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Note

Comment réconcilier la France avec la taxe carbone?

Terra Nova avait publié, il y a quelques mois, sous la plume de Pierre Radanne, sa version d’une taxe carbone « idéale ». Une note récente de Bettina Laville a retracé l’historique de l’échec du projet gouvernemental et les raisons du rejet massif de l’opinion publique. Comment, après cette rupture, réconcilier les Français avec la taxe carbone ? Christian Chedozeau, expert fiscaliste de l’administration, propose un « deal écologique » permettant de rendre acceptable cette taxe nécessaire.
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1 – L’abandon de la taxe carbone est d’abord un échec politique du gouvernement

La décision juridique du Conseil constitutionnel avait fortement affaibli la taxe carbone de Nicolas Sarkozy mais elle ne lui avait pas porté un coup fatal. La taxe carbone était possible après janvier 2010 : une décision de nature politique a conduit à l’abandonner, pour au moins quatre raisons.

La décision d’annulation rendue par le Conseil Constitutionnel a été motivée par la disposition selon laquelle les très grandes entreprises auraient été exonérées de cette taxe au motif qu’elles étaient soumises au régime européen des quotas d’émission. Considérant qu’elles n’étaient pas soumises à un réel effort, le Conseil a estimé que ces entreprises ne pouvaient légitimement, eu égard à l’objet de la loi qui était de réduire les émissions de CO2, être exonérées de taxe comme elles l’étaient. Discutable sur le fond d’un strict point de vue économique, cette décision révèle surtout les doutes qui entourent la juste mise en œuvre du mécanisme de marché de quotas d’émissions et la difficulté de combiner différents instruments de diminution des émissions de gaz à effet de serre tout en respectant le principe d’égalité.

Ensuite, le gouvernement n’a pas mesuré l’ampleur de la contradiction dans laquelle il se trouvait entre objectifs de lutte contre l’effet de serre et défense de la compétitivité de l’industrie française. En poursuivant parallèlement une réforme en faveur de la compétitivité de l’industrie française avec la suppression de la taxe professionnelle, et une politique ambitieuse de réduction des effets de serre dont il ne pouvait ignorer les incidences sur l’industrie, le gouvernement a été victime de ses contradictions. Jamais la substitution à un impôt sur l’investissement d’un impôt sur la pollution n’a été pleinement assumée puisque le gouvernement renonçait à obtenir une taxation, même minimale, des entreprises les plus polluantes. Telle était pourtant la condition d’un réel changement de paradigme fiscal, comme mis en œuvre dans certains pays nordiques : une réelle fiscalité écologique permettant de diminuer d’autres prélèvements bridant la croissance économique.

Troisième raison de l’échec : le gouvernement n’a pas su créer le consensus pourtant nécessaire pour réussir une telle réforme. Dès les conclusions du rapport Rocard, le gouvernement est allé de concession en concession, notamment lors des débats au Parlement où, en cédant face à la pression de groupes professionnels ou de demandes locales, il a sacrifié l’universalité de la taxe pourtant si nécessaire. En profondeur, l’échec de la taxe carbone est également imputable à la résistance persistante d’une partie importante de la majorité présidentielle et de représentants d’acteurs économiques opposés, au fond, au principe même d’une taxation du CO2. En réalité, les prises de position de nombreux autres parlementaires de la majorité, pendant les débats autour de la loi de finances pour 2010 et plus encore, au grand jour, après la décision du Conseil constitutionnel, révèlent bien que l’objectif de Nicolas Sarkozy de réduire les émissions de CO2 françaises au moyen d’un instrument fiscal n’avait jamais été pleinement partagé par sa majorité. Après la censure du Conseil constitutionnel, la contestation réapparut et bien qu’il fût encore juridiquement possible, le projet de taxe carbone a été abandonné pour des raisons politiques. In fine, c’est l’hypothèse d’une écologie de droite qui a été balayée par l’abandon de la taxe carbone [2] .

