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Note

Pour un service public de la sobriété énergétique

Avec le passage du modèle monopolistique à la libéralisation, le service public des énergies distribué en réseau est aujourd’hui bouleversé. Il est porté à la fois par les pouvoirs publics aux niveaux européen, national et local, mais aussi par des entreprises privées (dont certaines sont à actionnariat majoritairement public), opérant dans un cadre régulé ou concurrentiel. La multiplication des acteurs conduit à une perte de la vision explicite et cohérente, tant sur les plans politique que technique. Au carrefour d’enjeux bien plus larges que sont la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique, la préservation de la biodiversité, le maintien de la cohésion sociale et la décentralisation territoriale, les services publics de l’énergie doivent désormais se saisir des bouleversements actuels pour se réinventer. Terra Nova propose dans cette note de passer à un nouveau modèle : un « service public de la sobriété énergétique ».

Publié le 

1. L’énergie : d’une nécessité à un bien de consommation

1.1. 1945 : il faut assurer la reconstruction de la France sur des bases de solidarité et de justice sociale

Le programme du Comité National de la Résistance dans le domaine économique et social est « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques » et «  un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ». Dans le domaine de l’énergie, cela passe par le regroupement et la nationalisation des entreprises électriques et gazières dans un établissement public[2] appelé EDF-GDF. De la même manière, l’EPIC Charbonnages de France est créé par nationalisation et regroupement des compagnies minières privées. Pour le pétrole, la Compagnie Française des Pétroles n’est pas nationalisée mais elle est contrôlée par l’Etat en tant qu’actionnaire majoritaire. Le prix des carburants est fixé par l’Etat et identique sur tout le territoire national.

Malgré ce mouvement de nationalisation, le cadre appliqué aux réseaux de distribution d’électricité demeure celui des contrats de concession accordés par les communes (le cas échéant regroupées en syndicats intercommunaux), modèle né lors de l’électrification du pays à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Le Fonds d’Amortissement des Charges d’Electrification (FACE), fonds qui finance l’électrification des communes rurales, créé en 1936 et élément tangible de la solidarité entre les territoires est d’ailleurs conservé. Contrairement à une idée reçue, la péréquation tarifaire pour l’électricité, demandée par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) dès sa création en 1934, ne sera introduite pas introduite en 1946, mais progressivement, à l’échelle départementale d’abord (en 1959), puis régionale[3]. La péréquation nationale ne sera enfin généralisée que dans les années 80.

Il peut paraître peu logique que la péréquation dans l’électricité ait été généralisée au moment où l’Etat cessait de fixer le prix des carburants pour l’ensemble du territoire national. La décision de principe de libérer le prix des carburants, prise par Pierre Mauroy dès 1984 sur les recommandations de Jean Auroux, n’est entrée en vigueur qu’à l’occasion du contre-choc pétrolier de 1986, où la baisse très importante du prix du pétrole a permis de conjuguer liberté de fixation du prix par les pétroliers et baisse à la pompe.

Sur la même période, le secteur des réseaux de chaleur reste sur le modèle d’avant-guerre avec à la fois des régies publiques, des sociétés mixtes ou de droit privé. Pour autant, à la fin du XXe siècle, la majorité des réseaux de chaleur font l’objet de contrats de délégation de service public auprès de grands acteurs tels que Dalkia, Idex ou Cofély, qui peuvent être des filiales de groupes énergétiques.

Les réseaux de chaleur

Un réseau de chaleur est un système de distribution de chaleur produite de façon centralisée par unité de production (qui peut être, par exemple, une usine d’incinération des ordures ménagères (UIOM), une chaufferie alimentée par un combustible (fioul, gaz, bois…), une centrale de géothermie profonde…) et dessert via un ensemble de canalisation un certain nombre d’usagers. La France compte actuellement 760 réseaux de chaleur, alimentant l’équivalent de 2,4 millions de logements. Les bâtiments alimentés par des réseaux de chaleur restent donc très minoritaires par rapport à ceux chauffés au gaz ou à l’électricité, mais la chaleur produite dans ces réseaux est à 56% d’origine renouvelable ou de récupération : le développement des réseaux de chaleur représente donc un levier clé pour la transition énergétique.

 

1.2. 1990 : de l’usager au consommateur

A la fin des années 1990, confiante dans la pérennité stratégique du secteur mais aussi avec l’objectif de baisser les prix pour les consommateurs, la Commission Européenne ouvre à la concurrence les secteurs électrique et gazier en ce qui concerne les activités de production et de commercialisation. Les activités d’infrastructures (transport et distribution) restent elles en monopole[4], sous le contrôle d’un régulateur (en France, la Commission de Régulation de l’Energie). Cette démarche a conduit à créer de nombreux marchés, physiques et financiers, de gros et de détail. La rapidité de l’adoption par les consommateurs de ce nouveau cadre concurrentiel s’avère cependant variable selon les pays, et les débats sur ses avantages et inconvénients restent toujours vifs à l’heure actuelle.

En tout état de cause, l’introduction de la concurrence n’a pas réellement donné lieu à une mise à jour de la notion de service public en France. A défaut d’une remise à plat du contenu de la notion de service public de l’énergie, certaines obligations ont ainsi été conservées chez les opérateurs historiques, tout en imposant parfois aux nouveaux opérateurs en concurrence de couvrir une partie des coûts associés.  

2. L’énergie et les territoires : entre autonomie et interdépendance​​​​​​​

2.1. Les territoires en croissance – les métropoles – sont dépendants énergétiquement de leurs périphéries

A mesure que le poids des considérations de marché s’accroît et parallèlement à l’évolution en structure des entreprises d’énergie, le territoire français voit grandir les disparités territoriales (qui historiquement étaient déjà significatives, comme nous l’avons illustré ci-dessus dans le cas de l’énergie) portées par une mobilité de plus en plus grande des Français et le renforcement de l’attraction des pôles urbains voire métropolitains. L’attraction des nœuds de ces réseaux désormais mondialisés devient de plus en plus forte, avec comme pôle majeur du réseau français la région-capitale : l’Ile-de-France. Le rôle du service public et les moyens que la collectivité est prête à y consacrer reviennent périodiquement dans l’actualité.

