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Transition énergétique : quelle part accorder à l’électrique ?

Transition énergétique : quelle part accorder à l’électrique ?

Dans tous les scénarios de la transition énergétique, la sortie des énergies fossiles conduit à un développement de la production d’électricité. Cependant, l’ampleur du recours à l’électricité dans les différents usages conduit à des choix différents d’investissements, en particulier dans les énergies renouvelables. Où se situe le bon équilibre ?

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Publié le 17 octobre 2021

La maîtrise de la demande d’électricité : un objectif à expliciter dans le débat présidentiel

Le débat présidentiel clarifiera-t-il les choix à faire dans les années qui viennent en matière d’énergie ? Nucléaire, énergies renouvelables : des clivages très marqués se dessinent mais la politisation des débats n’aide pas à apprécier les arguments dans un sens ou l’autre. Avant même de se décider pour une source d’énergie ou l’autre, il faut clarifier un point qui reste peu débattu : notre consommation d’énergie va-t-elle augmenter dans les 30 années à venir ? On sait que pour respecter les accords de Paris, il faut électrifier les usages, c’est-à-dire nous passer des hydrocarbures émetteurs de gaz à effet de serre. Mais quelle sera l’ampleur de cette électrification ? Nous ouvrons le débat avec cette contribution, qui sera discutée par plusieurs interventions aux regards complémentaires, sinon contradictoires.

En ce début de campagne présidentielle, les déclarations et les promesses vont bon train sur le sujet de l’énergie. Tandis que le candidat écologiste, Yannick Jadot, a promis de sortir du nucléaire en vingt ans s’il était élu et de « mettre le paquet » sur les énergies renouvelables, les candidats à la candidature chez les Républicains, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, promettent au contraire de revenir sur les fermetures programmées de centrales nucléaires et de donner leur accord au développement de nouveaux réacteurs EPR. Le premier a même déclaré qu’il reviendrait sur l’objectif de baisse à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité et qu’il changerait les textes en vigueur relatifs aux projets éoliens de manière à ce que l’on cesse de « massacrer les paysages ».

L’objectif de ce papier n’est pas de donner raison ou tort à l’un ou l’autre camp, mais plutôt de cadrer plus précisément les termes de la discussion. D’abord, parce qu’on ne peut pas isoler le nucléaire ou les énergies renouvelables d’une réflexion plus globale sur le mix électrique : si l’on décide de faire moins de nucléaire, par exemple, il faudra solliciter davantage d’autres sources d’énergie et il faut dire précisément lesquelles et avec quel calendrier, quels investissements. Ensuite et surtout parce que, quelle que soit l’option retenue, ces débats impliquent de résoudre une question préalable qui semble avoir été oubliée ces derniers temps : quel est le niveau de la demande d’électricité qu’il s’agira de satisfaire dans les deux ou trois décennies à venir ? Car de cette anticipation dépend fortement le niveau de production qu’il faudra atteindre et les moyens à mobiliser.

Le niveau de la demande d’électricité sera bien sûr impacté par la lutte contre le changement climatique et la nécessité de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre pour arriver à la neutralité carbone en 2050 au plus tard, avec un objectif intermédiaire de réduction d’environ 50% d’ici 2030, soit dans la décennie. Cet enjeu vital suppose de sortir des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel…) et, pour cela, de nous rabattre sur les énergies les moins émettrices, à commencer par l’électricité d’origine non fossile (éolien, photovoltaïque, nucléaire, etc.). Un consensus s’est ainsi peu à peu formé sur la pertinence d’une électrification de nombreux usages et notamment de la mobilité. Ce consensus s’accompagne d’une conviction de plus en plus partagée selon laquelle nous aurons besoin de produire davantage d’électricité d’origine non-fossile dans les années qui viennent. C’est précisément cette conviction qu’il faudrait prendre le temps de discuter car elle fait l’impasse sur les gains d’efficacité et de sobriété qui pourraient être faits dans le futur…

Barbara Pompili a cité récemment un chiffre important pour le débat sur notre système électrique. Selon la ministre de l’écologie, la demande d’électricité devrait augmenter de 20% d’ici 15 ans du fait d’un accroissement des usages électriques.

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Ce chiffre n’est pas nouveau : il correspond à la trajectoire de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) adoptée en 2020. Cette hypothèse d’une croissance future de la demande d’électricité est aussi reprise dans les scénarios mis en consultation par RTE dans sa grande étude « Futurs énergétique 2050 » qui sera publiée fin octobre. Plus précisément, RTE a lancé la modélisation de scénarios du système électrique qui croisent évolution de la consommation et de la production. Les scénarios de production vont du 100% renouvelable en 2050 à 50% de nucléaire à cette même échéance. Quant aux scénarios de consommation, les plus ambitieux en matière de sobriété conduiraient tout de même à une augmentation de 20% de la demande électrique en 2050 (550 TWh versus 473 en 2019) et jusqu’à +60% dans les scénarios volontaristes en matière de réindustrialisation (770TWh).

Ces hypothèses de consommation supposent un décrochage avec les tendances récentes : en effet, la consommation d’électricité en France est relativement stable depuis 2010 (et a décru en 2020 du fait des confinements) et aucun signe ne laisse présager une hausse à venir.

