontané, est une primaire au sein du parti pour désigner le candidat à la présidentielle. Issue de l’exemple américain, elle constitue le prolongement de l’expérience de 2006, sa codification à froid rationnelle et « professionnelle ».
Cette primaire aurait les caractéristiques suivantes :
1 – La date de la primaire serait placée en fin de mandature, comme en 2006, afin de tester l’adéquation du candidat avec l’opinion, dans la logique du régime présidentiel français.
Pour permettre de surmonter les divisions nées de la primaire, le temps entre la désignation et le début de la campagne présidentielle doit être suffisant. Idéalement, une primaire en juin 2011 permet de se donner l’été pour panser les plaies et repartir en septembre pour le combat présidentiel d’avril 2012.
2 – Le vote se ferait sur la base d’un scrutin uninominal à deux tours, comme pour la présidentielle.
3 – L’accès à la candidature serait large.
L’objectif est que toutes les personnalités légitimes à concourir puissent le faire : les principaux responsables politiques du parti bien sûr, mais aussi les « outsiders » de la nouvelle génération et les personnalités populaires ou aux états de service éminents mais en marge du système partisan. La sélection ne doit pas se faire avant, mais pendant la primaire.
Pour cela, il faut assouplir la règle trop restrictive retenue en 2006 (soutien de 15% du conseil national) mais aussi en changer la nature. Cette règle repose en effet exclusivement sur l’assise dans l’appareil : seul un chef de courant important peut concourir. D’autres logiques peuvent être introduites.
C’est pourquoi le rapport propose que puisse être candidate toute personne remplissant les conditions d’éligibilité à la présidence de la République, et soutenue par au moins 10% des votants dans l’un des collèges suivants : les parlementaires socialistes (logique de leadership national émergent), les maires socialistes (reconnaissance de l’expérience politique locale), les adhérents du Parti socialiste depuis au moins six mois à la date du vote (logique de popularité), les membres du conseil national du parti socialiste (logique d’appareil).
Ce système correspond à une ouverture et une diversification, tout en évitant les candidatures marginales.
4 – La primaire serait ouverte aux sympathisants.
Il s’agit de privilégier l’effet de modernité et de dynamique qu’offre la primaire ouverte. Dynamique électorale : la primaire ouverte aboutit d’abord à une légitimation forte du candidat. La force de l’investiture de Prodi par 4 millions de citoyens, ou d’Obama par 35, est incomparable à la désignation par 200.000 socialistes français. Et dynamique démocratique : une telle primaire répond au désir de participation citoyenne. L’exemple de la « primaire Veltroni » en Italie – 3.5 millions de votants pour une élection sans enjeu réel – est révélateur de cette jubilation participative.
La primaire ouverte pose certes des problèmes mais ils peuvent être surmontés.
Il y a des problèmes techniques. Comment éviter le risque de bourrage des urnes en l’absence de listes d’électeurs pré-établies ? L’exemple italien montre que c’est possible. Qui prend en charge le coût de la primaire, tant pour leur organisation matérielle que pour la campagne des différents candidats ? La primaire 2006 montre qu’elle peut être menée à coûts limités. La « primaire Prodi » prouve même qu’elle peut s’auto-financer.
Il y a surtout un problème politique : le rôle des adhérents et donc, in fine, du parti. Une primaire ouverte aux sympathisants priverait les militants de la principale raison de leur engagement au sein d’un parti : la possibilité de choisir, le pouvoir de sélectionner le candidat. Elle ouvrirait la voie à un affaiblissement supplémentaire des fidélités partisanes. Cet argument est réel. L’évanescence du Parti démocrate aux Etats-Unis fait réfléchir. Mais les exemples étrangers tendent à montrer que les primaires ouvertes ne préfigurent pas la mort, mais la transformation du militantisme et de la vie partisane. L’exemple italien, là encore, est intéressant. Le militant n’a certes plus le monopole de la désignation, qu’il partage avec les sympathisants. Mais il se voit confier deux autres rôles spécifiques. D’abord, l’organisation logistique de la primaire : c’est une fonction importante et valorisante que d’organiser un tel évènement démocratique, qui au surplus possède un impact médiatique très positif – établissement des listes électorales, tenue des bureaux de vote, décompte et annonce des résultats. Ensuite, la présentation des programmes des candidats : les militants deviennent les porte-parole de leur candidat, dans des réunions organisées par le parti pour informer les sympathisants. L’exemple le plus achevé en est le caucus américain.
5 – Les modalités de campagne permettraient une pleine compétition, afin de choisir le « meilleur » candidat.
Les électeurs de la primaire doivent, à l’issue de la campagne, tout connaître des candidats – leur personnalité, leur programme, leurs équipes.
Les primaires américaines sont hyper-compétitives. Leur secret, c’est le séquençage : le vote État après État, dans le cadre d’une course-poursuite par élimination progressive, tient les électeurs en haleine et démultiplie l’attention médiatique. Le système est-il transposable chez nous, dans le cadre d’un « tour de France électoral des régions » ? Rien ne s’y oppose en théorie. MM. Baylet et Schwartzenberg avaient déposé en 2006 des propositions de loi organisant une primaire à la française selon ce modèle. Mais de telles primaires décentralisées, qui font écho à l’organisation fédérale américaine, seraient très éloignées du système électoral qui régit notre élection présidentielle. Une primaire nationale unitaire calquée sur la présidentielle (comme les primaires américaines sont calquées sur la présidentielle aux Etats-Unis) paraît plus crédible.
Si le séquençage du vote est difficilement transposable, la campagne de la primaire doit avoir une durée et une intensité suffisantes pour organiser la mise à l’épreuve des candidats. Le rapport propose ainsi une campagne « officielle » inspirée des modalités de campagne présidentielle. Elle s’étalerait sur plusieurs mois, par exemple de mars à juin. Elle comporterait des figures imposées qui lui donneraient son rythme, avec notamment un grand débat télévisé de second tour entre les finalistes.
6 – La clôture de la campagne garantirait la réunification du parti en vue de la campagne présidentielle.
Les résultats de la primaire seraient entérinés dans le cadre d’un congrès extraordinaire. Il constituerait une grande messe unitaire symbolique rassemblant le vainqueur et les autres candidats, sur le modèle de la Convention démocrate. Il serait l’occasion de les associer au lancement de la campagne présidentielle, par exemple en les intégrant à l’équipe de campagne. Le vainqueur pourrait également offrir un « lot de consolation » au principal battu, par exemple un « ticket » Président/Premier ministre – ticket qui n’est cependant pas aujourd’hui dans la tradition française.
Tels sont les principaux éléments de ce que pourrait être une « primaire PS de type présidentiel ». Ce modèle est toutefois très éloigné de nos traditions partisanes. Il pose un problème critique de fonctionnement du parti, amené à fonctionner « sans tête », dans l’attente du leadership présidentiel issu de la primaire. Il nécessite une refonte en profondeur du parti, sous peine de perpétuer les dysfonctionnements observés entre 2002 et 2006 :
- La première réforme concerne la fonction de Premier secrétaire. Il ne doit pas être un « présidentiable », sous peine de fausser la primaire à venir. Ce doit être un « secrétaire général » de bonne foi organisant la vie collective interne entre les candidats potentiels et le déroulement loyal de la primaire dans l’intérêt général du parti. Dans l’idéal, il a interdiction statutaire de se porter candidat à la primaire.
- La deuxième réforme concerne le leadership de l’opposition. Il n’est guère envisageable de s’en priver pendant la quasi-totalité d’une mandature. Puisque ce leadership ne peut plus être exercé par le Premier secrétaire, il doit basculer à la présidence du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. C’était l’idée sous-jacente à la création, en 2007, d’un shadow cabinet parlementaire par Jean-MarcAyrault. C’est le cas aux Etats-Unis.
- La dernière réforme est liée à la réflexion programmatique. Cette réflexion ne doit plus être collective mais liée à chaque candidat : lors de la primaire, on choisit un candidat et son programme. La logique consistant à établir d’abord le programme du PS et choisir ensuite un candidat pour le porter à la présidentielle ne fait pas sens. Cela signifierait que la primaire porte exclusivement sur la personnalité, et pas sur les idées (déjà arrêtées). Cela aboutit inéluctablement à un conflit entre le programme du PS et celui du candidat. Il faut donc permettre à chaque candidat potentiel de mener sa réflexion programmatique de manière professionnelle, afin de la présenter in fine lors de la primaire. Cela passe par le renforcement des think tanks politiques liés au PS, avec lesquels les candidats pourraient librement travailler.
La primaire PS « de type parlementaire » : un modèle plus en phase avec le fonctionnement du parti socialiste.
Un autre modèle de primaire est possible, qui apporterait le bénéfice démocratique de la primaire tout en étant calé sur le fonctionnement actuel du parti. Il s’agirait d’une primaire de désignation du leader de l’opposition, tirée de l’exemple britannique, sur un mode parlementariste.
La « primaire PS de type parlementaire » se différencierait du modèle précédent sur deux points principaux :
1 – La date de la primaire serait fixée en début de mandature. En gros, l’année suivant l’élection présidentielle – 2008 pour cette mandature. Il s’agit en effet désigner le chef de l’opposition, en début de séquence, mais il faut aussi se laisser un peu de temps après la présidentielle, à la fois pour se remettre de la défaite électorale, reconstituer les forces militantes et pour organiser la compétition entre les prétendants. L’opposition est de toute manière inaudible pendant les premiers mois qui suivent l’élection d’un nouveau président.
2 – Il s’agirait d’une primaire interne élargie.
La primaire viserait à désigner le premier secrétaire du parti. Il n’est pas illogique, dès lors, de réserver le vote aux adhérents du parti. La « primaire Veltroni » montre toutefois que l’on peut procéder par primaire ouverte. Surtout, le moment de la primaire peut être l’occasion de relancer le parti après la défaite électorale, en suscitant des adhésions pour participer à la désignation du chef de l’opposition. La primaire interne pourrait donc être élargie à de nouveaux adhérents, à tarif réduit voire très réduit (1 ou 5 euros), ce qui en ferait un exercice proche d’une primaire ouverte.
Au total, cette primaire présente deux avantages majeurs.
Le premier est de garantir l’existence d’un leader de l’opposition légitime – en d’autres termes, de régler structurellement la crise de leadership au sein du PS. Il y a automatiquement un leader à l’issue de la primaire et il serait légitime : il obtient toujours plus de 50% des suffrages, au second tour ; il l’obtient sur son seul nom et dans le cadre du suffrage universel direct. Le parti fonctionne alors normalement sous la houlette de son leader, les divisions sont atténuées avec le temps.
Ce chef du parti est le candidat naturel – sauf accident – à la présidentielle à venir. Il peut toutefois être remis en cause dans le cadre d’une primaire présidentielle de fin de mandature. Mais cette primaire revêt une toute autre allure : elle est une primaire de légitimation du leader de l’opposition, à l’approche des échéances présidentielles, et non plus une primaire de compétition. En cas d’accident, c’est-à-dire si le premier secrétaire ne s’est pas révélé à la hauteur de la tâche, il est renversé lors de cette seconde primaire.
Le second avantage est la proximité avec le fonctionnement actuel du parti. Il suffirait de faire passer l’élection du premier secrétaire avant le vote des motions lors du congrès – en quelque sorte, s’aligner sur l’ordre présidentielle/législatives du quinquennat. Il n’y aurait donc pas de réformes profondes du parti à mettre en œuvre.
Ce modèle n’est à l’inverse pas entièrement en phase avec la réalité présidentaliste du régime politique français. Le lien entre la personnalité du leader et l’électorat n’est plus testé en temps réel, au risque d’un désajustement. Si ce modèle avait été appliqué après 2002, il n’aurait pas abouti à la désignation de Ségolène Royal, mais sans doute à celle de François Hollande.
*
En conclusion, la primaire de type présidentielle est la plus logique, dans un système présidentialiste français plus proche des Etats-Unis que des démocraties parlementaires européennes, la plus attrayante aussi. Mais elle est difficile à mettre en œuvre en raison des réformes profondes qu’elle induit dans le fonctionnement du parti, et qui sont la condition clé de son succès.
A l’inverse, la primaire de type parlementaire est moins adaptée, mais beaucoup plus proche du fonctionnement partisan actuel. Elle pourrait être mise en place très aisément. Et ce serait déjà un progrès décisif par rapport aux défaillances structurelles actuelles.
La question du mode de sélection des candidats à la direction du
pays se pose dans toutes les grandes démocraties occidentales.
Elle se pose en France avec une acuité particulière : aucune
procédure institutionnelle n’est en effet stabilisée, ni à droite ni
à gauche.
La crise actuelle de la gauche française est avant tout une crise de leadership . La succession de Lionel Jospin n’est toujours pas assurée. Contrairement à la droite, aucun leader « naturel » ne s’est imposé et les institutions actuelles du parti socialiste ne permettent pas de choisir entre les compétiteurs. Il est vital pour le parti socialiste de mettre en place une procédure de sélection efficace et pérenne.
Faut-il, dans ce contexte, introduire en France un système de primaire ? Et si oui, selon quelles modalités ? Tel est l’objet de ce rapport. Aux termes d’une analyse inédite, tirant les leçons des antécédents français, notamment de la primaire socialiste de
2006, et menant pour la première fois l’étude comparée des exemples étrangers (États-Unis, Italie, Royaume-Uni, Grèce…), il propose de codifier une « primaire à la française » et théorise deux modèles : la « primaire de type présidentiel » et la « primaire de type parlementaire ».
Le rapport est issu des travaux du groupe « projet Primaire » de Terra Nova . Il est signé par Olivier Duhamel, professeur des universités à Sciences Po, et Olivier Ferrand, président de Terra Nova .
Le groupe de travail était composé d ’Olivier Duhamel et Olivier
Ferrand (présidents), Alain Bergounioux, Loïc Blondiaux, Anne- Lorraine Bujon, Aurélie Filippetti, Antoine Garapon, Marc Lazar, Bernard Manin, Jean-Louis Missika, Jean-Luc Parodi, Matthias Fekl (rapporteur), Cédric O et Romain Prudent (animateurs). Stéphane Rozès et Nicolas Sauger ont également contribué aux travaux.
Terra Nova est une plate-forme intellectuelle progressiste qui a pour but de produire des propositions innovantes de politiques publiques.
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☎ 01 45 50 29 53 secretariat@tnova.fr www.tnova.fr
POur une Primaire à la Française
Olivier Duhamel
Olivier FerranD
présidents du groupe de travail de Terra Nova
sur les primaires
matthias Fekl
rapporteur
Pour une Primaire
à la française
Pour une primaire
à la française
Rapport du groupe de travail de Terra Nova
« Projet Primaire »
Présidents Olivier Duhamel
Olivier Ferrand
rapporteur Matthias Fekl
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du groupe de travail Loïc Blondiaux
Anne-Lorraine Bujon
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Jean-Luc Parodi
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Terra Nova
Née le 13 mai 2008, Terra Nova est une plate-forme intellectuelle
progressiste qui a pour but de produire des propositions inno-
vantes de politiques publiques. Elle souhaite renforcer l’expertise
de la gauche et contribuer à la rénovation de sa « matrice idéolo-
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rés pour le faire.
Dans cette perspective, Terra Nova entend importer dans la
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tions indépendantes, dédiées à la réflexion politique, et dotées
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tout en Europe.
Pour atteindre ses ambitions, Terra Nova mobilise un réseau intel-
lectuel important par sa qualité, sa densité, son ouverture inter-
nationale :
– son conseil d’orientation scientifique réunit 100 des personna-
lités intellectuelles les plus en vue de l’espace progressiste fran-
çais et européen ;
– son cabinet constitue un réseau de 250 experts, issus de la fonc-
tion publique, de l’entreprise et du monde associatif. Il offre une
Sommaire
Terra Nova . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
ChAPITRE 1
Primaires en France : les précédents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1971 : des racines théoriques anciennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1995 : la première application officielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
2006 : la première primaire moderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
ChAPITRE 2
Primaires à l’étranger : les leçons à tirer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Les États-Unis ou l’hyper-primaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Des primaires ouvertes compétitives
tive européenne et donnent accès aux meilleures solutions expé-
Une primaire ouverte de légitimation
rimentées hors de France. | pour le leader de la coalition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 37 |
Terra Nova , enfin, est un espace collectif et fédérateur. | Évaluation du modèle italien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 38 |
Terra Nova est une plate-forme ouverte à tous ceux qui cherchent | Enseignements pour la France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | 41 |
un lieu pour travailler sur le fond, au-delà des courants et des par-
tis, au service de la rénovation intellectuelle de la gauche et du
Le Royaume-Uni ou la double légitimation . . . . . . . . . . . . . 41
Le parti conservateur : des primaires fermées
L’expérience grecque du sondage délibératif . . . . . . . . . . . . . 45
La théorie du sondage délibératif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Application politique : une procédure hétérodoxe
pour une sélection informée du candidat . . . . . . . . . . . . . . . . 48
Évaluation du sondage délibératif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Enseignements pour la France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Autres exemples étrangers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
ChAPITRE 3
Gauche française : un système à inventer . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Pour un système de primaire à la française . . . . . . . . . . . . . . . 56
Un retour en arrière ni souhaitable ni réaliste . . . . . . . . . . . . . 56
Une nécessaire codification « à froid » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Les enjeux d’un système de primaire à la française . . . . . 64
Le champ politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Les candidatures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Le corps électoral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
La date du vote . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
La campagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Deux modèles pour la gauche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
La primaire de toute la gauche : un modèle à écarter . . . . . 74
La « primaire PS de type présidentiel » : le modèle
le plus adapté à la vie politique nationale,
mais le plus éloigné de la vie partisane socialiste . . . . . . . . 74
La « primaire PS de type parlementaire » : un modèle plus
en phase avec le fonctionnement du parti socialiste . . . . 81
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Annexes
1. Composition du groupe de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
2. Éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
3. Résultat de la consultation
des adhérents de Terra Nova . Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
4. Proposition de loi déposée par Jean-Michel Baylet
et Roger-Gérard Schwartzenberg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
5. Synthèse des contributions
pour le congrès de Reims . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
Préface
Le présent rapport est tiré du premier groupe de travail de Terra Nova , intitulé « projet Primaire ».
Pourquoi avoir choisi de consacrer ce premier groupe à un sujet en apparence aussi technique que l’organisation d’un système de primaire présidentielle ?
C’est que la crise contemporaine de la gauche française est pour une grande part une crise de leadership . L’avenir de la gauche passe par l’élaboration de modalités de désigna- tion efficaces de son leader .
En 2006, pour la deuxième fois, le candidat socialiste à l’élection présidentielle a été choisi à travers une procédure de primaire. Faut-il pérenniser cette procédure, et com- ment ? Quelles leçons tirer des exemples de primaires à l’étranger, nombreux et variés ? Tel était l’objet des travaux de Terra Nova .
Ce rapport est une œuvre collective. Il doit beaucoup à son rapporteur, Matthias Fekl, qui a synthétisé avec brio les analyses et les réflexions du groupe.
Le rapport résulte d’une véritable pensée collective grâce aux membres du groupe de travail. Anne-Lorraine Bujon, Marc Lazar et Nicolas Sauger (auditionné) ont permis l’ana- lyse des modèles étrangers : ce travail de comparaison n’avait, à notre connaissance, jamais été réalisé en France. Loïc Blondiaux et Bernard Manin ont mis au service du groupe leur science politique, Jean-Luc Parodi et Stéphane Rozes
(auditionné) leur connaissance de l’opinion. Alain Bergou-
nioux, Aurélie Filippetti et Jean-Louis Missika ont apporté
leur vision politique, leurs connaissances du fonctionnement
et de l’histoire du parti socialiste et de la gauche. Antoine
Garapon, enfin, a donné la distance nécessaire « vue de
Sirius ».
Nous tenons également à remercier nos deux animateurs,
Cédric O et Romain Prudent, qui ont organisé la logistique
du groupe : réunions, auditions, comptes rendus…
Sur le plan méthodologique, le groupe s’est réuni à douze
reprises en formation plénière, entre les mois de mars et de
juillet 2008. Il a synthétisé la littérature disponible − peu
abondante en France. Il a procédé aux auditions de ses
membres et débattu sur le fond.
Les conclusions du rapport n’engagent formellement que
ses deux signataires. Mais le travail du groupe a fait l’objet
d’un large consensus et aucun membre n’a souhaité émettre
une opinion dissidente.
Olivier DuhAMEL et Olivier FERRAND
11 août 2008
Introduction
« Oui, ce sera à travers le monde de demain la grande question politique, celle dont dépendra pour une large part la légitimité de la démocratie. Non pas, ou pas seulement, comme hier : qui sera élu ? mais aussi, avec une insistance croissante : qui sera candidat ? » Ainsi Jacques Julliard ouvre-
t-il une récente chronique, justement sous-titrée : « Et si l’heure était venue pour le peuple d’imposer ses propres can- didats1 ! »
la question du mode de sélection des candidats à la direction
du pays se pose dans toutes les grandes démocraties occidentales.
Les procédures de candidature et de sélection, résultat de
l’histoire et de contextes politiques singuliers, y font l’objet
de débats, d’analyses et de luttes de pouvoir récurrents.
Cette question se pose en france avec une acuité particulière.
Aucune procédure institutionnelle n’est en effet stabilisée, ni
à droite ni à gauche.
À droite, la formidable montée en puissance de Nicolas
Sarkozy à partir de 2002, conjuguée à l’empêchement de ses
principaux concurrents potentiels (Alain Juppé, Dominique
de Villepin), ont permis de réussir la succession de Jacques
Chirac. Mais, au-delà de ces circonstances individuelles,
1. le Nouvel observateur , 12–18 juin 2008, p. 46.
aucune procédure institutionnelle ne garantit la désignation
du leader .
La crise actuelle de la gauche française est avant tout une crise de leadership . Il n’est certes pas aisé de reprendre le flambeau à la suite de François Mitterrand et de Lionel Jos- pin. Mais le problème est d’abord structurel : à gauche non plus, il n’y a pas de procédure pour trancher la concurrence entre les talents. Il a fallu six ans de crise, entre 1 1 et 1 7, pour assurer la succession de François Mitterrand, avec un dénouement largement fortuit. Combien d’années faudra-
t-il pour permettre celle de Lionel Jospin ? En l’absence de circonstances conjoncturelles favorables, dans une compéti- tion où les positions sont trop serrées pour qu’un responsa- ble « naturel » ne s’impose, la crise de direction perdure. Les institutions actuelles du PS ne permettent pas de la résoudre.
Cette crise est en soi un handicap majeur pour la com- pétitivité de la gauche. Mais elle est aussi à la source de ses autres crises : la crise des alliances et la crise du projet. En l’absence de leader , impossible de négocier des alliances
− surtout quand les candidats ont des vues divergentes sur le périmètre de ces alliances. En l’absence de leader , difficile aussi de travailler sur le fond : la légitimité manque pour organiser le travail collectif, et chaque candidat tend à tra- vailler pour lui-même.