Figure 1: Proportion des salariés se déplaçant principalement en voiture dont le lieu de travail se situe à plus de 25 kilomètres de leur domicile parmi l’ensemble des salariés (INSEE, 2019)

Les gouvernements français tentent bien de temps à autre de rompre avec la dynamique centralisatrice du pays, mais la place économique prédominante de l’Ile-de-France ne s’estompe pas, bien au contraire. Ainsi, en 2015, le PIB par habitant de l’Ile-de-France était évalué par l’INSEE à 55 227 €/habitant alors qu’il était de 28 358 €/habitant dans le reste de la France métropolitaine. Mais surtout, alors que cet indicateur croissait en Ile-de-France de 6,5% entre 2010 et 2015, il ne croissait que de 3,5% dans les autres régions métropolitaines[5]. Du point de vue économique, la France apparait non seulement centralisée, mais de plus en plus polarisée autour d’une Ile-de-France dont la puissance économique ne cesse d’augmenter[6].

En dépit d’une volonté de l’Etat de rééquilibrer les infrastructures de transports de personnes et de biens, par exemple, celles-ci restent essentiellement radiales autour de la région capitale, innervée de trains à grande vitesse, d’avions et d’autoroutes.

La question de l’égalité des territoires est illustrée ici au niveau interrégional, mais on pourrait l’illustrer de manière toute aussi criante au niveau infra-régional (entre les grandes métropoles et les territoires, entre les quartiers des grandes métropoles). L’inégalité entre les territoires reste une question d’actualité dans la France du XXIe siècle.

Dans le domaine de l’électricité (seule énergie possédant historiquement un réseau interconnecté), la situation est à l’avenant. Ainsi, la région Ile-de-France couvre par ses propres moyens de production moins de 20% de ses besoins en électricité, alors que les régions Grand Est ou Normandie, par exemple, en couvrent plus de 200%. La région Ile-de-France apparait donc comme bénéficiant largement d’imports d’une énergie produite ailleurs, par des outils de production générant de l’activité économique, des emplois, mais aussi des nuisances.

Dans sa perspective historique, quoique né au niveau local, le service public de l’énergie s’est ensuite incarné donc dans des structures nationales, visant un traitement harmonisé des questions énergétiques, même si une partie des infrastructures appartient aux collectivités. Le système énergétique a été bâti pour optimiser le coût économique de l’énergie à la maille de l’ensemble du territoire français. C’est la volonté d’une optimisation nationale des coûts et des décisions qui a guidé, jusqu’à aujourd’hui, les grandes orientations de politique énergétique française. Or, comme nous le verrons plus loin, il est maintenant temps pour l’Etat d’ouvrir la possibilité d’actions fortes en faveur de la transition énergétique à une maille infranationale, sans pour autant renoncer aux objectifs fondamentaux portés par l’Etat.

2.2. La décentralisation – technique et politique – est l’occasion de réinventer les cadres de la politique énergétique

Bouleversés par le processus de libéralisation européen, le secteur de l’énergie et la notion de service public associé le sont aussi par la transition énergétique. Celle-ci amène à développer les énergies renouvelables décentralisées, thermiques et électriques, et nécessite de développer des politiques de maîtrise de la demande en énergie (dans le transport et le bâtiment notamment) adaptées aux circonstances locales. Dès lors, la poussée des collectivités territoriales – et singulièrement des métropoles – offre une nouvelle perspective.

Le rôle croissant des collectivités locales résulte à la fois de la volonté politique d’un nombre croissant de collectivités locales d’agir en faveur de la transition écologique, ainsi que des transferts de compétences au gré des vagues de décentralisation, pour des raisons parfois d’efficacité, mais bien souvent budgétaires[7] ou politiques.

Les collectivités locales souhaitent dès lors de plus en plus jouer un rôle de premier plan en matière de transition énergétique et remettent de fait en question les acteurs, à la fois sur la qualité des services rendus et dans leur dimension de service public[8]. Ce faisant elles interrogent le rôle des entreprises, publiques et privées, la répartition des compétences et des moyens entre l’Etat et les collectivités, mais aussi le partage des responsabilités entre les différents niveaux de collectivités et la solidarité entre elles.

Les collectivités souhaitent jouer un plus grand rôle dans la planification des infrastructures, en demandant aux gestionnaires de réseaux nationaux d’intégrer leurs activités dans des modèles multi-fluides à l’échelle de leur territoire. C’est un changement de paradigme rompant avec l’approche historique et mono vecteur énergétique. Mais du fait de leur mission de service public centralisé issu d’un monopole national, les gestionnaires de réseaux peinent à se positionner et à valoriser leur expertise dans l’accompagnement et le conseil à la collectivité, activités sur lesquelles ils sont confrontés aux acteurs du monde concurrentiel (énergéticiens, mais aussi entreprises du BTP, cabinets de conseil…).

Outre les collectivités locales, ce sont d’ailleurs également ces acteurs du monde concurrentiel qui remettent en cause les missions de service public des acteurs en monopole, par exemple pour réaliser le raccordement des énergies renouvelables aux réseaux. Face à des délais opérationnels jugés trop longs par rapport, le législateur remet ainsi ponctuellement en cause le périmètre des activités régulées et redéfinit donc les missions de service public.

