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Note

Développement du gaz renouvelable : pour une perspective agroécologique

La méthanisation agricole offre de nombreux avantages : elle organise une double boucle d’économie circulaire, d’une part avec une boucle carbone synthétisant le carbone de l’atmosphère puis le transformant en énergie, d’autre part, avec une boucle de l’azote qui permet les rendements agricoles et qui est récupéré pour être ré-épandu grâce à la méthanisation agricole. A ces deux boucles agricoles s’ajoute alors la possibilité de boucles territoriales courtes de production à partir des biodéchets alimentaires et agroalimentaires et d’usages locaux pour le déplacement des véhicules au biogaz ou pour le chauffage neutre en carbone de bâtiments à partir de productions locales. Elle dispose aussi d’avantages non agricoles, la réduction des émissions de gaz à effet de serre issus de la substitution de gaz renouvelable au gaz naturel fossile, et de la dépendance à des importations de gaz naturel, la création d’activité et d’emplois dans les territoires ruraux notamment. Mais les politiques publiques peinent à s’organiser pour maximiser ces effets positifs. Le Ministère de l’agriculture cherche à maximiser la valeur captée par les agriculteurs qui diversifient leur production vers cette activité. Celui en charge de l’énergie cherche d’abord à réduire le coût pour son budget comme pour le consommateur du développement du gaz renouvelable, quitte à favoriser l’industrialisation de la production. Cette note plaide pour une troisième voie, l’utilisation du soutien à la méthanisation agricole comme levier pour organiser la transition agroécologique.
Publié le 

La production de gaz renouvelable s’effectue à ce jour par un procédé principal, la méthanisation. D’autres procédés de production émergent, comme la pyro-gazéification, la gazéification hydrothermale ou le power-to-gas, mais ils demeurent encore au stade du démonstrateur.

Première à se déployer, la méthanisation se développe de façon rapide au rythme désormais de 2 TWh de capacité installée par an. L’objectif de la programmation pluriannuelle de l’énergie fixé à 6 TWh en 2023 devrait être atteint dès fin 2021. Le potentiel total de production du seul biométhane a été évalué à 140 TWh par l’ADEME, auquel s’ajoute le potentiel de production des autres nouveaux gaz pour couvrir l’ensemble des besoins de consommation de gaz d’ici 2050 [1] .

Au sein d’un méthaniseur, des déchets organiques et des résidus agricoles sont chauffés pour être digérés sans oxygène (digestion anaérobie) et générer du gaz, principalement du méthane, ainsi qu’un coproduit organique azoté qui peut servir de fertilisant, le digestat.

L’essentiel du potentiel de méthanisation est issu de l’agriculture. Si des installations peuvent méthaniser des biodéchets, s’insérer dans le traitement des boues de stations d’épuration, ou des installations de stockage de déchets non dangereux, ces productions ne représentent qu’une fraction limitée du potentiel méthanisable, qui est d’abord agricole.

Le méthane produit peut alors être injecté, après épuration et odorisation, en substitution du gaz naturel fossile dans un réseau de gaz ou transformé par cogénération en électricité, la chaleur étant alors réutilisée pour chauffer des bâtiments notamment agricoles, par exemple pour l’élevage, ou des sites industriels à proximité. Alors que les premières installations étaient principalement constituées de cogénérations produisant donc de l’électricité et de la chaleur (depuis 2006), la France, qui dispose déjà d’une électricité faiblement carbonée, a fait le choix d’affecter majoritairement la méthanisation à la décarbonation de la consommation de gaz naturel, en favorisant depuis 2011 la voie de valorisation par injection. Cette solution permet de remplacer les importations de gaz fossile par un gaz renouvelable produit localement.

Quant au digestat, il peut être épandu sur des terres agricoles en substitution des engrais minéraux de synthèse, être incinéré ou être lui-même transformé en gaz renouvelable par gazéification hydrothermale. Il est à ce jour principalement épandu, ce qui permet alors de substituer aux engrais minéraux de synthèse des engrais organiques.