Quatrième et dernier écueil, le gouvernement n’a pas su convaincre les Français sur un sujet difficile mais primordial. La taxation du CO2 s’appuie sur un raisonnement macroéconomique complexe et ses effets sont a priori imperceptibles dans l’immédiat : le signal-prix du carbone n’a d’effet que dans la durée par une modification lente des comportements. Lorsque l’augmentation de la pression fiscale est progressive, elle incite alors chacun à investir dans de nouveaux équipements ou à changer ses modes de transport et de chauffage. Le gouvernement a également échoué dans son travail de pédagogie auprès de l’opinion. En prétendant restituer intégralement à chacun des Français la taxe qu’il payait, il a fait reposer la réforme sur un discours dont les approximations et le flou ont tendu à nier la nécessité d’un effort pour réaliser la transition écologique, ce qui a nui à la crédibilité de la réforme. Pire encore, la taxe carbone est devenue malgré elle l’emblème d’une politique profondément impopulaire.

2 – La taxe carbone universelle est nécessaire et impose à la gauche de surmonter ses contradictions

Bien que l’échec de Nicolas Sarkozy en matière environnementale ait affaibli l’idée de fiscalité sur le carbone, il est aujourd’hui nécessaire que les progressistes repensent une contribution climat énergie en concevant une fiscalité assise sur les consommations d’énergie plus juste, mieux comprise et soutenable pour l’économie.

Différente des autres outils d’intervention publique au service du développement durable [3] qui permettent d’atteindre des objectifs spécifiques, la taxe carbone est de portée universelle et offre ainsi un levier d’action suffisant pour transformer l’économie et la société. Or, le volume d’émission de GES qui est le fait de tous, ne peut être « réparé » ex-post comme une pollution classique : une fois émis, le CO2 viendra s’accumuler dans l’atmosphère et contribuer au réchauffement. Ainsi, le problème concernant l’ensemble de la société, un instrument universel doit être utilisé pour modifier les comportements, un instrument qui ne soit pas uniquement contraignant et punitif, mais bien incitatif et d’application progressive comme le préconisait le rapport de la conférence de consensus présidée par Michel Rocard.

La taxe carbone destinée, selon les termes du jargon économique, à internaliser dans le prix des produits une externalité négative permet de révéler le coût réel de l’émission d’une tonne de CO2 pour la collectivité sous forme monétaire. Malgré son impopularité actuelle, comment relancer l’idée d’une contribution climat énergie, tel que Nicolas Hulot et la gauche avaient baptisé leur proposition? La gauche devra avancer une proposition équilibrée entre deux de ses objectifs historiques : défendre l’emploi, la production et le pouvoir d’achat des ménages d’une part, tout en renforçant la lutte contre le changement climatique d’autre part. Elle devra résoudre, par le consensus, la pédagogie, la justice et le réalisme économique, la contradiction qui a conduit le gouvernement, faute de réelle volonté politique et d’une capacité à rassembler, dans l’impasse.

3 – Une taxe carbone pour financer une grande mesure redistributive et sociale

La taxe carbone est injuste dans son fonctionnement : pour être acceptable, sa mise en œuvre, y compris dans un cadre communautaire, devra pouvoir financer une mesure sociale forte.

3.1 – L’injustice sociale et territoriale de la taxe carbone

La taxe carbone considérée isolément est profondément injuste socialement. Assise sur les consommations d’énergie, elle frappe sans distinction sociale et même relativement plus durement les Français qui n’ont pas les moyens de modifier leurs comportements. Elle ne peut donc être acceptable que si elle correspond à un effort soutenable pour chacun et si son produit sert à financer une mesure sociale emblématique. L’écologie et le développement durable ne pourront être servis par un instrument économique aveugle. L’enjeu est de taille dès lors que la question de la lutte contre le changement climatique n’est plus seulement un débat scientifique mais aussi politique : l’effort collectif contre le changement climatique, puisqu’il sera nécessairement partagé, doit être approprié par les Français et les Européens grâce à la délibération collective, l’explication et le débat.

Pour réussir ce tour de force, il est incontournable d’abord de mesurer le risque d’injustice sociale et d’incompréhension qui entoure le projet, et d’y remédier car le fonctionnement même de la taxe carbone heurte de plein fouet la réalité sociale du pays. Deux règles peuvent y contribuer :

1. La logique de la taxe carbone est de modifier les comportements grâce au signal prix en rendant une pratique sobre en carbone plus avantageuse qu’une autre pratique source d’émissions plus importantes. A titre d’exemple, une augmentation du prix de l’essence par une taxe rend l’utilisation de la voiture relativement moins avantageuse que le train, par rapport à une situation où la taxe sur l’essence n’existait pas. Toutefois, l’incitation n’existe réellement que s’il existe une alternative, par exemple s’il existe une ligne de chemin de fer passant à proximité du territoire en question. S’il n’existe pas d’alternative, la montée en puissance de la taxe aura pour seule conséquence de réduire le pouvoir d’achat des ménages ou de réduire les marges des entreprises.