Il est vital pour le parti socialiste de mettre en place une procédure de sélection stable et efficace. hormis François Mitterrand, aucun candidat socialiste n’a jamais gagné une élection présidentielle. Ébranlé par trois défaites successives aux élections présidentielles de 1 5, de 2002 et de 2007, le parti socialiste doute de sa capacité à choisir « le meilleur candidat possible ». Il est l’objet d’une double tentation : d’un côté, celle du repli sur soi et sur les certitudes militantes ; de l’autre, celle de la « fuite en avant », consistant à chercher ailleurs, dans les sondages, une sélection « objective ».
Au total, l’amélioration de la vie démocratique du pays
passe par l’élaboration d’une procédure institutionnelle de
désignation du candidat à la présidentielle − un sujet qui
peut recouper, on le verra, celui du choix du principal res-
ponsable du parti.
Dans ce contexte, la procédure la plus souvent évoquée est celle
de la primaire. une primaire consiste à faire dépendre le choix
du leader au suffrage universel direct de la « base ». son intro-
duction en france mérite d’être étudiée, pour trois raisons.
D’abord, la primaire permettrait d’adapter le fonction-
nement des partis au régime de type présidentiel français,
fortement renforcé par le quinquennat. Dans un tel régime,
qui crée un lien direct entre le président et le peuple, il ne
suffit pas de travailler sur les idées et le projet. Il est parti-
culièrement nécessaire de tester aussi la personnalité du can-
didat à la présidentielle et de vérifier son adéquation à l’opi-
nion publique. C’est ce que permet la primaire, en le
désignant par un vote au suffrage direct. C’est toute la
logique des primaires aux États-unis.
Ensuite, la primaire introduit une modernité institu-
tionnelle au sein des partis. Elle développe la démocratie
dans leur fonctionnement : le choix du candidat n’est plus
entre les mains de l’appareil ni de ses cadres, mais confié à
la base militante voire sympathisante. Elle répond également
à un besoin contemporain de personnification de la poli-
tique. C’est ce qui explique que des systèmes de primaire se
soient implantés dans les régimes parlementaires européens
− Italie, Royaume-uni, ponctuellement en Allemagne.
Enfin, il y a désormais un antécédent important en
France : la primaire de 2006 au sein du parti socialiste, qui
a permis de choisir Ségolène Royal comme candidate à la
présidentielle, face à Dominique Strauss-Kahn et Laurent
Fabius. Cette primaire a été un succès. Elle a d’ailleurs
entraîné l’organisation d’une primaire « concurrente » à
l’uMP, largement factice, pour légitimer la candidature pré-
sidentielle de Nicolas Sarkozy. Mais cette primaire n’était
pas codifiée : ses règles, édictées à chaud, présentaient de
profondes carences ; ses conséquences institutionnelles sur
le fonctionnement du parti n’ont pas été tirées.
faut-il introduire un système de primaire en france ? et si oui, selon quelles modalités ? Tel est le champ d’analyse du pré- sent rapport.
Nous nous sommes focalisés sur la primaire à gauche . C’est en effet la mission première de Terra Nova . C’est en outre là que sont aujourd’hui les enjeux : la droite possède son leader , pas la gauche. C’est là que se situe l’actualité poli- tique : les primaires devraient constituer le principal clivage du prochain congrès du parti socialiste, à Reims. C’est là, enfin, que la question se pose de manière concrète : s’il n’est pas crédible, au moins à court terme, d’envisager une légis- lation généralisant les primaires à tout le paysage politique français, la perspective d’une codification des primaires à gauche, ou au sein du parti socialiste, est réelle.
C’est donc d’abord à la gauche que doit être proposée une boîte à outils conceptuelle et opérationnelle pour les échéances à venir.
Le rapport déploie une analyse en trois temps. Dans une première partie, il établit le diagnostic historique des pri- maires socialistes en France. Contrairement à une idée reçue, les primaires ont des racines anciennes à gauche : leur prin- cipe date de 1 71 et une première primaire présidentielle a eu lieu dès 1 5. Mais c’est naturellement de la primaire de
2006 qu’il faut tirer les principaux enseignements pour l’avenir.
La deuxième partie procède à un tour d’horizon inter- national : États-unis, Italie, Royaume-uni, Grèce… Les
primaires sont partout récentes, même aux États-unis où
elles n’ont été étendues et codifiées qu’au début des années
1 70. Elles présentent des profils variés, tant dans leurs
objectifs que dans leurs modalités. Le rapport analyse les
spécificités de chaque système, pour en mettre en lumière
les avantages, les inconvénients − et pour vérifier sous quelles
conditions ils pourraient faire l’objet d’une transposition en
France. Si aucun système n’est directement transposable, tous
fournissent des enseignements utiles.
Dans la dernière partie, nous revenons à la France d’au-
jourd’hui. Le rapport conclut à l’utilité de principe d’un sys-
tème de primaire pour la gauche et propose de codifier une
« primaire à la française ». Il en étudie les enjeux : champ
politique, candidatures, corps électoral, campagne, date du
vote. Il écarte les systèmes jugés inappropriés, en particulier
celui d’une primaire de toute la gauche. Il modélise deux sys-
tèmes de primaire possibles pour la gauche, la « primaire PS
de type présidentiel » et la « primaire PS de type parlemen-
taire », en insistant sur les conséquences qu’elles entraînent
sur le fonctionnement du parti. Car le chantier de la pri-
maire engage la conception du parti, militant ou « de
masse », fermé ou ouvert, parlementaire ou présidentiel, tra-
ditionnel ou moderne.
On le voit : le chemin nous conduit de la France d’hier
à la France de demain, en passant par le monde d’au-
jourd’hui. Il n’est pas sans détours, mais c’est la meilleure voie
possible vers une modernité plus démocratique.
Chapitre 1
Primaires en France : les précédents
Contrairement à une idée reçue, les primaires ne sont pas une novation complète en France. Elles ont des racines anciennes et des précédents dans la pratique socialiste. L’élection du candidat à la présidentielle par les membres du parti est inscrite dans les statuts du parti socialiste dès le congrès d’Épinay en 1 71, et c’est pour des raisons essen- tiellement circonstancielles qu’aucune primaire n’a eu lieu pendant plus de vingt ans. L’année 1 5 marque un tour- nant, avec la première primaire officielle du parti socialiste entre henri Emmanuelli et Lionel Jospin. Mais c’est à l’oc- casion de l’élection présidentielle de 2007 qu’a eu lieu la pre- mière primaire moderne en France.
1971 : des racines théoriques anciennes
Dans l’imaginaire collectif du parti socialiste, la dési- gnation du candidat à la présidentielle se faisait historique- ment par l’appareil, au sein du comité directeur de la rue de Solférino : les barons du parti, forts des mandats dont ils étaient détenteurs (proportionnels au poids de leur courant lors du congrès), décidaient du candidat, dans le secret d’une négociation similaire à la désignation du pape par les cardi- naux au Vatican. Et ce n’est qu’à partir de 1 5 que le pou-
voir de désignation aurait été transféré à la base dans le cadre
d’une primaire.
Cette présentation est inexacte. En réalité, la désignation
du candidat à la présidentielle par les adhérents a été pré-
vue dès 1 71 à Épinay, dans les nouveaux statuts du parti
socialiste. un des apports de François Mitterrand, d’ailleurs
mal compris sur le moment, a été d’adapter le PS à la logique
présidentielle des institutions de la Ve République. Il parais-
sait cependant évident à l’époque que le premier secrétaire
serait le candidat naturel à l’élection présidentielle.
Les circonstances exceptionnelles qui président aux élec-
tions de 1 74, après le décès du Président Georges Pompi-
dou pendant l’exercice de son mandat, ne créent pas les
conditions d’un affrontement interne au parti socialiste. En
dépit des statuts, récents, le comité directeur présente la can-
didature de François Mitterrand sans autre forme de débat.
Seul candidat, il est investi par le vote des adhérents lors d’un
congrès extraordinaire.
La situation évolue pour les élections présidentielles de
1 81. La séquence oppose le favori des sondages, Michel
Rocard, et le premier secrétaire, François Mitterrand. La pri-
maire n’aura pourtant pas lieu.
En 1 7 , au congrès de Metz, la bataille pour le leader-
ship du parti tourne à l’avantage de François Mitterrand.
Celui-ci, pour gagner, utilise toutes les ressources de son
poste. Sa victoire est le résultat d’alliances d’appareil. Ajou-
tée au positionnement tactique de Michel Rocard (qui
affirme ne pas être candidat si François Mitterrand l’est), elle
s’avère décisive dans le choix du candidat pour l’élection de
1 81. Alors même que les sondages désignent Michel
Rocard comme étant le seul à pouvoir battre Valéry Giscard
d’Estaing, François Mitterrand répond à l’appel qu’il a lui-
même suscité au sein des cadres du parti. Il dissuade ainsi
Michel Rocard de se présenter. Seul candidat officiel à la
présidentielle, il remporte l’investiture du parti sans com-
battre, par un vote des adhérents en janvier 1 81. La victoi-
re politique de François Mitterrand à Metz a donc entraîné
sa désignation comme candidat à la présidentielle. Ses res-
sources intérieures au parti et sa légitimité de fondateur lui
ont permis de contredire le choix de l’opinion publique et
d’éviter la primaire face à Michel Rocard. La logique d’ap-
pareil continue donc de primer dans le choix du candidat
pour la présidentielle de 1 81, en dépit des statuts d’Épinay.
En 1 88, le président sortant n’est pas vraiment contesté par Michel Rocard. François Mitterrand assure sa désigna- tion lors d’une convention nationale extraordinaire. L’épi- sode n’apporte pas d’enseignement quant aux primaires socialistes.
1995 : la première application officielle
La première primaire officiellement organisée en tant que telle survient à l’occasion de l’élection présidentielle de
1 5. Le libre choix des adhérents l’emporte alors sur les stratégies de courants. En 1 4, la crise de leadership du PS est patente. Elle est le résultat des difficultés connues par les socialistes à la fin du second septennat de François Mitter- rand (affaires, défaite aux européennes, etc.). Les candidats
« naturels » à la succession, Michel Rocard et Laurent Fabius, qui se sont affrontés lors des congrès précédents (Rennes, Liévin), ne sont pas en situation. henri Emma- nuelli, qui a été élu premier secrétaire à la tête d’une motion de rassemblement large mais disparate, demande à Jacques Delors de « faire son devoir » mais celui-ci, à la surprise générale, refuse de concourir.
Lionel Jospin, pourtant marginalisé à l’issue du congrès
de Liévin, s’engouffre dans la brèche et présente sa candi-
dature en janvier 1 5. henri Emmanuelli refuse de le lais-
ser passer et présente à son tour sa candidature. La première
primaire socialiste, qui soumet au vote des adhérents la com-
pétition entre deux candidats à l’investiture, s’engage. La
campagne est brève, puisqu’elle ne dure que trois semaines.
Elle reste aussi assez sommaire : aucun débat n’oppose les
candidats et seule une profession de foi est envoyée aux mili-
tants. Elle met aux prises deux logiques d’appareil voisines :
les états-majors font campagne en sollicitant « à l’ancienne »
les soutiens des courants, des fédérations, des notables.
Cette première primaire, quoique sommaire, livre trois enseignements fondamentaux. Le premier enseignement, c’est que la primaire naît de l’absence de leadership . Si Jacques Delors, leader légitime à la présidentielle, avait accepté la candidature, il n’y aurait pas eu de primaire.
Deuxième enseignement : la base militante vote comme les sympathisants, et non comme l’appareil. Sur le papier, sur la base des résultats du congrès, henri Emmanuelli est net- tement favori. Le jour du vote, les pronostics des deux états- majors, issus des calculs d’appareil, sont identiques : un résul- tat au coude à coude, du 50–50. Or le résultat donnera Lionel Jospin largement vainqueur, avec 66 % des suffrages.
Les experts du parti se sont trompés. Le choix des cadres du parti n’a pas été suivi par la base, qui s’est affranchie des logiques d’appareil. Pourquoi ? Les adhérents ont peut-être considéré que Lionel Jospin était le mieux placé pour l’em- porter ou, en tout cas, pour permettre au parti socialiste, au premier tour, puis à la gauche, au second, d’obtenir un score honorable au vu du contexte politique général. Ou bien ils ont voté par affect : premier secrétaire lors du premier sep- tennat, Lionel Jospin est resté associé dans l’imaginaire des militants à des temps plus heureux que son concurrent. Il a
paradoxalement profité de sa mise à l’écart, qui lui a évité
d’être associé aux problèmes que connaissait alors le PS. Tou-
jours est-il que les adhérents ont voté comme les sympathi-
sants, et non comme les cadres.
Troisième enseignement : la primaire pose un problème de légitimité pour le premier secrétaire. Au terme de l’élec- tion présidentielle, le parti socialiste se retrouve pour la pre- mière fois confronté concrètement à la cohabitation entre la légitimité de son premier secrétaire et celle de son candidat à la magistrature suprême. Le bon score de Lionel Jospin, en dépit d’une campagne menée indépendamment de la rue de Solférino (probablement plus encore que ne l’a fait Ségo- lène Royal en 2007), légitime alors sa position de leader des socialistes. Mais henri Emmanuelli demeure le premier secrétaire et aucune procédure institutionnelle ne permet de trancher le conflit de légitimités.
Il faut tout l’esprit de parti d’henri Emmanuelli pour décider de se retirer et laisser le poste à Lionel Jospin. Ce dernier accepte mais demande l’onction militante pour ce
« coup de force » institutionnel, à travers un vote direct des adhérents sur sa désignation comme premier secrétaire. Pour
« habiller » ce vote, il réforme les statuts et institue, à la suite des congrès, l’élection du premier secrétaire au suffrage uni- versel direct des militants. C’est un pas de plus vers la pré- sidentialisation du parti et un risque supplémentaire de conflit de légitimités.
L’élection présidentielle de 2002 est une élection de tran- sition du point de vue des primaires. Personne ne conteste sérieusement le caractère naturel de la candidature de Lio- nel Jospin, Premier ministre en exercice. Seul un inconnu, Claude Escarguel, se présente, posant d’ailleurs pour l’ave- nir la question des candidatures marginales et des modali- tés de leur encadrement.
2006 : la première primaire moderne
Le 21 avril 2002 produit un profond traumatisme. Il conduit à une crise de leadership durable, qui est à l’origine de la primaire de novembre 2006.
Au lendemain du retrait de Lionel Jospin, après son échec au premier tour de la présidentielle, trois leader s potentiels émergent : François hollande, le premier secré- taire en exercice ; Laurent Fabius, ancien Premier ministre, le « plus ancien dans le grade le plus élevé » ; et Dominique Strauss-Kahn, le ministre le plus brillant de la mandature Jospin. Mais aucun ne se sent assez fort pour lancer la bataille du leadership − et ce d’autant plus que l’ombre tuté- laire de Lionel Jospin revient rapidement hanter le champ de bataille socialiste. Les trois candidats putatifs se neutra- lisent ainsi au congrès de Dijon en 200 , où ils se retrouvent sur la même motion majoritaire. La seule passe d’armes véri- table a lieu en 2004 à l’occasion de la campagne interne sur le traité constitutionnel européen : Laurent Fabius y tente un renversement d’alliances avec l’aile gauche du parti mais échoue à devenir majoritaire sur le « non » à la constitution. Au congrès du Mans de 2005, la synthèse des motions vient reconstituer artificiellement le triumvirat de Dijon.
Aucun ne fait non plus de percée médiatique. La straté- gie des trois compétiteurs, qui mènent une pré-campagne d’appareil à Solférino et dans les fédérations, ne le permet sans doute pas. L’espace médiatique ainsi laissé en friche est capté de manière fulgurante par Ségolène Royal. Celle-ci avait toujours obtenu des scores élevés dans les sondages lorsqu’elle était ministre. Elle avait aussi marqué les esprits lors des régionales : par sa victoire sur le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin en Poitou-Charentes, elle symbolisait la victoire des socialistes et lui offrait un visage neuf – la
« Zapatera », disait-on à l’époque. En quelques semaines, à
partir d’octobre 2005, elle réussit une ascension exception-
nelle dans les sondages et devient la favorite de l’opinion
pour la candidature socialiste à la présidentielle. Alors qu’elle
partait de zéro dans l’appareil, elle enregistre à partir de jan-
vier 2006 des soutiens croissants de cadres et de fédérations,
mouvements renforcés par le renoncement progressif de
François hollande.
Au final, c’est une primaire présidentielle à trois candi-
dats qui se met en place, entre Ségolène Royal, Dominique
Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Il s’agit de la première pri-
maire « moderne » au sein du parti socialiste. Elle a une tout
autre ampleur que celle de 1 5. Elle passionne l’opinion
publique et les médias. Elle permet une confrontation
publique – parfois vive – entre les candidats.
Les règles de la primaire ont été codifiées par le parti,
dans le cadre d’une « charte d’organisation du débat interne »
adoptée le 26 septembre 2006 par le bureau national du
parti. Elles sont inspirées des dispositions constitutionnelles
et législatives qui régissent l’élection présidentielle elle-
même :
− le champ politique de la primaire est limité au parti socia-
liste. Certains ( Jean-Michel Baylet et Roger-Gérard
Schwartzenberg2, notamment, dès 2004) ont proposé d’or-
ganiser une primaire de toute la gauche, afin d’éviter
l’émiettement des candidatures de gauche et d’écarter ainsi
le spectre de 2002. Il n’y a pas été donné suite ;
− les candidatures sont sélectionnées sur la base d’une règle
d’appareil : elles doivent être soutenues par au moins 0
des 200 membres titulaires du conseil national, soit 15 %
du « parlement » du parti. Laurent Fabius et Dominique
2. La proposition de loi de R.-G. Schwartzenberg à l’Assemblée nationale (reprise en termes identiques par J.-M. Baylet au Sénat) est reproduite annexe 4, p. 100–10 .
Strauss-Kahn, appuyés sur leurs courants au sein de l’ap-
pareil, les obtiennent sans difficulté. Ségolène Royal aussi,
forte du ralliement des troupes hollandaises. Mais pas Jack
Lang, qui ne réunit pas les signatures nécessaires et jette
finalement l’éponge ;
− le corps électoral est limité aux adhérents du parti. Il s’agit
de primaires « fermées ». Mais une campagne massive
d’adhésion à prix réduit (20 euros) est organisée. Elle
aboutit à faire voter plus de 100 000 nouveaux adhérents.
Leur comportement électoral nourrit d’ailleurs les spécu-
lations ;
− la campagne officielle a été réglée dans le détail. une durée
courte : six semaines, entre le dépôt des candidatures le
octobre et le vote le 16 novembre. Des événements
cadrés. Trois meetings régionaux devant les adhérents du
parti, où seule la presse écrite était admise (Clermont-Fer-
rand, Paris et Toulouse, respectivement les 1 et 20 octobre
et le novembre). Trois débats thématiques, diffusés en
direct sur deux chaînes de télévision (questions écono-
miques et sociales, le 17 octobre ; sujets de société et envi-
ronnement, le 24 octobre ; questions européennes et inter-
nationales, le 7 novembre) ;
− le vote est aligné sur celui de la présidentielle : scrutin
majoritaire à deux tours. Mais un seul vote suffira : Ségo-
lène Royal emporte la majorité absolue dès le premier tour
avec 60,62 % des voix contre 20,8 % à Dominique
Strauss-Kahn et 18,54 % à Laurent Fabius, dans un scru-
tin aux suffrages massivement exprimés.
Quelles leçons tirer de cette grande première en France ? D’abord, la primaire de 2007 confirme les enseignements de celle de 1 5. L’origine de la primaire est la même : une crise de leadership au sein du parti. Mais, contrairement à 1 5, on commence à théoriser l’absence de leadership et la néces-
sité d’une primaire : la primaire était vue comme un pis-aller
en 1 5 ; elle devient la norme en 2007.
La primaire marque à nouveau la victoire de l’opinion
sur l’appareil. La base militante du parti a voté comme l’opi-
nion. Tous les sondages d’intention de vote auprès des sym-
pathisants socialistes donnaient Ségolène Royal vainqueur,
dans une fourchette entre 58 % et 62 %, parfaitement
conforme au vote de la base . La différence avec 1 5, c’est
l’alignement de l’appareil : les experts de l’appareil prédi-
saient aussi une victoire de Ségolène Royal autour de 60 %,
les cadres ont voté comme la base.
Le conflit de légitimités entre le premier secrétaire et la
candidate à la présidentielle s’est reproduit. Ségolène Royal,
présente au second tour et auteur d’un score honorable, a
réaffirmé la légitimité de ses 17 millions d’électeurs le soir
même de l’élection. Mais contrairement à henri Emma-
nuelli, François hollande n’a pas cédé son poste.
Plus fondamentalement, la primaire de 2007, par l’en-
gouement qu’elle a suscité, a eu des effets positifs, tant sur
le lancement de la campagne présidentielle de la candidate
que sur l’image du parti, brusquement modernisée. À l’in-
verse, les sérieuses déficiences d’organisation de la primaire,
codifiée « à chaud », ont eu des conséquences contre-pro-
ductives, aggravant notamment les conflits au sein du parti.
Nous y reviendrons dans le troisième chapitre.
. Il y a toutefois une déformation entre l’opinion et la base militante sur les résultats concernant les deux autres candidats. Dominique Strauss-Kahn est sur- évalué dans les sondages (entre 27 % pour Ifop et 6 % pour Opinion Way), tan- dis que Laurent Fabius est sous-évalué (seulement 6 % pour Opinion Way).
Chapitre 2
Primaires à l’étranger : les leçons à tirer
Les primaires se sont donc implantées en France ces der- nières années, de manière encore « artisanale ». Cette tendance suit l’évolution constatée dans les démocraties occi- dentales modernes. Les primaires se développent un peu partout. Elles constituent bien sur un élément structurant de la démocratie présidentielle américaine. Mais elles ont aussi essaimé dans les démocraties parlementaires euro- péennes. L’Italie, de manière spectaculaire, en témoigne. Mais on les retrouve également au Royaume-Uni, en Grèce, ou encore ponctuellement en Allemagne. Les primaires n’y sont pas univoques : par la diversité de leurs objectifs et de leurs procédures, ces exemples étrangers fournissent des sources utiles d’enseignements pour la France.
Les États-Unis ou l’hyper-primaire
Des primaires ouvertes compétitives pour désigner le candidat du parti
Les primaires américaines sont perçues comme la quin- tessence de la primaire. L’opposition entre Barack Obama et Hillary Clinton en a fourni l’actualité. Il est vrai qu’il s’agit des primaires les plus anciennes et les plus codifiées. Il faut toutefois relativiser cette réalité.
D’abord, si le principe des primaires est en effet ancien,
leurs modalités n’ont été codifiées que récemment − vers
1970.
Les premières primaires sont organisées en 1912. Avant cette date, les candidats à la présidence des États-Unis étaient désignés par des conventions nationales de chaque parti et, auparavant encore, par les seuls membres du congrès. Contrairement à de nombreux points structurants du système politique américain, elles n’ont pas de fondement dans la Constitution, mais sont le fruit d’évolutions pro- gressives.