Les exercices prospectifs pilotés par l’administration ont souvent anticipé une plus forte hausse que prévu. Par exemple, une prospective réalisée en 2000 par l’Ecole des Minespour la DGEMP (devenue direction générale de l’Énergie et du Climat en 2008) estimait que la consommation finale d’énergie augmenterait de 45% en 2020 comparée à 1998. De manière rétrospective, on constate qu’elle n’a augmenté que de 8% ! Ce même rapport estimait un besoin de 220TWh de production thermique en 2020, essentiellement par la construction de centrales à gaz si de nouvelles installations nucléaires ne produisaient d’ici là. Aucun EPR n’a encore été livré et pourtant la production thermique n’a pas dépassé les 60TWh depuis plusieurs décennies. En 2020, la production de toutes les centrales thermiques est même descendue en-dessous de la production éolienne qui a atteint 39,7 TWh.Grâce à cette maîtrise de l’électricité d’origine fossile, au remplacement du charbon ( 2TWh aujourd’hui, contre 60 dans les années 1980, et 20 dans les années 2010) par le gaz (environ 40TWh), l’électron français, déjà parmi les plus décarbonés au monde, a encore diminué son poids carbone.

Les nouvelles ambitions fixées par la SNBC et citée par la Ministre sont aussi en décalage avec les ambitions de maîtrise de l’énergie. La programmation pluriannuelle de l’énergie fixe ainsi une baisse de 16,5% de la consommation d’énergie finale entre 2012 et 2028. Pour cela, des actions d’économies d’énergies sont poussées par l’Etat dans tous les secteurs et devraient contribuer à la baisse des consommations d’électricité en même temps que celles des autres énergies. L’isolation d’un bâtiment réduit autant la consommation d’énergie qu’il soit chauffé à l’électricité ou au gaz. Une politique de report modal va autant réduire l’usage d’un véhicule électrique que d’un véhicule diesel. C’est pourquoi des acteurs aussi différents que l’ADEME, l’association Negawatt ou encore des laboratoires de recherche comme le CIRED utilisent des scénarios fondés sur une baisse ou une stabilité de la consommation de l’électricité en cohérence avec les politiques poursuivies pour faire baisser les consommations finales de gaz ou de pétrole.

Pour justifier d’une augmentation de la consommation d’électricité, la SNBC présuppose principalement trois grands facteurs de croissance (cf schéma) :

  • La réindustralisation de l’économie en s’appuyant sur des process industriels plus électrifiés
  • L’électrification des transports, avec la conversion massive de véhicules thermiques en électriques
  • L’électrolyse pour produire de l’hydrogène décarboné et répondre aux besoins d’usages électrifiés où la batterie est remplacée par une pile à combustible
Projection de la consommation électrique de 2015 à 2050
Consommation nationalle d’électricité hors perte réseau dans l’AMS (TWh) Crédits : Terra Nova

Plusieurs objections peuvent être apportées à ces trois hypothèses fortes.

Les besoins croissants d’électricité liée à une réindustrialisation promue par le gouvernement sont en nette rupture avec une baisse tendancielle. Le coût de l’énergie est un facteur clé de la compétitivité industrielle mais il n’est évidemment pas le seul. L’électrification de process peut procurer des économies aux industries, mais l’efficacité énergétique en apporte également, d’autant que les progrès dans l’industrie s’accélèrent au niveau mondial. Pour améliorer sa compétitivité prix, l’industrie France ne peut miser sur une augmentation de sa facture d’électricité ; elle doit d’abord capter toutes les innovations pour des process plus efficaces énergétiquement. Si l’industrie 3.0 sera plus électrique, elle sera aussi probablement moins énergivore.

Dans les transports, l’hypothèse de croissance réside essentiellement sur une électrification de la flotte de véhicules routiers. Cette conversion suppose aujourd’hui des subventions massives et de fortes exonérations de taxe.Le renforcement des aides a permis un récent décollage du marché du véhicule électrique qui représentait en 2020 6,7% des nouvelles immatriculations (mais encore 0,6% du parc roulant). En parallèle, l’électrification accompagne de nouveaux modèles de véhicules partagés, la diffusion d’engins légers (vélo à assistance, vélocargo, trottinettes…) qui contribuent à faire baisser la part de la voiture individuelle dans les déplacements. Cette évolution est très rapide dans les cœurs urbains des métropoles avec l’éclosion de divers modèles privés. On peine encore à l’imaginer dans les campagnes, mais on peine tout autant à encourager l’achat de véhicule électrique individuel en milieu rural et périurbain. Faire un pari de la conversion des véhicules propriétaires dans ces territoires n’est pas moins utopique que d’y imaginer la diffusion des services de véhicules partagés, du transport à la demande, du vélo et autres micromobilités. Déjà, plusieurs expérimentations dans des communes rurales montrent que l’autopartage permet une diffusion rapide de l’électromobilité, et accompagne ainsi une réduction du nombre de véhicules possédés.

L’électrolyse de l’hydrogène fait également débat. Sa pertinence reste à confirmer dans les différents usages où la révolution hydrogène nous est annoncée : dans l’industrie, dans le transport routier ou encore dans de multiples niches (bus, camions, bennes à ordures, taxis, péniches, groupe électrogènes…). Il faut cependant adopter une vision globale du système électrique dans la mesure où l’hydrogène peut être atout pour la flexibilité et de la sécurité du réseau. Il sera possible de le produire à coût limité au moment des pics de production renouvelable, ou en période de base avec du nucléaire, et de l’utiliser en appoint pour réduire les défaillances du réseau. Le développement de l’électrolyse peut ainsi être conçu pour limiter le besoin d’installation de nouvelles puissances électriques supposées nécessaires pour faire face à l’intermittence de la demande et de la production électrique renouvelable.

On notera également dans les courbes de la SNBC que la demande électrique dans les bâtiments (résidentiel et tertiaire) connaîtrait une baisse mais limitée et très inférieure à la baisse prévue pour la consommation de gaz. On sait la volonté du gouvernement de favoriser l’électricité sur le gaz dans la réglementation thermique : la RE2020 limite radicalement le chauffage au gaz pour les nouveaux bâtiments. Mais on peut aussi espérer que les progrès dans l’efficacité des équipements électriques (pompes à chaleur notamment) vont largement compenser l’augmentation des usages électriques. L’éclairage a été le premier facteur d’économie, et il est facile (et rentable !) d’atteindre 40 à 70% d’économies d’énergies avec les nouvelles technologies LED. Des gains significatifs sont aussi attendus dans le chauffage, l’eau chaude, dans l’électroménager ou encore dans les nouveaux équipements numériques (box, etc.)

