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Rapport

Réformer l’élection présidentielle, moderniser notre démocratie

Dans 365 jours se tiendra l’élection présidentielle, le rendez-vous phare de notre vie démocratique. On s’interroge sondage après sondage sur l’identité des candidats en lice, sur leur chance de succès. Personne ne s’interroge en revanche sur l’élection présidentielle elle-même, comme s’il s’agissait d’une donnée intangible. Or notre système électoral vieillit mal. Ses défauts sont de plus en plus visibles : inscriptions difficiles sur les listes électorales, règles de candidature baroques ; cadre de campagne (calendrier, temps de parole, campagne officielle) archaïque et décalé ; système de financement contestable. Surtout, le mode de scrutin pourrait aboutir à un accident démocratique majeur : la qualification en finale, et donc la mise au centre du jeu politique, de Marine Le Pen, la candidate la plus rejetée, la « dernière » de la classe politique ; voire l’élimination au premier tour du « meilleur » candidat, celui qui recueille l’assentiment majoritaire des Français. Dans ce rapport, Olivier Ferrand, président de Terra Nova, propose une réforme profonde du cadre législatif de l’élection présidentielle. Avec un objectif : moderniser notre démocratie.

Publié le 

Par Olivier Ferrand , président de Terra Nova

Publié le 22 avril 2011 sur Slate.fr

Dans 365 jours exactement, le 22 avril 2012, se tiendra le premier tour de l’élection présidentielle. On s’interroge sondage après sondage sur l’identité des candidats en lice, on soupèse leur chance de succès. Personne ne s’interroge en revanche sur l’élection présidentielle elle-même, comme s’il s’agissait d’une donnée intangible. Or elle s’avère défaillante sur bien des plans.

Dans une récente tribune sur Slate.fr [1] , j’ai insisté sur le point le plus dysfonctionnel : le mode de scrutin.

Le scrutin présidentiel repose en effet sur le vote uninominal majoritaire à deux tours. Il présente un grand atout : donner au second tour une majorité électorale au vainqueur, ce qui confère au président une grande légitimité. Mais la mécanique de premier tour est problématique car elle est vulnérable à la fragmentation politique : un candidat majeur peut être éliminé du fait de la multiplicité des candidatures dans son camp. C’est ce qui est arrivé à Lionel Jospin en 2002, victime de l’éparpillement de la gauche en huit candidatures différentes. En 2012, cette mécanique va presqu’à coup sûr placer au centre du jeu démocratique Marine Le Pen, qui a de très bonnes chances de se qualifier pour le second tour. C’est en réalité une aberration : Marine Le Pen est rejetée par les trois-quarts des Français, qui n’en veulent sous aucun prétexte. Dans un duel de second tour, elle perd très largement contre chacun des autres candidats potentiels : elle est donc hiérarchiquement la dernière des candidatures en lice, la plus mauvaise, alors que le mode de scrutin peut la placer n°2 et finaliste de l’élection. Pire : le candidat qui recueille l’assentiment majoritaire des Français (en l’occurrence le candidat socialiste), celui qui gagne contre tous les autres dans un duel de second tour (avec une forte majorité, qui plus est), le meilleur donc – celui-là est menacé d’une élimination au premier tour.

C’est pourquoi Terra Nova propose de réfléchir à un nouveau mode de scrutin : le « jugement majoritaire » [2] . Inventé par Michel Balinski et Rida Laraki, chercheurs au CNRS, il se déroule sur un seul tour. Il demande à l’électeur, au lieu de nommer un seul candidat, d’évaluer tous les candidats selon une échelle de mentions : Très bien, Bien, Assez bien, Passable, Insuffisant, à Rejeter. Le vainqueur est celui qui obtient la meilleure mention. Avantage principal de ce scrutin : il n’est pas sensible au nombre de candidatures. C’est bien le « meilleur » qui gagne. Et il remet Marine Le Pen, qui obtient la mention « à rejeter », à sa vraie place : la dernière.

Evidemment, une telle innovation paraît aujourd’hui irréaliste, tant nous sommes collectivement attachés à notre scrutin présidentiel. Des constitutionnalistes comme Guy Carcassonne la défendent pourtant. Et un scénario du pire en 2012 – élimination au premier tour du candidat socialiste, présence de Marine Le Pen au second, réélection de Nicolas Sarkozy en dépit de sa grande impopularité – ne manquerait pas de mettre la question sur le devant de la scène.

Mais il n’y a pas que le mode de scrutin qui pose problème. Notre système électoral vieillit mal. Sans même parler de la « révolution » que provoquerait le passage au « jugement majoritaire », plusieurs éléments du cadre électoral présidentiel méritent d’être réformés. Terra Nova vient de faire une série de propositions en ce sens [3] .

Premier point : les inscriptions sur les listes électorales sont difficiles

Actuellement, l’inscription sur les listes électorales est close au 31 décembre de l’année précédent le scrutin. Cette contrainte limite le nombre de votants : à plusieurs mois du scrutin, les non-inscrits n’ont pas aussi nettement à l’esprit la nécessité de s’inscrire pour participer à la prochaine élection ; ils n’ont pas non plus la même envie d’y participer.