Initialement, leur mise en place est impulsée par des intellectuels progressistes qui veulent à la fois mettre fin à la mainmise de l’appareil et de l’ establishment partisans sur la désignation des candidats et « prendre le pouls » de l’opinion nationale. En 1912, seuls 12 des 50 États américains orga- nisent des primaires, mais la mécanique semble dès lors enclenchée : au cours de la décennie, de plus en plus de pri- maires et de consultations similaires sont organisées à tra- vers le pays. Pourtant, entre 1920 et 1960, la dynamique se casse, et les désignations se décident à nouveau à l’intérieur des partis. C’est entre 1968 et 1972 que les primaires réap- paraissent, pour devenir systématiques − ou quasi systéma- tiques, les présidents sortants n’étant pas toujours soumis à des primaires, en l’absence de challenger dans leur propre camp.
Il faut aussi relativiser la « professionnalisation » des pri- maires américaines : leur codification demeure relativement lâche. Dans le contexte d’un État fédéral où chaque État, chaque parti fédéré veulent peser dans le choix national, les primaires américaines se distinguent par leur saisissante hétérogénéité et par l’absence de réelle cohérence d’ensemble du système. Des États procèdent par primaires, d’autres par caucus à un, deux, trois, cinq étages. Certes, contrairement à
la primaire française de 2006, les règles de la compétition
sont largement codifiées à froid. Mais ces règles procèdent
de sources très différentes et sont remises en cause élection
après élection. Elles relèvent d’un compromis entre le parti
fédéral, le parti fédéré, l’État et les candidats. Il arrive que
l’on ne trouve aucun accord et que l’on aboutisse à une situa-
tion de grande confusion, comme cette année en Floride et
au Michigan. Le parti démocrate dans ces États a en effet
délibérément bravé les règles nationales sur les dates des pri-
maires, édictées par le Democratic National Committee (pré-
sidé par Howard Dean). Les primaires démocrates dans ces
États ont malgré tout été organisées, posant la question de
la prise en compte ou non des délégués désignés dans leur
cadre.
Les modalités d’organisation des primaires sont donc relativement récentes, encore instables, et très variables d’un État à un autre. Des caractéristiques communes peuvent toutefois être dégagées.
L’objectif des primaires américaines est d’organiser une compétition pour sélectionner le meilleur candidat. Il n’y a pas de véritable hiérarchie préétablie. Il n’y a pas, notam- ment, de chef du parti qui préempterait la compétition du fait de sa légitimité institutionnelle : le chef du parti est un secrétaire général, dont la mission est d’organiser de bonne foi, et dans les meilleures conditions, la compétition. Les pri- maires américaines sont des primaires de compétition.
Chaque parti organise ses primaires, qui concernent exclusivement la sélection de son propre candidat. Dans le cadre d’un système bipartisan (démocrates versus républi- cains), il n’y a pas de primaires au sein d’une coalition de partis, contrairement à l’Italie par exemple. Des candidats
« hors bipartisme » peuvent le cas échéant apparaître (Ralph Nader par exemple) mais ils n’ont jamais percé lors de l’élec- tion présidentielle.
En termes de financement, le principe est que les États
financent l’organisation du vote, et les primaires des deux
partis se tiennent le même jour dans le même lieu. Mais si
le parti pense qu’un État est particulièrement stratégique, il
peut décider d’y financer la primaire sur fonds propres, et
d’en faire un événement d’envergure. Les candidats finan-
cent quant à eux leur campagne.
Le nombre de candidats aux primaires n’est pas prééta-
bli. Les conditions pour figurer sur le ballot divergent d’un
État à l’autre, un candidat peut même parfois concourir sans
y figurer. Une constante empirique toutefois : il faut démon-
trer une capacité à lever des fonds pour prendre part à la
compétition. Cette règle n’est pas une barrière trop difficile
à franchir pour être sur la ligne de départ et débuter la com-
pétition : du coup, le nombre initial de candidats est le plus
souvent élevé, de l’ordre de la dizaine. Elle est en revanche
difficile à maintenir dans la durée, quand les financeurs
constatent que le candidat n’est plus dans la course pour la
victoire finale : c’est pourquoi les candidats jettent rapide-
ment l’éponge, jusqu’à laisser place, le plus souvent, à un duel.
Le dernier candidat en lice face au futur vainqueur aban-
donne lui-même la plupart du temps avant la fin.
Le corps électoral est variable selon les États. Les pri-
maires peuvent être fermées : le droit de vote appartient aux
seuls électeurs affiliés au parti4. Semi-ouvertes : le droit de
vote appartient non seulement à ces électeurs affiliés, mais
aussi aux électeurs « indépendants5 ». Ou bien encore
ouvertes : le droit de vote appartient à tous les électeurs dans
les conditions de droit commun. Les modalités d’inscription
pour participer au vote sont en général assez souples, mais
4. Il s’agit des citoyens américains qui ont déclaré leur affiliation à ce parti lors de leur inscription sur les listes électorales. Il s’agirait, dans les systèmes euro- péens, de sympathisants « enregistrés ».
5. Il s’agit des électeurs qui ne sont affiliés à aucun parti sur les listes électorales.
on ne peut prendre part au vote que dans l’un des deux
camps, démocrate ou républicain, un contrôle de régularité
étant effectué a posteriori . À noter que, dans les primaires
ouvertes, ce contrôle n’interdit pas à un sympathisant (affi-
lié) républicain de participer à la primaire démocrate s’il le
souhaite, mais à la condition qu’il ne participe pas alors à
celle de son propre camp : chacun est ainsi libre de partici-
per à la primaire qui l’intéresse le plus ou lui semble la plus
stratégique. Des blanket primaries , où tout le monde pouvait
voter partout, ont pu exister par le passé, mais elles ont été
jugées inconstitutionnelles.
Toutefois, la primaire semi-ouverte s’est imposée comme le mode le plus fréquent de désignation. Les électeurs indé- pendants, qui peuvent alors prendre part au scrutin démo- crate ou au scrutin républicain, voient leur influence gran- dir, et ce d’autant plus qu’ils sont de plus en plus nombreux.
Les modalités de vote ajoutent à l’hétérogénéité. Dans les primaires classiques, le vote se fait dans le cadre habituel d’un bureau de vote, dans le secret de l’isoloir. Mais il existe aussi un autre mode de désignation, très particulier : le caucus . Il s’agit d’un mode de désignation délibératif : les électeurs, rassemblés dans le cadre de « réunions de débat » ( caucus ), participent à des échanges de présentation des can- didats ; ils éliminent progressivement les groupes les plus minoritaires, jusqu’à retenir leurs délégués au caucus de niveau supérieur ; ces délégués délibèrent à nouveau à l’étage supérieur, et ainsi de suite, jusqu’à désignation finale du camp vainqueur, au niveau de l’État. Les caucus du Texas, par exemple, s’étalent dans le temps, et la campagne qui se déroule simultanément au niveau national ne manque pas d’influer sur le choix des participants
Les modalités de la campagne constituent en outre une des spécificités les plus déterminantes du système. Il y a la durée, très longue : près de huit mois entre l’ouverture de la
campagne, en janvier, et sa clôture officielle lors de la
convention, fin août. Certes, il est rare que la compétition se
poursuive jusqu’au bout, le vainqueur se dessine le plus sou-
vent en cours de route. Toujours est-il que la campagne des
primaires est plus étendue que la campagne présidentielle
officielle, confinée en septembre et octobre.
Mais l’originalité fondamentale de la campagne, ce n’est
pas sa durée mais son séquençage. Les campagnes et les
votes se font État par État, dans une compétition par étapes
avec classement provisoire à l’issue de chaque étape. Les
votes s’étalent sur cinq mois. Ce séquençage garantit l’at-
tention des médias et de l’opinion sur la longue durée. Il crée
aussi des dynamiques. Que le résultat dans un État soit plus
favorable que ce qui était escompté, et une dynamique peut
s’enclencher pour la suite.
Les États dans lesquels se déroulent les premières pri-
maires ont ainsi une influence sensiblement supérieure à
celle des autres, tant sur la dynamique d’ensemble que sur le
résultat final. Une étude sur les primaires opposant John
Kerry et Howard Dean considère ainsi que les premiers élec-
teurs à voter ont eu une influence vingt fois supérieure à ceux
votant en dernier6. Les candidats et les sondeurs investis-
sent donc plus dans ces États, et en vue de chaque élection
présidentielle, les États fédérés sont tentés d’organiser leur
primaire avant celles des autres. De fait, le calendrier s’est
peu à peu avancé et resserré − le Super Tuesday , qui réunit
une masse critique de primaires, a désormais lieu en février,
non plus en mars, et il regroupe de plus en plus d’États. Face
au caractère antidémocratique de ce tempo, certains avan-
cent d’ailleurs aujourd’hui des projets de réformes, comme
des calendriers rotatifs, qui donneraient à chaque État, un
jour ou l’autre, son heure de gloire.
6. Brian G. Knight et Nathan Schiff, “Momentum and Social Learning in Pre- sidential Primaries”, NBER Working Paper , no W13637, novembre 2007.
Le processus de primaires se conclut par une convention
nationale, qui investit définitivement le candidat du parti.
Les primaires de chaque État désignent les délégués fédé-
raux qui voteront lors de la convention nationale de dési-
gnation.
Au moment de l’attribution des délégués d’un État, les démocrates préfèrent un système proportionnel tandis que les républicains privilégient le système du winner takes all , où le vainqueur d’un État remporte l’ensemble de ses délé- gués. Le premier système est jugé plus équitable, le second plus efficace dans sa capacité à dégager des majorités claires.
Pour corser encore plus le tout, les primaires peuvent être binding (contraignantes) ou non-binding (non contraignan- tes), selon que les délégués reçoivent un mandat impératif ou non (mandat dit « représentatif »). En 1980, Jimmy Car- ter était arrivé en tête à l’issue du vote militant dans les pri- maires, mais lors de la convention, l’appareil avait tenté, sans succès, de retourner les votes des délégués à mandat repré- sentatif au profit de Teddy Kennedy, au motif que ce dernier était le seul à pouvoir éviter la défaite à la présidentielle. On retrouve aussi à la convention les « superdélégués ». Créés au début des années 1980, à l’issue de l’épisode Carter/Kenne- dy, ces superdélégués (près de 20 % des votes à la conven- tion désormais) représentent l’ establishment du parti. Ils sont censés éviter qu’un candidat trop « hétérodoxe », notamment trop « extrémiste », en bref impropre à gagner l’élection pré- sidentielle elle-même, ne soit choisi par une base manipu- lée par l’activisme militant. On retrouve enfin à la conven- tion les délégués des candidats ayant abandonné la course : ils peuvent voter librement ou se reporter en bloc sur tel ou tel candidat.
Au total, l’incertitude qui pèse sur le choix final à la convention peut être très forte. Les délégués des candidats éliminés, les délégués dotés d’un mandat représentatif et les
superdélégués peuvent disposer de leur vote. Pendant
quelques semaines mi-2008, certains observateurs de la vie
politique américaine se sont ainsi livrés au pronostic suivant :
et si la victoire de Barack Obama issue du vote militant était
retournée à la convention du parti démocrate à Denver, no-
tamment par les superdélégués représentant un establishment
favorable à Hillary Clinton ? En réalité, l’histoire montre
que la convention tend à renforcer, et non à renverser, la vic-
toire du candidat qui n’aurait gagné que d’une courte tête
au vote militant : les délégués « libres », dont l’objectif prio-
ritaire est la victoire à la présidentielle, peuvent alors déser-
ter leur affiliation naturelle pour offrir une plus nette vic-
toire au vainqueur et renforcer ainsi sa légitimité pour la
présidentielle. C’est ce qui est arrivé en 1980 à la convention
républicaine qui a conforté la victoire de Ronald Reagan face
au candidat de l’ establishment George Bush. C’est aussi ce
qui était en train de se passer pour Obama, avant qu’Hillary
Clinton ne jette l’éponge.
Évaluation du modèle américain
Les primaires américaines présentent trois séries d’avan- tages. En premier lieu, elles ont un effet bénéfique sur la vie démocratique.
Un effet politique : l’engouement et la médiatisation y sont extrêmes. Il suffit d’avoir suivi les primaires 2008 ou d’avoir vu certaines œuvres de fiction américaine plus ou moins librement inspirées de la réalité7 pour mesurer à quel point ce périple des candidats conduit à une très large médiatisation de ceux-ci, au cours de leurs meetings ou des divers événements qui jalonnent leurs campagnes, voire des péripéties imprévues qui en pavent le chemin.
7. Voir en particulier le film Primary colors , de Mike Nichols, et la sixième sai- son de la série West Wing .
Et un effet électoral : les primaires ont un effet positif
sur la participation au vote. Dans un pays fortement abs-
tentionniste, elles sont l’occasion pour beaucoup de s’inscrire
sur les listes électorales. De manière très concrète, elles per-
mettent par exemple aux militants des deux grands partis
d’obtenir les coordonnées téléphoniques et électroniques de
leurs sympathisants respectifs, ce qui leur permet ensuite de
leur rappeler d’aller voter le jour de l’élection générale.
En deuxième lieu, les primaires américaines, en raison de leur très grande sélectivité, garantissent la légitimité et la qualité du candidat retenu. Le vainqueur des primaires a été désigné par des millions de citoyens. Le vote s’est fait en toute connaissance de cause : grâce à la profondeur de la campagne, on sait tout des candidats − leur personnalité, leurs équipes, leurs propositions. C’est donc bien « le meilleur » qui est retenu.
Le vainqueur des primaires est armé pour la présiden- tielle. Il a sillonné le pays de longs mois durant. Il a pu en tester le « pouls », vérifier son adéquation avec l’opinion pu- blique, rôdé ses discours. Les primaires l’ont mis à l’épreuve. Elles permettent aussi de « purger » ses défauts. Exposée dès les primaires, la faille d’un candidat, parce qu’il y a survécu, ne sera plus un argument important au moment de la cam- pagne présidentielle. C’est le cas par exemple des prêches agressifs du pasteur de Barack Obama, utilisés par Hillary Clinton lors des primaires, et dès lors guère utilisables par John McCain pour la présidentielle.
On avance souvent que l’intensité de la bataille interne affaiblit le vainqueur, notamment lorsque la primaire a été très serrée, et que, mécaniquement, la campagne s’est durcie. Ce n’est pas exact. Même dans une compétition au coude à coude comme celle de 2008, il reste du temps pour panser les plaies entre la fin des primaires et le début de la cam- pagne présidentielle. Surtout, la clôture de la phase des pri-
maires par une grande convention nationale permet de scel-
ler l’unité après la bataille interne, et de mettre le parti sur
les rails de la campagne présidentielle. Clôturant une période
d’affrontements vigoureux, elle met en scène les réconcilia-
tions. C’est généralement l’occasion d’annoncer le nom du
vice-président, souvent choisi parmi les anciens rivaux
( Johnson choisi par Kennedy, Bush choisi par Reagan). Les
perdants des primaires trouvent dans la convention l’occa-
sion d’afficher leur respect des règles, de s’afficher en bons
joueurs et en loyaux amis, avant de faire campagne pour leur
ancien concurrent.
En troisième lieu, les primaires américaines se distin- guent par leur indéniable contribution au renouvellement des dirigeants. Il n’est pas besoin d’être connu de l’opinion ou légitime politiquement pour participer aux primaires ; on se fait connaître, on devient légitime au cours des primaires. Le lancement des primaires permet d’exister avec peu de moyens, car il ne faut faire campagne que dans peu d’États. Il ne s’agit alors pas tant de victoire ou de défaite dans l’ab- solu, que de créer la surprise, en émergeant à un niveau inat- tendu. La dynamique ainsi générée permet de lever les fonds nécessaires pour poursuivre la campagne. Sans cette procé- dure de désignation, un Bill Clinton, en 1992, un Barack Obama aujourd’hui n’auraient pas pu s’imposer comme les candidats de leur parti face à des concurrents initialement largement plus connus et plus crédibles qu’eux. De même, Howard Dean a été révélé par les primaires de 2000, où il a réussi à obtenir une bonne visibilité avec ses méthodes de campagne innovantes. Ronald Reagan avait réussi à s’impo- ser comme candidat républicain à la troisième tentative, contre l’appareil du parti. John McCain avait « percé » en
2000, contre toute attente, alors que tout l’ establishment républicain soutenait George W. Bush. Et il a pu s’imposer à son camp en 2008.
Toutefois, l’engouement largement partagé pour les pri-
maires démocrates de 2008 ne doit pas faire oublier leurs
réelles carences. Les primaires posent d’abord le problème
de la personnalisation de la vie politique. Il est clair que la
personnalité des candidats joue un rôle fondamental. Mais
c’est le cas du système présidentiel américain dans son
ensemble, qui ne présente pas le même rapport entre per-
sonnalité du leader et projet politique que les démocraties
parlementaires européennes.
Les primaires américaines renvoient aussi, de manière aiguë, à la question de l’argent en politique. Il faut désor- mais lever plusieurs centaines de millions de dollars pour gagner des primaires − sans compter les centaines d’autres investies par les États et les partis dans leur organisation. Leur coût est très élevé et vient s’ajouter au coût des cam- pagnes électorales proprement dites. On rejoint là le pro- blème plus général du financement de la vie politique amé- ricaine et des modalités pour le moins limitées de son encadrement. Certes, ainsi que nous l’avons indiqué, ce n’est pas un obstacle au renouvellement : l’argent ne crée pas les leader s politiques, il va aux leader s politiques. Mais il soumet la sphère politique à l’influence de ses financeurs. On rap- pellera simplement pour mémoire que ce mode de fonc- tionnement, largement accepté et en tout état de cause géné- ralisé, accroît une politisation de l’administration déjà forte dans le cadre d’un spoil system : M. Stapleton, ni diplomate ni francophone, n’a-t-il pas été nommé ambassadeur des États-Unis en France en remerciement de son soutien finan- cier à George W. Bush lors des primaires ?
En outre, les primaires américaines allongent la séquence électorale de l’élection présidentielle. Dans un pays déjà mar- qué par des élections incessantes (élections présidentielles tous les quatre ans et, à mi-mandat, élections au congrès ; élections locales nombreuses et fréquentes), elles renforcent
le sentiment de « campagne permanente » au détriment d’un
travail politique de fond dans la durée.
Leur large ouverture conduit de plus à l’effacement des
partis : l’appareil démocrate n’a au plus qu’une influence rési-
duelle sur l’issue de la primaire, et les adhérents sont noyés
sous le flot des votes de sympathisants.
Enseignements pour la France
Si les primaires américaines paraissent attrayantes, leur transposition pure et simple est pourtant exclue. Le système, profondément lié au fédéralisme américain, est difficilement applicable dans le cadre d’un État unitaire comme la France. Une codification décentralisée, avec des règles variant par région ou par département, n’aurait guère de sens. De même, le système des délégués fédéraux à la convention nationale paraît moins démocratique, dans le contexte français, qu’un vote au suffrage universel direct.
Le coût des primaires américaines est pharaonique. Même en le replaçant à la mesure française, il reste que des primaires sont difficilement finançables en France à finan- cement inchangé des partis.
Il est en revanche possible de s’inspirer des primaires américaines. Il faudrait alors simplifier le système, dans le sens d’une plus grande unité et d’une organisation davan- tage rationalisée. À cette condition, les grands principes structurants des primaires américaines pourraient être repris :
− primaires au sein d’un seul parti, avec, le cas échéant, une procédure d’association à inventer pour les partis « frères »;
− désignation en fin de mandature, en vue de l’échéance pré- sidentielle ;
− issue ouverte dans le cadre d’une primaire de compétition ;
− vote ouvert aux sympathisants de gauche ;
− conditions souples de candidature ;
− campagne longue et approfondie ;
− événements institutionnels de clôture de primaires pour
restaurer l’unité.
L’Italie ou la jubilation participative8
Une primaire ouverte de légitimation pour le LEADER de la coalition
L’Italie a connu deux grandes primaires à gauche, en
2005 et 2007, la première pour désigner le candidat à diri-
ger le pays, la seconde le chef d’un nouveau parti.
La première, le 16 octobre 2005, permet à Romano Prodi
de prendre la tête de l’ Unione , la coalition de gauche regrou-
pant des partis allant des communistes aux centristes, en vue
des élections générales. Cette primaire connaît un immense
succès. Elle mobilise près de 4,3 millions de citoyens qui se
rendent dans l’un des 9 800 bureaux de vote mis en place
par l’ Unione à travers le pays. Romano Prodi, soutenu par les
deux principaux partis, l’emporte nettement, avec près de
75 % des suffrages, devant le candidat communiste Fausto
Bertinotti (15 %) et cinq autres concurrents.
La « primaire Prodi » présente des caractéristiques très
dissemblables du modèle américain. Il s’agit certes d’une pri-
maire ouverte aux électeurs, comme aux États-Unis. Tous
les sympathisants de l’ Unione , âgés de plus de 18 ans, italiens
ou résidents étrangers, sont appelés à désigner leur candidat
à la présidence du Conseil. Il leur suffit de s’inscrire sur les
listes électorales, dans les bureaux de vote, le jour du vote.
8. Voir notamment Manlio Cinalli, « Primaires à l’italienne », Revue française de science politique , avril 2007, p. 268 sqq .
Mais la primaire italienne concerne toute la gauche, et
non un seul parti (démocrate ou républicain). L’objectif est
d’unifier un paysage politique italien composé d’innom-
brables partis. Sa fragmentation est tenue pour responsable
des échecs à répétition face aux solides coalitions de la droite
autour de Silvio Berlusconi.
Contrairement aux États-Unis, la primaire italienne n’est
pas compétitive. Elle a été conçue pour légitimer Romano
Prodi. Tous les partis de la coalition sont d’accord sur son
nom. Les autres candidatures sont des candidatures de
témoignage (pour les leader s des petits partis de la coalition),
ou de préparation de l’avenir. Le résultat est connu d’avance.
Il s’agit d’une primaire de légitimation.
Enfin, contrairement encore aux primaires américaines,
la campagne est courte et le vote se déroule sur un seul jour.
Nul besoin, en effet, d’organiser une campagne très compé-
titive à partir du moment où il s’agit d’une procédure de légi-
timation.
Ainsi, la « primaire Prodi » se positionne comme un
modèle de primaire ouverte alternatif au modèle américain.
La seconde primaire concerne la désignation de Walter
Veltroni à la tête du parti démocrate. Le 14 octobre 2007,
3,5 millions de citoyens ont élu l’Assemblée constituante du
Parti démocratique, issu de la fusion des démocrates de
gauche et de la coalition centriste de la Marguerite. Ils ont
choisi pour premier secrétaire, à 76 %, le favori, Walter
Veltroni, qui a distancé ses quatre rivaux. La « primaire Vel-
troni » présente des conditions similaires à la « primaire
Prodi », sauf sur un point essentiel, son objectif : il s’agit de
désigner le leader de l’opposition, et non le leader de la coa-
lition électorale pour les élections générales.
