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Note

Le « Say on Climate » : une solution urgente et pragmatique

A l’occasion des assemblées générales de 2021, plusieurs sociétés, dont Vinci et Total, vont introduire le « Say on Climate » en France. Le « Say on Climate » consiste à faire voter chaque année les actionnaires sur la politique climat des entreprises cotées. Ce faisant, l’entreprise fait la transparence sur sa stratégie climatique et propose un vote consultatif annuel à ses actionnaires sur cette stratégie. Cette note de Terra Nova en partenariat avec le Forum pour l’Investissement Responsable, milite pour la généralisation de ce dispositif.
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A l’occasion de son assemblée générale de 2021, la société Vinci introduira le premier « Say on Climate » en France. Le « Say on Climate » consiste à faire voter chaque année les actionnaires sur la politique climat des entreprises cotées. Ce faisant, l’entreprise fait la transparence sur sa stratégie climatique et propose un vote consultatif annuel à ses actionnaires sur cette stratégie.

Cette note milite pour sa généralisation.

1. Pourquoi débattre de la stratégie climat en assemblée générale d’actionnaires ?

1.1 État Les investisseurs doivent s’interroger sur la double matérialité des risques climatiques

1.1.1. L’impact des investissements sur le climat fait l’objet d’une attention croissante

Les décisions d’investissement disposent d’externalités sur le climat que l’investisseur responsable doit prendre en compte dans sa décision d’investissement. L’essentiel des risques environnementaux pris par les investisseurs ne réside pas dans leur propre activité quotidienne (la qualité de leurs locaux, leurs déplacements professionnels) mais bien dans celle des entreprises qu’ils choisissent de financer.

Si les rapports d’ONG pointent d’abord la responsabilité de grandes entreprises [1] , la finance commence à être interpelée régulièrement. Les controverses autour de la responsabilité environnementale des investisseurs en témoignent. Reclaim Finance et Greenpeace [2] s’interrogent sur la responsabilité des investisseurs qui financent Total, l’une des premières cotes du CAC40. Nombreux sont en effet les investisseurs qui disposent de titres de cette société.

Au-delà du risque de réputation des sociétés financières connues lorsqu’elles investissent dans des entreprises ou des secteurs controversés, l’enjeu pour l’investisseur demeure donc de connaitre et de maitriser les externalités négatives de ses investissements, et d’accompagner les entreprises qui ont des activités polluantes dans leur transition vers les meilleures pratiques.

1.1.2. Les investisseurs sont exposés à des risques climatiques

Au-delà de cette responsabilité, les entreprises que les investisseurs financent sont exposées à des risques environnementaux et de transition qui disposent d’une matérialité financière, et ont donc in fine une incidence sur la performance financière des investisseurs.

Il existe d’abord des risques de marché : lorsqu’une entreprise ne prend pas le virage de la transition écologique, elle risque de perdre des clients, parfois rapidement. Cela est vrai des clients particuliers comme des autres entreprises qui, elles aussi, cherchent à renforcer la qualité de leur approvisionnement pour soigner leur propre performance environnementale. Les entreprises qui ne prennent pas le virage, ou le prennent trop doucement, peuvent donc se trouver hors marché, avec donc un besoin de réinvestir massivement pour s’adapter au moment où leur chiffre d’affaires se détériore. Ne pas anticiper la transition a donc un coût pour l’entreprise, bien visible dans les résultats de l’investisseur.

Il existe ensuite des risques réglementaires : afin d’organiser la transition écologique, les pouvoirs publics peuvent décider d’interdire ou de pénaliser, notamment fiscalement, certaines activités. Les véhicules fonctionnant au diesel, les centrales thermiques au charbon en Europe connaissent déjà la matérialisation de ce risque. Pour l’investisseur, au-delà du risque de réputation qu’il court en maintenant des financements à des secteurs très carbonés, le risque existe que des investissements ne puissent être intégralement amortis, donc qu’il demeure des coûts « échoués » ou avec une rentabilité moindre qu’escomptée.