2. Sans accompagnement adéquat, l’effort fiscal lié à la taxe carbone risque d’aggraver la répartition territoriale des revenus et des inégalités. Car ce sont bien proportionnellement les milieux populaires vivant dans la France rurale et périurbaine qui acquitteront relativement plus une taxe pesant sur le CO2 : en effet, ce sont eux dont la vie quotidienne conduit à émettre plus de CO2 car ils ne disposent pas toujours, d’alternatives sobres en carbone, de transports en commun accessibles. A l’inverse, les habitants des centres-villes, proportionnellement plus aisés, utilisant proportionnellement plus le chauffage collectif et plus de transports en commun risquent de bénéficier de la taxe, sans avoir concédé le moindre effort.

Autre exemple, les locataires, souvent les ménages ne disposant pas des revenus suffisants pour acquérir leur logement sans s’endetter dans des conditions difficiles et imprudentes, n’ont pas les moyens de procéder aux investissements nécessaires pour améliorer la performance énergétique de leur logement. A l’inverse, les propriétaires de logement n’ont pas intérêt à réduire par des investissements, la charge de taxe carbone acquittée par leurs locataires lors de leur consommation d’énergie.

La mise en œuvre d’une taxe carbone universelle ne peut ignorer la réalité sociale de l’effort fiscal qu’elle induit. L’enjeu pour la gauche est bien de rendre la taxe carbone acceptable pour tous et de prendre en considération les transferts de richesse auxquels elle aboutira.

3.2 – Pour un double dividende social et un « deal écologique » avec les Français

L’une des solutions pour rendre la taxe carbone acceptable aux yeux des Français est de la présenter comme une composante d’un deal écologique et social plus large comprenant un prélèvement mais aussi des avantages ou des versements, et ainsi de mettre en avant « ce qui fait mal » mais aussi « ce qui fait du bien » au corps social. Ainsi, tout en maintenant une taxe carbone au niveau national et le signal prix qui l’accompagne, il est proposé d’utiliser une partie du produit de la taxe carbone pour financer une mesure de redistribution ou d’encouragement à l’emploi, par exemple par une baisse des charges sur l’emploi.

Il s’agit en réalité d’étendre aux ménages le discours sur la notion de double dividende. La mise en place d’une taxe carbone peut aussi s’accompagner d’un premier dividende, la réduction des émissions de CO2, et d’un second dividende lorsque le produit de la taxe permet de réduire une autre charge pesant sur la croissance et l’emploi. Dans les termes de la littérature économique existante, le financement d’une baisse des charges sociales pesant sur le travail est considéré comme la mesure la plus efficace : celle qui permet de créer le plus de valeur au niveau de l’économie toute entière. En effet, alors que les charges sociales représentent des charges quasi fixes sur le travail indépendamment de la conjoncture économique [4] , la charge représentée par l’énergie est nettement plus variable et pèse donc moins sur l’activité et sur la propension à embaucher.

Toutefois, d’autres doubles dividendes peuvent être imaginés : le bénéfice d’une baisse de charge serait perçu par les entreprises et les chômeurs qui retrouvent un emploi, mais le double dividende peut être obtenu par d’autres réductions fiscales ou par un versement venant renforcer la progressivité de l’impôt ou soutenir la consommation.

Ainsi, dans le projet initial du gouvernement, la mise en place de la taxe carbone devait financer la suppression de la taxe professionnelle, le fameux « impôt imbécile ». Il s’agissait selon les termes de la communication gouvernementale de substituer une fiscalité sur la pollution à une fiscalité préjudiciable à l’activité économique et notamment à l’investissement. Si l’on écarte le fait que la réforme de la taxe professionnelle a conduit à créer une contribution économique pesant sur la valeur ajoutée et donc sur les salaires et l’emploi- ce qui constitue un recul économique en soi-, l’idée était bien de donner un avantage aux entreprises en échange d’une charge différente qui pouvait être réduite par un comportement plus sobre en carbone. En tout état de cause, les entreprises peuvent globalement considérer que la mise en place de la taxe carbone financera la suppression de la taxe professionnelle et qu’ainsi, le deal économique pour les entreprises sera réalisé.