Évaluation du modèle italien
Le modèle italien présente des atouts très attractifs. Il a rempli son objectif principal : unifier des forces politiques fragmentées en légitimant un leader unique. C’est le cas avec Prodi comme avec Veltroni.
Le remarquable succès de la participation crée une vraie dynamique électorale. C’est une force, en effet, d’être investi par plusieurs millions de citoyens. Et l’opération mobilise les sympathisants en prévision de la campagne nationale. La victoire de Romano Prodi aux élections générales de 2007 a certes été obtenue à l’arraché, mais tous les commentateurs s’accordent à penser que la primaire a constitué un facteur positif dans la bataille politique.
Cette participation a également apporté un gain d’image et de modernité, tant à la coalition organisatrice qu’à la classe politique tout entière. Il est significatif de noter que la par- ticipation a pu être très forte, même en l’absence de suspense. La « primaire Veltroni » est à cet égard exemplaire : 3,5 mil- lions de citoyens se sont déplacés pour ratifier un succès connu d’avance dans le cadre d’une désignation partisane sans enjeu électoral ! Le succès de cette primaire n’est donc pas seulement dû à une mobilisation préélectorale, mais aussi à un « plaisir participatif », à une « jubilation participative ». L’ampleur des mobilisations atteste d’une volonté de parti- cipation démocratique. Les primaires ont ainsi permis de répondre au climat d’« antipolitique », en donnant aux citoyens et à la « société civile » un rôle actif et positif dans la vie politique.
Notons enfin que ces primaires n’ont pas posé de pro- blème de financement. Les électeurs de la « primaire Prodi » ont ainsi consenti à verser une contribution pécuniaire en moyenne dix fois plus élevée que la participation minimale de 1 euro, exigée pour voter. La primaire s’est ainsi autofi- nancée, elle a même dégagé des bénéfices significatifs.
Malgré leur indéniable attrait, les primaires italiennes ne
sont pas sans inconvénients. Les modalités même de leur
déroulement, volontairement très souple et ouvert, en ont
fait des primaires assez peu contrôlées. Si aucune étude ne
permet de conclure avec certitude sur ce point, des dys-
fonctionnements dans la tenue des listes et des bureaux ne
sont pas à exclure. Les bureaux de vote n’étaient par exemple
pas interconnectés : une même personne pouvait ainsi voter
plusieurs fois, dans des bureaux de vote différents, sans
grande difficulté. De tels dysfonctionnements semblent
pourtant avoir été assez marginaux.
Plus fondamentalement, si ces primaires ont uni les par-
tis en lice en vue des échéances électorales, leur efficacité
dans la durée n’est pas avérée. La chute du gouvernement
Prodi, vingt mois après son accession au pouvoir, démontre
que la primaire n’a pas suffi à elle seule à cimenter durable-
ment la coalition, ni à donner à son chef une légitimité et
une autorité politiques indiscutées. De même, l’échec de
Walter Veltroni lors de l’élection générale anticipée d’avril
2008 a déjà écorné la popularité acquise lors de sa désigna-
tion. Les primaires ne constituent donc pas une réponse
miracle aux questions de l’unité à gauche, de l’autorité du
leader et du défi permanent représenté par Silvio Berlusconi.
Enfin, comme toutes les primaires ouvertes, les primaires
italiennes posent la question du sens à donner au militan-
tisme contemporain : à quoi bon cotiser, tracter, se réunir
pour débattre, en un mot, à quoi bon faire son travail de
militant, si tout sympathisant se voit in fine octroyer le pou-
voir de participer à la désignation du candidat qui relève tra-
ditionnellement du noyau dur des droits réservés aux seuls
adhérents d’un parti ?
Enseignements pour la France
La « primaire Prodi » semble a priori transposable en France pour une primaire présidentielle. Les objectifs pour- suivis peuvent faire sens dans notre pays. Elle favoriserait en effet l’unité de la gauche : l’émiettement des partis de gauche est un facteur d’affaiblissement. Il a même mené au désastre électoral le 21 avril 2002, avec l’absence de candidat de gauche au second tour de la présidentielle, au profit du can- didat d’extrême droite Jean-Marie Le Pen. Une telle pri- maire renforcerait aussi la légitimation du leader par l’en- semble des partis de gauche : elle faciliterait ainsi les reports de voix au second tour. Les procédures mises en place parais- sent également reproductibles dans le contexte français, sans difficulté particulière.
La « primaire Veltroni » est plus audacieuse dans le contexte français. Elle reviendrait à désigner un leader de toute la gauche (ou au moins de toute la gauche de gouver- nement) dès le début de la séquence électorale − et pas sim- plement en vue de l’échéance présidentielle : cela implique- rait la création d’une véritable fédération des partis de gauche. La désignation du chef de parti par primaire ouverte
− c’est-à-dire, concrètement, le premier secrétaire du parti socialiste au suffrage direct des sympathisants − constitue- rait également une novation fondamentale.
Le Royaume-Uni ou la double légitimation
Le parti conservateur : des primaires fermées pour désigner le LEADER de l’opposition
Les tories et le Labour possèdent des modes de désigna- tion assez proches. Les grandes caractéristiques sont com- munes. La date de désignation du leader se fait en début de
mandature. Il s’agit de désigner le chef de l’opposition, et
non, comme en Italie ou aux États-Unis, de désigner en fin
de cycle le leader pour les échéances électorales à venir. C’est
une différence fondamentale. Il y a un leader de l’opposition,
avec un statut au Parlement (l’opposition de sa Majesté). Ce
leader a vocation, sauf accident, à être aussi le leader pour les
échéances électorales et donc à devenir Premier ministre en
cas de victoire. En cas d’« accident », s’il devient patent en
cours de mandat qu’il ne fait pas l’affaire et entraîne le parti
à la défaite, il sera renversé par ses troupes à travers un vote
de défiance et un nouveau leader sera installé.
Le leadership se décide au sein de chaque parti. Comme
aux États-Unis, le système britannique ne nécessite pas d’al-
liances de partis.
Les candidatures sont assez fortement filtrées. Le sys-
tème britannique se caractérise par une prééminence forte
du modèle parlementaire. Conformément à ce modèle, le
leader est obligatoirement un parlementaire : il faut être
membre du Parlement et avoir gravi ses échelons pour pré-
tendre au leadership .
Il n’y a pas de primaires ouvertes : les sympathisants ne
sont pas appelés à voter. Tout se passe au sein des partis.
La compétition entre les candidats au leadership est
réelle. Sauf transition en douceur (comme entre Tony Blair
et Gordon Brown), il y a une bataille interne, relativement
rapide, mais le plus souvent féroce.
Voilà pour les points communs. Les différences concer-
nent pour l’essentiel le corps électoral de désignation : le
parti travailliste est resté sur un système privilégiant l’appa-
reil, alors que les conservateurs sont passés à des primaires
internes.
Le parti travailliste n’est pas passé au modèle des pri-
maires. Il fonctionne sur un système hybride mêlant choix
de l’appareil et vote des militants.
Jusqu’en 1981, la sélection se fait par le groupe parle-
mentaire. De 1981 à 1993, trois collèges électoraux sont mis
en place : le collège syndical (40 % des voix), le collège des
sections locales (30 %), le collège du groupe parlementaire
(30 %). Certains groupes (syndicats par exemple) votent en
bloc. Depuis 1993, la répartition des voix entre les différents
collèges a été équilibrée (1/3 chacun) et le vote devient indi-
viduel au sein de chacun d’entre eux en 1994.
Le système demeure plutôt dominé par les parlemen- taires, qui contrôlent aussi, indirectement, leurs sections. Surtout, les parlementaires gardent la main sur la désigna- tion des candidats au leadership : les candidats (eux-mêmes membres du Parlement) doivent obtenir 5 % des voix des parlementaires (20 % si le leader national est dans la course) pour pouvoir se présenter.
Le parti conservateur organise quant à lui une intéres- sante procédure de double légitimation. Jusqu’en 1965, le leader du parti est désigné selon la règle opaque du « cercle magique ». Un nom faisant « unanimité » est annoncé au sortir de réunions entre les caciques du parti, sans aucune transparence sur le processus de désignation. De 1965 à
2001, l’élection se fait par vote des membres du groupe par- lementaire. Il faut pour être désigné obtenir la majorité des votants (des inscrits à partir de 1974) et 15 % de voix de plus que le deuxième prétendant le mieux placé. Dans le cas où cette disposition ne se réalise pas, les candidats les moins bien placés sont successivement éliminés. Depuis 1974, l’élection se fait sur une base annuelle. La candidature d’un élu doit être confirmée par les membres du Parlement et le bureau national du parti.
Depuis 2001, les tories ont choisi un système à deux étages. Dans un premier temps, les membres du groupe par- lementaire départagent les candidats par votes successifs jus- qu’à n’en retenir que deux. Les deux finalistes ainsi désignés
sont appelés, dans un second temps, à se soumettre au vote
de l’ensemble des adhérents du parti. La campagne est rela-
tivement courte mais intense.
Évaluation de la procédure TORY
Cette double légitimation permet de coupler pouvoir des parlementaires (incontournable dans un modèle parlemen- taire) et démocratisation du système des primaires − même si elles sont fermées, limitées ici au seul suffrage des adhé- rents du parti.
La désignation en début de législature permet de doter le parti d’un leader pour toute la durée de celle-ci. Ce systè- me correspond donc bien aux spécificités d’une démocratie parlementaire où le leader du parti anime le travail de l’op- position parlementaire et joue le rôle de shadow Prime minis- ter . Il faut ainsi noter que le chef politique n’est pas, contrai- rement à la France, le premier secrétaire du parti : il existe un secrétaire général cantonné à un rôle administratif. Le chef politique, c’est le leader de l’opposition au Parlement.
En revanche, cette désignation précoce ne permet pas à la primaire de jouer un quelconque effet d’entraînement électoral, ni même de vérifier l’adéquation du leader avec les attentes de l’électorat à l’approche d’une échéance électorale. C’est certes moins important dans un régime parlementaire que dans un régime présidentiel, où l’adéquation du candi- dat avec l’opinion revêt une importance accrue. Malgré tout, dans une période marquée par l’importance des médias et la personnalisation de la politique, cela peut présenter des désa- gréments. Ce mode de désignation n’a pas empêché l’émer- gence de personnalités très charismatiques, comme Tony Blair. Il n’a pas permis à l’inverse d’écarter des personnalités inadaptées, comme, avant David Cameron, une série de leaders tories dont la faible popularité a contribué à mainte- nir Blair au pouvoir.
Enseignements pour la France
La spécificité parlementaire du cas britannique est diffi- cilement transposable en l’état en France. Cela impliquerait un transfert de pouvoir du parti vers le groupe parlemen- taire. Ce transfert n’est pas conforme à notre tradition poli- tique, où le leader politique est le premier secrétaire. Il est d’autant plus délicat à mettre en œuvre en l’absence d’un véritable statut de l’opposition parlementaire − que la récente réforme constitutionnelle a écarté.
Le cas tory est toutefois très intéressant pour la France. Il montre que l’on peut organiser une primaire en début de cycle pour désigner le leader de l’opposition, et pas unique- ment une primaire présidentielle en fin de cycle.
L’expérience grecque
du sondage délibératif
La théorie du sondage délibératif
La technique du sondage délibératif a donné lieu, en Grèce, à une forme très originale de primaire politique. Inventé il y a une vingtaine d’années par James Fishkin, pro- fesseur à l’université de Stanford, le sondage délibératif cherche à donner vie à deux principes clés de la démocra- tie : le débat sincère d’une part, la participation politique massive d’autre part. Il vise à informer l’opinion pour per- mettre un choix pleinement éclairé, sans définir en lui-même de direction particulière ni de programme précis. De ce fait, il est d’ailleurs plus utilisé par des fondations que par les gouvernements. S’il recourt à des techniques statistiques tra- ditionnelles, le sondage délibératif est néanmoins véritable- ment alternatif. Loin de vouloir révéler l’opinion « brute » telle qu’elle est, il cherche au contraire à produire l’opinion
« éclairée » que les citoyens auraient dans un monde idéal,
c’est-à-dire s’ils avaient la chance d’être pleinement infor-
més des enjeux des questions sur lesquelles ils sont amenés
à trancher.
Ce mode de consultation s’inscrit directement dans le courant de la démocratie délibérative, incarné notamment par Jürgen Habermas. Il insiste sur les vertus de la discus- sion contradictoire, qui permet d’aboutir à des décisions plus rationnelles et mieux consenties que les votes purement spontanés. En revanche, s’il se rapproche de la démocratie participative telle que la défend notamment Benjamin Bar- ber, il ne se fond pas complètement dans ce mouvement, dont le but originel est de politiser en masse la société pour produire de bons citoyens.
Le sondage délibératif est un concept peu connu en France, et pour cause : seule une quinzaine d’expériences ont été menées dans le monde selon cette méthodologie très particulière. Fishkin a d’ailleurs déposé la marque du son- dage délibératif, et on ne peut l’utiliser sans payer des droits à son centre de recherches ni sans lui confier la supervision de la procédure ! Il tient à jouer un rôle de garant, à l’image de ce que font les comités de pilotage dans les jurys de citoyens.
La sélection des candidats doit se faire au hasard, et être aussi aléatoire que celle des sondages traditionnels. Elle peut recourir à un panel initial de participants très variable, de
300 à 3 000 personnes, pour ne retenir, après un premier sondage, que deux à trois cents personnes. Celles-ci, globa- lement représentatives de la population (tout en étant, lois du genre obligent, un peu plus âgées et politisées que la moyenne), sont invitées à passer un week-end dans un lieu donné, en l’échange d’un dédommagement d’environ
150 euros par participant. Les participants sont alors réunis en séance plénière, où des spécialistes du sujet abordé leur
présentent des exposés. À titre d’exemple, un sondage déli-
bératif sur le thème de la sécurité verrait les interventions
de magistrats, d’agents de police, de gardiens de prison, d’an-
ciens prisonniers, de responsables d’associations de quartiers
difficiles… Ensuite, sont formés de petits groupes, animés
de façon objective, qui permettent à chacun de s’exprimer
librement. À la fin du week-end, on recueille les avis des par-
ticipants, et on les compare à ceux qu’ils avaient donnés au
début du week-end. On compare ainsi opinion « spontanée »
et opinion « éclairée ».
Le sondage peut porter sur des sujets variés : des Danois ont été interrogés sur l’euro, des Irlandais sur l’éducation, des Britanniques sur la sécurité, des Australiens sur la réconci- liation avec les Aborigènes ou l’abolition de la monarchie, des Roumains sur les politiques à destination des Roms, les habitants d’un district chinois sur les priorités budgétaires locales, etc. La démarche a un intérêt d’autant plus grand que peu d’informations sont disponibles sur le sujet, et que les enjeux qui y sont associés sont peu fixés. Les opinions sont sinon plus figées au départ, elles sont moins suscep- tibles d’évoluer et l’efficacité du sondage délibératif, mesu- rée à l’aune de l’amélioration de l’information des partici- pants et de l’ampleur du changement d’opinion, en pâtit.
L’événement doit par ailleurs être aussi médiatisé que possible. Un partenariat avec une chaîne de télévision est considéré comme l’idéal. En effet, l’objectif du sondage n’est pas de restreindre son influence au seul panel sélectionné, mais d’agir par son intermédiaire sur un ensemble plus large de citoyens. L’objectif est aussi la participation politique du plus grand nombre.
Les résultats des expériences menées sont intéressants à plus d’un titre. Au terme de ces sondages, les sondés ont par exemple été en moyenne beaucoup plus favorables aux éner- gies renouvelables, beaucoup plus favorables à l’abolition de
la monarchie en Australie. Les résultats ont pu être contra-
dictoires, comme sur la sécurité en Grande-Bretagne, où les
sondés ont été beaucoup moins favorables à la prison, mais
beaucoup moins hostiles à la peine de mort. Il reste que l’on
ignore les raisons réelles de ces changements d’opinion : est-
ce le niveau accru d’information et la meilleure qualité de
celle-ci ? Est-ce la délibération sur site, qui a enrichi et
nuancé les points de vue de chacun ? Est-ce enfin l’émer-
gence de leader s qui ont façonné les opinions suivant leurs
convictions ? Aucune étude sérieuse ne permet de trancher
de manière irréfutable ces interrogations.
Application politique : une procédure hétérodoxe pour une sélection informée du candidat
Très tôt, Fishkin a envisagé l’usage du sondage délibéra- tif à des fins de sélection d’un candidat, pour mettre un terme au processus des primaires américaines qu’il considère comme aléatoire et coûteux.
Le secrétaire général du Pasok, George Papandreou, influencé par un professeur d’université proche de Fishkin et statisticien de l’Éducation nationale lors de son passage au ministère, a proposé en 2006 de mener l’expérience d’un sondage délibératif pour désigner le candidat du Pasok aux élections municipales d’une ville proche d’Athènes, Marous- si − ville a priori ingagnable par le parti.
Cette expérience était notamment destinée à dépasser l’alternative insatisfaisante entre primaires ouvertes et sélec- tion des candidats par les partis. Le secrétaire général du Pasok voyait là une issue possible à un dilemme récurrent dans les grandes démocraties : les citoyens sont légitimes mais ils sont peu informés ; de l’autre côté, les militants sont réputés mieux informés au sujet de la vie publique, mais ils sont souvent considérés comme insuffisamment légitimes, car trop peu représentatifs des citoyens. La technique du
sondage délibératif permet d’« éclairer » des citoyens : on
conjugue ainsi légitimité et information. Aussi a-t-il été
décidé de réunir 160 participants, durant un dimanche
entier. Six candidats ont débattu devant eux. Il y a eu deux
tours d’élection et, au second tour, le gagnant, originellement
le moins connu des sondés, l’a emporté avec 57 % des voix.
Le candidat ainsi sélectionné a finalement été battu lors
de l’élection générale, avec 47 % des voix contre 53 % à son
adversaire. Cette circonstance est cependant en elle-même
insuffisante pour disqualifier le sondage délibératif comme
procédure de sélection, dès lors en particulier que la ville
pilote sur cette expérience n’est pas, traditionnellement, une
terre électorale favorable au Pasok. Le résultat électoral a
même constitué une bonne surprise.
Évaluation du sondage délibératif
Le sondage délibératif jouit, grâce à sa médiatisation, d’une visibilité très forte qui lui permet d’avoir un effet d’en- traînement sur l’opinion. Sa visée pédagogique lui confère en outre une symbolique positive, dès lors qu’à travers une information fournie et cadrée, il s’agit d’obtenir le vote de citoyens pleinement informés. De fait, le sondage délibéra- tif permet tout à la fois de discuter des enjeux de fond et de consacrer un candidat.
Il permet en outre de faire émerger une personnalité nouvelle, dont la victoire était inattendue au moment de l’amorce du processus. Enfin, d’un point de vue strictement matériel, le coût de cette procédure est bien moindre que celui de modes de sélection plus lourds, tels que les primaires traditionnelles.
Le sondage délibératif appliqué à la politique constitue toutefois une technique baroque. Fondamentalement, un sondage, aussi délibératif soit-il, ne reste qu’un sondage : s’arrêter aux votes d’un panel, même représentatif, remet
ainsi frontalement en cause le principe même de la démo-
cratie.
Force est d’ailleurs de constater qu’empiriquement, le
recours à de telles consultations est jusqu’à présent resté dans
une logique d’expérimentation unique, fort peu d’institu-
tions y ayant eu recours de manière répétée.
Enseignements pour la France
Au final, le sondage délibératif constitue un instrument intéressant d’information du public. On peut même le qua- lifier de concrétisation spécifique de l’idéal d’éducation civique et citoyenne. Il est en revanche improbable qu’il puisse être utilement mobilisé par les partis politiques comme instrument pertinent de choix de leurs candidats : approprié pour produire une opinion informée, le sondage délibératif l’est certainement moins pour structurer une pro- cédure de sélection.
En revanche, la volonté d’information, de production d’un choix éclairé mérite d’être approfondie.
C’est exactement ce que cherchent à susciter les caucus américains. Par rapport aux sondages délibératifs de Fish- kin, les caucus demeurent certes imprécis, approximatifs, ils peuvent être soumis à des manipulations de militants acti- vistes. Mais ils ont l’immense avantage, dès lors qu’il s’agit de vote démocratique, d’être grandeur nature et de ne pas se limiter à un sondage.
Il est sans doute possible d’inscrire la logique du caucus dans le cadre d’une campagne électorale classique de dési- gnation. Fishkin évoque l’idée d’un Deliberation Day pour l’élection présidentielle. Il s’agirait d’un jour férié consacré au débat politique avant chaque élection présidentielle. Les militants des partis viendraient présenter leur candidat et leur programme, et échanger avec les citoyens. L’objectif serait de permettre au plus grand nombre de procéder à des
choix plus éclairés, en mettant les citoyens à même d’échan-
ger avec les militants sur les principaux enjeux du débat
public. La mise en place d’une telle journée permettrait ainsi
aux citoyens d’être mieux informés, tout en étant libérés du
principe d’allégeance à une organisation partisane.
Le Deliberation Day pourrait aussi être mis en place dans
le cadre d’une primaire ouverte de désignation. La réussite
d’une telle journée est toutefois étroitement conditionnée au
renforcement, en amont, du travail de fond proposé aux
militants par les partis, lequel demeure encore trop souvent
le parent pauvre des partis politiques français.
Autres exemples étrangers
Les autres démocraties occidentales n’ont pas basculé à ce jour vers des systèmes de primaire. Seuls deux pays ont mis en œuvre, ponctuellement, une primaire : l’Allemagne et l’Espagne.
En Allemagne, la désignation repose sur l’expérience exé- cutive locale et les responsabilités partisanes et non, comme au Royaume-Uni, sur le groupe parlementaire.
À droite, au sein de la CDU, la sélection s’opère « tradi- tionnellement », au choix de l’appareil interne. Dansle cas d’Angela Merkel, cette dernière, installée au poste de secré- taire général de la CDU par le président fédéral Wolfgang Schaüble, est élue au poste de présidente en avril 2000 par un vote des délégués nationaux réunis en congrès (96 % des voix).
Au sein du SPD, jusqu’en 1993, le candidat est choisi par le praesidium du parti (13 membres) et systématiquement approuvé par les militants. Mais les statuts, révisés en 1993, prévoient désormais l’organisation de primaires internes.
Pour autant, ce cas de figure ne s’est réellement produit
qu’une fois, en 1993 justement, lors de primaires qui ont
opposé Rudolf Scharping, Gerhard Schröder et Oskar
Lafontaine pour une victoire du premier. En 1998, Schar-
ping, battu aux élections générales, fait avaliser Schröder
comme successeur, sans élections primaires.
En Espagne, le mode de désignation du parti populaire est similaire à celui de la CDU. Le candidat choisi par le parti est confirmé par les adhérents dans le cadre d’un vote plé- biscitaire sans compétition.