Il existe en outre un risque d’évolution défavorable de la compétitivité-prix. Si les énergies deviennent renouvelables, leur prix risque de s’accroître. Les industries intensives en énergie risquent donc de perdre en compétitivité. En fonction des alternatives, cela peut donc se traduire par une baisse des parts de marché ou des marges. Là encore, l’investisseur est exposé financièrement aux risques liés à la transition écologique et a un intérêt bien compris à miser sur des entreprises qui anticipent les évolutions à venir.

Source : FIR, cahier finance verte, 2018.

Enfin, les risques de réputation croissants en cas d’atteinte à l’environnement ont un effet sur la valorisation des entreprises. Sans attendre les conséquences juridiques ou sur les ventes de l’entreprise, les investisseurs anticipent les conséquences sur le marché. Un scandale environnemental peut donc signifier une moins-value financière importante.

Encadré 1 : scandale environnemental et valeur des actifs, l’exemple de Volkswagen

Source : FIR, cahier finance verte, 2018.

Ces différents risques font désormais l’objet d’un large consensus depuis le discours du gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney [3] , rejoint par ses pairs depuis [4] , jusqu’aux travaux du FMI [5] . La faillite du distributeur d’électricité californien PG&E, due à l’indemnisation colossale de victimes d’un incendie provoqué par une de ses défaillances, illustre qu’au-delà de négligences d’entretien, le dérèglement climatique accroit ce risque d’incendie avec des conséquences financières qui sont alors spectaculaires, le Financial Times n’hésitant pas à titrer que cette faillite est la première due au changement climatique (et pas la dernière).

1.1.3. La double matérialité est déjà entrée dans le droit positif

Cette double matérialité des risques climatiques pour l’investisseur est d’ores et déjà entrée dans le droit positif français comme européen.

Sous l’impulsion de l’article 173 de la loi de transition écologique pour la croissance verte et désormais de l’article 29 de la loi énergie climat, le droit national impose en effet aux investisseurs la transparence sur les trajectoires climatiques de leurs actifs, ainsi désormais que sur la prise en compte de l’impact de leur activité sur la biodiversité.

Le règlement européen Sustainable Finance Disclosure Regulation , dit Disclosure , adopté fin 2019 et entré en vigueur en mars 2021, impose en outre à tous les investissements de révéler leur intégration des risques ESG et l’évaluation des impacts sur la rentabilité (article 6) comme la prise en compte des principales incidences négatives des investissements (article 7).

Le règlement Disclosure pose donc l’idée d’une matérialité financière des risques dits de durabilité comme le principe d’une évaluation des « incidences négatives », donc des externalités négatives des investissements.

Les textes nationaux susmentionnés et le règlement Disclosure , auxquels s’ajoutent notamment les règlements dits Taxonomy de juin 2020, ainsi que Benchmarks et Indices de novembre 2019, et prochainement des modifications ad hoc des textes clefs de la réglementation financière (MIF/DDA, UCITS/AIFMD notamment), constituent désormais un corpus juridique nouveau, véritable Droit de la finance durable, directement opposable aux investisseurs et impactant tant leurs activités que leurs relations avec leurs propres clients et mandataires.

1.2. La montée des préoccupations « climat » mérite un débat annuel

L’urgence environnementale augmente la préoccupation de la société civile sur les stratégies climatiques des entreprises comme des investisseurs. Elle s’accompagne ainsi de l’avènement d’un droit de la finance durable qui impose la mesure des risques de durabilité et des externalités et rend nécessaire le renforcement du dialogue entre investisseurs et entreprises sur ces sujets.

Des actions d’engagement actionnarial par des coalitions et des initiatives d’investisseurs nombreux représentant des encours sous gestion spectaculaires se sont formées pour améliorer les pratiques des entreprises (Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), Institutional Investors Group on Climate Change (IIGCC), Climate Action 100+, Science Based Targets Initiaive, Net-Zero Asset Owner Alliance, Montréal Carbon Pledge, etc.). Des résolutions emblématiques sont déposées un peu partout dans le monde notamment auprès des énergéticiens et encore récemment en 2020 lors de l’assemblée générale de Total.