Chez les citoyens eux-mêmes, les enquêtes d’opinion reflètent un fort contraste entre la confiance placée dans les collectivités locales pour gérer les services publics, et le faible crédit accordé à l’Etat. La transition énergétique apparaît d’ailleurs parmi les domaines dans lesquels l’action des collectivités devrait selon eux s’accroître[9]

Devant ces évolutions multiples, les formes du service public et la frontière entre le service public et l’activité concurrentielle évoluent dans le temps. La capacité pour certains acteurs privés de mieux répondre aux demandes des collectivités que les gestionnaires de réseaux en monopole ou les entreprises délégataires de service public induit un changement de modèle.

La recherche d’un nouvel équilibre entre les activités économiques et le partage de la valeur au sein de la société française a été largement débattue dans la sphère politique (notamment depuis la campagne présidentielle de 1995 et le fameux enjeu de « la fracture sociale »). Depuis, les tensions sociales se sont encore aiguisées. Semblant émerger d’abord de la question de la fiscalité carbone, le mouvement des « gilets jaunes » a bousculé, à partir d’octobre 2018, le quinquennat d’Emmanuel Macron.

Les revendications des « gilets jaunes », ou des citoyens ayant participé au grand débat national qui a suivi, invitent-elles aussi à réinterroger la définition et le modèle des services publics : elles comprennent à la fois une demande de correction ou de compensation des inégalités liées au territoire dans le domaine des services publics (poste, santé…), mais visent aussi la baisse du coût économique de ces mêmes services pour ne pas augmenter la fiscalité.

La question des services publics doit donc s’articuler autour d’un objectif de solidarité territoriale, de prise en compte des difficultés sociales de nos concitoyens, mais aussi d’efficacité globale dans un contexte où la transition énergétique nécessite de diminuer drastiquement les consommations et d’optimiser l’utilisation des ressources disponibles. Il s’agit de prendre en compte à la fois les ambitions des citoyens et des élus en matière de transition énergétique (elles-mêmes centrées sur les besoins et ressources d’un territoire donné) et les exigences des clients et/ou contribuables en termes de coût et de qualité de service.   

3. L’évolution des principes directeurs pour les énergies de réseaux (chaleur, froid, électricité, gaz) conduit à redéfinir la notion de service public de l’énergie

3.1. Les principes directeurs actuels

Le code de l’énergie précise les obligations de service public pour les secteurs de l’électricité et du gaz. Celles qui s’imposent aux réseaux de chaleur et de froid sont quant à elles définies de manière contractuelle avec la collectivité. Le service public s’est historiquement défini comme un socle minimal uniforme de service au public, conçu pour viser une efficacité économique optimale d’un point de vue collectif (national). Il est constitué d’un ensemble de biens et de services ou prestations proposés au public, souvent selon un modèle de rémunération réglementé. Les prestations de service public constituent une base de services systématiquement proposés avec éventuellement des aménagements (délais, coût) en fonction de la nature du territoire.

Dans la continuité des entreprises EDF-GDF, ces éléments se révèlent une adaptation un peu désuète des anciennes missions que confiait l’Etat à ses EPIC. Ainsi, plutôt que de les traiter selon des principes généraux et ouverts, le législateur introduit dès l’écriture dans le code de l’énergie un « silotage » entre les énergies à réseau physique national, et de plus, n’aborde pas (sur cette question) les énergies de réseau plus locales comme les réseaux de chaleur et de froid. Enfin, les formulations retenues par le législateur semblent trahir la vision d’un EDF immortel et immuable, voué à jamais au service public en France.

Si on entre encore un peu plus dans le détail des obligations de service public, la comparaison de ces objectifs est riche d’enseignements. Elle est révélatrice de l’attention que porte le législateur aux différentes énergies, qui n’est pas nécessairement corrélée avec leur poids respectif dans la consommation d’énergie finale française[10]. Alors qu’ils ne représentent que 44% de la consommation énergétique finale du pays, les secteurs gaz et électricité portent la majorité des objectifs de service public, par ailleurs assez larges puisqu’ils vont jusqu’au développement du territoire et aux enjeux de choix technologiques ou de développement de ressources nationales. De son côté, la péréquation tarifaire appliquée aux tarifs de réseaux, qui est généralement vue comme l’incarnation du service public de l’électricité, outre le fait qu’elle soit relativement récente comme nous l’avons vu, n’est pas en réalité au cœur des obligations du service public de l’électricité. Le code de l’énergie la conçoit comme un moyen de concourir aux obligations de cohésion sociale assignées à la fourniture d‘électricité via les missions de service public. On notera également qu’il n’y a pas d’obligation de péréquation tarifaire pour le gaz naturel alors que celui-ci représente une part de marché équivalente à l’électricité dans le secteur résidentiel.

3.2. Des principes à réinventer pour un meilleur service public pour tous

Cette conception du service public se révèle malheureusement de plus en plus obsolète et inefficace. D’une part, aucune des grandes entreprises énergétiques actives en France n’est plus spécialisée dans une seule énergie (EDF, ENGIE, Total et la plupart de leurs concurrents proposent tous des offres combinées électricité et gaz, voire de réseau de chaleur et de froid, directement ou par l’intermédiaire de leurs filiales). De plus, les tendances technologiques montrent que des solutions d’optimisation entre énergies pourraient émerger à des coûts compétitifs, notamment via la transformation de l’électricité en chaleur, en froid ou encore en hydrogène (et réciproquement).

Plus généralement, cette vision uniforme et « silotée » des obligations de service public conduit à ne pas raisonner vis-à-vis d’objectifs de résultats en matière d’atteinte des objectifs climatiques, de confort ou d’efficacité économique, mais dans une unique logique d’outils et de moyens minimaux à maintenir[11].

L’absence de modernisation de la conception du service public de l’énergie risque de conduire, à bas bruit et par défaut, à son délitement. La logique d’efficacité globale est mise à mal par le désordre du partage des compétences : entre les niveaux territoriaux, national et européen, mais aussi entre public et privé.