Le développement du gaz renouvelable se trouve donc à la confluence de questions relevant de la politique publique de l’énergie, notamment la décarbonation du vecteur gaz, et de la politique agricole. Faute d’en faire un bilan complet et notamment de prendre en compte les bénéfices agricoles, environnementaux (effet sur l’eau, la biodiversité) et territoriaux de la politique de développement du gaz renouvelable, la politique de l’énergie risque de ne pas tirer parti de l’ensemble de ses bénéfices.

1. Le biomÉthane est issu de pratiques agroÉcologiques et d’Économie circulaire

La production de biométhane permet le développement de pratiques agroécologiques recommandées dans de nombreux travaux du ministère de l’Agriculture [2] .

La méthanisation d’effluents d’élevage permet de réduire très significativement les émissions de gaz à effet de serre de ces effluents, source importante des émissions du secteur. Historiquement, les premiers méthaniseurs fonctionnant en cogénération étaient ainsi souvent liés à des élevages.

La méthanisation pour les grandes cultures s’appuie sur la valorisation énergétique de cultures intermédiaires entre la récolte de la culture principale et le semis de la suivante. Pendant la durée réduite qui sépare deux cultures à vocation alimentaire, un couvert végétal est produit, qui sert d’intrant à la méthanisation. La France a donc fait le choix de limiter drastiquement l’usage de cultures dédiées à la production de biométhane [3] . À la différence de certains de ses voisins (Allemagne) ou de certains agrocarburants, seul le couvert végétal que l’agriculteur développe entre les cultures alimentaires est valorisé, sans changement d’affectation des surfaces cultivées. Il n’y a donc pas de concurrence dans l’usage des sols entre cultures énergétiques et alimentaires. Ce choix de la France permet le développement de cette pratique des intercultures qui, en assurant un couvert végétal continu, comporte de nombreuses externalités positives : stockage de carbone dans les sols, développement d’un abri pour la biodiversité, réduction des nitrates dans les nappes phréatiques notamment. En valorisant ce couvert sous forme énergétique, la méthanisation permet à l’agriculteur de transformer une charge nouvelle – le coût de cette bonne pratique agroécologique qu’est la culture intermédiaire – en recette ou au moins en moindre dépense quand l’apport de matière aux méthaniseurs donne droit à l’usage de digestat en substitution d’engrais minéraux.

Car l’épandage du digestat permet de réduire significativement l’usage d’engrais minéraux de synthèse, grâce au substrat fortement azoté qui demeure une fois la digestion anaérobie réalisée. Les engrais chimiques de synthèse, dont la production est très énergivore et émettrice de gaz à effet de serre, et dont l’utilisation conduit à rejeter de l’azote dans la mer par infiltration et ruissellement, génèrent de multiples dégâts environnementaux collatéraux et dégradent la qualité des sols et du grand cycle de l’eau. Par contraste, l’épandage du digestat permet d’éviter un volume important d’émissions de gaz à effet de serre et limite ces effets pervers.

Au final, la méthanisation agricole organise une double boucle d’économie circulaire : d’une part avec une boucle carbone qui synthétise le CO 2 de l’atmosphère puis le transforme en énergie ; d’autre part, avec une boucle de l’azote qui permet les rendements agricoles et est récupéré pour être ré-épandu grâce à la méthanisation agricole.

À ces deux boucles agricoles s’ajoute la possibilité de boucles territoriales courtes de production à partir des biodéchets alimentaires et agroalimentaires et d’usages locaux pour le déplacement des véhicules au biogaz ou pour le chauffage neutre en carbone de bâtiments à partir de productions locales.

De fait, la méthanisation agricole dispose également d’avantages non agricoles, à commencer par la réduction des émissions de gaz à effet de serre issus de la substitution de gaz renouvelable au gaz naturel fossile comme celle de la dépendance à des importations de gaz naturel.

