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Revue de presse

« Une insurrection, pas une révolution ! »

De l’insoumission, de l’insubordination, oui. Mais une insurrection ? Cela reste à voir. S’il flotte sur la campagne présidentielle française un climat de colère collective, il ne faudrait pas confondre cette atmosphère avec celle d’une pré-révolution. C’est en tout cas l’analyse de Thierry Pech. Directeur du think tank Terra Nova et auteur du livre « Insoumissions, portrait de la France qui vient » (édition du Seuil), il porte un regard très nuancé sur les conséquences de la critique des élites et du « dégagisme » que l’on retrouve dans la campagne française comme lors de l’élection américaine et lors du vote du Brexit. Pour l’analyste, ce mouvement de colère, né de l’arrivée à terme du pacte social qui a maintenu un équilibre pendant des décennies, ne débouche sur aucun projet alternatif.
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Thierry Pech est le directeur du think tank Terra Nova et auteur de « Insoumissions-portrait de la France qui vient » (Editions Seuil). Il a enquêté et décortiqué les insoumissions contemporaines.

On constate dans cette campagne un climat général d’insurrection. Comment l’expliquer?

Le pacte social noué après la Seconde Guerre mondiale a tenu pendant des décennies. C’était « les Trente Glorieuses ». On a promis et donné aux gens des droits sociaux, de la sécurité professionnelle, du pouvoir d’achat, de l’éducation, de la croissance. En échange, on leur a demandé de se plier à un certain nombre de disciplines, notamment au travail, avec la subordination salariale. Mais ce pacte a vécu.

Et pourquoi?

Le deal salarial s’est cassé. La consommation de masse – autre discipline – atteint elle aussi ses limites. On en revient. Enfin, il y a eu une forme de docilité politique qui, elle aussi, arrive à son terme. Il faut se souvenir que, dans la France de l’après-guerre, les espérances révolutionnaires étaient vives. Le Parti communiste était fort. Mais les nouvelles classes moyennes salariées se sont vite laissé convaincre qu’il fallait s’éloigner des radicalités.

Pourquoi ce pacte social arrive-t-il à son terme?

Dès les années 90, ce pacte est contesté parce que les contreparties ne sont plus au rendez-vous. La croissance chute. Les gains de pouvoir ralentissent. La stabilité professionnelle aussi vacille. Le capitalisme, la mondialisation, exigent de la flexibilité. A quoi sert-il d’avoir des diplômes si c’est pour décrocher des emplois bas de gamme? Cela crée un sentiment de panne. Des gens élevés dans l’esprit du nouvel individualisme, qui pensent que réussir, c’est se gouverner soi-même, sont confrontés à des situations très décevantes où ils n’arrivent pas à réaliser leur idéal du travail.

Des salariés déchirent la chemise de leur DRH, des gens menacent de brûler leur usine: c’est un climat d’insoumission presque insurrectionnelle?

Ces images d’Air France ont fait le tour du monde mais elles mentent d’une certaine manière. Car la majorité des Français ne travaille pas dans les grandes entreprises. Ils bossent dans des entreprises où il y a très peu de représentations syndicales, où l’on est très peu nombreux, et où l’emploi peut être rapidement menacé. Il se passe des choses à la fois beaucoup plus ordinaires et beaucoup plus graves.

Jean-Luc Mélenchon se présente comme le candidat de « la France insoumise ». Beaucoup de candidats critiquent les élites. On dégage tout le monde. Cette campagne n’est-elle tout de même pas révolutionnaire?

Je ne dirais pas du Brexit que c’était un vote révolutionnaire, de l’élection de Trump, que c’était une campagne révolutionnaire. Or ces processus présentaient des caractéristiques proches de ce qu’on observe en France. On sort les sortants, on veut sanctionner les élites, etc. Mais une situation pré-révolutionnaire, c’est autre chose ! Quand on regarde l’histoire de France, l’espérance révolutionnaire, ce n’était pas juste un mouvement de colère collective. Il y avait derrière un autre projet de société qui se préparait. Où sont les Montesquieu, les Condorcet de la révolution en germe? Tout ça n’est pas sérieux! On n’est pas du tout dans un processus de production révolutionnaire.

Qu’est-ce qui est en jeu alors?

Ce sont les fondements du modèle occidental qui sont en jeu, y compris ses fondements politiques, ce rapport au libéralisme politique, au pluralisme, à la délibération… A chaque fois que quelqu’un crie dans une rue à Paris, on parle d’une nouvelle révolution en France. C’est vrai que nous avons connu de nombreuses ruptures politiques : 14 constitutions depuis 1789, c’est beaucoup ! Mais ce qui se passe aujourd’hui en France a des équivalents un peu partout en Europe, avec des intensités différentes. C’est la mise en cause des effets de la mondialisation et de la capacité de nos démocraties libérales à défendre notre cohésion sociale. C’est aussi l’expression de rage de classes populaires qui ont été en grande partie les oubliés de la fête.

Le vote FN, est-ce une insoumission?

Bien sûr! Ses électeurs adhèrent à un discours de condamnation du libéralisme politique. Dans ce sens-là, c’est un mouvement d’insoumission. Et il est plus populaire que les zadistes ou les Nuit Debout. Mais ce que ses électeurs achètent vraiment, ce sont d’abord les vieux classiques: la sécurité, la lutte contre l’immigration.

Dossier réalisé en commun par Le Soir, La Tribune de Genève et la Repubblica 

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