L’objectif est désormais d’inventer une nouvelle conception du service public de l’énergie, qui soit adaptée aux objectifs de transition écologique et de décentralisation, tout en tenant compte de la réalité du cadre européen.

3.3. D’une conception silotée par énergie au service public de la sobriété énergétique

Nous proposons une modernisation des principes directeurs du service public s’appliquant aux différents vecteurs énergétiques (dans le domaine des énergies de réseau) afin de réduire le décalage avec la transition écologique, l’évolution de l’économie et des attentes de la société française.

Il s’agit ainsi de passer d’une vision silotée par énergie (électricité, gaz, chaleur, froid…) à une vision intégrée, dans laquelle l’efficacité énergétique – enjeu incontournable pour atteindre les objectifs climatiques sur lesquels les politiques publiques butent depuis de nombreuses années – doit être au premier plan. L’enjeu premier n’est plus d’assurer un prix abordable pour chaque vecteur énergétique pris indépendamment, mais d’assurer la réduction des émissions de CO2 et la maîtrise de la facture énergétique totale (c’est-à-dire de chercher avant tout à diminuer les éventuels investissements redondants et les volumes d’énergie consommés). En d’autres termes, le moment est venu de passer des services publics des énergies à un véritable service public de l’énergie et de l’efficacité énergétique, que l’on pourrait nommer service public de la sobriété énergétique.

Une vision plus large du service public, en n’imposant plus des obligations à chaque vecteur énergétique mais au contraire une obligation de résultat qui pourrait être atteinte via un ensemble de vecteurs et d’actions d’efficacité énergétique, permettrait d’atteindre les objectifs climatiques à moindre coût, tout en réduisant les factures énergétiques des ménages et des entreprises.

Proposition 1 : Fondre les notions de services public associées aux différents vecteurs énergétiques dans une vision d’un véritable « service public de la sobriété énergétique »[12].

L’objectif ne doit plus être d’assurer un prix abordable pour chaque vecteur énergétique pris indépendamment, mais d’assurer la réduction des émissions de CO2 et la maîtrise de la facture énergétique totale, c’est-à-dire de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats.

 

4. Les collectivités territoriales : au cœur à la fois de la transition énergétique et du service public

4 .1. Une répartition claire des compétences entre national et local, public et privé, avec un rôle clé pour les collectivités locales

Nous ne proposons pas ici d’entreprendre un nouveau projet de « guichet unique » administratif : les difficultés rencontrées au fil des multiples tentatives de créer un « guichet unique » de la rénovation énergétique incitent plutôt à essayer de doter les acteurs existants des compétences et responsabilités adéquates, plutôt à qu’à tenter de créer de nouvelles entités ou structures.

Selon nous, concevoir un service public de la sobriété énergétique ne signifie d’ailleurs pas que celui-ci doive être fourni par un seul acteur, ni même qu’il doive être assuré uniquement par des administrations ou des entreprises publiques. Il s’agit en revanche de définir un cadre global cohérent, avec une répartition claire des responsabilités entre les différents acteurs (nationaux et locaux, publics et privés) impliqués dans les différentes briques du service public.

La sécurité d’approvisionnement resterait ainsi largement une prérogative nationale, impliquant l’Etat, les gestionnaires de réseaux (qui, compte tenu de leur rôle stratégique, devraient selon nous rester sous actionnariat public ; nous y revenons dans la section suivante) ainsi que les fournisseurs d’énergie publics et privés, sur lesquels peuvent peser des obligations légales et réglementaires. De même, les enjeux de qualité de chaque vecteur énergétique resteront du domaine de l’Etat et des gestionnaires de réseaux.

Sur d’autres aspects du service public, il nous semble en revanche nécessaire de transférer les compétences au niveau local, en particulier en ce qui concerne la planification et le contrôle des investissements dans les réseaux de distribution, ainsi que dans l’efficacité énergétique. Cela conduirait directement à donner un fort rôle à l’échelon local dans la transition énergétique, mais également dans la maîtrise des factures énergétiques. Il s’agit pour les collectivités d’incarner localement le service public de la sobriété énergétique.

Elles pourront alors mettre en œuvre des stratégies et politiques publiques cohérentes, qui pourraient intégrer des axes forts pour les réseaux d’énergie. L’Institut Montaigne a publié en décembre 2019 un rapport à ce sujet[13], suggérant notamment de privilégier les réseaux de chaleur par rapport aux réseaux de gaz lorsque cela est possible. Il nous semble qu’il faut aller plus loin en déclinant systématiquement localement une stratégie de réduction des consommations d’énergie.

Les collectivités du bloc communal (communes et intercommunalités) pourraient ainsi :

  • planifier l’urbanisme afin de limiter les consommations d’énergie (pour le transport et le logement notamment)
  • privilégier le développement des réseaux de chaleur et de froid plutôt que le recours aux chaudières/climatisations individuelles et les nouveaux raccordements au réseau de gaz, en inscrivant dans les documents d’urbanisme une obligation de raccordement pour toute construction neuve ou rénovation lourde
  • fixer des objectifs ambitieux de recours aux énergies renouvelables aux opérateurs de réseaux de chaleur et de froid (les objectifs pour l’électricité et le gaz dépendant avant tout du niveau national et européen compte tenu de l’interconnexion de ces réseaux)
  • demander aux gestionnaires de réseaux de distribution de développer de nouveaux services utiles pour la planification urbaine et la réduction des consommations d’énergie grâce aux possibilités ouvertes par le numérique (cartographie des consommations des bâtiments pour permettre le pilotage des politiques d’efficacité énergétique, mutualisation des travaux sur la voirie…).