1.2.1. Les résolutions et initiatives « climat » se généralisent rapidement aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, le dépôt de résolutions en assemblée générale d’actionnaires constitue un vecteur important pour nouer un dialogue entre investisseur et entreprise, d’ailleurs scruté par les ONG. Majority Action analyse ainsi les votes des grandes sociétés de gestion dans les sociétés du domaine de l’énergie. Le rapport sur les votes de 2019 montre ainsi que les sociétés de gestion européennes ont beaucoup plus fréquemment voté en faveur des résolutions climat que les grandes sociétés américaines, notamment les sociétés leader Vanguard et BlackRock qui, en dépit de déclarations parfois ambitieuses, ne votent qu’exceptionnellement les résolutions climat.

Graphique 1 : pourcentage de votes en faveur des résolutions climatiques aux États-Unis en 2019

Source : MajorityAction, 2019

De même, le rapport 2020 de Majority Action analyse le soutien des grandes sociétés de gestion aux résolutions de Climate Action 100+. Lancée en décembre 2017 au cours du One planet summit pour répondre aux questions du changement climatique, l’initiative Climate Action 100+ se donne pour mission d’inciter et de peser sur les grands émetteurs de gaz à effet de serre de l’économie mondiale.

Le soutien à ses résolutions constitue alors un indicateur de la volonté des investisseurs de contribuer effectivement à engager les sociétés à mieux faire en matière de lutte contre le dérèglement climatique dans le monde entier.

Graphique 2 : part des résolutions de Climate Action 100+ soutenues en 2020 (en pourcentage des résolutions pour lesquelles les données sont disponibles)

Source : Majority Action, 2020 ; données Proxy insight

1.2.2. A la différence des Etats-Unis, la France dispose d’un droit des sociétés malthusien

En Europe, et notamment, en France, des initiatives existent également mais le droit des sociétés s’avère bien plus malthusien et accueille difficilement des résolutions d’actionnaires, dont les règles de détention de capital et le formalisme rendent le dépôt difficile. En 2020, cela n’a pas empêché, en dépit du dépôt par Total d’une résolution sur le climat, de voir une coalition de 11 investisseurs déposer leur propre résolution, plus exigeante, sur le même thème.

La montée des préoccupations écologiques a conduit à la multiplication des actions d’engagement actionnarial, de questions écrites en assemblée générale d’actionnaires, mais font plus rarement l’objet d’un vote. À la différence de nombreux pays, le dépôt de résolution est rendu difficile en France par l’obligation de détenir 0,5% du capital de l’entreprise. A titre d’exemple, il faut de l’ordre de 14 millions d’actions de Total pour espérer pouvoir déposer une résolution lors de son assemblée générale. Par ailleurs, déterminer la recevabilité des résolutions demeure du seul ressort du conseil d’administration, formant ainsi de facto un obstacle supplémentaire pour les investisseurs responsables dans l’exercice de leur engagement.

Au-delà de solutions promues par le Forum pour l’investissement responsable afin de faciliter un actionnariat actif sur les questions de durabilité, comme la possibilité donnée à une coalition de 100 actionnaires de proposer collectivement des projets de résolutions sur des questions environnementales, sociales ou sociétales en assemblée générale, ou l’arbitrage par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) de la recevabilité des résolutions proposées si l’entreprise s’oppose à leur inscription à l’ordre du jour, l’organisation du dialogue entre investisseurs et entreprises est particulièrement urgent sur les sujets climatiques.

1.2.3. Investisseurs et entreprises gagneraient à l’établissement d’un processus de délibération transparent sur les risques environnementaux

L’instauration d’un « Say on Climate » à ce stade consultatif, donc d’un vote consultatif sur la stratégie climatique des entreprises cotées, permettrait de créer les conditions d’un dialogue permanent sur les questions environnementales.