À gauche, le PSOE a lui aussi connu une expérience de primaire. Jusqu’en 1998, la désignation se fait via l’appareil du parti. En 1998, contesté par une partie des militants, le secrétaire général Joaquin Almunia organise les premières primaires internes au parti. À la surprise générale, c’est Josep Borrell qui l’emporte avec 55 % des voix. Après la démission de ce dernier suite à des scandales financiers, c’est Joaquin Almunia qui reprend les rênes du parti pour les élections de
2000. Après une nouvelle défaite aux élections européennes, régionales et municipales, José Zapatero est élu secrétaire général du parti par les délégués (995 personnes) réunis en congrès.
plantation des primaires n’est pas inéluctable, de nombreux pays n’y ont pas recours, et les partis qui en font l’expérience ne les ont pas systématiquement adoptées.
Synthèse
On peut établir un tableau synthétique des différentes expériences étrangères que nous venons de passer rapide- ment en revue (voir ci-contre).
un seul jour procédures selon les États jour temps et les partis et étalement
des votes sur 5 mois
Désignation en Désignation en fin Désignation en fin Désignation en
fin de mandature de mandature de législature début de législature
Issue ouverte Issue ouverte Issue prédéterminée Issue ouverte
(compétition) (compétition) (légitimation) (compétition)
Avantages Intérêt Mobilisation électorale Mobilisation des —
du public présence des candidats sympathisants
à travers le pays
Renforcement Mise à l’épreuve Unification Parti doté du parti des candidats de la coalition d’un leader
pour les élections pour la législature
Légitimation Renouvellement Légitimation Légitimation du candidat des dirigeants du leader double
Inconvénients Risques Coût élevé Élections Pas d’effet d’entraîne- de division non contrôlées ment électoral
du fait de la désignation précoce
Parti sans leader Campagne Absence d’effet jusqu’à la primaire permanente d’unification durable
Effacement Affaiblissement du du parti rôle des adhérents
Rôle disproportionné des premiers États
Possibilité Oui dans ses principes Oui en théorie Oui pour une primaire
d’introduction pour une primaire pour une primaire de leadership de
en France présidentielle PS de la gauche l’opposition (hors spé-
cificité parlementaire)
Chapitre 3
Gauche française : un système à inventer
À l’issue de ce tour d’horizon des antécédents français et des expériences étrangères, nous nous prononçons pour l’implantation d’un système de primaire en France. Beau- coup d’éléments y conduisent, même si aucun n’est décisif : l’inscription dans les statuts du parti socialiste, l’antécédent réussi de 2006, l’incapacité chronique du parti − et peut-être structurelle dans le monde contemporain − à désigner un leader « naturel », les évolutions dans les autres pays occi- dentaux. Mais ce système devra éviter les carences consta- tées en 2006 : pour cela, il devra être codifié « à froid ».
Les exemples étrangers nous montrent que plusieurs modèles sont possibles. La revue des différents enjeux pour une primaire à la française réussie (champ politique, candi- datures, corps électoral, campagne, date du vote) conduit à écarter la primaire de toute la gauche : séduisante sur le papier, cette option tirée de l’expérience italienne n’est, on le verra, pas réaliste en pratique et serait vraisemblablement contre-productive. Deux modèles émergent. Soit une pri- maire au sein du parti pour désigner le candidat à la prési- dentielle (« primaire PS de type présidentiel ») : issue de l’exemple américain, cette option est la plus adaptée au régime politique français, mais elle est éloignée de nos tra- ditions partisanes et nécessite des réformes profondes dans l’organisation et le fonctionnement du parti. Soit une pri- maire au sein du parti pour désigner le leader de l’opposition
(« primaire PS de type parlementaire ») : tirée de l’exemple
britannique, elle est moins « moderne » et moins « brillan-
te », mais plus en phase avec le fonctionnement du parti
socialiste.
Pour un système de primaire à la française
Un retour en arrière ni souhaitable ni réaliste
L’idée de primaire fait encore souvent l’objet de réti- cences fortes. Fondamentalement, il s’agit d’une résistance
« aristocratique ». L’ establishment du parti a du mal à se résoudre à la perte du pouvoir de désignation du leader au profit de la base.
Un premier argument avancé contre la primaire est qu’elle soumettrait le choix du leader à l’irrationalité de la base. Le risque serait celui d’un « coup de cœur » basiste pour un candidat démagogique. La primaire aboutirait à un choix contraire à l’intérêt général, en sélectionnant une personna- lité qui ferait un mauvais chef de l’État. Et à un choix ineffi- cace, car elle serait aussi un médiocre candidat à la prési- dentielle.
Cet argument est très contestable. L’appareil socialiste n’a guère de leçons à recevoir en termes d’irrationalité de ses décisions. La critique contre la démagogie du choix par pri- maire est irrecevable, car c’est une critique contre la démo- cratie elle-même. Et le procès en inefficacité électorale, intenté sur la base de l’expérience de 2006, a ses limites : les qualités pour réussir dans une primaire sont normalement les mêmes que celles pour réussir lors de la présidentielle ; le fait que ce ne soit pas le cas ne remet pas en cause la pri- maire dans son principe, mais dans sa mise en œuvre.
Un deuxième argument renvoie au risque d’« américani- sation de la vie politique », avec une personnalisation à outrance des débats au détriment des enjeux de fond. Ce
risque est réel. Il est vrai que le système de primaire accroît
ce risque en donnant une prime à la personnalité sur le pro-
gramme.
Mais la personnalisation de la vie publique est une ten-
dance lourde des démocraties modernes, indépendante de la
primaire. Elle est encore plus lourde en France avec la très
nette présidentialisation du régime depuis la réforme du
quinquennat. Face à ces évolutions de fond, l’impact d’une
primaire sur la personnalisation de la vie politique doit être
pour le moins relativisé.
Un troisième argument avancé contre la primaire est un
argument « naturaliste ». Un leader ne pourrait s’imposer que
de lui-même : il n’y aurait d’autre leader que « naturel ».
Aucune procédure ne saurait par elle-même dégager un lea-
der durable. En l’absence de leadership naturel, un leader dési-
gné par primaire serait contesté et ne pourrait pas s’impo-
ser durablement.
Nous réfutons cet argument. En l’absence de procédure
de désignation, il faut des conditions exceptionnelles, une
personnalité hors du commun, pour s’imposer. Ce fut le cas,
à droite, avec Nicolas Sarkozy : une personnalité politique
hors normes et des compétiteurs potentiels empêchés. Si
cette personnalité ou ces conditions ne sont pas présentes,
l’absence de leadership se prolonge. C’est la crise politique,
comme aujourd’hui au parti socialiste. À l’inverse, une bonne
procédure de désignation garantit de dégager systématique-
ment un chef, même en l’absence de leadership « naturel »
préalable. C’est typiquement le cas américain. Et ce chef
peut se révéler dans l’exercice du pouvoir. Ce fut le cas de
Lionel Jospin : son arrivée au pouvoir fut relativement for-
tuite, son maintien et ses succès doivent tout à ses qualités
d’homme politique et d’homme d’État.
Un dernier argument est d’efficacité : la primaire cristal-
liserait les divisions et rendrait par là plus difficile la
conquête du pouvoir. Il est vrai que la primaire organise une
opposition directe entre membres d’un même parti et mobi-
lise des blocs de militants les uns contre les autres. Certains
exemples récents conduisent légitimement à s’interroger. La
primaire française de 2006 a connu quelques dérapages : les
sifflets du Zénith contre Ségolène Royal, la diffusion des
propos « volés » de Ségolène Royal reprochant aux ensei-
gnants d’avoir le temps pour faire du soutien scolaire indi-
vidualisé privé alors qu’ils ne trouveraient pas le temps de
faire du soutien individualisé gratuit au sein même de leurs
établissements… La dureté de la bataille Clinton/Obama a
également marqué : n’allait-elle pas handicaper la campagne
présidentielle du vainqueur, en empêchant le report des voix
des électeurs de la vaincue ou en gênant la mobilisation de
ses soutiens militants ?
Cet argument ne tient guère. Le parti socialiste n’a pas
attendu la primaire pour produire des divisions. Le congrès
de Rennes en témoigne : l’intensité et la brutalité des oppo-
sitions internes y avaient atteint leur apogée et il n’était pas
question à l’époque de primaire. L’exemple américain montre
à l’inverse qu’une primaire bien organisée permet de recréer
l’unité après la bataille interne. La question est donc celle
des modalités de la primaire, pas de son principe.
Au total, les arguments contre le principe d’une primaire
ne sont pas décisifs. À l’inverse, les arguments en faveur de
leur implantation en France sont réels.
Il y a d’abord un argument juridique. La sélection du
candidat à l’élection présidentielle par l’ensemble des adhé-
rents est inscrite dans les statuts du parti. Personne n’envi-
sage de revenir sur ce principe.
Il y a ensuite un argument d’efficacité. La primaire est
utile. Elle légitime le leader en lui apportant la force d’une
élection au suffrage universel direct. Elle renforce le parti en
lui conférant modernité et attention médiatique. La campa-
gne d’adhésion à vingt euros avant la primaire de novembre
2006 a indéniablement permis de donner un nouveau souffle
aux sections du parti socialiste, même si trop de nouveaux
adhérents ont décidé de ne pas pérenniser leur engagement.
Il y a surtout un argument démocratique. La primaire fait passer le choix du leader de l’appareil à la base. Une telle démocratisation du parti paraît difficilement réversible. Certes, il y a des cas de primaires sans lendemain en Espa- gne ou en Allemagne. Mais après l’expérience réussie de
2006, l’abandon des primaires par le parti socialiste ne man- querait pas d’être interprété comme un grave retour en arrière et une crispation de l’appareil. Il serait contraire aux évolutions de fond constatées dans les principales démocra- ties occidentales.
Une nécessaire codification « à froid »
Si un retour en arrière semble improbable, le risque du
« sur-place » est très sérieux. C’est même l’option la plus cré-
dible eu égard à l’état actuel du parti socialiste, qui ne semble
guère en situation d’impulser en son sein des réformes
importantes. Or la primaire de novembre 2006, aussi origi-
nale que soit l’expérience, a présenté de graves déficiences
qu’il n’est pas utile de reproduire9.
Les statuts du parti socialiste posent le principe de la désignation du candidat à l’élection présidentielle par suf- frage universel direct de l’ensemble des adhérents. Ils sont, en revanche, muets sur les modalités concrètes de cette dési- gnation. En 2006, en l’absence d’une codification ex ante , ces modalités ont été organisées à chaud. Elles ont fait l’objet
9. Pour une analyse complète des primaires socialistes de 2006, voir notamment Bernard Dolez et Annie Laurent, « Une primaire à la française, la désignation de Ségolène Royal par le parti socialiste », Revue française de science politique , avril
200 , p. 133–161.
de négociations, au dernier moment, entre les courants du
parti. Règles de candidature, corps électoral (avec les nou-
veaux adhérents), calendrier de la désignation, organisation
de la campagne (tenue ou non de débats, puis déroulement
de ces débats…) : chacun de ces points a été arrêté au terme
de tractations entre les différentes parties prenantes. S’il est
tout à fait normal que des détails techniques fassent l’objet
d’une mise au point suivant de telles négociations, l’élabo-
ration des principaux éléments de la primaire, éminemment
politiques, doit y échapper. La codification à chaud a au
contraire soumis l’organisation de la primaire à des consi-
dérations tacticiennes, la séquence finalement retenue cor-
respondant au point d’équilibre, nécessairement imparfait,
entre les exigences des uns et des autres.
Au final, la primaire de 2006 a présenté quatre vices d’or- ganisation. Le premier est le caractère très fermé de l’accès à la candidature. La règle retenue (soutien par 1 % du conseil national) a abouti à l’éviction de Jack Lang : rien d’étonnant à cela, à partir du moment où il n’était pas repré- senté dans les négociations de codification, en l’absence d’un
« courant Lang ». Elle aurait également abouti à l’éviction de Ségolène Royal, si elle n’avait pas été soutenue par l’appa- reil hollandais. Aucun autre candidat, hormis le premier secrétaire et Lionel Jospin, n’aurait pu franchir ce filtre. Mathématiquement, cette règle limite à six le nombre maxi- mal de candidats à la primaire. En pratique à pas plus de quatre, à partir du moment où les candidats peuvent ramas- ser plus de 1 % des soutiens. Cette règle constitue un ver- rou qui limite l’accès à la candidature aux personnalités les plus établies et empêche tout renouvellement.
La deuxième déficience concerne le calendrier de la pri- maire : la date retenue, le 16 novembre, a été trop tardive. Elle ne laissait que trop peu de temps avant le début de la campagne présidentielle, début janvier − d’autant que le mois
de décembre n’a pas été mis à profit, « neutralisé » par un
voyage en Chine. Rien d’étonnant là encore, eu égard à la
codification à chaud : Dominique Strauss-Kahn et Laurent
Fabius, en retard dans les sondages, souhaitaient gagner du
temps dans l’espoir de se refaire, tout comme François Hol-
lande, qui cherchait l’ouverture pour placer sa candidature.
Conséquence : il n’y a pas eu le temps nécessaire pour
panser les plaies entre les compétiteurs de la primaire. Il y
aurait un caractère quasi orwellien à demander aux équipes
de Strauss-Kahn et de Fabius, qui ont fait campagne pen-
dant des mois face à Ségolène Royal dans le cadre de la pri-
maire, de venir du jour au lendemain faire campagne prési-
dentielle pour elle. De même, la méfiance des équipes de
Ségolène Royal envers le reste du parti ne peut pas s’estom-
per instantanément. Du coup, les dissensions étaient visibles
pendant la campagne présidentielle et elles ont coûté cher à
la candidate. Refaire l’unité du parti après la compétition de
la primaire prend du temps et le temps a manqué.
Autre conséquence : la candidate, une fois désignée, n’a
pas eu le temps suffisant pour préparer sa campagne. Elle n’a
pas eu le temps de constituer son équipe de campagne. « Une
fois désignée […], Ségolène Royal avait tant concédé qu’il
lui était impossible de choisir son équipe », peut-on lire dans
une note d’Émergence(s), association proche de l’ancienne
candidate10. C’est d’autant plus vrai qu’on ne passe pas aisé-
ment de l’organisation artisanale de la campagne de la pri-
maire, où une poignée de fidèles suffit à mener la bataille, à
l’organisation « industrielle » de la campagne présidentielle,
où une équipe structurée de plusieurs centaines de personnes
est nécessaire.
10. Émergence(s), « Le premier secrétaire et le candidat », disponible sur http://
www.emergence-s.org/?q=p remier-secretaire-candidat
Pendant la présidentielle, il faut répondre à une centaine
de sollicitations de médias audiovisuels, plus de mille inter-
views, cinq mille questionnaires d’associations, des dizaines
de milliers de lettres, des centaines de milliers de courriels.
Il faut organiser un déplacement par jour, des visites de ter-
rain, des meetings . Il faut mettre en place quotidiennement
le « porte-parolat » politique au niveau national et déployer
le travail militant sur le terrain. Il faut, bien sûr, un pilotage
stratégique, politique, médiatique au plus fin, ajusté en temps
réel aux péripéties de la campagne. En bref, il faut une PME
et son recrutement prend du temps − d’autant plus qu’une
partie des ressources rares se trouve dans les équipes des can-
didats malheureux aux primaires.
Pour les mêmes raisons, Ségolène Royal n’a pas eu non plus le temps de préparer correctement son programme. Le discours programmatique de Villepinte, confié à Erik Orsenna, a dû être élaboré en catastrophe. Les slogans n’étaient pas prêts. Le contenu programmatique flottait. Ce fut d’autant plus dommageable que se posait le problème de l’articulation du programme présidentiel avec celui élaboré par le parti socialiste quelques mois plus tôt, dans l’indiffé- rence et l’improvisation générales à l’approche des primaires. Le dilemme était compliqué : soit reprendre le programme du PS sans retouche personnelle, au risque de perdre la spé- cificité qui avait fait sa force pendant la primaire ; soit s’oc- troyer des libertés pour pouvoir imprimer pleinement sa marque, mais Ségolène Royal s’exposait aux attaques de la droite dénonçant les incohérences socialistes et prenait le risque de froisser le parti, machine de guerre indispensable durant une campagne électorale. Elle n’a pu éviter aucun des deux écueils.
Ségolène Royal, enfin, n’a pas eu le temps de préparer les alliances. L’improvisation de son pas de deux avec François Bayrou entre les deux tours de l’élection était patente. Mais
elle vient de loin : personne au parti socialiste, depuis 2002,
n’avait ne serait-ce que posé publiquement la question des
alliances, alors que François Bayrou avait de fait basculé dans
l’opposition depuis le début de la mandature.
L’insuffisant professionnalisme de la campagne, les
improvisations de celle-ci et la faible articulation avec la rue
de Solférino s’expliquent ainsi en grande partie par le calen-
drier de désignation retenu.
Outre le filtrage trop strict de l’accès à la candidature et
le calendrier trop tardif, la troisième déficience de la primaire
concerne l’organisation de la campagne : elle a été escamo-
tée. Elle a été trop courte : à peine six semaines. Et trop
aseptisée : il n’y a eu que trois meetings (interdits à une par-
tie des médias !) et trois « débats » télévisés non contradic-
toires, longs monologues récitatifs où même les pupitres
avaient été alignés pour éviter toute posture physique figu-
rant la discussion… Rien d’étonnant, encore, à cela étant
donné la codification à chaud : Ségolène Royal, favorite de
la compétition, n’avait pas intérêt à une campagne compé-
titive qui ne pouvait que remettre en cause son avance et ses
négociateurs ont tout fait pour la neutraliser.
Conséquence : la campagne n’a servi à rien, on n’en savait
pas plus après qu’avant sur les candidats, leur programme,
leurs équipes. Les adhérents ont donc voté sur la base des
impressions laissées par la précampagne (très longue, elle),
marquée par la prégnance des sondages d’opinion, et non
selon une opinion éclairée par de réelles discussions poli-
tiques.
La dernière déficience concerne la conclusion de la
séquence de la primaire : il n’y a pas eu de moments fédéra-
teurs pour ressouder le parti après la bataille interne. Cer-
tains ont pu considérer qu’il a manqué, de part et d’autre, les
bons gestes d’apaisement. Peut-être. Mais des événements
institutionnels garantissent ces gestes au lieu de les laisser
au hasard des circonstances. Il a manqué l’équivalent de la
convention de Denver d’août 200 scellant la réunification
des démocrates autour de Barack Obama.
Les enjeux
d’un système de primaire à la française
Nous estimons donc qu’un système de primaire devrait être implanté et codifié à gauche. Les expériences étrangères nous montrent des systèmes variés qui répondent à des objectifs différents. Quel système mettre en place en France ? Examinons pour cela les cinq éléments principaux d’une primaire : le champ politique, les candidatures, le corps électoral, la date du vote, la campagne.
Le champ politique de la primaire :
le PS ou toute la gauche ?
Une primaire pour toute la gauche, sur le modèle italien, serait utile. Elle aurait deux vertus. D’abord, une unification des partis de gauche, éloignant le spectre de l’élimination au premier tour de 2002. Ensuite, une mobilisation du « peuple de gauche » autour d’un candidat unique : cela réglerait le problème des reports de voix au second tour.
Pour pertinente qu’elle soit, une telle primaire ne semble pourtant pas praticable en France. L’extrême gauche refuse- rait de rentrer dans un tel processus. La primaire se limite- rait à la gauche de gouvernement et deviendrait du coup contre-productive : elle cliverait la gauche entre gauche de gouvernement et gauche radicale, libérant ainsi un espace politique considérable pour cette dernière. Même au sein de la gauche de gouvernement, la faisabilité de la primaire paraît aléatoire. Des partis de l’ex-gauche plurielle (PCF,
Verts) pourraient ne pas jouer le jeu non plus, tant il est diffi-
cile de renoncer à la visibilité politique et aux moyens finan-
ciers qu’offre la participation au premier tour de l’élection
présidentielle.
En effet, dans le système français, l’élection présidentielle
est un moment hyperbolique de la vie politique. Pour de
nombreuses formations politiques, le fait de présenter leur
propre candidat à cette élection apparaît comme la condi-
tion sine qua non de leur existence, voire de leur survie poli-
tique. Le score obtenu par les candidats au premier tour de
l’élection présidentielle est un élément de négociation
important en vue d’autres élections (investitures pour les
législatives notamment). Surtout, seule une candidature à la
présidentielle permet d’avoir un accès significatif aux médias,
notamment dans la période de campagne officielle, au cours
de laquelle le respect d’une stricte égalité des temps de parole
est de rigueur. Ne pas présenter de candidat à l’élection pré-
sidentielle équivaudrait ainsi pour de nombreuses forma-
tions à se priver de l’audience résultant de cette caisse de
résonance particulière, ce qui n’est évidemment pas accep-
table pour la plupart d’entre eux.
Au fond, une primaire de toute la gauche n’a guère de
sens en France car elle existe déjà, est efficace, parfaitement
organisée et fortement médiatisée : il s’agit du premier tour
de l’élection présidentielle. Dans ces conditions, le champ
politique de la primaire doit se limiter au parti socialiste.
L’accès à la candidature : qui peut être candidat ?
Nous l’avons vu, le filtre d’accès à la candidature arrêté en 2006 est trop étroit. La primaire est « verrouillée ». En l’état actuel des choses, un « Barack Obama français » n’au- rait aucune chance d’émerger car il ne pourrait tout simple- ment pas « concourir ». Cette réalité est symptomatique d’un mal plus général : le personnel politique français peine à se
renouveler et les responsables, une fois en place, le demeu-
rent de longues années durant, au risque de figer à l’excès le
paysage institutionnel et les termes mêmes du débat poli-
tique français.
Il faut donc ouvrir, bien plus qu’aujourd’hui, l’accès à la
primaire. La sélection ne doit pas se faire avant, mais pen-
dant la primaire.
Certes, des encadrements sont nécessaires, tant il est vrai
qu’une ouverture excessive entraînerait nécessairement des
candidatures de témoignage, voire des candidatures margi-
nales et farfelues, qui ne peuvent que nuire à la clarté des
débats, à la lisibilité de la campagne et, in fine , à la sincérité
du scrutin.
Deux types de candidatures doivent être rendus pos-
sibles. D’abord, celles des leader s nationaux de la nouvelle
génération, que le talent qualifie pour la présidentielle. Des
outsiders comme Manuel Valls, Vincent Peillon, Arnaud
Montebourg, doivent pouvoir se présenter − voire des per-
sonnalités plus émergentes encore.
Ensuite, celles de personnalités populaires ou aux états
de service éminents, mais que la distance (volontaire ou
subie) par rapport aux jeux de l’appareil prive d’assise parti-
sane. On pense là à un Jacques Delors en son temps, un Pas-
cal Lamy ou un Bernard Kouchner (millésime antérieur à
200 …).
Le corps électoral : qui peut voter ?