Proposition 2 : Donner aux collectivités du bloc communal la capacité de mettre en œuvre des stratégies territoriales ambitieuses et cohérentes, intégrant plusieurs axes forts pour les réseaux d’énergie :

  • fixer des objectifs d’efficacité énergétique avant tout nouveau raccordement à un réseau d’énergie pour réduire au maximum les consommations
  • privilégier ensuite le recours aux réseaux de chaleur et de froid plutôt qu’aux chaudières/climatisations individuelles et au raccordement au réseau de gaz
  • planifier l’urbanisme afin de limiter les consommations d’énergie (pour le transport et le logement notamment)
  • demander aux gestionnaires de réseaux de développer de nouveaux services utiles pour la planification urbaine et la réduction des consommations d’énergie grâce aux possibilités ouvertes par le numérique

 

Cette évolution devrait cependant s’accompagner d’une forte évolution des moyens donnés aux collectivités locales. Ces dernières rappellent en effet fréquemment – et à juste titre – que les transferts de compétences et surtout les moyens financiers ne sont pas à la hauteur du rôle clé qu’elles ont à jouer dans la transition écologique.

Il faut donc désormais donner aux collectivités locales de réels moyens pour  développer une vision de la transition énergétique sur leur territoire à court, moyen et long-terme, et coordonner les objectifs d’efficacité énergétique et les réseaux d’énergie à la maille de leur territoire : les inciter à  agir au niveau du bloc communal (communes et intercommunalités) via les plans locaux d’urbanisme (PLU) pour fixer des exigences en matière d’efficacité énergétique, leur donner les moyens (d’expertise, de contrôle) pour obtenir les services souhaités de la part de leurs entreprises concessionnaires, et enfin leur donner un rôle de conseil à destination des citoyens en matière de transition écologique et de réduction de l’empreinte carbone individuelle (conseil en rénovation énergétique, en matière de mobilité, de réduction des déchets..). Les Agences Locales de l’Energie et du Climat (ALEC), dont la gouvernance associe entreprises, associations et collectivités, et qui sont présidées par des élus, peuvent constituer un bon outil pour fournir l’ensemble de ces services destinés aux citoyens.

Les collectivités doivent ainsi se doter d’une expertise propre afin de construire une vision consolidée et prospective de leur situation énergétique et des besoins en service public, grâce à la collecte et au traitement de données, mais également en développant des compétences techniques adaptées ou en ayant la capacité de recourir aisément à une aide externe. Outre le recours à l’aide des opérateurs de l’Etat, les collectivités dont la taille ne permettrait pas le développement d’une capacité d’expertise propre pourraient mutualiser leurs moyens grâce aux syndicats d’énergie : historiquement constitués pour gérer les concessions des réseaux d’énergie, ceux-ci permettent déjà aux communes et intercommunalités de mutualiser l’expertise nécessaire à un niveau plus large (souvent à une échelle départementale), et peuvent élargir leurs compétences à l’élaboration et au pilotage de stratégies de transition énergétique

Proposition 3 : Garantir que chaque collectivité possède directement ou indirectement le niveau d’expertise suffisant pour avoir une vision consolidée et prospective de sa situation énergétique, et de ses objectifs de transition :

  • Mutualiser les moyens entre collectivités grâce aux syndicats d’énergie, en élargissant leur rôle d’appui et d’expertise pour l’élaboration de stratégies de transition énergétique
  • Renforcer les capacités d’expertise des agences et opérateurs de l’Etat et les mettre à disposition des collectivités en accordant à ces dernières un « droit de tirage » sur les premiers : les collectivités pourraient ainsi demander aux opérateurs de l’Etat la réalisation d’études pour leur compte dans la limite d’un montant maximum pluriannuel. Les opérateurs de l’Etat devraient ainsi budgéter le coût des études, mais n’auraient pas la possibilité de refuser leur réalisation, les collectivités locales restant les décisionnaires en ce qui concerne les objectifs des études.

4.2. Trouver un nouvel équilibre entre autonomie et solidarité territoriale, tout en conservant les atouts des grands opérateurs nationaux

Ce débat entre les échelons locaux et national se double d’un deuxième débat, qui oppose cette fois les collectivités entre elles : nombreuses sont en effet les collectivités, en particulier urbaines, qui contestent le monopole accordé aux gestionnaires de réseaux de distribution historiques, considérant notamment que leur capacité de contrôle des investissements et les services fournis sont insuffisants. Elles questionnent également du même coup la péréquation des tarifs de réseaux, à laquelle elles sont des contributrices nettes, contrairement aux collectivités rurales qui en sont les premières bénéficiaires[14].

Ces débats sont légitimes, et il est nécessaire de répondre à ces demandes, tout en cherchant à conserver les atouts du système actuel, du point de vue technique, climatique, économique et social.

D’un point de vue technique, l’existence de gestionnaires de réseaux de distribution d’envergure nationale (Enedis dans le cas de l’électricité, GrDF dans le cas du gaz) est en effet un avantage sur le plan de l’innovation : les pays dans lesquels les gestionnaires de réseaux de distribution sont majoritairement des entreprises locales de taille petite ou moyenne sont généralement en retard dans le déploiement de nouvelles technologies indispensables à la transition énergétique, telles que les compteurs communicants (y compris pour des raisons de capacité financière). La taille des opérateurs est également un avantage crucial pour faire face à des événements d’ampleur, tels que les catastrophes naturelles, qui impliquent de pouvoir mobiliser rapidement de nombreux moyens. Ces atouts techniques se traduisent également d’un point de vue économique : à territoire équivalent, les coûts des grands opérateurs sont généralement plus faibles que ceux des entreprises de petite taille.