On peut bien sûr aussi anticiper des effets rebonds dans tous ces secteurs. On peut ainsi prendre pour exemple l’achat croissant de SUV qui, même électrique, consomment beaucoup plus que la moyenne, le report modal de la marche vers des services de location de trottinettes ou encore les usages énergivores croissants du numérique, notamment pour de la vidéo à la demande. A chaque fois, il est possible de mettre en place des politiques pour limiter ces effets rebonds : malus en fonction du poids, limitation de la circulation des SUV, limitation de vitesse des trottinettes dans les centres villes, ralentissement du renouvellement et déploiement de nouveaux terminaux numériques… Le gaspillage électrique n’est pas inéluctable et des choix politiques sont possibles pour lutter contre.

En conclusion, l’hypothèse de croissance de la demande d’électricité doit être interrogée. Les candidats à l’élection présidentielle devraient être encouragés à se positionner sur cette question et les scénarios publiés à l’automne (RTE, NEGAWATT, ADEME…) donneront des éléments factuels de cadrage pour cela.

Soutenir une maîtrise de la consommation de l’électricité (stabilité ou même baisse) apparaît cohérent avec les ambitions de sobriété et d’efficacité énergétique nécessaires à une ambition climat, et en cela ce n’est pas contradictoire avec un effort accru d’électrification des usages.

Ce positionnement est nécessaire pour ensuite débattre des politiques de production d’énergie.

Dans une hypothèse de stabilité de la consommation électrique, il n’est plus possible de défendre « en même temps » un objectif de 50% de nucléaire, de prolongement des centrales existantes et de construction de nouvelles séries d’EPR. C’est arithmétique : la production totale dépasserait largement la demande et on ne peut justifier un accroissement massif des exportations sans une analyse sérieuse du marché électrique européen.

Dans une hypothèse de stabilité de la consommation électrique, l’ambition défendue par le gouvernement pour les productions solaires et éoliennes est alors conforme avec une trajectoire vers le 100% renouvelable en 2060, et tout à fait en mesure de faire face au « mur » que représente la fermeture de centrales nucléaires d’autant plus si certaines sont prolongées pour étaler leur fermeture dans les prochaines décennies.

Dans une hypothèse de stabilité de la consommation électrique et de prolongation des centrales nucléaires, il n’est plus nécessaire d’envisager une croissance exponentielle de nouvelles centrales ENR pour répondre aux besoins électriques en métropole. Selon le dernier panorama énergies renouvelables de RTE, les projets « en développement » (prévus d’ici 2028) représentent 22 GW (dont 10 d’éolien terrestre, 8,4 de photovoltaïque, 3 en mer et 0,8 d’hydraulique). Cela devrait générer plus de 45 TWh, soit plus que la production thermique annuelle moyenne de la dernière décennie.

La production renouvelable augmentera même au-delà sans consommer plus de surface au sol, en raison de deux facteurs : l’augmentation de la profitabilité du photovoltaïque qui va rendre les petites productions en toitures plus rentablesd’une part (avec notamment l’autoconsommation), le renouvellement des mats éoliens les plus anciens d’autre part. En 10 ans, les mats ont vu leur taille augmenter de 17% et leur capacité de production de 200%. Plus de 5GW d’éoliennes installées avant 2010 devraient vraisemblablement être renouvelées d’ici 2030 avec un taux de charge bien meilleur – et moins variable– que celui des mats remplacés.

Si la demande d’électricité et la production nucléaire reste stable, l’enjeu n’est donc plus d’installer de nouvelles centrales au-delà des productions déjà attendues, mais d’augmenter le stockage et la flexibilité du réseau pour augmenter sa résilience et gérer sa variabilité. Des solutions d’effacement et de stockage se multiplient, et leur coût est également en baisse. C’est le cas notamment de l’électrolyse de l’hydrogène qui fera partie de ces solutions.

Le candidat qui tablera sur une stabilisation de la demande d’électricité pourra donc miser sur une décarbonation quasi-totale du mix français à un horizon proche. Son coût devrait même gagner en compétitivité compte tenu des prix très faibles qui ressortent des deniers appels d’offre éolien et solaire. En revanche, il sera plus difficile de promettre une baisse du prix de l’électricité pour le consommateur final sauf à sortir du cadre de marché européen actuel. Comme nous le constatons actuellement avec la hausse des prix de l’énergie partout en Europe, c’est le coût de la dernière centrale mobilisée au niveau européen qui va déterminer le prix de marché.

Toutefois, dans une hypothèse de stabilité de la consommation électrique, il est possible de viser une réduction de la facture énergétique des ménages les plus modestes, par exemple par la gratuité des abonnements électriques, une meilleure adéquation des abonnements aux usages réels (permis par Linky notamment) et/ou par une baisse de la contribution au service public de l’énergie (CSPE) tout en cherchant une péréquation tarifaire qui pourra nécessiter d’augmenter le prix de l’électricité pour d’autres consommateurs, par exemple au-delà d’un certain de niveau de consommation.

Même si la consommation d’électricité est maîtrisée pour la France, il reste possible de promouvoir des filières d’électricité décarbonée. Cela peut passer par une augmentation des exportations, à condition de promouvoir des centrales compétitives à l’échelle du marché européen, ce qui est le cas aujourd’hui pour l’éolien terrestre et les plus grandes centrales solaires. Cette compétitivité n’est par contre pas garantie pour les éoliennes offshore et les EPR si l’on prend les coûts passés. Néanmoins la perspective d’industrialisation et l’accès à de nouvelles sources de financement moins coûteuses permet d’envisager des réductions de coûts en deçà des centrales au gaz.