Le débat sur la primaire tend à se cristalliser sur cette question. Il oppose les partisans de la tradition (primaire réservée aux adhérents) à ceux de la novation (primaire ouverte aux sympathisants).
Plusieurs arguments sérieux militent pour une primaire ouverte. Celle-ci aboutit d’abord à une légitimation forte du candidat : la force de l’investiture de Prodi par millions de
citoyens, ou d’Obama par 3 , est incomparable à la dési-
gnation par 200 000 socialistes français. La démocratie en
sort renforcée : des chercheurs américains ont montré que
plus une primaire est ouverte, plus la participation à l’élec-
tion est forte. Enfin, une telle primaire répond au désir de
participation citoyenne. L’exemple de la primaire Veltroni
− 3, millions de votants pour une élection sans enjeu réel −
est révélateur de cette jubilation participative.
La primaire ouverte pose toutefois de réels problèmes. Il
y a des problèmes techniques. Comment éviter le risque de
bourrage des urnes en l’absence de listes d’électeurs prééta-
blies ? L’exemple italien montre que c’est possible. Qui prend
en charge le coût de la primaire, tant pour leur organisation
matérielle que pour la campagne des différents candidats ?
La primaire 2006 montre qu’elle peut être menée à coûts
limités. La primaire Prodi prouve même qu’elle peut s’auto-
financer.
Il y a surtout un problème politique fondamental : le rôle
des adhérents et donc, in fine , du parti. Pour les opposants à
la primaire ouverte, la sélection des candidats aux élections
doit être réservée aux adhérents des partis, conformément
au principe constitutionnel selon lequel « les partis et grou-
pements politiques concourent à l’expression du suffrage11 ».
Dans cet ordre d’idées, une primaire ouverte aux sympathi-
sants priverait les militants de la principale raison de leur
engagement au sein d’un parti : la possibilité de choisir, le
pouvoir de sélectionner le candidat. Le recours à des pri-
maires ouvertes est alors analysé comme un affaiblissement
supplémentaire des fidélités partisanes. Les primaires ouvri-
raient ainsi la voie à une érosion encore plus forte des forces
militantes, avec le double risque de mettre en cause l’équi-
libre démocratique, auquel les partis concourent de manière
11. Article de la Constitution de 19 .
importante, et d’obérer irrémédiablement l’efficacité des
réseaux de militants dans leur rôle de caisse de résonance.
Cet argument est réel. L’évanescence du Parti démocrate
aux États-Unis fait réfléchir. Mais les exemples étrangers
tendent à montrer que la codification de primaires ouvertes
ne préfigure pas la mort, mais la transformation du militan-
tisme et de la vie partisane. L’exemple italien, là encore, est
intéressant. Le militant n’a certes plus le monopole de la
désignation, qu’il partage avec les sympathisants. Mais il se
voit confier deux autres rôles spécifiques. D’abord, l’organi-
sation logistique de la primaire : c’est une fonction impor-
tante et valorisante que d’organiser un tel événement démo-
cratique, qui au surplus possède un impact médiatique très
positif − établissement des listes électorales, tenue des
bureaux de vote, décompte et annonce des résultats. Ensuite,
la présentation des programmes des candidats : les militants
deviennent les porte-parole de leur candidat, dans des
réunions organisées par le parti pour informer les sympa-
thisants. L’exemple le plus achevé en est le caucus américain.
Quoi qu’il en soit, nous pensons que la distinction entre
primaires ouvertes et fermées est en réalité plus limitée qu’il
n’y paraît. D’abord, point fondamental, il n’y a pas d’enjeu
sur la désignation : le résultat d’une primaire ne change pas
selon qu’elle est ouverte ou fermée.
La primaire de 2006 est instructive. Le débat a été vif
autour des « nouveaux adhérents » à 20 euros : ils étaient
supposés favoriser Ségolène Royal. Or les évaluations inter-
nes tendent à montrer que les nouveaux adhérents n’ont pas
voté très différemment des anciens. Fondamentalement, les
militants votent comme les sympathisants. Et les sondages
qui sont réalisés sur les sympathisants donnent une approxi-
mation très correcte du vote des militants.
La raison en est simple : les militants sont représentatifs
des sympathisants. C’est incontestable quantitativement :
même dans un parti socialiste qui n’est pas un parti de masse,
100 000 à 2 0 000 personnes forment un panel infiniment
plus représentatif que l’échantillon de 1 000 personnes d’un
sondage. Et, contrairement à ce qui est parfois affirmé, il n’y
a pas de biais qualitatif important. On affirme souvent qu’il
y a un biais électif, car la moitié des militants socialistes
seraient des élus. C’est un vieux mythe erroné : moins de
10 % des militants sont des élus. On souligne aussi qu’il y a
un biais informatif. Certes, les militants sont plus informés
que les sympathisants. Mais dans un parti de gouvernement
comme le PS, dont l’objectif est de gagner les élections, cette
information est utilisée par les militants pour se réaligner
sur les sympathisants : au-delà de leur préférence militante,
ils tendent à choisir le candidat le plus apte à gagner, c’est-
à-dire le candidat des sympathisants, tel qu’identifié par les
sondages. Reste le biais humain. Les fidélités individuelles
peuvent biaiser à la marge le résultat. Ce fut apparemment
le cas pour Laurent Fabius dans la primaire 2006 : les son-
dages ont sous-évalué ses résultats, car il possède des fidéli-
tés militantes très supérieures à l’étiage de ses soutiens dans
la population des sympathisants.
Au total, l’écart entre opinion des militants et opinion des sympathisants est faible. Primaire ouverte et primaire fermée donnent le même résultat, à quelques points près.
La distinction entre primaire ouverte et primaire fermée est d’autant plus limitée que les différences de corps électo- ral peuvent s’estomper en pratique, dès lors que la primaire fermée est « élargie ». Le système retenu en 2006 des « nou- veaux adhérents » à tarif réduit (20 euros) a, de fait, permis de faire voter près de 100 000 sympathisants : le plus sou- vent, ces sympathisants ont adhéré pour voter et rien de plus, ils n’ont pas franchi le pas de l’engagement militant. En des- cendant le tarif au niveau italien, à voire 1 euro, on obtien- drait des afflux massifs de votants et le PS deviendrait, au
moins le temps de la présidentielle, un parti de masse, inté-
grant en son sein ses sympathisants. Une primaire fermée
élargie à des nouveaux adhérents à 1 euro se rapprocherait
dès lors singulièrement d’une primaire ouverte.
La date du vote : le choix du LEADER
en fin ou en début de mandature ?
La date est une question fondamentale, assignant à la primaire des objectifs différents. Choisir le leader en fin de mandature, juste avant la présidentielle, c’est choisir le can- didat à la présidentielle. C’est la solution naturelle dans un régime de type présidentiel comme la France, à l’instar des États-Unis : elle permet de vérifier l’adéquation personnelle du candidat avec l’électorat. C’est aussi la solution retenue en Italie avec la primaire Prodi, car l’objectif était de trou- ver un leader à une coalition de partis en vue des échéances électorales.
Cette solution est classique (Italie, États-Unis, France
2006). Elle pose deux difficultés. Elle provoque une division
de son camp juste avant l’échéance, comme en 2006. Nous
avons vu que ces divisions peuvent être surmontées à condi-
tion que la fin de la séquence de la primaire soit codifiée cor-
rectement, comme aux États-Unis.
Elle pose également un problème de fonctionnement du
parti. Si le leader socialiste est choisi en fin de mandature,
comment organiser la vie du parti entre le début de la
séquence et la primaire, en l’absence de leader légitime ? Le
fonctionnement du parti socialiste repose sur la légitimité
de son premier secrétaire. Historiquement, le premier secré-
taire du parti socialiste est le chef légitime, le candidat natu-
rel − sauf accident − à la présidentielle. De sa légitimité pro-
cède la structuration de la vie du parti. Avec une primaire
en fin de séquence, le premier secrétaire n’est plus le leader
légitime et le parti ne fonctionne plus. C’est ce qui s’est passé
entre 2002 et 2006. Fragmenté en écuries présidentielles, le
parti n’exerce plus ses fonctions traditionnelles : « porte-
parolat » de l’opposition, travail programmatique collectif,
organisation des équipes. Les candidats potentiels à la pri-
maire structurent leurs propres équipes au sein de leur cou-
rant. Ils prennent la parole publiquement, le plus souvent en
se démarquant les uns des autres, rendant inaudible la voix
du parti. Ils refusent de mutualiser leurs réflexions de fond,
dans l’espoir de faire la différence lors de la primaire. Le tra-
vail au sein du parti, lorsque le premier secrétaire y parvient,
est parasité par les enjeux de personne : les idées nouvelles
sont systématiquement rejetées sans examen, non pas en
fonction de leur mérite propre, mais parce qu’elles sont asso-
ciées à un concurrent. Par ailleurs, la légitimité résiduelle que
conserve le premier secrétaire comme chef du parti perturbe
la bonne organisation de la primaire : il est juge et partie, il
ne peut pas l’organiser de bonne foi.
Ce problème de fonctionnement du parti est critique. On ne peut pas impunément neutraliser l’institution parti- sane quatre ans et demi sur cinq ans de mandature. Pour y répondre, il est possible de faire basculer le choix du leader en début de mandature.
Le choix du leader en début de mandature correspond à un autre modèle, plus parlementaire : dès le début de la man- dature, la défaite électorale consommée, on choisit un nou- veau leader de l’opposition, candidat, sauf accident, pour la prochaine échéance.
L’idée est donc d’investir le premier secrétaire du parti socialiste à travers une primaire, et non plus par le jeu habi- tuel des motions de courants lors du congrès. Certes, le pre- mier secrétaire est d’ores et déjà, depuis la réforme de 199 , désigné au suffrage universel direct des militants. Mais le vote a lieu après le vote des motions, il est donc intimement lié au résultat des motions. L’idée serait de renverser l’ordre
des votes, avec un vote direct sur le leadership du parti préa-
lable au vote des motions. C’est ce qui se passe au Royaume-
Uni, on l’a vu. C’est aussi la proposition de Gaëtan Gorce
pour le parti socialiste.
Le parti fonctionne alors normalement sous la houlette
de son leader , les divisions sont atténuées avec le temps. Mais
ce modèle ne garantit pas de dynamique électorale pour
l’élection. Surtout, le lien entre la personnalité du leader et
l’électorat n’est plus testé, au risque d’un désajustement. Si
ce modèle avait été appliqué après 2002, il n’aurait pas abouti
à la désignation de Ségolène Royal, mais sans doute à celle
de François Hollande.
La campagne :
comment organise-t-on la compétition ?
C’est un enjeu clé. La primaire socialiste de 2006, courte et aseptisée, n’a pas permis de juger les candidats.
Une vraie primaire compétitive, comme aux États-Unis, permet la mise à l’épreuve des candidats : on connaît tout de leur personnalité, de leurs équipes, de leur programme ; s’il y a des failles, on les découvre avant la présidentielle. Elle permet aussi le renouvellement du personnel politique. Les nouveaux candidats ont le temps de se faire connaître et de démontrer leurs compétences, comme le montrent les exemples historiques ou actuels de Carter, Clinton ou Obama, candidats initialement outsiders . En France, seuls les sondages ont permis à Ségolène Royal, candidate hors esta- blishment , de se présenter.
Mais le secret des primaires américaines, on l’a vu, c’est leur séquençage. Le vote État après État, dans le cadre d’une course-poursuite par élimination progressive, tient les élec- teurs en haleine et démultiplie l’attention médiatique. Le système est-il transposable chez nous, dans le cadre d’un
« tour de France électoral des régions » ? Rien ne s’y oppose
en théorie. MM. Baylet et Schwartzenberg avaient déposé
en 2006 des propositions de loi organisant une primaire à la
française selon ce modèle12. Mais de telles primaires décen-
tralisées, qui font écho à l’organisation fédérale américaine,
seraient très éloignées du système électoral qui régit notre
élection présidentielle. Une primaire nationale unitaire cal-
quée sur la présidentielle (comme les primaires américaines
sont calquées sur la présidentielle aux États-Unis) paraît plus
crédible.
En tout état de cause, si le séquençage du vote est diffi-
cilement transposable, la campagne de la primaire doit avoir
une durée et une intensité suffisantes pour organiser la mise
à l’épreuve des candidats.
Deux modèles pour la gauche
Au vu des développements précédents, la primaire à la française doit être inventée sur les bases suivantes :
− une primaire de toute la gauche n’est pas une piste réaliste ;
− contrairement à une idée reçue, le débat entre primaire
ouverte et primaire fermée n’est pas essentiel ;
− les vrais enjeux sont ailleurs : premièrement, la date, qui
détermine le type de leadership ; deuxièmement, la cam-
pagne, qui doit devenir réellement compétitive pour sélec-
tionner le meilleur candidat ; troisièmement, l’accès à la
candidature, pour permettre le renouvellement.
Deux systèmes de primaire concurrents émergent.
12. Voir annexe, p. 100–109.
La primaire de toute la gauche :
un modèle à écarter
Nous l’avons examiné plus haut, une primaire « à l’ita- lienne », pour séduisante qu’elle soit sur le papier, serait contre-productive : limitée de fait à la gauche de gouverne- ment, elle ouvrirait un boulevard à l’extrême gauche. Et elle ne paraît pas réaliste même au sein de la gauche de gouver- nement : hormis le PRG, les partis de l’ancienne gauche plu- rielle n’ont pas intérêt à se priver de la caisse de résonance que constitue le premier tour de l’élection présidentielle.
La « primaire PS de type présidentiel » : le modèle le plus adapté à la vie politique nationale,
mais le plus éloigné de la vie partisane socialiste
Le premier système de primaire possible, le plus spon- tané à la fois au regard des expériences étrangères et du pré- cédent de 2006, est une primaire au sein du parti pour dési- gner le candidat à la présidentielle : une « primaire PS de type présidentiel ». Issue de l’exemple américain, elle consti- tue le prolongement de l’expérience de 2006, sa codification à froid rationnelle et « professionnelle ». Cette primaire aurait les caractéristiques qui suivent.
1. La date de la primaire serait placée en fin de mandature, comme en 2006, afin de tester l’adéquation du candidat avec l’opinion.
Pour permettre de surmonter les divisions nées de la pri- maire, le temps entre la désignation et le début de la campagne présidentielle doit être suffisant. Idéalement, une primaire en juin 2011 permet de se donner l’été pour panser les plaies et repartir en septembre pour le com- bat présidentiel d’avril 2012.
2. Le vote se ferait sur la base d’un scrutin uninominal à deux tours, comme pour la présidentielle.
3. L’accès à la candidature serait large. L’objectif est que
toutes les personnalités légitimes à concourir puissent le
faire : les principaux responsables politiques du parti bien
sûr, mais aussi les outsiders de la nouvelle génération et
les personnalités en marge du système partisan.
Pour cela, il faut assouplir la règle trop restrictive rete-
nue en 2006 (soutien de 1 % du conseil national) et en
changer la nature. Cette règle repose en effet exclusive-
ment sur l’assise dans l’appareil : il faut avoir des repré-
sentants en nombre suffisant au sein du « parlement » du
parti et donc, en d’autres termes, être à la tête d’un cou-
rant. Seul un chef de courant important peut concourir.
D’autres logiques peuvent être introduites : soutien des
parlementaires (logique de leadership national émergent),
soutien des élus locaux (reconnaissance du travail poli-
tique local), soutien direct des adhérents (logique de
popularité)…
Nous proposons que puisse être candidat toute personne
remplissant les conditions d’éligibilité à la présidence de
la République, et soutenu par au moins 10 % des votants
dans l’un des collèges suivants :
− les parlementaires socialistes ;
− les maires socialistes ;
− les adhérents du parti socialiste depuis au moins six
mois à la date du vote ;
− les membres du conseil national du parti socialiste.
Ce système correspond à une ouverture et une diversi-
fication, tout en évitant les candidatures marginales.
4. La primaire serait ouverte aux sympathisants. Comme nous l’avons analysé, les différences entre primaire ouverte et primaire fermée doivent être relativisées. Dans ces conditions, nous privilégions la modernité et l’effet de dynamique qu’apporte une primaire ouverte.
Serait électeur, en plus naturellement des adhérents du
parti socialiste, toute personne en âge de voter et rési-
dant en France (ainsi que les Français de l’étranger),
déclarant souhaiter voter et acquittant pour ce faire une
somme modique. Cette modalité correspond à une très
large ouverture du vote, puisque la déclaration suffirait
et pourrait se faire le jour même du vote.
Nous suggérons de demander la somme de 1 euro par votant : c’est une somme symbolique, susceptible d’atti- rer le maximum de citoyens. L’exemple italien démontre, de plus, que les personnes, une fois sur place, acquittent en moyenne une somme très supérieure. Les sommes récoltées auprès des électeurs permettraient de financer l’organisation de la primaire.
Les bureaux de vote, tenus par des adhérents du PS, seraient équipés du matériel adéquat (urnes, isoloirs, bul- letins établis selon des règles prédéterminées, registres pour signaler d’éventuels dysfonctionnements). Le côté participatif et citoyen du vote pourrait être renforcé par une mise en scène à l’italienne, qui a aussi participé du succès de l’opération : pourquoi ne pas imaginer, par exemple, la mise en place de « tentes de la primaire » accueillant les bureaux de vote et manifestant de manière visible la novation politique de la primaire ?
Les précédents italiens semblent démontrer que la fraude est, en pratique, marginale. Cela n’empêche pas la mise en place de mesures de précaution. Le vote ne serait naturellement possible que sur présentation d’une pièce d’identité. Le respect du principe de sincérité du scrutin pourrait être garanti par la mise en place d’une base de données en ligne mutualisée entre les bureaux de vote, permettant de recenser l’ensemble des votants et d’éviter ainsi le recours aux doubles votes. À l’occasion du scru- tin, les instances de contrôle du parti pourraient, en tant
que de besoin, être renforcées par des citoyens désireux
de contribuer à la supervision des opérations de vote.
5. Les modalités de campagne permettraient une pleine compétition, afin de choisir le « meilleur » candidat.
Si le séquençage des votes « à l’américaine » paraît diffi- cilement transposable, la primaire doit être organisée pour tester les candidats. Les électeurs de la primaire doivent, à l’issue de la campagne, connaître leur person- nalité, leur programme, leurs équipes. Ils doivent être suffisamment informés.
Nous proposons une campagne « officielle » inspirée des modalités de campagne présidentielle. Elle s’étalerait sur plusieurs mois, par exemple de mars à juin. Elle com- porterait des figures imposées qui lui donneraient son rythme :
− un tour de France des régions, avec un minimum d’une réunion publique par région, l’ordre et les lieux précis des déplacements étant laissés à l’appréciation de chaque candidat ;
− six grands meetings régionaux communs aux candidats, avec une chronologie à définir et des dates à caler très en amont ;
− l’envoi par le parti des professions de foi et des pro- grammes aux adhérents et à tout sympathisant en fai- sant la demande ;
− des débats télévisés de premier tour, à organiser en fonction du nombre de candidats ;
− un grand débat télévisé de second tour entre les fina- listes.
La campagne comporterait également une innovation : une ou plusieurs journées de caucus ( deliberation day à la Fishkin13). Dans ce cadre, le parti organiserait une jour-
13. Voir supra l’expérience grecque, chapitre 2, p. sqq .
née de présentation des candidats et de débat. Les mili-
tants s’y feraient les porte-parole de leur candidat devant
les sympathisants et échangeraient avec eux.
6. La clôture de la campagne garantirait la réunification du parti en vue de la campagne présidentielle.
Les résultats de la primaire seraient entérinés dans le cadre d’un congrès extraordinaire, fin août, en lieu et place de l’université d’été de La Rochelle. Ce congrès constituerait une grande messe unitaire symbolique ras- semblant le vainqueur et les autres candidats, sur le modèle de la convention démocrate. Il serait l’occasion de les associer au lancement de la campagne présiden- tielle, par exemple en les intégrant à l’équipe de cam- pagne. Le vainqueur pourrait également offrir un « lot de consolation » au principal battu, par exemple un « tic- ket » Président/Premier ministre − ticket qui n’est cepen- dant pas aujourd’hui dans la tradition française.
Tels sont les principaux éléments de ce que pourrait être une « primaire PS de type présidentiel ». Cette primaire est adaptée au régime politique français contemporain, marqué par une présidentialisation marquée.
Mais ce modèle est éloigné de nos traditions partisanes. Il pose un problème sérieux de vie du parti, amené à fonc- tionner « sans tête », dans l’attente du leadership présidentiel issu de la primaire. Il peut donc difficilement être introduit
« sec », sans une refonte en profondeur du fonctionnement du parti. Dans le cas contraire, on reproduirait les dysfonc- tionnements du parti tels qu’ils se sont manifestés entre
2002 et 2006.
Quelles seraient les réformes du parti à mettre en œuvre ?
La première réforme concerne la fonction de premier secrétaire. Il ne doit pas être un « présidentiable », sous peine de fausser la primaire à venir. Ce doit être un « secrétaire général » de bonne foi organisant la vie collective interne entre les candidats potentiels et le déroulement loyal de la primaire dans l’intérêt général du parti.
Pour garantir son entière neutralité, l’idéal serait qu’il ait interdiction statutaire de se porter candidat à la primaire. Contrairement à ce que l’on entend parfois, cela n’aboutirait pas à un premier secrétaire de second ordre. Son position- nement stratégique, sa compatibilité avec tous les candidats, en feraient un excellent candidat à des responsabilités gou- vernementales éminentes en cas de victoire présidentielle.
Toutefois, une telle interdiction statutaire est délicate en pratique. Elle fait l’impasse sur le principe de réalité : com- ment interdire à un premier secrétaire charismatique, haut dans les sondages, effectuant de bonnes « performances médiatiques1 » de se porter candidat ? En un mot, comment empêcher un bon candidat potentiel de devenir un bon can- didat effectif, et au nom de quoi s’en priver ?
Il n’en demeure pas moins que le premier secrétaire ne saurait être juge et partie au moment même de la primaire, et qu’il faut, a minima , un encadrement strict. Le fait même de codifier à froid la procédure de primaire, donc très en amont de 2011, apporte une première garantie. L’existence d’une telle codification ex ante interdit de fait1 de « jouer la montre » et d’utiliser le calendrier électoral à des fins tacti- ciennes. L’on peut aussi imaginer qu’un premier secrétaire
1 . Selon le concept développé par Philippe Guibert dans La Téléprésidente ,
Plon/Fondation Jean-Jaurès, janvier 200 .
1 . Tant au premier secrétaire qu’aux principaux candidats.
qui se porterait candidat à la primaire soit réputé démis-
sionnaire de son poste, voire qu’il ait l’obligation de démis-
sionner six mois avant le début de la primaire.
La deuxième réforme concerne le leadership de l’opposi- tion. Il n’est guère envisageable de s’en priver pendant la quasi-totalité d’une mandature. Puisque ce leadership ne peut plus être exercé par le premier secrétaire, il doit basculer à la présidence du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. C’était l’idée sous-jacente à la création, en 200 , d’un shadow cabinet parlementaire par Jean-Marc Ayrault. C’est le cas aux États-Unis.