Retarder la clôture des listes électorales permettrait de maximiser la participation aux élections. Pour y parvenir, il est nécessaire de réduire la durée de révision des listes. Cela passe par la création d’un fichier national informatisé, qui pourrait être mis à jour automatiquement dès inscription d’un électeur auprès de sa commune. L’inscription pourrait se poursuivre au plus près de l’élection, par exemple jusqu’à une semaine avant, mais techniquement il est même possible d’envisager une régularisation le jour même de l’élection.

Pour éviter les dérives potentielles, la gestion de ce fichier national des listes électorales serait confiée à une autorité administrative indépendante.

Deuxième point : les règles de candidature sont baroques


Pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut réunir le parrainage de 500 élus – en pratique, pour l’essentiel, de maires. Cette règle des « 500 signatures » ne fait guère de sens. Il s’agit d’un étonnant archaïsme. Les maires n’ont qu’une légitimité très indirecte à désigner les candidats à la présidentielle. Cette règle est inefficace : elle permet à des candidatures non-représentatives de se présenter et bloque ou fragilise à l’inverse des candidatures populaires dans l’opinion.


Terra Nova propose de supprimer cette règle et de rendre possible deux types de candidatures.
Le premier : les candidatures désignées par les partis représentatifs (ceux dépassant un seuil
de représentation électorale minimal, par exemple 5% aux élections législatives précédentes).
Ce serait conforme au rôle que la Constitution confie aux partis dans la vie démocratique
nationale. Le second : les candidatures ayant fait l’objet d’un « parrainage populaire » sous la
forme d’une pétition de soutien (avec un seuil autour d’un million de signataires, soit 2.5% du
corps électoral). Cela permettrait de reconnaître les candidatures « hors-système » bénéficiant
d’une légitimité dans l’opinion. Et cela leur donnerait l’occasion de créer une vraie
dynamique populaire par la recherche de signatures, plutôt que de les monopoliser dans un
travail stérile de collecte des signatures auprès des maires.

Troisième point : le calendrier de campagne est décalé


La campagne française fait l’objet d’un étrange déséquilibre de calendrier : environ 4 mois de campagne de premier tour pour seulement 14 jours de second tour – soit huit fois moins. Ce déséquilibre empêche le déploiement des arguments politiques les plus importants, ceux du second tour, car portés par les finalistes appelés à gouverner le pays. Le second tour se résume le plus souvent à la consolidation des résultats du premier tour, avec comme seule variable d’ajustement les consignes de vote des candidats battus au premier tour, en particulier le « troisième homme ». Son autonomie se limite au débat entre les deux candidats finalistes, souvent très corseté, et donc peu révélateur.

Ce n’est pas le cas dans les autres démocraties. Aux Etats-Unis, par exemple, l’élection générale entre les deux finalistes issus des primaires prend son temps. Elle tient le haut du pavé près de trois mois (des conventions d’investiture en été jusqu’au vote du deuxième mardi de novembre), souvent nettement plus lorsque les primaires ont été rapides : trois débats télévisés, sans compter ceux qui opposent les candidats à la vice-présidence, une place centrale à la télévision et dans les journaux, un éclairage permanent – en somme un réel espace démocratique.


Terra Nova propose d’allonger la durée de la campagne de second tour à au moins un mois.
Cela redonnerait de l’importance aux enjeux du second tour et permettrait, notamment,
d’organiser trois débats en face-à-face entre les deux finalistes.

Quatrième point : les règles de temps de parole sont inadaptées

L’égalité du temps de parole est la règle pour la campagne officielle. Elle installe les
principaux candidats dans des situations de pénurie médiatique. Ils n’ont plus qu’un accès très
limité aux médias, qui doivent traiter les dix ou quinze candidats de manière identique dans
leur rubrique politique. Cette situation est inefficace : la campagne réelle s’arrête lorsque
s’ouvre la campagne officielle, environ quinze jours avant le scrutin, alors que cette période
devrait au contraire être la plus déterminante pour éclairer le choix des électeurs. Elle est
également injuste : il n’est pas normal que Gérard Schivardi (0.34% des voix aux élections présidentielles de 2007) ait le même temps de parole que Nicolas Sarkozy (31%, soit cent fois plus).


Cette règle de l’égalité formelle du temps de parole est loin d’être généralisée dans les démocraties occidentales. La règle aux Etats-Unis, par exemple, est inverse : la liberté d’expression, garantie par le 1er amendement de la Constitution américaine. Il n’y a pas de limite à cette liberté et les plus « gros » candidats peuvent saturer les médias et faire disparaître les plus « petits ».


Entre ces deux extrêmes, Terra Nova propose un juste milieu : l’instauration d’une règle
d’équité du temps de parole. Les candidats doivent être traités de manière équitable, en
fonction de leur poids estimé dans l’opinion. Les erreurs manifestes d’appréciation seraient
sanctionnées par le CSA. Un socle minimal d’exposition médiatique serait offert à tous les
candidats, à travers les spots télévisés de la campagne officielle qui resteraient régis par le
principe d’égalité.