Dans le même esprit, pour les ménages, il est proposé d’utiliser le produit de la taxe carbone pour financer une mesure présentant un impact social et redistributif réel et de présenter conjointement la taxe carbone et la mesure sociale redistributive pour en renforcer l’acceptabilité. Il est ainsi nécessaire que le bénéfice de la mesure sociale soit partagé par les classes populaires et une partie des classes moyennes, et que ce bénéfice soit directement perceptible. Le produit de la taxe carbone pourrait par exemple permettre de financer la suppression d’un impôt anti-redistributif ou une majoration des prestations encourageant le retour à l’emploi (PPE-RSA).

4 – La taxe carbone : contre l’industrie et pour l’emploi ?

La taxe carbone pèse directement sur les coûts directs des entreprises, de façon plus ou moins importante en fonction de la part que représente l’énergie émettrice de GES dans sa structure de coût. En effet, la principale source d’émissions de CO2 en France est imputable à l’industrie lourde et aux transports routiers et aériens. Une augmentation de l’un de leurs premiers postes de coût conduira mécaniquement à une réduction de la production et de l’emploi dans certains secteurs, voire, dans des cas spécifiques, à des délocalisations vers des territoires où il n’existe pas de taxe sur le carbone (les « fuites de carbone »). Le rapport à la production, la politique industrielle et la préservation de l’emploi sont des enjeux centraux pour la gauche : faut-il les sacrifier à la mise en place d’une contribution carbone ? En d’autres termes, faut-il accepter des dommages collatéraux de la taxe carbone sur le tissu industriel ?

4.1 – Un point à éclaircir : la taxe carbone, complément des marchés de quotas de CO2 ?

Premier point à éclaircir, les entreprises d’ores et déjà soumises à l’instrument des quotas pour réduire les émissions de gaz à effet de serre doivent-elles s’acquitter de la taxe carbone ? En pure théorie, le marché des quotas introduisant à la marge un prix de l’émission de la tonne de CO2, il existe déjà un signal prix pour les entreprises soumises au régime des permis négociables, de l’ordre d’un peu plus d’une dizaine d’euros la tonne.

Une approche marginaliste de l’impact des quotas implique qu’une entreprise disposant d’un quota doit choisir entre vendre son quota et percevoir un revenu, ou l’utiliser aux fins de sa production. Ainsi, il existe bien un coût d’opportunité pour l’entreprise qui utilise son quota : produire et émettre du carbone a un coût, à l’inverse de la situation où les marchés de quotas n’existent pas et où ne pas produire ne génère aucun revenu.

Par ailleurs, le fait de voir leurs volumes d’émission contingentés constitue déjà en théorie une « charge carbone » pour ces entreprises : en effet, pour pouvoir maintenir leur production, ou bien les entreprises vont réaliser des investissements qui représentent un coût, ou bien elles vont acheter des quotas sur les marchés. Dans les deux cas, une charge carbone existe bien et peut juridiquement être considérée comme équivalente à la taxe puisqu’elle naît d’un dispositif – le marché de quotas – qui poursuit le même but qu’une taxe carbone : la réduction des émissions de CO2.

Si l’assujettissement au régime des permis négociables fonctionne et se traduit par une contrainte réelle et une charge pour les entreprises, alors en théorie, ces entreprises ne devraient pas supporter la taxe carbone.

Toutefois, en pratique, dès lors que les quotas sont gratuits, le Conseil constitutionnel a estimé que les entreprises soumises aux quotas n’acquittaient pas de contribution équivalente à la taxe carbone, en dépit de leur part importante dans les émissions nationales totales. Central dans l’argumentation du Conseil constitutionnel, cet argument est aussi le plus contesté.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel pose clairement la question de l’efficacité du marché pour réduire les émissions de C02 , question plus pragmatique que théorique. L’efficacité est en effet largement discutable dès lors que le fonctionnement même du système repose aujourd’hui sur des allocations gratuites de quotas [5] qui peuvent excéder les besoins des secteurs et créer ainsi des rentes carbone au profit de pollueurs historiques. De plus, la volatilité actuelle des marchés de carbone, sans doute alimentée par la spéculation financière, perturbe la création d’un signal prix efficace et met à mal l’efficacité du système. Enfin, s’il est logique que la crise économique ait entraîné une baisse des émissions industrielles, permettant à certaines entreprises de constituer de confortables réserves de quotas de CO2 valorisables sur le marché, la situation des carbon fat cats [6] dénoncée par certaines ONG ou agences environnementales n’en est pas moins choquante. Elle risque en effet de limiter les efforts de réduction des émissions que les industries auront à fournir dans l’avenir. L’approche critique des marchés de quotas ne semble donc pas sans fondement.