La dernière réforme est liée à la réflexion programma- tique. Cette réflexion ne doit plus être collective mais liée à chaque candidat : lors de la primaire, on choisit un candidat et son programme. La logique consistant à établir d’abord le programme du PS et choisir ensuite un candidat pour le porter à la présidentielle ne fait pas sens. Cela signifierait que la primaire porte exclusivement sur la personnalité, et pas sur les idées (déjà arrêtées). Cela aboutit inéluctablement à un conflit entre le programme du PS et celui du candidat. Il faut donc permettre à chaque candidat potentiel de mener sa réflexion programmatique dans les meilleures conditions, afin de la présenter in fine lors de la primaire. Cela passe par le renforcement des think tanks politiques liés au PS, avec lesquels les candidats pourraient librement travailler.
Au total, le modèle décrit ci-dessus est sans doute le plus logique, dans un système de type présidentiel français plus proche des États-Unis que des démocraties parlementaires européennes, plus attrayant aussi. Mais il est difficile à mettre en œuvre en raison des réformes profondes qu’il induit dans le fonctionnement du parti : transformation du premier secrétaire en « secrétaire général », basculement du leadership de l’opposition à la présidence du groupe socia- liste à l’Assemblée, développement des think tanks .
Et nous insistons sur ce point : la réforme structurelle du
parti esquissée ci-dessus est une condition clé de l’implan-
tation réussie d’une primaire présidentielle à la française.
Son absence aboutirait à reproduire les défaillances vécues
entre 2002 et 2006. Ce serait une recette pour répéter les
échecs.
La « primaire PS de type parlementaire »:
un modèle plus en phase
avec le fonctionnement du parti socialiste
Un autre modèle de primaire est possible, qui apporte- rait le bénéfice démocratique de la primaire tout en étant calé sur le fonctionnement actuel du parti. Il s’agirait d’une primaire de désignation du leader de l’opposition, tirée de l’exemple britannique, sur un mode parlementariste.
La « primaire PS de type parlementaire » aurait les carac- téristiques qui suivent.
1. La date de la primaire serait fixée en début de manda- ture. En gros, l’année suivant l’élection présidentielle (200 pour cette mandature). Il s’agit en effet de dési- gner le chef de l’opposition, en début de séquence, mais il faut aussi se laisser un peu de temps après la prési- dentielle, à la fois pour se remettre de la défaite électo- rale, reconstituer les forces militantes et pour organiser la compétition entre les prétendants. L’opposition est de toute manière inaudible pendant les premiers mois qui suivent l’élection d’un nouveau président.
2. Le vote se ferait sur la base d’un scrutin uninominal à deux tours, comme pour la présidentielle. Ce serait une différence très importante par rapport au vote des motions au congrès, qui est un vote à un tour. Le vote à un tour a vocation à assurer une juste représentation pro- portionnelle des courants du parti au conseil national.
Le vote à deux tours sert à dégager un leadership majo-
ritaire.
3. L’accès à la candidature serait large, selon les mêmes règles que celles évoquées plus haut pour la primaire de type présidentiel. Il est en effet essentiel que la procé- dure de primaire permette un plus grand renouvellement du parti.
4. Il s’agirait d’une primaire interne élargie. La primaire viserait à désigner le premier secrétaire du parti. Il n’est pas illogique, dès lors, de réserver le vote aux adhérents du parti. La primaire Veltroni montre toutefois que l’on peut procéder par primaire ouverte. Surtout, le moment de la primaire peut être l’occasion de relancer le parti après la défaite électorale, en suscitant des adhésions pour participer à la désignation du chef de l’opposition. La primaire interne pourrait donc être élargie à de nou- veaux adhérents, à tarif réduit voire très réduit (1 ou
euros), ce qui en ferait un exercice proche d’une pri- maire ouverte.
Pour être efficace et permettre véritablement de nou- velles adhésions en masse, il serait nécessaire de fixer la date limite d’adhésion le plus près possible du vote. Pour la primaire de 2006, cette date limite avait été fixée six mois avant le vote. Ce délai a certainement limité les adhésions, mais il ne les a pas empêchées : la montée en puissance médiatique de la primaire s’était faite très tôt, suscitant les adhésions bien en amont. Cette montée en puissance serait certainement plus tardive – et moins forte – dans le cas d’une primaire en début de manda- ture. Un tel délai de six mois constituerait dès lors un obstacle sérieux. Sa limitation à deux, voire un mois, serait utile.
Signalons par ailleurs que le chiasme entre « anciens » et
« nouveaux » adhérents, dotés de statuts différents, peut
aisément être évité. Il suffit de fixer une règle générale
par laquelle toute nouvelle adhésion se fait à tarif réduit
la première année, avant de rejoindre le tarif général les
années suivantes. Ainsi, tous les adhérents auraient le
même statut. C’est la voie dans laquelle s’est engagé le
parti socialiste, qui a décidé de proroger la règle de
primo-adhésion à 20 euros lancée à l’occasion de la pri-
maire de 2006.
5. Les modalités de campagne permettraient l’organisation d’une primaire compétitive. Les modalités envisagées pour la primaire de type présidentiel peuvent là aussi servir de base. La publicité de la campagne, à travers les médias, est évidemment moins nécessaire que pour une primaire ouverte. Elle ne serait toutefois pas inutile. Elle permettrait d’attirer l’attention des médias, de redonner de la visibilité à l’opposition et de susciter les adhésions.
Au total, cette primaire présente deux avantages majeurs. Le premier est de garantir l’existence d’un leader de l’oppo- sition légitime – en d’autres termes, de régler structurelle- ment la crise de leadership au sein du PS.
Le système actuel aboutit le plus souvent à la neutrali- sation des présidentiables. C’est ce qui s’est passé aux congrès de Dijon (2003) et du Mans (200 ) : la motion de synthèse comprenait tous les présidentiables, repoussant le choix du leader . Au congrès de Reims de 200 , une coalition formée sur la base du « ni Ségolène, ni Bertrand » pourrait être majoritaire, aboutissant ainsi au même résultat. Même si un présidentiable l’emporte, sa légitimité serait contestée. Il aurait toutes les chances en effet d’être porté par une motion minoritaire : sa motion obtiendrait selon toute probabilité moins de 0 % (du fait d’un scrutin à un seul tour) et son
élection finale serait due à une alliance de motions dans la
nuit du congrès. En tout état de cause, sa légitimité est une
légitimité d’appareil : au-delà de son premier signataire,
toute motion se compose d’une alliance de barons locaux, de
représentants de courants ou sous-courants. La légitimité
d’un leader de congrès, s’il arrive à émerger, sera dès lors
contestée par ses rivaux qui demanderont de la tester devant
le suffrage universel direct. Certes, le vote du premier secré-
taire se fait de manière distincte des motions, au suffrage
universel direct des militants. Mais il se fait juste après le
vote des motions, ce qui en fausse radicalement la portée.
C’est la même logique que pour le quinquennat : de même
qu’une élection présidentielle après les législatives aboutirait
à un président sous tutelle des députés, de même le premier
secrétaire est lié au jeu des motions.
La primaire proposée ici règle la question du leadership du parti socialiste. Il y a automatiquement un leader à l’issue de la primaire et il serait légitime : il obtient toujours plus de 0 % des suffrages, au second tour ; il l’obtient sur son seul nom et dans le cadre du suffrage universel direct.
Ce chef du parti est le candidat naturel – sauf accident – à la présidentielle à venir. Il peut toutefois être remis en cause dans le cadre d’une primaire présidentielle de fin de mandature. Mais cette primaire revêt une tout autre allure : elle est une primaire de légitimation du leader de l’opposi- tion, à l’approche des échéances présidentielles, et non plus une primaire de compétition. En cas d’accident, c’est-à-dire si le premier secrétaire ne s’est pas révélé à la hauteur de la tâche, il est renversé lors de cette seconde primaire. Il est clair cependant que le candidat « de dernière minute » qui émerge dans ce cas n’est pas le mieux préparé pour l’empor- ter lors de la présidentielle.
Le second avantage est la proximité avec le fonctionne- ment actuel du parti. Il suffirait de faire passer l’élection du
premier secrétaire avant le vote des motions lors du congrès
– en quelque sorte, s’aligner sur l’ordre présidentielle/légis-
latives du quinquennat. Il n’y aurait donc pas de réformes
profondes du parti à mettre en œuvre.
Certains rejettent ce modèle en soulignant que le ren-
versement premier secrétaire/motions renforcerait encore la
personnalisation du parti. C’est vrai. Mais la personnalisa-
tion est celle de la politique française tout entière, et de la
société. On peut le déplorer. Mais conserver un leadership
décalé par rapport à cette réalité est un sérieux handicap
électoral. Et la personnalisation du parti qu’implique ce
modèle est plus respectueuse du parti et de sa tradition que
la personnalisation sans le parti portée par le modèle de pri-
maire de type présidentiel décrit plus haut.
Conclusion
Au terme de nos travaux, nous sommes convaincus que le temps est venu de codifier un système de primaire à la française pour la gauche.
Le statu quo affaiblirait les potentialités de succès de la gauche en 2012. Le maintien des règles actuelles ne saurait provoquer que des scénarios négatifs, en pérennisant la crise de leadership du parti socialiste. Scénario le plus probable : la neutralisation des « présidentiables » au congrès de Reims et en conséquence l’absence de leadership socialiste d’oppo- sition ; l’organisation, à nouveau à chaud, et donc dans de mauvaises conditions, de primaires présidentielles en fin de mandature. Scénario plus improbable mais guère plus réjouissant : la victoire d’un des présidentiables à Reims, mais une victoire contrainte et contestée, entraînant le para- sitage de son leadership par ses compétiteurs ; et de nouveau une primaire de fin de mandature organisée dans de mau- vaises conditions.
Sauf à attendre l’émergence fortuite d’un leader provi- dentiel, il y a deux schémas possibles pour permettre la sor- tie de cette crise de leadership .
Le premier schéma consiste à organiser une primaire présidentielle « à l’américaine » en fin de mandature, en codi- fiant à froid et en professionnalisation l’expérience de 2006. L’objectif est de désigner le leader le plus compétitif pour la présidentielle. Ce schéma est le plus novateur et le plus adapté au régime politique national, régime présidentialiste
POUR UNE PRIMAIRE À LA FRANÇAISE
Conclusion 9
plus proche du système américain que des régimes parle-
mentaires européens. Mais il nécessite de réformer profon-
dément le parti pour lui permettre de fonctionner sans
leader : transformation du premier secrétaire en secrétaire
général organisant de bonne foi et dans l’intérêt du parti la
compétition entre les présidentiables ; transfert du leadership
d’opposition au président du groupe socialiste à l’Assemblée
nationale ; basculement de la réflexion de fond vers les think
tanks .
De telles réformes paraissent difficiles à atteindre dans
le contexte actuel de faiblesse du parti socialiste.
Le second schéma vise à garantir et restaurer le leader-
ship du parti, en désignant son premier secrétaire à travers
une primaire en début de mandature, sur le modèle britan-
nique. L’objectif est de désigner le leader de l’opposition qui
a vocation, sauf accident, à être le candidat à la présiden-
tielle. Ce schéma est moins adapté : il renvoie à un régime
parlementaire, où il est moins vital que dans un régime pré-
sidentialiste de tester le jour J l’adéquation de la personna-
lité du leader à l’opinion publique. Mais il est plus adapté au
fonctionnement actuel du parti socialiste. Il ne nécessiterait
qu’une réforme de fonctionnement du parti : le basculement,
lors du congrès, du vote du premier secrétaire avant le vote
des motions.
Le second schéma est donc moins idéal mais plus réa-
liste dans le contexte actuel.
Les deux modèles, en tout cas, font sens à la condition
que leurs conséquences sur le fonctionnement du parti soient
pleinement prises en compte.
La question de la primaire sera l’un des grands enjeux
du congrès de Reims. On en trouve déjà des éléments dans
les contributions16.
Mais la codification de la primaire sera surtout le grand
enjeu de l’équipe de direction issue du congrès de Reims.
C’est une condition du succès de la gauche en 2012 et, au-
delà, une responsabilité historique pour notre vie politique
démocratique.
16. Voir annexe, p. 110–112.
Annexes
Annexe 1 − Composition
du groupe de travail
Présidents
Olivier DuhAmel, professeur des universités, est politologue et constitutionnaliste. Il enseigne à Sciences Po les institutions et la vie politiques. Agrégé de droit public, il a été député euro- péen et l’un des principaux contributeurs aux travaux de la Convention européenne. Il est codirecteur de publication de la revue Pouvoirs , de la série annuelle TnS-Sofres, « L’état de l’opinion », et codirecteur de la collection « Médiathèque » aux éditions du Seuil. Il tient une chronique quotidienne dans le cadre des « Matins » de France Culture. Auteur de nombreux ouvrages en droit public et constitutionnel, Olivier Duhamel est vice-président du club Le Siècle.
Olivier FerrAnD est président de Terra Nova . Diplômé d’HeC, ancien élève de Sciences Po et de l’enA, il a été conseiller du Premier ministre Lionel Jospin puis du président de la Com- mission européenne, Romano Prodi. Il a également été direc- teur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn pendant les pri- maires socialistes et délégué général de son think tank À gauche en europe. Maire adjoint du IIIe arrondissement de Paris de 2001 à 2007, il est aujourd’hui maire adjoint de la ville de uir et vice-président de la communauté de communes des Aspres (Pyrénées-Orientales).
Rapporteur
matthias Fekl est haut fonctionnaire et maître de conférences en droit public à Sciences Po. Ancien élève de l’École normale supérieure (lettres et sciences humaines) et de l’enA, diplômé de Sciences Po, il est adjoint au maire de Marmande (Lot-et- Garonne) en charge des finances. Membre du parti socialiste, Matthias Fekl est aussi délégué national du club politique fondé par Michel Rocard et Dominique Strauss-Kahn, À gauche en europe.
Membres du groupe de travail
Alain BergOuniOux est historien et secrétaire national aux études du parti socialiste. Après avoir enseigné à Sciences Po, il a occupé de nombreuses fonctions au sein de cabinets minis- tériels, d’abord aux côtés de Michel Rocard quand celui-ci était Premier ministre (1988–1991), puis auprès de Catherine Trautmann au ministère de la Culture et de la Communica- tion (1997–1998) et de Michel Sapin au ministère de la Fonc- tion publique et de la Réforme de l’État (2000–2002).
loïc BlOnDiAux est professeur au département de science poli- tique de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Ses travaux portent principalement sur l’étude de la démocratie participa- tive, les mécanismes de délibération, l’analyse de l’opinion. Il a publié notamment la Fabrique de l ’opinion (Le Seuil, 1988), le Débat public : une expérience française de démocratie participa- tive (en codirection à La Découverte, 2007) et le Nouvel esprit de la démocratie (La République des idées/Le Seuil, 2008).
Anne-lorraine BujOn, ancienne élève de l’enA, agrégée d’an- glais, est membre du comité de rédaction de La vie des idées depuis 2003. elle a travaillé au Centre français sur les États- Unis de l’Ifri, comme coordinatrice des programmes et publi- cations, puis au Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères, pour y lancer une nouvelle publication, Les carnets du CaP . elle dirige depuis 2005 le bureau français de Humanity in Action, une organisation internationale qui se consacre à la question de la diversité dans les démocraties occidentales.
Aurélie Filippetti est une femme politique et romancière. elle
est députée (PS) de Moselle, porte-parole du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, et ancienne conseillère spéciale de Ségolène Royal durant la campagne présidentielle de 2007. Auparavant, elle a été membre du parti écologiste des Verts et conseillère du Ve arrondissement de Paris (de 2001 à 2007). normalienne et agrégée de lettres classiques, elle est l’auteur des Derniers jours de la classe ouvrière (Stock, 2003) et d’ un homme dans la poche (Stock, 2006).
Antoine gArApOn est magistrat et secrétaire général de l’Insti- tut des hautes études sur la justice (IHeJ). Docteur en droit, il a été juge des enfants pendant plusieurs années. Il est membre du comité de rédaction de la revue esprit et dirige la collec- tion « Bien commun » aux éditions Michalon. Il a notamment publié les Nouvelles sorcières de salem. Leçon d ’outreau (avec Denis Salas, Le Seuil, 2006) et Peut-on réparer l ’histoire ? (Odile Jacob, 2008).
marc lAzAr est historien, spécialiste de l’extrême gauche et de la politique italienne. Il est depuis 1999 professeur des uni- versités à l’Institut d’études politiques de Paris. Il en a égale- ment dirigé l’école doctorale de 2000 à 2007. Ses ouvrages por- tent notamment sur l’étude de la gauche en europe, l’étude du communisme et l’Italie contemporaine : le Communisme, une passion française (Tempus, 2006), l ’italie à la dérive (Perrin,
2006).
Bernard mAnin est politologue, professeur à la new York Uni- versity et directeur d’études à l’eHeSS. Ancien élève de l’enA, agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques, il a été membre de l’Institute for Advanced Study (Princeton), pro- fesseur au département de sciences politiques de l’université de Chicago et professeur à Sciences Po.
jean-louis missikA est sociologue des médias, professeur à l’Ins- titut d’études politiques de Paris et adjoint au maire de Paris en charge de l’innovation, de la recherche et des universités. Il a notamment été conseiller de Maurice Ulrich et de Pierre Desgraupes à la présidence d’Antenne 2, chef du service d’in-
formation et de diffusion du Premier ministre Michel Rocard,
puis directeur de BVA et enfin vice-président de la société Iliad.
jean-luc pArODi est chercheur et politologue diplômé de l’Ins- titut d’études politiques de Paris. Il a enseigné à l’École poly- technique, à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et à Sciences Po. Il est depuis 1991 directeur de La revue française de science politique et a publié de nombreux ouvrages, parmi les- quels la Constitution de la Ve république (avec Olivier Duha- mel, Presses de Sciences-Po, 1988) et l ’Hérédité en politique (avec Claude Patriat, economica, 1992).
Animateurs du groupe de travail
Cédric O est consultant en communication au sein de l’agence Opérationnelle. Diplômé d’HeC en 2006, il a été membre du cabinet de campagne de Dominique Strauss-Kahn lors des primaires socialistes de 2006.
romain pruDent, diplômé d’HeC en 2008, est coordinateur de pôle à Terra Nova .
Annexe 2 − Éléments de bibliographie
Ari BeRMAn, “e Dean Legacy”, e Nation , 28 février 2008. Alain BeRGOUnIOUx et Gérard GRUnBeRG, l ’ambition et le remords.
Les socialistes français et le pouvoir (1905–2005) , Paris, Fayard, coll.
« L’espace du politique », 2005.
Loïc BLOnDIAUx, le Nouvel esprit de la démocratie. actualité de la démocratie participative , Paris, La République des idées/Le Seuil,
2008.
Kong-Pin CHen et Sheng-Zhang YAnG, “Strategic Voting in Open
Primaries”, Public Choice , vol. 112, p. 1–30, 2002.
Manlio CInALLI, « Primaires à l’italienne », revue française de science politique , avril 2007, p. 268 sqq .
Bernard DOLeZ et Annie LAURenT, « Une primaire à la française, la désignation de Ségolène Royal par le parti socialiste », revue fran- çaise de science politique , avril 2007.
Olivier DUHAMeL, Histoire des présidentielles , Paris, France Culture/ Le Seuil, 2008.
ÉMeRGenCeS, « Le premier secrétaire et le candidat », disponible sur tp://www.emergence-s.org/?q=p remier-secretaire-candidat
elisabeth R. GeRBeR et Rebecca B. MORTOn, “Primary election Systems and Representation”, Journal of Law, economics and organization , vol. 1 , no 2, automne 1998.
Brian G. KnIGHT et nathan SCHIFF, “Momentum and Social Lear- ning in Presidential Primaries”, Nber Working Paper , no W13637, novembre 2007.
Marc LAZAR, « La naissance du Parti démocratique », il mulino (à paraître).
omas e. MAnn et norman ORnSTeIn, “Delegates of Steel: Why Superdelegates Should Be Welcomed, not Feared”, New York Times , 15 février 2008.
Mandar P. OAK, “On the Role of the Primary System in Candidate
Selection”, economics & Politics , vol. 18, no 2, p. 169–190, juillet
2006.
Michael TOMASKY, “A possibly super problem”, e New York review of books , vol. 55, no, 20 mars 2008.
Annexe 3 − Consultation des adhérents
de Terra Nova
du 12 au 16 juin 2008
Les adhérents de Terra nova marquent une préférence pour une primaire de gauche ouverte aux sympathisants, qu’elle s’ins- crive dans le cadre du parti socialiste ou qu’elle soit organisée pour l ’ensemble des partis de gauche. Cette ouverture est largement souhaitée, et ne semble pas à même de compromettre l ’implica- tion des adhérents.
D’un point de vue pratique, les préférences vont à une pri- maire en un seul scrutin, organisée plus en amont qu’en 2006 et nourrie de débats contradictoires − auxquels participeraient les candidats et des membres de la société civile. Des participations individuelles au financement de l ’organisation de la primaire et de la campagne présidentielle peuvent être envisagées. il existe en revanche une certaine réticence à financer les campagnes des candidats à l ’investiture.
introduction
Réfléchir à l’organisation d’une primaire appelle inévita- blement à un dialogue avec les principaux acteurs concernés
− citoyens, sympathisants de gauche et adhérents des partis. C’est d’eux dont dépend, en dernier ressort, le succès de la manifestation. Dans cette optique, le groupe de travail « Pro- jet Primaire » a voulu recueillir les avis, préférences et aspi- rations des adhérents de Terra Nova . en voici la synthèse17.
17. Le panel est constitué aux deux tiers d’adhérents du parti socialiste. Les pro- portions suggérées dans la synthèse sont indicatives. elles ne prétendent pas à une juste représentation statistique.
l’ouverture de la primaire et ses conséquences
Les adhérents de Terra Nova sont partagés quant au nombre de partis devant participer à la primaire de gauche. Faut-il l’inscrire dans le seul cadre du PS ? Faut-il y faire participer tous les partis de gauche ?
La première option permet d’affirmer une ligne claire- ment socialiste. elle peut être assez aisément organisée, même en l’absence d’une vision commune de la gauche. Sur- tout, elle s’inscrit dans le cadre des institutions, et respecte le rôle du premier tour : l’off re d’une visibilité à toutes les sensibilités avant la sélection du candidat de la gauche et le rassemblement.
La seconde option, elle, permet d’élargir le nombre de citoyens participant au vote. en cela, elle déverrouille le parti socialiste et le reconnecte avec le peuple de gauche. elle donne l’occasion au candidat/à la candidate élu(e) de véri- tablement incarner l’ensemble de la gauche.