Cinquième point : les règles de la campagne officielle sont archaïques


Aux Etats-Unis, qui autorisent la publicité politique, l’expression politique télévisée est d’une
grande modernité. Mais elle nécessite des financements que les Américains eux-mêmes jugent
excessifs et elle tend à transformer la politique en produit commercial.
La France se situe à l’extrême inverse. Sévèrement réglementés dans leur forme, les spots de
la campagne officielle sont d’un rare archaïsme. Conséquence : les téléspectateurs zappent,
les audiences sont abyssales, le message politique est rejeté par le citoyen. L’image de la
politique en pâtit.


Terra Nova propose de rendre son utilité à la campagne officielle en permettant aux candidats
de s’exprimer dans des formats courts (de type publicitaire), créatifs et attractifs, librement
produits. La campagne officielle serait placée aux moments de grande écoute dans des écrans
télévisuels de six minutes environ (les coupures plus longues entraînant un décrochage de
l’audience). La suppression de la publicité sur les chaînes publiques offre la possibilité
d’installer ces écrans sur France Télévision au même moment que les écrans publicitaires des
chaînes privées. L’idéal serait toutefois de les installer aussi sur les chaînes privées, et donc
d’y remplacer les créneaux publicitaires par les spots de la campagne officielle.

Dernier point : le système de financement est contestable


Le plafond de financement de la campagne présidentielle française atteint 20 M€ pour un
candidat finaliste. C’est un niveau relativement bas, qui contraint l’expression politique de
campagne.

Ce niveau n’est toutefois pas déraisonnable. Si l’on prend le cas extrême, les Etats-Unis, les budgets de campagne paraissent phénoménaux : 1.6 milliard de dollars pour la présidentielle de 2008, dont 750 millions pour Barack Obama. En réalité, ces budgets sont rendus excessifs par la nécessité de financer une publicité politique massive – publicité interdite en France. Le budget hors publicité d’Obama s’élevait à 400 M$, ce qui correspondrait à un budget de l’ordre de 60 M€ pour la France. Celui de John McCain s’élevait à 250 M$, soit un équivalent pour la France de 35 M€. Des niveaux encore importants, mais qui ne sont plus si éloignés du plafond légal français.


Terra Nova propose un élargissement contrôlé du financement.


Contrôlé, avec le maintien en l’état du plafond de financement, l’interdiction des dons des
entreprises et la limitation des dons des personnes physiques à 4.600€ : il ne s’agit pas de
tomber dans les excès américains.


Elargissement, avec l’autorisation des petits dons hors plafond. L’idée est que le financement
privé pose problème car il crée une dépendance aux lobbies et aux gros donateurs. Mais
Barack Obama a innové en 2008 en finançant sa campagne avec des petits dons. Ce financement populaire ne crée aucune dépendance aux lobbies. Au contraire, il participe de la mobilisation démocratique en créant un lien entre le candidat et ses supporters. Les petits dons financent les campagnes caritatives de type téléthon ; rien ne s’oppose à ce qu’ils financent aussi les campagnes politiques. Le seuil des petits dons pourrait être fixé autour de 100€.


En contrepartie, Terra Nova propose la publication et le contrôle en temps réel des comptes de
campagnes. Les budgets de campagne sont opaques : les publications, plusieurs mois après le
vote, sont minimalistes. La Commission nationale des comptes de campagne, chargée de
leur contrôle, n’a en réalité pas de pouvoir. Et on voit mal comment elle pourrait annuler une
élection présidentielle pour non-respect des règles financières de la campagne. C’est pourquoi
Terra Nova propose une transparence et un contrôle en temps réel, sur une base mensuelle
voire bi-hebdomadaire, comme aux Etats-Unis. Les irrégularités pourraient ainsi subir une
sanction politique en étant exposées publiquement et utilisées contre le candidat fautif
pendant la campagne.

Sur tous ces sujets, il s’agit d’adaptations au système actuel, et non d’un grand chamboulement. Elles permettraient toutefois la modernisation de l’acte démocratique phare de notre République, l’élection présidentielle. Il n’est certes plus temps, à douze mois de l’échéance, de changer les règles du jeu pour 2012. En revanche, il est souhaitable de lancer la réflexion dès la fin de la séquence politique de 2012, afin de refonder le cadre législatif national de l’élection présidentielle le plus en amont possible de 2017.

  1. Olivier Ferrand, Comment éviter un nouveau 21 avril ? , Slate.fr, 21 avril 2011 :

  2. Michel Balinski et Rida Laraki, Rendre les élections aux électeurs : le jugement majoritaire (note Terra Nova, 21 avril 2011)

  3. Olivier Ferrand, Réformer l’élection présidentielle, moderniser notre démocratie (rapport de Terra Nova, 21 avril 2011)

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