Pour assurer la coordination des marchés de quotas d’émission et d’un outil fiscal pesant sur le carbone, il semble justifié de prévoir une réduction de taxe carbone voire son effacement pour les entreprises soumises au régime européen des quotas d’émission si et seulement si elles peuvent apporter la preuve (sous la forme de justificatifs de décisions ou de paiement d’investissements pertinents ou encore de certificats d’achat de quotas) qu’elles ont déjà supporté une charge carbone réelle. Le respect du principe de l’égalité des charges publiques et du bon équilibre entre les dispositifs est à ce prix.

4.2 – La taxe carbone et les PME

Pour l’ensemble des PME-PMI, cœur du tissu économique national non soumis au régime de quotas, la question du choc de coût que représentera l’introduction de la taxe carbone reste entière. Ce choc de coût sera asymétrique et touchera certains secteurs plus violemment que d’autres (le transport routier, les taxis, les petites industries consommant une part importante de carbone, etc.). Toutefois, l’universalité de la contribution carbone ne peut être sacrifiée en raison de son impact direct sur certains secteurs. Afin d’éviter les principales distorsions de concurrence, la première nécessité est d’insérer la réflexion sur la taxe carbone dans les travaux européens en cours et non de la présenter de façon isolée comme l’a fait le Gouvernement. La contribution carbone harmonisée au niveau communautaire limitera les distorsions de concurrence préjudiciables à l’emploi à hauteur des échanges intra-communautaires. Resteront les distorsions de concurrence au delà des frontières de l’Union qui devront être considérées comme un effort nécessaire si l’Europe souhaite être à la hauteur de son ambition en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

5 – Quelle taxe carbone européenne ?

5.1 – Pour une taxe carbone intérieure à l’échelle de l’Union européenne

Une taxe carbone, comme l’ensemble des composantes de la fiscalité de l’énergie, doit être harmonisée dans l’Union européenne : des minima de taxation sont imposés notamment pour les carburants et les combustibles servant au chauffage ; ces minima doivent être élargis à une composante carbone. Ainsi, la création d’une surtaxe carbone aux accises existantes est possible : il s’agirait de transformer les accises pour les rendre proportionnelles à la teneur en carbone des différents carburants et combustibles. La Suède, si souvent citée en exemple, n’a pas procédé autrement : elle a substitué à la taxation de l’énergie une taxation de la teneur en CO2. Si le même calcul était fait en France, l’accise sur le gazole fait payer au consommateur français la tonne de carbone émise bien plus de 100 € [7] si l’on choisit d’analyser les droits sur le carburant comme une taxe sur le CO2… Pour comparer les différentes situations, il est ainsi toujours nécessaire de faire la somme de la taxe CO2 et de la taxe sur l’énergie. La question est cruciale puisqu’une taxe sur l’énergie a une finalité budgétaire tandis que la part CO2 a une finalité plus précise qui impose de fixer son évolution à l’avance de façon à stabiliser les anticipations et les investissements.

5.2 – Comment procéder pour mettre la taxe en place en 2012 ?

La première étape pour mettre en place une fiscalité du carbone serait de créer en 2012 la taxe carbone, d’indiquer qu’elle est comprise dans les droits applicables aux combustibles et carburants et d’en fixer le montant à 0,01€. Une fois la création d’un socle carbone acquis, il ne s’agit plus que de prévoir une augmentation stable de la taxe sur le CO2 année après année. Si l’on prend l’exemple des carburants [8] , une règle qui ferait progresser la part CO2 de 1 à 2 centimes d’euros par an permettrait d’atteindre la cible en 2030.