Afin de répondre aux demandes des collectivités tout en préservant les atouts du système actuel, il serait envisageable de conserver des gestionnaires de réseaux de distribution nationaux importants, tout en faisant en sorte que les investissements réalisés et les services fournis soient adaptés à chaque collectivité locale, ou regroupement de collectivités territoriales avec des objectifs similaires : cela supposerait de donner de réels pouvoirs de contrôle aux collectivités (en tant qu’autorités concédantes, ou même en tant que possibles actionnaires), voire de moduler la péréquation sur les tarifs de réseaux telle qu’elle existe actuellement. Ces sujets ont notamment été abordés dans un rapport de la Commission de Régulation de l’Energie d’octobre 2019[15], ou encore dans un rapport de France Stratégie de novembre 2019[16]. Nous cherchons ici à proposer des pistes d’évolutions utiles au débat.

Conserver des opérateurs nationaux dans l’électricité et le gaz n’est en effet pas nécessairement incompatible avec un objectif de meilleure prise en compte des enjeux locaux.

En termes de gouvernance, il est crucial de maintenir (ou rétablir selon les cas) un actionnariat entièrement public des gestionnaires de réseaux de distribution, tant ceux-ci constituent un élément essentiel de souveraineté et de mise en œuvre de la transition énergétique. En même temps, il est nécessaire d’assurer un degré d’indépendance suffisant vis-à-vis des entreprises exerçant dans le champ concurrentiel (en particulier les groupes intégrés dont ils sont issus) et d’associer les collectivités territoriales à leur gouvernance, voire à leur actionnariat[17].

Proposition 4 : Maintenir (ou rétablir) un actionnariat entièrement public pour les grands opérateurs nationaux de distribution de l’électricité et du gaz, tout en assurant leur indépendance vis-à-vis des entreprises exerçant dans le champ concurrentiel (en particulier les groupes intégrés dont ils sont issus) et en associant les collectivités territoriales à leur gouvernance, voire à leur actionnariat.

Par ailleurs, la péréquation tarifaire que l’on connait actuellement sur le seul domaine de l’électricité perd en effet de son sens. Comme on l’a noté précédemment, sa présence n’a pas empêché l’accroissement des inégalités territoriales, y compris sur la seule question de l’accès à l’énergie (l’électricité ne représentant qu’une part relative des consommations énergétiques des foyers et des entreprises). De plus, en gommant les réalités locales, elle masque les coûts générés pour l’ensemble de la société. En particulier, la péréquation tarifaire brouille le signal économique qui pourrait freiner l’étalement urbain si destructeur à la fois du point de vue climatique et du point de vue de la biodiversité. Ainsi, nous proposons de repenser la solidarité interterritoriale à l’échelle de la transition énergétique dans son ensemble, et pas seulement au niveau des tarifs d’acheminement de l’électricité, afin de donner les marges de manœuvre aux collectivités locales pour choisir les solutions et investissements (non seulement de réseaux, mais aussi d’efficacité énergétique) les plus adaptés à leur situation propre.

Afin de limiter la complexité technique de la transition d’un modèle à l’autre, une approche progressive pourrait être mise en œuvre, dans laquelle le socle existant (actifs et services) resterait péréqué, mais où les éventuels nouveaux services ou investissements spécifiques demandés par les collectivités ne le seraient plus nécessairement.

Proposition 5 : Transformer la conception de la péréquation géographique : remplacer la stricte péréquation tarifaire par des prélèvements effectués sur les concessions les plus rentables (que ce soit en gaz ou en électricité), qui viendraient alimenter un « Fonds territorial pour la transition écologique et solidaire » destiné aux collectivités locales pour financer leurs actions et projets de transition énergétique (investissement dans les réseaux, mais aussi rénovation des bâtiments publics, projets de transport propres, aides pour les ménages…).

Ce fonds viendrait remplacer les divers fonds de péréquation existants (FACE, FPE…) et ferait l’objet d’une gouvernance partagée associant l’Etat (via un ou plusieurs de ses opérateurs) et les différents niveaux de collectivité.

Ainsi les tarifs de réseaux pourraient désormais varier d’une concession à l’autre en fonction des investissements et des services souhaités par la collectivité, mais les territoires où les coûts de réseau sont les plus faibles (les métropoles) continueraient à contribuer à la solidarité interterritoriale grâce à ces prélèvements, reflétant ainsi l’interdépendance énergétique des territoires.

En cas de reprise de la trajectoire de la taxe carbone à moyen-terme, ce fonds pourrait en outre être également abondé grâce à une partie des revenus correspondants[18].

Soulignons que nous évoquons ici la péréquation appliquée aux tarifs de réseaux d’électricité, et non la péréquation tarifaire globale dont bénéficient les Zones Non Interconnectées (ZNI), qui comprennent notamment les Outre-mer et la Corse. La notion de service public dans les ZNI pourrait cependant également être revisitée à l’aune de l’objectif de réduction des émissions de CO2 et de maîtrise de la facture énergétique totale, plutôt que de la seule maîtrise des prix pour le consommateur via la péréquation.

Annexe 1 : Une conception du service public revisitée, brique par brique

A. La garantie de service et la sécurité d’approvisionnement

Du point de vue historique, l’enjeu de sécurité d’accès à l’énergie a largement structuré les politiques énergétiques françaises : diversification des approvisionnements pétroliers, réserve stratégique, développement du gaz naturel et diversification ensuite, développement des ressources nationales (charbon, puis nucléaire puis énergies renouvelables). Sur le seul plan électrique, l’enjeu prend une tournure nouvelle avec le développement des énergies renouvelables et la problématique de la stabilité du système électrique, dans le contexte de la fermeture de moyens pilotables traditionnels (nucléaire ou à base d’énergies fossiles).