Ces arguments contribuent à dessiner une claire préfé- rence pour une primaire associant l’ensemble des sympathi- sants de gauche à la désignation du candidat. Certes, le scru- tin pourrait être « pollué » par des sympathisants qui n’en sont pas, et il pourrait être faussé par des citoyens moins informés que les adhérents. Mais une telle ouverture pour- rait créer une dynamique de victoire, et elle constituerait une caution contre les « manipulations d’appareil » et le « clien- télisme ».
Aussi la primaire pourrait-elle avoir à répondre à un paradoxe : comment associer les sympathisants, sans asso- cier tous les partis ? À cela s’ajoute la question de l’évolution de l’activité militante. L’ouverture du vote peut-elle faire gagner ou perdre des militants aux partis ?
S’il organisait une primaire fermée, un parti gagnerait peut-être, à la marge, des adhérents. Rien n’est moins sûr pourtant : la plupart des sympathisants préfèrent garder leur
liberté, face à la puissance de l’appareil partisan comme au
candidat désigné. Ils sont méfiants vis-à-vis de termes comme « section » ou « camarade ».
en suivant un raisonnement statique, on pourrait consi- dérer à l’inverse que, en ouvrant sa primaire, un parti s’ex- pose à une perte d’adhérents. Quelques-uns identifient effectivement le sens de leur adhésion à la possibilité de vote. Mais ce n’est pas le cas de la plupart. Certains adhérents res- teraient dans le parti « par discipline », d’autres parce qu’ils considéreraient que leur rôle d’adhérent ne s’arrête pas là. D’autres encore verraient l’ouverture comme une chance pour leur militantisme : elle permettrait de sortir des débats de section parfois « ennuyeux », « répétitifs », et elle répon- drait à leur besoin de nouveauté. De sorte que l’ouverture pourrait créer un regain d’adhésion.
modalités pratiques
Une très large majorité des personnes interrogées estime qu’il faut plus de cinq mois entre la désignation du candi- dat/de la candidate et l’élection générale. Il faut laisser le temps à l’élu(e) de s’imprégner du programme et de l’incar- ner. Reste que certains pensent que le candidat devrait être désigné, ou du moins révélé à la dernière minute : cela per- mettrait de mobiliser tout le parti derrière un programme.
Pour départager les candidats, il existe une forte deman- de de débats, et plus particulièrement de débats contradic- toires. Ils devraient opposer les candidats, mais aussi les can- didats et d’autres personnalités politiques de gauche, des syndicalistes, des universitaires. Ces débats devraient s’exer- cer dans tous les lieux possibles (sur internet, à la télévision, dans les fédérations, …).
Un scrutin en un seul tour est largement préféré à un scrutin région après région, étalé dans le temps. Si la durée peut donner de la profondeur au débat, elle peut être obte-
nue autrement que par « un système à l’américaine » − par
des forums thématiques en région notamment. Un scrutin région après région est la plupart du temps jugé inégalitaire, inefficace, antidémocratique.
enfin, les adhérents de Terra Nova se montrent globa- lement prêts à participer au financement de l’organisation des primaires − pour peu qu’ils aient accès aux comptes et qu’ils soient consultés sur l’organisation et la stratégie de la campagne. Ils sont également prêts à participer au finance- ment de la campagne présidentielle du candidat sélectionné.
Mais, lorsqu’il s’agit de financer la campagne d’un can- didat à l’investiture, la majorité est moins nette. Les argu- ments du manque de transparence et du rôle primordial des cotisations dans le financement prennent de l’importance. L’évolution vers un système « à l’américaine », porteuse d’« inégalité financière » entre les candidats, est assez large- ment redoutée, et la volonté de donner à la primaire des dimensions modestes, de sorte à préserver les moyens finan- ciers pour l’élection présidentielle, est affirmée à plusieurs reprises.
Annexe 4 − proposition de loi présentée par
roger-gérard schwartzenberg le 28 février 2006
n° 2915
ASSeMBLÉe nATIOnALe
COnSTITUTIOn DU OCTOBRe 1958
DOUZIÈMe LÉGISLATURe
enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 février 2006.
PROPOSITIOn De LOI
relative à l ’organisation d ’ élections primaires
en vue de la désignation des candidats à l’élection présidentielle,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSenTÉe par M. Roger-Gérard SCHWARTZenBeRG, député.
exPOSÉ DeS MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’élection présidentielle étant aujourd’hui l’acte majeur de notre vie politique, les Français souhaitent pouvoir s’im- pliquer davantage dans la désignation des principaux candi- dats à l’Élysée.
L’article de la Constitution dispose : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suf- frage. Ils se forment et exercent leur activité librement. »
La présente proposition de loi respecte évidemment cette liberté. elle ne contraint nullement les partis et groupements politiques. elle leur offre simplement une nouvelle faculté
− à laquelle ils peuvent ou non recourir − pour organiser la
désignation de leur candidat à l’élection présidentielle, en leur proposant un cadre législatif, bénéficiant en outre de l’appui matériel et financier de l’État.
Dans ce cadre, les partis ou groupements politiques peu- vent − s’ils le veulent − organiser des élections primaires puis, à leur issue, une Convention nationale pour désigner leur candidat à l’Élysée.
Il a été proposé, dès septembre 200 ( cf. Roger-Gérard Schwartzenberg, « Pour des primaires à gauche », Le monde du 1 septembre 200 ), de recourir à des primaires pour pré- parer la prochaine élection présidentielle. Comme aux États- Unis où, pour désigner leur candidat à la Maison-Blanche, les deux grands partis organisent ces pré-scrutins, ouverts non seulement à leurs adhérents mais souvent aussi à leurs sympathisants et électeurs.
Le recours à cette procédure paraît encore plus néces- saire depuis le référendum du 29 mai 2005, qui a montré la volonté des Français de s’impliquer dans les débats et choix essentiels. Conformément à l’aspiration générale à la démo- cratie participative.
L’organisation de primaires aurait quatre avantages :
− démocratiser le processus de sélection des candidats à l’Élysée ;
− concilier pluralisme et partenariat pour éviter la multipli- cation des candidatures à l’élection présidentielle, tant à gauche qu’à droite ;
− permettre un large débat public devant les militants et les électeurs de gauche ou de droite, appelés à choisir eux- mêmes, par ce canal, entre plusieurs candidats à la candi- dature ;
− élaborer le projet présidentiel dans le cadre de ces pri- maires, au contact direct des adhérents, des électeurs et de leurs véritables attentes.
• D’abord l’organisation de primaires démocratiserait le pro-
cessus de désignation des candidats à l’Élysée. Certes, depuis
1995, le PS fait investir son candidat par l’ensemble de ses adhérents et l’UMP a réformé ses statuts en janvier 2006 pour faire de même. Par rapport aux règles du passé, il y a là un grand progrès de la démocratie, mais de la démocratie interne seulement. Car si ce choix revient désormais aux militants, il continue d’échapper aux électeurs.
Or, comme cela a toujours été le cas dans notre pays, ces deux partis de gouvernement présentent un déséquilibre entre le nombre élevé de leurs électeurs et celui, plus limité, de leurs adhérents : 127 300 au PS et 215 800 à l’UMP. Ainsi,
3 3 000 militants seraient appelés à effectuer seuls le choix
des deux principaux candidats à la présidence de la Répu- blique, alors que celui-ci concerne pourtant des millions d’électeurs. Ceux-ci, exclus de cette procédure de désigna- tion, pourraient juger peu légitime sa monopolisation par les adhérents. Les primaires auraient donc l’avantage d’im- pliquer aussi les électeurs du PS, de l’UMP et des formations alliées à ces deux partis.
• ensuite, ces primaires, qui concilieraient pluralisme et par- tenariat, éviteraient la multiplication des candidatures à l’élection présidentielle tant à gauche qu’à droite.
À gauche, cette procédure permettrait de limiter la mul- tiplication des candidatures au premier tour, qui a contribué pour beaucoup à l’échec du 21 avril 2002. Ces primaires seraient ouvertes à l’ensemble des adhérents et électeurs de gauche, sans désignation préalable et séparée par chaque parti. Dans ce cas, plusieurs candidats, appartenant au PS mais aussi aux autres formations (PC, PRG, Verts, MRC), pourraient participer à la compétition ouverte pour l’inves- titure par la gauche de son candidat à l’Élysée.
La gauche française pourrait s’inspirer de la gauche ita- lienne qui, en octobre 2005, a organisé des primaires de ce
type afin de sélectionner son chef de file pour les législatives
d’avril 2006 et donc son candidat à la présidence du conseil. Ces primaires, ouvertes aux adhérents et sympathisants, ont rassemblé, 3 millions de participants qui ont choisi M. Prodi parmi plusieurs candidats issus de sept partis, allant de Refondation communiste au centre gauche.
L’organisation de primaires serait utile aussi à droite. D’une part, en effet, si l’UMP a largement unifié celle-ci, l’UDF, le MPF et d’autres formations plus restreintes restent indépendantes de ce nouveau parti créé en novembre 2002. D’autre part, le recours à des primaires permettrait d’éviter que deux candidats se réclamant de l’UMP se présentent effectivement à l’élection présidentielle. Comme en 1995, où l’on a vu, au premier tour, rivaliser deux candidats issus du RPR, l’un étant son président, l’autre étant premier ministre.
Par tradition, à gauche comme à droite, les Français sont attachés au pluralisme politique − qui permet dialogue et échange entre partenaires − et sont défavorables à une unité de façade, qui pourrait leur paraître artificielle.
Mais la diversité de chacune des deux grandes tendances politiques doit jouer comme un atout, non comme un han- dicap. Le résultat du 21 avril 2002 et l’absence de candidat de gauche au second tour tiennent pour beaucoup à l’exces- sive division de la gauche au premier tour de cette élection présidentielle. De telles circonstances peuvent se reproduire en 2007 si la gauche et aussi la droite présentent chacune de nouveau une multiplicité de candidats au premier tour. D’où le risque d’un duel de second tour où seul le candidat de l’ex- trême droite serait assuré d’être présent face soit au candi- dat de la droite, soit au candidat de la gauche. Ce qui pri- verait les Français du choix fondamental qu’ils veulent exercer entre la gauche et la droite républicaine.
Les primaires permettraient d’éviter qu’avril 2007 res-
semble à avril 2002. en effet, elles concilieraient diversité et solidarité, droit à la différence et droit à la convergence.
Ce processus en deux temps − pré-campagne des pri- maires et campagne présidentielle proprement dite − conci- lierait pluralisme et partenariat. Pluralisme, car chaque parti conserverait son identité particulière et porterait son mes- sage spécifique au cours des primaires : la diversité de chaque camp serait préservée. Partenariat, car ce pluralisme concerté conduirait, à gauche et à droite, au rassemblement dès le pre- mier tour autour d’un candidat choisi en commun pour évi- ter des aléas analogues à ceux du 21 avril 2002.
• Autre effet positif des primaires : au lieu de résulter de décisions internes à des appareils parfois centrés sur eux- mêmes, la désignation du candidat à l’Élysée se ferait à ciel ouvert et en pleine transparence. elle permettrait un large débat public devant les militants et sympathisants de gauche ou de droite, appelés à choisir eux-mêmes, par ce canal, entre plusieurs candidats à la candidature.
• enfin, dernier avantage : ce processus permettrait aussi d’élaborer le projet présidentiel dans le cadre de ces pri- maires, chaque candidat à la candidature avançant et testant ses propositions au contact direct des électeurs, au lieu de les élaborer dans un cercle d’initiés, c’est-à-dire à l’écart des attentes populaires. Cela favoriserait la définition d’un pro- gramme fédérateur, faisant la synthèse des aspirations expri- mées à ce stade préalable et susceptible de convaincre l’en- semble des électeurs de chaque camp.
en se fondant sur les dates prévisibles de deux tours de la prochaine élection présidentielle − c’est-à-dire 22 avril et
6 mai 2007 − cette procédure pourrait se dérouler en deux temps. D’abord, de septembre à décembre 2006, des pri- maires auraient lieu dans chaque région : elles seraient ouvertes, à gauche, aux adhérents et électeurs des partis de
l’ancienne gauche plurielle et, à droite, à ceux de l’UMP, de
l’UDF et des formations voisines. ensuite, en janvier 2007, deux Conventions nationales se tiendraient pour designer officiellement le candidat de chaque camp à la présidence de la République.
Au référendum du 29 mai 2005, nos concitoyens ont manifesté leur volonté de se déterminer par eux-mêmes et leur refus de laisser les partis et leurs adhérents décider à leur place. Il importe donc de réformer les procédures de sélec- tion des candidats à l’Élysée. Leur choix doit cesser d’ap- partenir exclusivement au suff rage restreint des adhérents (550 000, au total, pour l’ensemble des partis français) pour revenir désormais à une plus large partie du corps électoral ( 1,3 millions d’inscrits). La démocratie y gagnerait en clarté, en vigueur et en légitimité.
PROPOSITIOn De LOI ARTICLe 1er
Un parti ou un groupement politique peut organiser des
élections primaires en vue de désigner son candidat à l’élec- tion présidentielle.
Plusieurs partis ou groupements politiques appartenant à une même grande tendance politique peuvent organiser ensemble des élections primaires en vue de désigner leur candidat commun à cette élection.
ARTICLe 2
Tout adhérent du ou d’un des partis ou groupements politiques concernés peut se porter candidat aux élections primaires.
ARTICLe 3
Les élections primaires sont ouvertes aux adhérents du ou des partis ou groupements politiques concernés, ainsi qu’aux électeurs qui déclarent se réclamer des valeurs du ou
de ces partis ou groupements. Cette déclaration donne lieu
à une affiliation sur une liste de sympathisants du ou de ces partis ou groupements.
ARTICLe
Ces élections primaires ont lieu dans les huit à quatre mois précédant le jour fixé par le gouvernement pour le pre- mier tour de l’élection présidentielle. À l’intérieur de ce délai, elles peuvent se dérouler simultanément ou bien être espa- cées dans le temps.
ARTICLe 5
Les élections primaires sont organisées dans le cadre des vingt-six régions de métropole et d’outre-mer, ainsi que dans les territoires d’outre-mer et dans la collectivité de Mayotte. Dans le cadre de chaque région, territoire d’outre-mer ou collectivité, elles se déroulent le même jour.
Les opérations de vote ont lieu dans les bâtiments publics municipaux si les maires acceptent de mettre ces locaux à disposition. Dans ce cas les électeurs se réunissent, le jour du scrutin, à leur lieu de vote habituel.
Chaque bureau de vote est présidé par le maire ou son président : il comprend, en outre, au moins deux assesseurs désignés par les mandataires des candidats à la candidature ou, sinon, choisis par le président du bureau de vote parmi les électeurs.
À défaut, les opérations de vote ont lieu au siège des fédérations régionales ou départementales ou à celui des structures locales du ou des partis ou groupements concer- nés.
La liste des lieux de vote est rendue publique par arrêté conjoint du préfet de région et des préfets des départements.
ARTICLe 6
Un décret pris pour l’application de la présente loi enre- gistre le calendrier des élections primaires et de la Conven-
tion nationale préalablement arrêté par le ou les partis ou
groupements concernés.
Dans chaque région, le préfet de région et les préfets des départements prennent un arrêté conjoint dressant la liste des bureaux de vote retenus par le parti ou groupement ou, d’un commun accord, par les partis ou groupements concer- nés.
ARTICLe 7
Les élections primaires ont pour objet de désigner les délégués à la Convention nationale du ou des partis ou grou- pements concernés. Cette Convention investit le candidat de ce ou de ces partis ou groupements politiques parmi les candidats à la candidature restés en lice à l’issue des élec- tions primaires.
La Convention nationale rassemble les délégués élus dans chaque région ou territoire d’outre-mer, ces collectivi- tés territoriales y disposant d’un nombre de délégués pro- portionnel à l’importance de leur population.
La Convention nationale a lieu au plus tard quatre mois avant le jour fixé par le gouvernement pour le premier tour de l’élection présidentielle.
Dans chaque région, les mandats de délégué à la Convention nationale sont répartis au prorata du nombre de voix recueillies aux élections primaires par chaque candidat à la candidature.
Les délégués à la Convention nationale s’engagent à voter pour tel ou tel candidat à la candidature. Leur man- dat est impératif, sauf si le candidat en faveur duquel ils s’étaient engagés se retire pendant la campagne des élections primaires ou se désiste à la Convention nationale au profit d’un autre.
Pour être investi candidat au premier tour par la Convention nationale, il faut y recueillir la majorité absolue des suffrages exprimés.
À défaut, un second tout est organisé : seuls peuvent s’y
présenter les deux candidats à la candidature arrivés en tête au premier.
ARTICLe 8
Les partis ou groupements politiques organisant des élections primaires en vue de la désignation de leur candi- dat à l’élection présidentielle peuvent demander le concours de l’État dans les conditions prévues ci-dessous.
ARTICLe 9
La faculté offerte par l’article précédent est réservée aux partis et groupements politiques admis, au moment de la demande prévue par l’article précédent, à la plus récente répartition de l’aide de l’État au titre des articles 8 et sui- vants de la loi n° 88–227 du 11 mars 1988 relative à la trans- parence financière de la vie politique.
ARTICLe 10
Les partis et groupements politiques ou les groupes de partis ou groupements politiques désireux de bénéficier des dispositions de la présente loi en formulent la demande auprès du ministre de l’intérieur.
ARTICLe 11
L’État prend en charge le coût de l’organisation des opé- rations de vote des élections primaires. Ce coût est égal à la somme, majorée de 10 %, des allocations versées par l’État aux communes au titre des dispositions de l’article L. 70 du code électoral à l’occasion des plus récentes élections géné- rales précédant les élections primaires.
ARTICLe 12
Pour l’application des dispositions de l’article L. 52–12 du code électoral, le candidat investi à l’élection présiden- tielle consécutivement aux élections primaires inclut dans son compte de campagne en recettes et en dépenses :
1. une somme égale au montant total des dépenses exposées
pour la campagne des élections primaires divisé par le nombre de candidats à la candidature dans le cas où la Convention nationale qui l’a investi n’a donné lieu qu’à un seul tour ;
2. une somme égale à la moitié desdites dépenses dans le cas où la Convention nationale a donné lieu à un second tour.
ARTICLe 13
Tout candidat à la candidature ayant concouru à des élections primaires dans au moins la moitié des régions ou territoires d’outre-mer et y ayant obtenu en moyenne 5 % des suff rages exprimés bénéficie du remboursement par l’État de 50 % de ses dépenses de pré-campagne présiden- tielle.
ARTICLe 1
Les modalités d’application de la présente loi sont fixées par décrets en Conseil d’État.
ARTICLe 15
Les charges éventuelles qui résulteraient pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées par l’aug- mentation à due concurrence des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Annexe 5 − la question de la primaire
du congrès du parti socialiste
Nom de la contribution Position Modalités proposées
(premier signataire) adoptée
Donner une cohérence Primaire − rassemblement de la gauche de gouvernement dans à la gauche et un envisagée une structure fédérative ; « dans un délai rapide »; espoir à la France − choix du candidat en 2011 ;
(F. Hollande) − présentation d’un candidat commun de toute la gauche de gouvernement au premier tour de la présidentielle, à partir d’une procédure qui pourrait être élargie aux citoyens eux- mêmes.
Clarté, courage Question − pas désignation dès à présent du candidat
et créativité : choisir renvoyée à la présidentielle ;
maintenant, pour à plus tard − c’est un parti modernisé « qui devra réfléchir au dialogue
agir demain avec ses électeurs pour le choix de son candidat
(B. Delanoë) à l’élection présidentielle ».
Une vision pour Question L’objectif du « parti unique » ou des « primaires » à gauche
espérer, une volonté | renvoyée | n’est pas une question préalable. |
pour transformer | à plus tard | |
(M. Aubry) |
(M. Dolez) universel direct rend la question sans objet.
Nom de la contribution Position Modalités proposées
(premier signataire) adoptée
Reconquêtes Renvoi à un Proposer à la gauche un accord sur la préparation des
(H. Emmanuelli et B. Hamon) | accord avec toute | élections à venir, définissant notamment les modalités du choix d’un candidat commun pour l’élection présidentielle. |
la gauche | ||
Réussir ensemble | Question | Choix du candidat à la présidentielle fin 2010. |
le congrès | non évoquée | |
du Parti socialiste | ||
(J.-M. Ayrault) | ||
Besoin de gauche | Primaires | Primaires ouvertes, organisées par le Parti socialiste au |
(P. Moscovici) | ouvertes | printemps 2011, après son congrès, et auxquelles pourront prendre part, sans exclusive, tous ceux qui se reconnaissent dans les idées de progrès portées par le PS. |
La ligne claire | Primaires | − pour la présidentielle, primaires à l’italienne, les électeurs |
(G. Collomb et J.-N. Guérini) | ouvertes | devant être inscrits sur les listes électorales ; − pour les scrutins locaux, sur la base des listes électorales, choix des candidats aux élections uninominales et des têtes de liste aux municipales et régionales par les sympathisants déclarés. |
Réinventer la gauche | Question | La contribution souhaite notamment « empêcher la mutation |
(J.-L. Mélenchon) non évoquée du PS en parti démocrate » et « faire le choix de l’union des gauches sans exclusive ».
Altermondialistes, non évoquée
Écologistes
(F. Pupunat)
à gauche non à la présidentielle ;
(L. Fabius) évoquée − bilan de 2006 : « primaires présidentielles baroques avec interdiction faite aux candidats de dialoguer » ; absence de
« dispositif de désignation de notre candidat(e) à la fois transparent et partagé ».
Combattre, Question Question non évoquée.
et proposer non évoquée
(S. Royal)
Unité et refondation(s) ! Question Choix du candidat à la présidentielle en 2011. (F. Léveillé) non évoquée
didat commun à l’élection présidentielle ;
− ce congrès de l’unité serait précédé de forums thématiques et, fin 2009, d’un congrès exceptionnel de chacun des par- tis, qui acterait la nouvelle démarche.
D’abord, redistribuer Primaires Modalités non détaillées.
les richesses à gauche pour
(G. Filoche) une candidature commune
de campagne gauche pour − toute personnalité peut proposer sa candidature, un parti
(M. Lebranchu) une candidature pouvant en présenter plusieurs avec un projet aux suffrages commune des hommes et femmes de gauche ;
− débats transparents et équitables ;
− listes électorales constituées par le biais d’inscriptions volontaires et publiques.
Nom de la contribution Position Modalités proposées
(premier signataire) adoptée
Pour un socialisme | Primaires | −« donner une chance à de vraies primaires à la française »; | ||
écologique | ouvertes | − permettre à tous les militants et sympathisants de gauche | ||
(G. Guibert | de sélectionner le/la candidat/e PS à la présidentielle. | |||
et C. Caresche) | ||||
Urgence sociale | Question | Question non évoquée. | ||
(P. Larrouturou) | non | |||
évoquée | ||||
Et si le parti | Question | Question non évoquée. | ||
restait socialiste | non | |||
(J. Fleury) | évoquée |
Fabrication : Transfaire, 0 250 Turriers (0 92 55 18 1 )
Dépôt légal : 81831, août 2008