Pour faire converger les initiatives de divers Etats membres, l’introduction d’un élément de taxe carbone dans la taxation de l’énergie a vocation à être discutée et coordonnée au niveau communautaire. Le projet de taxe carbone européenne qui est en cours de discussion à Bruxelles est aujourd’hui central [9] , dès lors qu’il permettrait de réduire les risques de « dumping carbone » au sein de l’Union européenne. Une telle coopération verte, balbutiante, est en effet la seule solution pour concilier compétition économique, activité industrielle et lutte contre les émissions de gaz à effet de serre est la coopération, pas le conflit.

5.3 – Une hypothétique taxe carbone aux frontières ?

Distincte mais théoriquement complémentaire de la taxe carbone européenne, une taxe sur le carbone aux frontières consisterait à établir des « écluses environnementales » sous forme de droits de douanes sur les produits riches en carbone importés de pays où les réglementations écologiques sont inexistantes : en théorie, le coût de la pollution à l’étranger serait ainsi intégré aux prix de produits importés et les distorsions de concurrence seraient compensées. Toutefois, le projet d’une telle taxe, brandi comme un étendard par Nicolas Sarkozy pour masquer un échec national, demeure très hypothétique. Elle conduirait à stigmatiser les pays émergents et à durcir les positions dans des discussions post-Copenhague déjà difficiles. Elle conduirait inéluctablement à une guerre commerciale qui pourrait se révéler coûteuse pour les exportateurs européens, notamment sur le marché chinois. Elle est en tout état de cause rejetée par la plupart des Etats membres européens, qui reste donc à convaincre.

En matière de fiscalité écologique, le premier enjeu pour l’Europe est de se doter enfin d’une taxe carbone sur une base réellement harmonisée entre ses membres. Tel est aussi le prix de l’exemplarité à l’échelle internationale.

  1. Christian Chedozeau est un pseudonyme

  2. L’abandon d’autres mesures du Grenelle– notamment la taxe poids lourds repoussée à 2012– a confirmé cette évolution.

  3. Dans l’arsenal de moyens d’intervention en faveur du développement durable, plusieurs outils existent pour atteindre des objectifs ciblés. Le premier outil est bien sûr l’outil réglementaire, c’est-à-dire l’encadrement de l’utilisation de certains produits (pesticides, détergents, etc.) ou leur interdiction pure et simple en application du principe de précaution ou si un niveau de dangerosité est atteint. Des outils fiscaux ont également été déployés, notamment par la gauche, pour modifier ou sanctionner certaines pratiques spécifiques: la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pèse sur les déchets de façon différente suivant qu’ils sont stockés, incinérés ou valorisés. Des taxes spécifiques permettent de corriger la dégradation occasionnée par le comportement visé, c’est-à-dire la pollution. Des subventions ciblées sont également des outils possibles pour orienter l’investissement ou la dépense des ménages ou des entreprises vers des technologies plus propres ou plus conformes aux objectifs de notre société en matière de développement durable.

  4. Voir Jean-Charles Hourcade, Frédéric Ghersi La taxe carbone : une bonne idée à ne pas gâcher, Pour la Science, n°54, janvier 2007.

  5. Rappelons d’ailleurs que c’est le même gouvernement qui, sous présidence française de l’Union européenne, avait largement fait droit aux demandes des industriels en maintenant au maximum les allocations gratuites de quotas après 2013.

  6. http://www.sandbag.org.uk/files/sandbag.org.uk/carbon_fat_cats_march2010.pdf

  7. Un litre d’essence est soumis à une accise de 0,4169 €/L et la taxe carbone avec un prix de 17 €/tCO2, devait s’élever à 0,0411 €/L. L’accise actuelle valorise donc le prix de la tonne de carbone émise à beaucoup plus de 100€.

  8. Si l’on considère que la cible est bien d’atteindre 100 €/t CO2 en 2030, une augmentation stable de 1 ou 2 centimes d’euros par an permettrait d’atteindre l’objectif : de 2012 à 2030, l’augmentation totale serait comprise entre 18 et 36 centimes ce qui représente, appliqué à l’essence (le facteur carbone était de 4,11 c€/L pour le prix d’une t/CO2 fixé à 17 €/t), un prix de la tonne de carbone compris entre 74 €/t CO2 et 150 €/t CO2, ce spectre laissant au décideur ou à la commission chargé de fixer la hausse annuelle de prendre en compte l’inflation et notamment les prix du baril de pétrole qui auraient impacté les prix à la pompe.

  9. http://www.euractiv.fr/energie-climat/article/2010/03/09/taxe-carbone-europeenne-dici-mois-mai_65396

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