Cette transparence sur la stratégie assortie d’un vote permettrait de faire de l’alignement climatique un enjeu de débat et pousserait les entreprises à l’action. Ce vote permettrait aux investisseurs de se prononcer sur la qualité de la stratégie, d’organiser un dialogue constructif sur ce sujet, d’autant plus facilement qu’il aboutirait à un vote régulier. Le dépôt de résolutions externes n’aurait alors de sens que dans les cas d’échec du dialogue et de stratégies manifestement insuffisantes. En cas de document insuffisant, les investisseurs pourront exprimer leur mécontentement ou introduire une résolution alternative, mais ils disposent sans attendre d’un levier pour discuter sereinement avec l’entreprise de son ambition climatique et l’accompagner de manière active dans sa trajectoire.

Pour les investisseurs, cette formule permet également de répondre à leurs propres enjeux climatiques et notamment de pouvoir sélectionner des entreprises qui prennent au sérieux la transition, se dotent d’une stratégie crédible de transformation et en respectent les jalons annoncés.

La perspective de la poursuite d’un vote annuel rend d’ailleurs une stratégie de prise de contrôle défavorable au verdissement d’autant plus risquée que le sujet sera toujours en débat.

Le précédent du « Say on Pay », limité à la question de la rémunération des dirigeants, n’a d’ailleurs pas conduit à la déstabilisation des entreprises. Lorsque la rémunération de tel mandataire social en départ, après un échec massif de sa stratégie, donne lieu au versement de montants disproportionnés avec les conséquences sociales de ses mauvais choix, le débat en assemblée générale permet au contraire aux actionnaires d’exprimer les désaccords pour les réduire et reconstituer une adhésion au projet collectif.

C’est la raison pour laquelle le Forum pour l’investissement responsable, à l’instar d’autres comme l’ONG ShareAction, appelle à la systématisation du « Say on Climate » en France.

2. Juridiquement, le « Say on Climate » ne pose pas de difficulté majeure

2.1. Le vote consultatif sur la stratégie climat n’est pas expressément prévu par la loi

Le recours à un vote de l’assemblée générale des actionnaires sur la stratégie « Climat » d’une entreprise cotée soulève un certain nombre d’interrogations juridiques, tenant notamment au respect de la répartition des pouvoirs entre les différents organes sociaux de la société, qui fait l’objet d’un encadrement spécifique par la loi et d’un contrôle strict des juridictions en cas d’empiètement.

A cet égard, les assemblées générales (ci-après « AG ») des sociétés cotées sont soumises à un encadrement législatif particulier. Sans entrer dans une description détaillée de l’organisation des AG, nous rappellerons qu’une AG ne peut se réunir que sous la forme ordinaire, extraordinaire ou spéciale, et est appelée à évoquer des « questions », des « points » ou à se prononcer sur des projets de « résolutions » préalablement inscrits à l’ordre du jour indiqué dans la convocation (sauf en ce qui concerne la révocation des mandataires sociaux). Une assemblée d’actionnaires ne peut ainsi être valablement réunie sans avoir été préalablement convoquée. En conséquence, les actionnaires de la société ne peuvent, de leur propre initiative, se réunir valablement en assemblée, quand bien même la réunion serait décidée à l’unanimité des actionnaires.

Le droit de convoquer une AG appartient au conseil d’administration (Article L. 225–103 al. 1 du Code de commerce), dans le cadre d’une décision collégiale ; aucun membre du conseil d’administration, pas même le président, ne possède individuellement le pouvoir de convoquer l’assemblée. L’ordre du jour est établi par l’auteur de la convocation. Une fois la convocation envoyée, les actionnaires ont la possibilité, sous condition de détention d’un certain seuil du capital, de requérir l’inscription à l’ordre du jour de points et/ou de projets de résolution (Art. L. 225–105 du Code de commerce), étant précisé que seuls les projets de résolution feront l’objet d’un vote des actionnaires lors de l’AG. Par ailleurs, le Code de commerce prévoit également la possibilité pour les actionnaires de poser des questions écrites, sans condition de seuil capitalistique, auxquelles la société devra répondre, dans une certaine mesure et selon des modalités définies au Code de commerce.