D’ores et déjà, le prix du parc offshore de Dunkerque est annoncé en-deça du coût de production du parc nucléaire historique à 53€/MWh. L’autre levier peut être de renoncer à prolonger les centrales nucléaires existantes, voire d’accélérer la fermeture des centrales jugées les moins sures. Il faut alors assumer les surcoûts qu’engendreront de nouvelles installations, qu’elles soient renouvelables ou nucléaires, et dès lors qu’elles produisent une électricité au coût unitaire plus élevé que nos vieilles centrales.

Quant aux candidats qui veulent poursuivre une hypothèse de hausse de la demande électrique, il faudra qu’ils expliquent qui paiera l’augmentation de la facture électrique générée par le cumul d’une consommation en hausse et d’un prix de l’électricité nécessairement plus élevé pour couvrir le coût des investissements nécessaires. Il est encore possible de choisir entre une maîtrise du prix pour les ménages en reportant la charge sur les professionnels, mais il faut alors prendre en compte l’impact sur la compétitivité, ou encore une fois, les gains de sobriété et d’efficacité énergétique que stimulerait une telle hausse des prix.

– Cette contribution n’engage que son auteur et ne constitue pas une position officielle d’Engie –

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Choisir un scénario et mobiliser toutes les solutions disponibles pour le réussir

Pour Didier Holleaux, il existe aujourd’hui un consensus sur le fait que la demande d’électricité est appelée à croître d’ici 2050. Cette croissance sera principalement tirée par de multiples nouveaux usages de l’électricité, dont la production d’hydrogène par électrolyse pour atteindre l’objectif de décarbonation.

S’il rejoint Pierre Musseau sur le fait que d’importants gains d’efficacité et de sobriété doivent impérativement être recherchés dans les usages de l’électricité mais aussi au-delà, Didier Holleaux ne croit pas que ces gains permettront d’absorber totalement la croissance de la demande d’électricité, surtout que l’adhésion de la population aux efforts de sobriété n’est pas acquise et que les sacrifices qui pourraient lui être demandés ne sont nullement explicités.

Dans ces conditions, quel que soit le scénario retenu, il n’y a donc pas de choix possible en faveur du nucléaire contre les renouvelables : même si nous mobilisions tout ce que nous serons capables de construire ou de prolonger en toute sécurité d’ici 2050 dans le domaine nucléaire, il faudrait encore beaucoup plus d’éolien et de solaire qu’aujourd’hui.

En revanche, il est utile de se demander quel est le pourcentage optimal d’électrification pour atteindre l’objectif de décarbonation à moindre coût et avec le maximum de chances de succès : selon Didier Holleaux, cet optimum n’est pas proche des deux tiers, comme le pensent certains, mais plutôt aux alentours de 50 %. En effet, les systèmes énergétiques reposant sur un équilibre entre une multiplicité de vecteurs (électricité, gaz renouvelables et décarbonés, chaleur renouvelable, réseau de chaleur et de froid…) sont à la fois moins coûteux et plus résilients (notamment parce que les gaz comme l’eau sont aisément stockables) qu’un système qui ne repose que sur le seul vecteur électrique.

Pour cela, il est prudent de prévoir de développer autant qu’il est possible les usages les plus efficaces d’énergies comme la biomasse (et en particulier le biométhane, la seule énergie renouvelable qui soit aujourd’hui en avance sur ses objectifs de développement). Ces énergies non électriques font rarement l’objet de prises de position publiques : c’est sans doute pourquoi elles ne reçoivent pas toute l’attention qu’elles méritent. La façon dont on utilise les complémentarités des différentes formes d’énergie et donc l’intégration sectorielle énergétique pourrait utilement être abordée dans le débat politique qui s’annonce.

Elargir le champ du débat à tout le spectre des vecteurs énergétiques

La France est l’un des rares pays du monde où le débat sur l’énergie se transforme instantanément en débat sur le nucléaire ou, dans le meilleur des cas, un débat sur l’électricité. Il convient de rappeler que le nucléaire ne représente qu’un sixième de l’énergie consommée en France et que l’électricité en représente environ un quart. Il faut donc aborder tout débat sur l’énergie en s’intéressant aussi aux 75 % (soit 1442 TWh sur 1917 d’énergie finale consommée en France en 2019) dont on ne parle pas souvent, et qui constituent pourtant la très large majorité de nos consommations énergétiques actuelles.

La question de l’amélioration de la sobriété et de l’efficacité énergétique du pays ne peut donc être examinée uniquement en considérant la consommation d’électricité, comme le fait le document « la maîtrise de la demande d’électricité : un objectif à expliciter dans le débat présidentiel », même si nous partageons la priorité à donner à l’efficacité dans la gestion de la transition et le fait que l’électricité, comme les autres vecteurs énergétiques, doit y contribuer.

Il faut d’ailleurs noter que, si on la regarde globalement, la stratégie nationale bas carbone (SNBC) est de ce point de vue déjà très ambitieuse, en prévoyant le passage de la consommation nationale de 1917 TeraWattheures (TWh) en 2019 à environ 1060 en 2050. Peut-on faire mieux ? Ce serait certainement souhaitable, mais il n’est pas certain que ce soit réaliste car les gains d’efficacité énergétique subissent une baisse tendancielle régulièrement dénoncée par l’AIE. Il est donc nécessaire de compléter l’efficacité (mêmes usages avec moins d’énergie) par un effort de sobriété (renoncement à certains usages) pour atteindre une telle réduction. Or l’adhésion de la population à ces efforts de sobriété n’est pas acquise. Il serait donc prudent de prévoir dans la future SNBC au moins un (voire plusieurs) scénario(s) où cette réduction de la demande énergétique n’est pas atteinte. Ce pourrait, par exemple être dû à un échec partiel dans la rénovation thermique des bâtiments ou un développement rapide des consommations de l’économie numérique.

