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Revue de presse

Thierry Pech : « Les gilets jaunes, une fierté retrouvée »

L’entretien de Thierry Pech à « Libération » sur le mouvement des gilets jaunes, le jour des annonces d’Emmanuel Macron le 10 décembre suite à trois semaines de mobilisations, qui relèvent selon lui d’une manifestation d’existence à laquelle le gouvernement doit répondre par plus d’équité et de la justice sociale.
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Alors que le chef de l’Etat prononcera un discours décisif ce lundi soir à la télévision, l’essayiste et directeur général du think tank progressiste Terra Nova depuis 2013 estime que les mobilisations relèvent d’une manifestation d’existence à laquelle le gouvernement doit répondre par plus d’équité et de la justice sociale.

Vous avez publié Insoumissions. Portrait de la France qui vient en 2017. Vous attendiez-vous à un tel climat d’insurrection un an plus tard ?

Je faisais dans ce livre l’hypothèse d’une « radicalisation du citoyen » et de la « fin de la pacification démocratique ». Je ne m’attendais pas à ce niveau de violence, mais l’irruption d’un mouvement populaire aux allures insurrectionnelles fait clairement écho à ces analyses. Le contrat social tissé dans la seconde moitié du XXe siècle reposait sur un pacte tacite que l’on peut résumer de façon très simplifiée : sécurité professionnelle, éducation et pouvoir d’achat contre subordination salariale, consumérisme et docilité politique. On s’évertue à prolonger tant bien que mal les termes de ce contrat, mais ça ne marche plus vraiment. Du coup, dans un pays qui a fait du président de la République et de l’Etat réformateur les opérateurs quasi exclusifs de sa transformation, c’est sur eux que s’abattent aujourd’hui toutes les récriminations.

Quelle en est la cause ?

Le mouvement des gilets jaunes est né d’une contestation des taxes sur les carburants, mais il est très vite apparu qu’il portait une colère plus générale sur le pouvoir d’achat. Et que cette colère montait des milieux sociaux qui étaient hier encore les agents de la stabilité sociale, c’est-à-dire les classes populaires intégrées dans l’emploi et les classes moyennes inférieures titulaires d’un niveau moyen de qualification. L’une des raisons majeures du malaise, c’est qu’avec les taux de croissance faibles que nous avons connus ces dix dernières années, le revenu arbitrable des ménages, c’est-à-dire ce qui leur reste une fois qu’ils ont payé les dépenses pré-engagées et contraintes, stagne, voire baisse. Du même coup, ces ménages qui ont investi dans l’éducation de leurs enfants, qui se sont endettés pour la voiture et la maison et qui travaillent souvent durement, ont le sentiment que leurs efforts ne paient pas, que les contreparties du contrat tacite ne sont pas au rendez-vous.

Cette situation devient intolérable quand s’y ajoute le sentiment d’être ignoré, voire méprisé. On a beaucoup glosé sur les déclarations du chef de l’Etat à propos des « Gaulois réfractaires » ou des « fainéants », lesquelles ont manifestement blessé. Mais le sentiment d’être méprisé vient de plus loin et il pointe des attitudes de condescendance, de paternalisme ou d’arrogance assez répandues depuis longtemps dans les catégories supérieures de la population. Dans ce contexte, les mobilisations sont une affirmation de soi, une manifestation d’existence qui, on le voit bien, s’accompagne d’une forme de fierté retrouvée.

Quelle doit être la réponse politique à ce mouvement ?

Il faut répondre sur au moins deux terrains. Le terrain de l’équité et de la justice sociale, d’abord. Le gouvernement a clairement sous-estimé cette demande jusqu’ici. Il faut en particulier associer très étroitement transition écologique et justice sociale. C’est pourquoi nous avons proposé, à Terra Nova, qu’une grande partie de la fiscalité écologique soit directement redistribuée aux ménages modestes sous la forme d’une « prime de transition écologique ». Le terrain démocratique, ensuite : la gestion verticale d’institutions déjà excessivement présidentialisées donne à beaucoup le sentiment que la politique se décide entre quelques personnes entourées d’une poignée de technocrates. Qu’en tout cas, elle se fait sans eux, voire contre eux. S’il ne fait pas mouvement sur ces deux terrains, j’ai peur que « le pouvoir » soit rapidement perçu comme un objet démocratique légal sans grande consistance. La République risquerait alors d’entrer en terre inconnue.

Les gilets jaunes sont-ils un mouvement de gauche ?

Je ne crois pas que l’on puisse dire cela. Ils seraient certainement nombreux à s’en défendre, en tout cas. Mais, de fait, les principales thématiques sur lesquelles ils se mobilisent croisent largement les préoccupations historiques de la gauche, que ce soit l’équité fiscale ou l’aspiration à élargir le cercle de la citoyenneté et de la délibération.

Simon Blin

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