Dans ce contexte, le Code de commerce ne prévoit pas le dispositif spécifique d’un vote simplement consultatif, et donc non contraignant, des actionnaires lors d’une AG.

En conséquence, la formule du « vote consultatif » pour le « Say on Climate » n’est à ce jour pas expressément prévue par la loi française encadrant les modalités d’organisation des AG de sociétés cotées.

2.2. Cette absence de disposition législative ne fait pas obstacle à des votes consultatifs

Toutefois, cette absence de disposition législative ad hoc ne constitue pas un obstacle dirimant de nature à interdire définitivement la possibilité de procéder à des votes consultatifs. En effet, et sous réserve de respecter l’ordre public sociétaire et le principe de hiérarchie des organes sociaux, la doctrine considère que la liberté contractuelle devrait permettre l’organisation d’un tel vote consultatif.

A cet égard, le précédent du « Say on Pay » ou encore la recommandation AMF de 2015 tendant à l’organisation d’un vote consultatif en AG en cas de projet de cession de plus de 50% des actifs significatifs d’une entreprise cotée confirment sa faisabilité juridique.

En effet, et pour ce qui concerne le « Say on Pay », la France n’a pas modifié son cadre législatif ou réglementaire pour introduire en 2013 un vote consultatif sur ce sujet, mais a fait le choix d’une méthode régulatoire en révisant le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, publié conjointement par l’AFEP et le MEDEF. L’introduction d’un système de vote consultatif des actionnaires sur la rémunération des dirigeants en France résulte donc initialement d’une « autorégulation » par le biais de simples recommandations figurant au Code de gouvernement susmentionné tel que révisé en juin 2013. Dans ce cadre, était ainsi prévu un vote par les actionnaires en assemblée générale, non obligatoire et simplement consultatif, sur la rémunération des dirigeants. De nombreuses entreprises ont en conséquence organisé dès 2014 lors de leurs AG, des votes consultatifs non contraignants sur la rémunération de leurs dirigeants.

Toutefois, si les dispositions du Code AFEP-MEDEF sont généralement suivies par les entreprises qui y adhèrent, cette réglementation relève de la « soft law », en reposant sur un engagement volontaire limité de la part des entreprises concernées, qui peuvent ainsi valablement décider de l’ignorer à l´aide du principe « appliquer ou expliquer », conformément aux dispositions dudit Code [6] . Le scandale « Renault » [7] a ainsi montré les limites de l’auto-régulation, et le législateur est finalement intervenu pour imposer, via la loi 2016–1691 du 9 décembre 2016, un vote obligatoire et contraignant en AG sur la rémunération des dirigeants, dispositif récemment modifié par l’ordonnance du 27 novembre 2019 transposant en France la Directive 2017/828/UE du 17 mai 2017.

Désormais contraignant, le précédent du « Say on Pay » confirme cependant la possibilité juridique d’un vote consultatif en AG, en dehors de toute disposition législative ad hoc et dans le cadre d’un simple engagement volontaire d’autorégulation.

Cette possibilité juridique d’un vote consultatif en AG en dehors de toute disposition législative ad hoc a été expressément confirmée par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en 2015, à l’occasion de sa recommandation 2015–05 sur les cessions d’actifs significatifs [8] . Après avoir relevé que ce sujet n’était encadré par aucune disposition législative, et que les règles du Code de bonne gouvernance AFEP-MEDEF prévoyaient seulement qu’il est « souhaitable de recueillir l’avis de l’AG si la cession concerne une part prépondérante des actifs », tout en se satisfaisant d’une simple communication/information sans vote, l’AMF conclut dans sa recommandation précitée que la consultation de l’assemblée générale des actionnaires devrait prendre la forme d’un vote consultatif sur une résolution présentée au vu d’un rapport du conseil d’administration. A cet égard, l’étude d’impact de l’AMF ayant précédé cette recommandation met en lumière les avantages d’un vote simplement consultatif, en rappelant notamment qu’il permet en toute hypothèse de respecter le principe de hiérarchie des organes sociaux, dans la mesure où il n’emporte aucun transfert de compétence d’un organe vers un autre, le vote consultatif n’ayant pas juridiquement à être suivi d’effet.