En procédant ainsi, on corrigerait ainsi l’un des principaux défauts de la SNBC actuelle qui est sa construction sur un scénario unique, qui la fragilise considérablement. Avoir une stratégie qui repose sur un seul scénario, c’est ne plus avoir de stratégie dès lors que la réalité s’écarte trop du scénario !

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Il y a un certain consensus parmi les analystes du monde de l’énergie sur le fait que la demande d’électricité va s’accroître : le développement du véhicule électrique à batterie, le développement de l’hydrogène « vert » produit par électrolyse pour se substituer à l’hydrogène industriel produit par réformage du méthane à la vapeur, ou le développement des pompes à chaleur industrielles basées sur la récupération de chaleur fatale pour fournir de la chaleur à moyenne température pour les process industriel, voilà quelques exemples des multiples nouveaux usages qui conduisent à ce qu’une partie significative de la décarbonation de notre économie passe par plus d’électricité. Même le scénario de Négawatt, extrêmement ambitieux en sobriété, inclut une hausse modeste de consommation d’électricité (entre 2019 et 2050) du fait de la production d’hydrogène « vert ».

Plafonner la demande d’électricité aux 475 TWh de 2019, cela voudrait dire réduire la demande globale d’énergie en France de 1917 TWh à moins de 975 TWh (soit 475 TWh d’électricité et environ 500 TWh d’autres énergies renouvelables selon la SNBC, et un peu moins selon Negawatt) soit une réduction plus de 50%. Seul Negawatt est sur cette trajectoire globale et même eux, comme la plupart des experts et comme Engie, voient la demande électrique croître. Quand bien même un tel scenario, très exigeant, serait choisi, il serait prudent de prévoir comment il serait amendé si les efforts de sobriété ainsi imposés conduisaient à une résurgence des gilets jaunes, ou si le déploiement des renouvelables comme l’éolien était ralenti faute de consensus.

Là où les experts divergent, c’est sur le pourcentage optimal d’électrification qui permet d’atteindre la décarbonation à moindre coût et avec le maximum de chances de succès : là où certains voient une électrification des besoins énergétiques montant à près des deux tiers de la consommation totale, nous pensons que l’optimum est plutôt dans la gamme des 50 à 55 %. Cette conviction repose sur de nombreuses études, qui montrent que les systèmes énergétiques reposant sur un équilibre entre une multiplicité de vecteurs (électricité, gaz (qu’il s’agisse de biométhane, de méthane décarboné ou d’hydrogène vert), eau chaude ou froide dans les réseaux de chaleur et de froid) sont à la fois moins coûteux et plus résilients (notamment parce que les gaz, comme l’eau chaude ou froide sont aisément stockables) qu’un système qui ne repose que sur le seul vecteur électrique. La Commission de l’UE a publié sur ce thème de l’ « Intégration Sectorielle Energétique » une communication en juillet 2020, et de nombreuses collectivités s’y intéressent pour optimiser la transition énergétique de leur territoire. En revanche ce thème est étonnamment absent du débat français : probablement la structure « en silo » des opérateurs en France (à l’exception de quelques régies locales) est-elle moins favorable à tirer parti de la combinaison harmonieuse des réseaux que les « Stadtwerke » multi-énergies qui sont le modèle de base de certains de nos voisins.

La question des bénéfices que le pays pourrait tirer de cette Intégration Sectorielle Energétique, des équilibres possibles entre vecteurs énergétiques qui en résulteraient, et de leur impact sur la décentralisation des politiques énergétiques, parait un débat intéressant pour l’année qui vient (et les décennies qui suivront !). Ce n’est pas un mince enjeu, car on parle d’un coût total cumulé de l’ordre de 100 milliards d’euros de plus sur les 3 décennies à venir si on choisit un mix trop déséquilibré. Il faut donc séparer la question du volume global d’énergie finale que l’on vise de l’optimisation des vecteurs énergétiques pour satisfaire cette demande.

La réindustrialisation

Le document cité questionne la pertinence d’une augmentation de la consommation d’électricité par la réindustrialisation. Nous pensons que celle-ci est souhaitable mais doit être réaliste. Le scénario RTE de réindustrialisation aboutit à + 107 TWh/an (de 645 TWh à 752 TWh/an en 2050) tandis que celui de l’UNIDEN aboutirait à + 270 TWh d’électricité, comparé à 2019. Ces deux scénarios sont probablement trop ambitieux mais leur réalisation, même partielle, serait une bonne nouvelle pour le climat.

En effet, la délocalisation industrielle a bien souvent consisté à délocaliser les émissions de CO2 et les pollutions, en les augmentant au passage et en détériorant ainsi notre empreinte carbone globale. Relocaliser avec nos standards et de l’électricité ou du gaz décarbonés, c’est bon pour notre économie et bon pour la planète, mais cela augmentera la consommation d’électricité au périmètre national. Les gains d’efficacité ne peuvent pas absorber une forte réindustrialisation.

Par ailleurs qu’il s’agisse de réindustrialiser ou de préserver l’industrie existante, toutes les industries consommatrices d’hydrogène devront passer d’une production de cet hydrogène à partir du gaz naturel à une production à partir d’électricité : pour 1 million de tonnes d’H2 par an cela représente au moins 40 TWh, et bien plus si on passe la production d’acier à un procédé de réduction directe…

Le cas de l’électricité

Qu’on ait une vue minimale du besoin d’électricité (50% seulement d’un besoin total de 1060 TWh) ou maximale (63% de 1200 TWh si on prend les scénarios le plus hauts de RTE), la demande d’électricité va croître.