Evidemment, l’approvisionnement du pays en électricité et en gaz est de la responsabilité du gouvernement. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de fixer le niveau de sécurité (ou d’assurance) à atteindre, ainsi que le cadre et les moyens pour y parvenir. En ce qui concerne l’électricité, le critère est ainsi fixé à 3h de défaillance en espérance par an, tandis que le système gazier doit lui pouvoir faire face à la probabilité d’un hiver tel qu’il s’en produit tous les cinquante ans. Dans ce contexte, le service public est en particulier assuré par les gestionnaires de réseaux de transport (RTE pour l’électricité, GRTgaz et Terega pour le gaz), la sécurité d’approvisionnement étant au cœur de leurs missions.

Proposition 6 : Vérifier tous les 5 ans dans le cadre de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie, le niveau de sécurité d’approvisionnement défini par les pouvoirs publics pour les systèmes électrique et gazier, en cohérence avec le cadre européen.

B. Qualité et services

Le service public énergétique doit offrir des garanties de qualité de fourniture, c’est-à-dire des spécifications techniques minimales de la qualité de fourniture du vecteur, comme la tension mais aussi la forme de l’onde dans le domaine électrique, ou la composition chimique dans le domaine du gaz. La qualité de chaque vecteur énergétique doit donc faire l’objet de spécifications explicites définies par voie législative et réglementaire.

Proposition 7 : Pour chaque vecteur énergétique, définir explicitement les caractéristiques techniques minimales par voie législative et réglementaire : c’est déjà le cas pour le gaz[19], il convient donc de compléter cette dimension pour l’électricité, mais aussi pour la chaleur et le froid.

De la même manière, il est important que les données essentielles soient identifiées, collectées, anonymisées et mises à disposition des collectivités – et pour certaines également en Open data – à une maille, un format et une fréquence telles qu’elles puissent être utilement valorisées dans une perspective d’optimisation de la gestion du système énergétique et d’innovation, tout en respectant les exigences de protection des données personnelles bien évidemment. Cette transparence des données permettra en outre aux collectivités de mieux connaitre les actions réalisées par le concessionnaire ou le délégataire dans le cadre des contrats signés avec lui.

Proposition 8 : Poursuivre la construction du cadre réglementaire relatif à la mise à disposition des données énergétiques essentielles pour les consommateurs et les collectivités locales par les acteurs du système énergétique (en particulier les gestionnaires de réseaux et les fournisseurs d’énergie et de services), ainsi que celles qui doivent être publiées en Open data.

C. Droit d’accès à l’énergie et à la maîtrise de la facture énergétique

Les pouvoirs publics ont historiquement envisagé le service public de l’énergie comme devant maîtriser les prix de chaque énergie (en conservant des tarifs réglementés et en instaurant des tarifs sociaux pour les consommateurs les plus modestes, ces derniers étant désormais remplacés par le chèque énergie), mais sans se préoccuper suffisamment des volumes d’énergie consommée. Il est désormais nécessaire de passer d’une logique de maîtrise des prix de chaque énergie à une logique de maîtrise de la facture énergétique, avec le meilleur service rendu du point de vue individuel et collectif.

En ce qui concerne les entreprises, il convient ainsi de privilégier les aides aux investissements d’efficacité énergétique plutôt que les mesures visant à limiter le prix de l’énergie (tels que les diverses exemptions de taxes sur l’énergie dont bénéficie à l’heure actuelle un certain nombre de secteurs). De même, en ce qui concerne les ménages, les objectifs de service public ne devraient pas porter sur le prix de l’énergie distribuée, mais plutôt sur l’efficacité énergétique des logements, afin de réduire la facture des ménages précaires, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

L’objectif de créer un « guichet unique » en matière d’efficacité énergétique vers lequel devraient se tourner tous les publics concernés, véritable arlésienne des débats politiques sur ce sujet, nous semble aujourd’hui secondaire : plutôt que de chercher à concentrer l’expertise dans une institution unique, il nous semble au contraire préférable de former l’ensemble des agents publics en contact avec des ménages potentiellement concernés aux enjeux de l’efficacité énergétique et aux politiques publiques de soutien. Les compétences de conseil en matière d’efficacité énergétique nous semblent ainsi devoir être diffusées partout où cela est pertinent, et en particulier au niveau local. En revanche, la définition, et les démarches d’obtention d’aides doivent être suffisamment claires et harmonisées. La majorité des aides étant définies par l’Etat et/ou issues du budget national, ce volet a vocation à demeurer de la compétence de l’Etat.

De ce point de vue, les collectivités territoriales et les opérateurs publics (les opérateurs de l’Agence Nationale de l’Habitat et les travailleurs sociaux notamment) ont un rôle crucial à jouer : les agents publics au contact des familles modestes devraient ainsi être formés afin de pouvoir les conseiller sur la réduction de leurs consommations d’énergie, que ce soit dans leur logement ou pour les transports (co-voiturage, changement de mode de transport ou de véhicule…). Ces agents devraient également pouvoir monter directement les dossiers nécessaires à l’obtention de financements ou à la réalisation de travaux, ou pouvoir orienter les ménages vers des entreprises privées véritablement certifiées, capables de prendre en charge ces démarches administratives d’obtentions d’aides (nationales et/ou locales) ainsi que la réalisation des travaux. Il s’agit non seulement des aides distribuées directement par l’Etat, mais également de celles distribuées par les entreprises privées soumises au dispositif des certificats d’économie d’énergie, qui est lui-même encadré par l’Etat.

Proposition 9 : Les agents publics au contact des particuliers, et notamment des familles modestes, au sein des collectivités locales (via les CCAS, mais aussi les Agences Locales de l’Energie et du Climat par exemple), des opérateurs de l’ANAH, ainsi que les travailleurs sociaux associés aux CAF et aux Conseils Départementaux, devraient ainsi être formés afin de pouvoir conseiller les ménages modestes sur la réduction de leurs consommations d’énergie, que ce soit pour leur logement ou pour les transports. Ces agents devraient également pouvoir monter directement les dossiers nécessaires à l’obtention de financements ou à la réalisation de travaux, ou pouvoir orienter les ménages vers des entreprises privées dûment certifiées, capables de prendre en charge ces démarches administratives d’obtentions d’aides (nationales et/ou locales) ainsi que la réalisation des travaux.