Ce faisant, l’AMF a confirmé que l’organisation d’un vote consultatif lors d’une AG d’une entreprise cotée est juridiquement possible, quand bien même les textes législatifs et/ou les réglementations de bonne gouvernance auxquelles les sociétés concernées peuvent adhérer ne le prévoyaient pas expressément. A cet égard, et dans le prolongement de cette recommandation AMF, le Code AFEP-MEDEF fut modifié pour inclure de manière expresse dans son article 5.4 l’organisation d’un vote consultatif des actionnaires en AG sur la base d’un rapport présenté par le conseil d’administration.

2.3. Pour sécuriser juridiquement le « Say on Climate », plusieurs modalités sont possibles

2.3.1. La sécurité juridique du « Say on Climate » n’est pas encore absolue

En l’espèce, il convient de relever que l’organisation d’un vote consultatif en AG de type « Say on Climate » sur la stratégie Climat des entreprises cotées n’est prévu expressément ni par le droit des sociétés, ni par le Code AFEP-MEDEF, et n’a à ce jour et à notre connaissance, fait l’objet d’aucune recommandation spécifique de l’AMF.

Seul l’article 4.3 du Code AFEP-MEDEF [9] figurant au sein du chapitre 4 intitulé « Le conseil et la communication avec les actionnaires et les marchés » dispose que : « Le conseil (d’administration) veille à ce que les actionnaires et les investisseurs reçoivent une information pertinente, équilibrée et pédagogique sur la stratégie, le modèle de développement, la prise en compte des enjeux extra-financiers significatifs pour la société ainsi que sur ses perspectives à long terme. »

Si cet article pourrait être utilement complété afin de prévoir la possibilité d’une consultation non contraignante des actionnaires lors des AG sur la stratégie « Climat » de l’entreprise, tel n’est cependant pas encore le cas.

A ce stade donc, et à la différence des précédents susmentionnés relatifs au « Say on Pay » et à la cession d’actifs significatifs, aucune disposition légale (Code de commerce), réglementaire (recommandation AMF) ou d’auto-engagement régulatoire (Code AFEP-MEDEF) n’est de nature à constituer un fondement juridique ad hoc à une décision du conseil d’administration d’organiser un vote consultatif des actionnaires sur la stratégie « Climat » de l’entreprise lors d’une AG.

Si cette situation ne nous semble pas dirimante, pour les raisons rappelées supra tenant à la liberté contractuelle (sous réserve de respecter l’ordre public sociétaire et le principe de hiérarchie des organes sociaux) mais également au fait qu’il est de l’essence même d’une AG d’être un « moment privilégié de communication de la société avec ses actionnaires » [10] , il n’en demeure pas moins qu’une décision d’organiser un tel vote consultatif pourrait théoriquement être contestée aux motifs qu’elle ne reposerait pas sur une base juridique spécifique.

Bien que ce risque de contentieux juridique nous semble matériellement extrêmement limité, tant dans son existence que dans ses conséquences potentielles, il ne peut, intellectuellement, être totalement écarté. Le recours, en l’état actuel du droit, de la réglementation et de l’autorégulation des sociétés cotées, à un vote consultatif en AG de type « Say on Climate » ne peut donc être considéré comme 100% sécurisé juridiquement.

2.3.2. Toutes les sociétés peuvent sécuriser leur démarche de « Say on climate »

Bien que cette absence de totale sécurité juridique ne puisse à notre sens constituer un obstacle pertinent et légitime pour toute société souhaitant sincèrement consulter ses actionnaires sur sa stratégie « Climat », il convient de préciser qu’une sécurité juridique absolue pourrait en tout état de cause être obtenue par toute société le souhaitant.