Comment peut-on la satisfaire ? Les scenarios de RTE publiés au printemps 2021, basés sur une demande de 645 TWh en 2050 assez proche de celle de la SNBC représentent un scénario moyen, et sont pleins d’enseignement.

1) Ils renvoient dos à dos les anti-éoliens et les antinucléaires :

Dans le scénario le plus nucléaire (dit N03), on ne parvient à maintenir 50% de la production électrique à partir du nucléaire en 2050 qu’en construisant 14 EPR (soit 6 chantiers ouverts simultanément), en prolongeant des centrales au-delà de 60 ans, ce sur quoi l’ASN dit ne pas pouvoir se prononcer à cette date, et quelques SMR en complément. On ne saurait mieux illustrer le fait que faire plus que 50% d’électricité nucléaire est hors de portée, sauf à mettre l’ASN devant un choix brutal qui consisterait à « autoriser la prolongation au-delà de 60 ans ou provoquer le délestage » qui serait catastrophique en termes de sûreté et de confiance. Dans le même temps, il faut néanmoins multiplier le parc de renouvelables (par 7 pour le photo-voltaïque et par 2,5 pour l’éolien terrestre, sans compter 22GW d’éolien en mer).

Dans les scénarios les moins nucléaires, le développement des renouvelables est encore plus soutenu : photo-voltaïque multiplié par 12 à 21, Éolien terrestre par 4, avec 45 à 60 GW d’éolien en mer.

Rien ne dit que ces développements sont réalisables et seront acceptés par nos concitoyens.

Contrairement à ce que pensent certains orateurs, il n’y a pas de choix à faire entre nucléaire et renouvelables : même si nous mobilisons tout ce que nous serons capables de construire ou de prolonger en toute sécurité entre aujourd’hui et 2050, il faudra beaucoup plus d’éolien et de solaire. Les coûts respectifs du nouveau nucléaire et des ENR sont a priori très différents et donc l’équilibre entre nucléaire et renouvelable ne sera pas neutre en termes de coûts pour nos concitoyens.

2) Ils démontrent que, contrairement à l’hypothèse implicite de beaucoup d’acteurs selon laquelle il suffit d’électrifier un usage pour le décarboner « automatiquement », en fait nous aurons du mal à décarboner 645 TWh d’énergie électrique en 2050, que ce soit avec ou sans nucléaire nouveau. En effet, depuis 2017, les installations annuelles d’électricité renouvelable en France sont en décroissance et en dessous des objectifs. Atteindre les multiplicateurs inscrits dans les scénarios de RTE sera donc un défi technique et social et, si on ne les atteint pas, ce sont des productions d’électricité à partir de combustibles fossiles qui devront être mobilisés pour satisfaire les nouveaux usages.

3) Ils nous invitent en outre, à ne pas oublier le besoin accru de flexibilités :

Le développement accéléré des EnR va s’accompagner d’un développement des besoins de flexibilité, quel que soit le scénario envisagé pour 2050, ce qui supposera des investissements en réseaux, batteries, mais aussi pour maintenir un socle pilotable composé d’hydraulique et de thermique décarboné, et de nucléaire si cette option est choisie.

Il parait absolument nécessaire au débat démocratique de demander aux candidats à la présidentielle de se positionner par rapport aux scénarios de RTE, et d’interpeller ceux qui proposeraient un scénario complètement différent sur sa compatibilité avec l’objectif de neutralité carbone en 2050 et sur les sacrifices en matière de mode de vie qu’il implique pour les Français.

Et les autres vecteurs ?

Dès lors que le constat de la difficulté à atteindre 645 TWh d’électricité décarbonée en 2050 est partagé, il devient prudent et urgent de prévoir dans le même temps de développer autant qu’il est possible les usages les plus efficaces de la biomasse (et en particulier le biométhane), sans pour autant compromettre la production alimentaire ni le potentiel de stockage de carbone dans le sol et les végétaux, pour essayer de faire mieux que les environ 430 TWh qui lui sont assignés par la SNBC, et les usages de la chaleur renouvelable (en particulier la géothermie) pour dépasser les 80 TWh de la SNBC.

En fait, nous devons développer toutes les énergies décarbonées dans la prochaine PPE sur un rythme qui permettrait de dépasser nettement la cible SNBC de 1060 TWh, car c’est le seul moyen d’avoir une marge au cas où, pour une raison technique ou sociale, l’une de ces énergies verrait son développement ralenti ou entravé.

Cette massification des autres vecteurs énergétiques, outre qu’elle permet de mieux sécuriser notre approvisionnement énergétique et d’éviter le black-out, aura aussi l’avantage de faire baisser les coûts de ces filières (un gain de productivité de l’ordre de 30% est attendu sur le biométhane et de l’ordre de 50% ou plus sur l’H2 vert).

Pour ce qui concerne la biomasse, la méthanisation de la biomasse humide, qui permet l’injection de biométhane dans les réseaux (et donc son transport et son stockage à faible coût) nous parait la voie à privilégier, compte tenu de son potentiel proche de 150 TWh mis en évidence par les études de GRDF, GRT gaz et Téréga (notons que Negawatt confirme un potentiel de 130 TWh). Nous observons d’ailleurs que le biométhane est la seule énergie renouvelable en avance sur ses objectifs de développement.

Cela n’exclut pas bien entendu la combustion directe de biomasse solides pourvu que ce soit dans des installations efficaces. Les biocarburants de première génération pourraient en revanche être remis en cause : on constate d’ailleurs que l’industrie aéronautique envisage de plus en plus de ne recourir aux biocarburants que de manière marginale et transitoire et ambitionne d’utiliser à terme de l’hydrogène ou des carburants de synthèse issus de l’hydrogène (e-fuels).