Annexe 2 : des services publics des énergies au service public de la sobriété énergétique

Champs

Secteur de l’électricité (ancien)

Secteur du gaz (ancien)

Service public de la sobriété énergétique (nouveau)

Sécurité stratégique du pays

  • Sécurité d’approvisionnement
  • Indépendance
  • Défense et sécurité publique
  • Sécurité d’approvisionnement
  • Sécurité d’approvisionnement

Environnement

  • Protection locale de l’environnement
  • Qualité de l’air
  • Lutte contre l’effet de serre
  • Protection de l’environnement
  • Mesures d’économie d’énergie
  • Critère climatique dans les choix d’investissement, respectant l’objectif de neutralité carbone en 2050
  • Limitation des impacts sur l’environnement (air, eau, biodiversité…)
  • Mesures d’économie de ressources sur l’ensemble du cycle de vie

Ressources stratégiques

  • Utilisation rationnelle de l’énergie
  • Maitrise de la demande en énergie
  • Gestion optimale des ressources nationales
  • Développement des ressources nationales
  • Efficacité énergétique
  • Valorisation du biogaz
  • Valorisation des ressources nationales dans le respect de la neutralité carbone

Economie

  • Compétitivité de l’activité économique
  • Maitrise des choix technologiques d’avenir
  • Qualité et prix des services fournis
  • Caractéristiques techniques minimales normées pour chaque vecteur énergétique
  • Mise à disposition des clients et des collectivités des données énergétiques essentielles
  • Efficience économique globale

Social

 

  • Cohésion sociale
  • Lutte contre les exclusions
  • Développement équilibré du territoire
  • Droit de tous à l’électricité
  • Sécurité des personnes et des installations
  • Continuité de fourniture
  • Développement équilibré du territoire
  • Fournisseur de dernier recours pour client avec mission d’intérêt général
  • Droit pour tous d’accès au service énergétique et à la maîtrise de la facture énergétique
  • Définition d’un ou plusieurs fournisseur(s) de dernier recours pour le service énergétique

[2] A caractère industriel et commercial, EPIC

[3] Il est intéressant pour notre propos de noter qu’un des obstacles initiaux à l’uniformisation du prix au-delà du département ait été la demande des collectivités locales de conserver leur pouvoir dans les négociations des concessions. Pour aller plus loin, voir notamment les travaux de François-Mathieu Poupeau (« La fabrique d’une solidarité nationale : État et élus ruraux dans l’adoption d’une péréquation des tarifs de l’électricité en France », Revue française de Science Politique, 2007).

[4] Ces activités de réseaux constituent ce que l’on nomme en économie des « monopoles naturels » (tout comme le réseau ferré par exemple) : il ne serait pas pertinent de construire plusieurs réseaux identiques en parallèle pour les mettre en concurrence. Les infrastructures de réseaux sont par nature des monopoles, qui doivent dès lors être régulés pour contrôler leur efficacité.

[5] Le PIB par habitant Ile de France en 2010 : 51 850€ contre 27 380€ en métropole hors Ile de France

[6] Même si une partie significative de cette richesse est dépensée en région, par le biais de l’économie résidentielle et des transferts de solidarité : voir notamment à ce sujet les publications de Laurent Davezies (Le monde rural : situation et mutations, Terra Nova, 2017).

[7] « Pour des transitions énergétiques locales », Terra Nova, septembre 2017

[8] Voir notamment « Pour une transition énergétique véritablement solidaire », manifeste de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, septembre 2019

[9] Services publics locaux : les priorités des Français évoluent, les Echos, 25 octobre 2019 https://www.lesechos.fr/economie-france/social/services-publics-locaux-les-priorites-des-francais-evoluent-1142951

[10] Pour mémoire, la répartition de la consommation en énergie finale de la France était en 2017 : Charbon 0,8%, Produits pétroliers 43,6%, Gaz Naturel 19,3%, Chaleur vendue 2,2 %, Electricité 24,7%, EnRth et déchets : 9,4%

[11] On pourrait également remarquer que l’accès à l’énergie pour le transport est également vu du point de vue des moyens (l’accès aux transports publics), ce qui rend l’action de l’état inefficace en milieu dilué (cf partie 2.1). Ce point a été identifié par le législateur et engagé l’émergence du concept de « mobilité », concrétisé dans la Loi d’Orientations de Mobilités de 2019, afin de se dégager de la question de l’outil pour se recentrer sur l’objectif.

[12] Voir aussi les Annexes 1 et 2 de la présente note pour aller plus loin dans la définition du service public de la sobriété énergétique

[13] “Transition énergétique : faisons jouer nos réseaux”, Institut Montaigne, décembre 2019

[14] Compte tenu de la densité de population, le coût des réseaux d’énergie exprimé en euros par consommateur peut en effet être significativement plus faible dans les collectivités urbaines.

[15] “La transition énergétique dans les territoires : Nouveaux rôles, nouveaux modèles”, Comité de prospective de la CRE, Octobre 2019

[16] « Les réseaux de distribution d’électricité dans la transition énergétique”, France Stratégie, Novembre 2019

[17] L’implication des collectivités locales mise à part, ces considérations seraient également valables pour les opérateurs de réseaux de transport d’électricité et de gaz (RTE, GRTgaz et Terega)

[18] Voir “Climat et fiscalité : trois scénarios pour sortir de l’impasse”, Terra Nova et I4CE, février 2019 et « Pour des transitions énergétiques locales », Terra Nova, septembre 2017

[19] Article R121 et suivants du code de l’énergie

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