A cet égard, et à défaut de base juridique ad hoc résultant d’une disposition légale, réglementaire ou régulatoire, une société souhaitant organiser, en toute sécurité juridique, un vote consultatif de ses actionnaires en AG sur sa stratégie « Climat » aurait la possibilité d’engager une modification de ses statuts afin de prévoir dans lesdits statuts un tel vote consultatif en AG, selon des modalités qu’elle pourra librement définir.

Une telle démarche permettrait ainsi de sécuriser juridiquement et légitimer vis-à-vis de ses actionnaires le recours à un vote consultatif en AG sur la stratégie « Climat » de la société, affichant ainsi l’engagement structurel et permanent de la société pour prendre en considération ces enjeux.

A cet égard, il n’est pas anodin de relever que les sociétés les plus volontaristes en matière d’enjeux extra-financiers ont déjà eu recours à une telle démarche de modification ad hoc de leurs statuts, pour pérenniser et sécuriser juridiquement l’existence d’un vote consultatif en AG d’actionnaires sur des sujets considérés comme fondamentaux. Ainsi, la société Nestlé S.A. [11] a inscrit dans ses statuts l’obligation d’organiser un vote consultatif des actionnaires en AG sur le « Rapport de rémunération » présenté par le conseil d’administration.

Dans cette perspective, il peut être considéré qu’un vote consultatif des actionnaires de type « Say on Climate » peut valablement être organisé en France, avec une sécurité juridique suffisante, sans que l’état du droit français ne puisse être raisonnablement présenté comme un obstacle insurmontable et en dehors du contrôle des sociétés concernées, pour refuser de mettre en œuvre un tel mécanisme.

2.3.3. Une disposition législative permettrait de déclencher un passage immédiat indispensable

A la manière du « Say on Pay », si une disposition législative ne s’avère pas indispensable pour les entreprises volontaires, le « Say on Climate » se généralisera d’autant plus vite qu’une obligation sera prévue.

En attendant cette mesure d’urgence, chaque entreprise peut donc commencer sans attendre.

  1. OXFAM France, « CAC degrés de trop : le modèle insoutenable des grandes entreprises françaises », 2 mars 2021

  2. Reclaim finance, Greenpeace, « Total fait du Sale : la finance complice ? » février 2021

  3. Carney, Mark. 2015. “Breaking the Tragedy of the Horizon—Climate Change and Financial Stability.” Speech delivered at Lloyd’s of London, September 29. https://www.bankofengland.co.uk/ speech/2015/breaking-the-tragedy-of-the-horizon-climate-change-and-financial-stability

  4. NGFS (Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System), « A Call for Action: Climate Change as a Source of Financial Risk », 2019 Paris: NGFS Secretariat. https://www.ngfs.net/ en/first-comprehensive-report-call-action

  5. Chapitre 6 du Rapport sur la stabilité financière dans le monde d’octobre 2019 et a été rédigé sous la direction de Martin Čihák et d’Evan Papageorgiou du département des marchés monétaires et de capitaux du FMI

  6. Cf. articles 27–1 et 27.2 du Code AFEP-MEDEF.

  7. Au cours de l’assemblée générale de Renault en avril 2016, les actionnaires (dont l’Etat) se sont prononcés à 54% contre la rémunération de Carlos Ghosn (15 millions d’euros au total avec Nissan). Le conseil d’administration de Renault a cependant maintenu cette rémunération en la justifiant par «  la qualité des résultats de l’année 2015  », et les «  deux ans d’avance sur le plan 2016 (de compétitivité)  ».

  8. Position-Recommandation AMF «  Les cessions et les acquisitions d’actifs significatifs  », Doc. n° 2015–05, en date du 15 juin 2015.

  9. Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, AFEP-MEDEF, actualisé en janvier 2020.

  10. Article 5.2 du Code AFEP-MEDEF.

  11. Société de droit Suisse.

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