Même si les déchets plastiques ont vocation à disparaître un jour, les flux actuels et les stocks accumulés pourraient faire de la pyrogazéification de ces déchets une source de gaz utile et propre pour la transition. L’hydrogène issu de l’électrolyse de l’eau avec de l’électricité renouvelable constituera un vecteur qui contribuera à stabiliser le système énergétique global et devra être consacré prioritairement à décarboner l’industrie (engrais, acier, sites isolés) ou la mobilité lourde (camions, trains, voire navires avec de l’e-ammoniac ou du e-GNL, avions). Comme l’hydrogène « vert » tire sur la même ressource (électricité décarbonée) que l’électrification directe, il pourrait être complété par de l’hydrogène « turquoise » (pyrolyse du méthane avec capture du carbone solide) ou de l’hydrogène « blanc » (naturel, dont les ressources restent à évaluer), et au moins à titre transitoire par de l’hydrogène « bleu » (vaporeformage du méthane avec capture et séquestration du CO2).

Enfin, nous devons mieux exploiter le potentiel de chaleur renouvelable et de récupération (géothermie à toutes les températures, solaire thermique, chaleur industrielle perdue, chaleur des data centers, chaleur des eaux usées, des mers et rivières, etc.), ou du froid renouvelable (eau des mers et rivières, refroidissement sidéral (skycooling) pour lequel on peut prévoir une demande grandissante. Si le solaire thermique et la géothermie de faible profondeur peuvent être exploitées à l’échelle d’un bâtiment, les autres sources seront mieux exploitées dans le cadre d’un réseau de chaleur ou de froid, ce qui constitue une incitation forte à leur déploiement.

Ces énergies non électriques font rarement l’objet de prises de position publiques : c’est sans doute pourquoi elles ne reçoivent pas toute l’attention qu’elles méritent, et leur rythme de développement s’en ressent. Il serait utile d’interpeller les candidats sur leurs intentions dans ce domaine.

La pointe de froid

Un jour froid d’hiver, la demande de puissance à 8h du matin est de l’ordre de 330 GigaWatt (GW) en France. Sur ces 330 GW, seuls un peu moins de 100 sont fournis par le réseau électrique (record de 102 GW en février 2012, non reproductible aujourd’hui) ; le réseau de gaz naturel en fournit entre 130 et 150, le reste vient des RCU, du bois, du fioul, du GPL, etc.

Au fur et à mesure que des usages seront électrifiés, et notamment le chauffage, une partie de cette demande va se transférer sur le réseau électrique. Penser que cette pointe pourra totalement disparaître du fait de l’efficacité des pompes à chaleur et des mesures d’économies d’énergie relève de la pensée magique.

Or c’est la pointe qui dimensionne le réseau électrique et génère donc l’essentiel des coûts de renforcement du réseau. Une prospective du rôle de l’électricité dans le futur système énergétique ne peut donc pas faire l’économie d’une analyse de ce qui se passe à la pointe, et de tout ce qui pourra être mis en œuvre, ou pas, en matière de pilotage de la demande et de déplacement de la pointe de demande dans le temps. Or, force est de constater que nous en sommes à peine aux balbutiements dans ce domaine (par exemple le « smart charging » des véhicules électriques à batterie n’est encore qu’au stade de l’expérimentation et certainement pas de la généralisation) et que rien n’indique quel sera le potentiel réel de gestion de la pointe obtenu par ces moyens.

Le risque lié à la pointe de demande par temps froid était une spécificité française (nos voisins ayant moins de chauffage électrique que nous) et cette spécificité permettait souvent d’importer du courant lors de la pointe. Demain, l’électrification du chauffage sera développée au niveau européen, dans un contexte de réduction des moyens de production pilotables. Aucune analyse sérieuse ne traite de ce sujet et de son impact sur la résilience d’ensemble du système électrique européen.

C’est d’ailleurs un défaut plusieurs fois signalé de la SNBC actuelle et c’est également un défaut du document « la maîtrise de la demande… » que de ne pas traiter la question de la demande de pointe en électricité.

Certains acteurs du débat ont cru pouvoir éviter de répondre à cette demande en affirmant qu’avec le réchauffement climatique, la probabilité d’événement froid extrême allait se réduire. Force est de constater que la plupart des experts du climat sont plus prudents et que l’événement froid survenu au Texas en février 2021 (-13°C pendant quatre jours) les a certainement confortés dans leur prudence. Nul ne peut exclure le retour d’un événement froid comme celui de février 2012 en France, voire plus violent encore, et il faut être clair avec nos concitoyens sur le fait que le système énergétique permettra ou non d’y faire face sans délestage aux différentes étapes de la transition.

Et du côté de la demande ?

Comme indiqué au début de ce mémo, la réduction de la demande d’énergie de 1917 à 1060 TWh nous parait déjà un objectif très ambitieux surtout si, contrairement à ce qui s’est passé dans les dernières décennies il n’est pas atteint par des délocalisation industrielles (et donc l’exportation des émissions de carbone).

Son atteinte supposera plusieurs conditions : une trajectoire de prix du carbone croissante et prévisible qui oriente les décisions de tous les acteurs, complétée par un dispositif de Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) pour protéger les entreprises, et un dispositif de redistribution pour les particuliers les plus exposés à la hausse des prix et qui ne disposent pas des moyens d’investir pour réduire leurs émissions. Ma primerenov’ pourrait être un bon exemple d’une telle redistribution en renforçant son caractère incitatif aux rénovations les plus efficaces.

Sur la question de la rénovation, force est de constater qu’elle n’a jamais donné les économies escomptées. On incrimine souvent l’effet-rebond et l’auteur de « la maitrise de… » propose de lutter contre l’effet rebond par la réglementation. Cela ne parait pas réaliste en démocratie : outre qu’on imagine mal une réglementation qui imposerait au citoyen la température des différentes pièces de son logement, il faut prendre en compte le fait qu’une partie du soi-disant « effet-rebond » est en fait un déficit de performance entre la performance théorique annoncée par le constructeur d’équipement (par exemple les pompes à chaleur air-air) et sa performance telle qu’installée en situation réelle…

D’une manière générale toutes les politiques environnementales, et en particulier les mesures règlementaires devraient démontrer qu’elles génèrent un coût de la tonne évitée calculé par une analyse de cycle de vie (ACV) inférieur à la valeur tutélaire du carbone (telle que déterminée par la commission Quinet).

Ce n’est pas le cas actuellement, et RTE affiche par exemple que les prescriptions règlementaires d’isolation des logements neufs ont un coût de plus de 600 EUR/tCO2 (plus de deux fois supérieur à la valeur tutélaire). Ce coût est à peu près invisible au citoyen mais in fine il sera payé par tous les accédants à la propriété neuve, quelle que soit leur situation personnelle, et constitue donc une mesure potentiellement anti-redistributive.

L’atteinte des objectifs ambitieux de sobriété et d’efficacité énergétique ne sera pas possible sans utiliser des instruments contraignants, qu’il s’agisse du prix du carbone ou de mesures règlementaires. L’usage d’un instrument ou d’un autre n’est pas neutre, non plus que le choix des politiques de redistribution mises en œuvre (ou non) en accompagnement. Un débat démocratique sur ce point serait utile pour éclairer nos concitoyens. En tout état de cause il faut garder en tête que le prix de l’électricité n’est que l’un des paramètres de ce que la transition coûte à nos concitoyens et en particulier aux plus modestes. La réglementation aussi a un coût et la RE2020 augmentera le coût de la construction comme les règlementations successives ont renchéri le coût des voitures.

En guise de conclusions, des propositions pour le débat

Nous partageons avec l’auteur de « La maîtrise de la demande d’électricité : un objectif à expliciter dans le débat présidentiel » la priorité à donner à la sobriété (en incitant nos concitoyens à renoncer à des activités énergivores évitables) et à l’efficacité énergétique. Mais nous pensons que cet effort de réduction du besoin doit concerner l’ensemble du système énergétique et donc tous les vecteurs énergétiques qui interagissent et peuvent être optimisés ensemble, et non la seule électricité.

Nous partageons aussi avec l’auteur la conviction qu’il faut choisir un scénario de référence, mais nous pensons tout aussi nécessaire de dire quels moyens et marges de sécurité sont mobilisés pour garantir le niveau de production d’énergie de ce scénario. Face aux aléas, il faut viser plus que ce que dit le scenario, à la fois en efforts d’efficacité et en moyens de production, pour avoir une bonne chance de le réaliser.

Parmi les sujets méritant débat il me semble que devraient figurer :

  • La trajectoire de valeur tutélaire du carbone, car elle est absolument structurante pour toutes les politiques publiques des deux décennies à venir, et pour la trajectoire fiscale puisque, en pratique, cette valeur a un effet direct sur la taxe carbone payée par l’utilisateur ou sur les subventions qu’il reçoit.
  • Le choix de l’un des scénarios de fourniture électrique, soit parmi ceux mis sur la table par RTE soit, si l’un des acteurs en propose un autre, en explicitant à chaque fois ce que cela suppose comme moyens de production et ce que cela suppose éventuellement en termes de sacrifices sur les usages (en particulier si la quantité totale d’électricité produite devait être significativement inférieure aux hypothèses centrales de RTE).
  • Des orientations claires sur les énergies non électriques, qu’il s’agisse des gaz renouvelables et décarbonés, ou qu’il s’agisse de la chaleur renouvelable et fatale, ainsi que des orientations en matière de réseaux de chaleur et de froid parce qu’ils seront très structurants pour les villes et les constructions futures. Là aussi, si les quantités totales d’énergie de ces sources devaient être significativement inférieur au scénario « haut gaz » de la SNBC, la façon de combler cet écart soit par d’autres énergies, soit par des sacrifices sur les usages devrait être explicitée. La façon dont on utilise les complémentarités des différentes formes d’énergie et donc l’intégration sectorielle énergétique pourrait utilement être abordée dans ce débat (qui déborderait sans doute aussi sur la décentralisation et les politiques énergétiques locales).
  • Le débat pourrait évoquer publiquement les critères de résistance du système énergétique national aux pointes de froid extrême, l’exemple du Texas en février 2021 et le fait que le système électrique Français ne pourrait plus aujourd’hui absorber la pointe de froid connue en 2012, rendent ce débat particulièrement urgent. S’il s’avérait que les Français ne sont pas prêts à accepter des délestages dans ces situations de pointe de froid, des mesures très rapides devraient être prises, telles que le développement des flexibilités, en prenant en compte la dimension européenne qui va amplifier les risques de déséquilibre : de moins en moins de capacités pilotables, de plus en plus d’usages électrifiés (dont chauffage).
  • La France n’est pas un pays isolé, et si la très forte réduction des importations de gaz de pétrole est une excellente occasion de réduire notre dépendance, elle ne rend l’autarcie ni possible (nous vivons dans un marché unique) ni souhaitable (importer de l’énergie compétitive de l’étranger non communautaire peut être favorable à notre économie pourvu que la répartition et le volume de ces importations ne recréent pas une dépendance excessive). Ce point mériterait également débat.
  • Enfin les politiques énergétiques proposées devraient être très explicites sur ce qui sera attendu des citoyens en matière de maîtrise et pilotage de leur demande d’énergie, car cela aura un impact direct sur leur mode de vie.