La création d’activité et d’emplois dans des territoires ruraux plutôt que dans des centres urbains – en moyenne de deux à trois emplois permanents par méthaniseur – génère également des externalités positives en matière d’aménagement du territoire en permettant le maintien d’activités en dehors des centres métropolitains comme en organisant des liens de solidarité entre aires urbaines consommatrices tant d’énergie que des produits de la terre, et zones rurales productrices.

Les avantages de la méthanisation sont donc multiples. L’ensemble des externalités du biométhane a été évalué par le comité Prospective de la Commission de régulation de l’énergie de 40 à 70 € du MWh [4] . Toutefois, parce que les externalités sont diffuses et concernent des problématiques différentes (émissions évitées, substitution énergétique, réduction des engrais minéraux, qualité des eaux et des sols, biodiversité), le bilan demeure complexe, et la mesure des mérites respectifs des différentes solutions énergétiques se heurte à la difficulté de comparer des bénéfices dans des champs différents, sur le climat, la qualité de l’eau, la biodiversité ou l’aménagement du territoire.

2. Le soutien au biomÉthane s’insÈre dans deux logiques de politique publique parfois difficiles À concilier

Le soutien public aux énergies renouvelables, au biométhane comme aux autres énergies qui peuvent concourir à diversifier les revenus tirés de l’agriculture et à les décorréler des cycles mondiaux des cours des produits agricoles, demeure principalement défini comme une politique énergétique. La contribution du biométhane au développement de l’agroécologie, la prise en compte des conflits d’usage pour les terres agricoles, la contribution des énergies renouvelables aux revenus agricoles ne sont à cet égard guère pris en compte.

La comparaison des travaux d’analyse de la commission de régulation de l’énergie et des chercheurs mandatés par le ministère de l’agriculture en témoigne de façon frappante.

2.1. Le ministÈre de l’Agriculture s’inquiÈte du complÉment de revenu que la diversification des agriculteurs dans le secteur de la production Énergétique leur permet de constituer

S’il n’engage pas le ministère de l’Agriculture, le rapport « Déterminants et mesure des revenus agricoles de la méthanisation et positionnement des agriculteurs dans la chaîne de valeur “biomasse-énergie” [5]  », dit Métharevenus, est illustratif des interrogations émanant de ce ministère.

Les chercheurs du CNRS et de l’Université de Paris distinguent en effet plusieurs stratégies de diversification et d’optimisation de leurs revenus par les agriculteurs ayant développé des unités de méthanisation. Ils distinguent notamment quatre principaux types de méthanisation agricole, en fonction de leur stratégie d’insertion dans la chaîne de valeur.

Le premier type rassemble des unités de méthanisation qui reposent majoritairement sur des unités en cogénération de première génération (investissement avant 2015) ayant pu bénéficier d’importantes subventions publiques. La cogénération constitue alors souvent un choix délibéré, la valorisation de la chaleur étant le plus souvent intégrée dans l’équation ayant conduit l’agriculteur à investir dans la méthanisation, notamment pour la réutiliser au sein des bâtiments agricoles. Ces unités s’appuient sur une logique de « système D » dans le sens où les agriculteurs, le plus souvent des éleveurs, souvent seuls dans l’aventure, cherchent à maîtriser au maximum le coût de la maintenance en l’internalisant. Privilégiant une « petite maintenance en totale autonomie », sans intervenant extérieur, ils utilisent peu de main-d’œuvre salariée. Cela se répercute sur leur temps de travail personnel et les conduit souvent à pousser davantage leur spécialisation productive agricole – en abandonnant par exemple l’élevage laitier ou l’engraissement – lors de l’investissement dans le méthaniseur. Cette spécialisation peut également être l’occasion de réduire in fine le temps de travail de l’agriculteur si le temps dégagé par l’abandon d’un atelier agricole est plus élevé que le temps de travail supplémentaire nécessaire pour l’unité de méthanisation. Enfin, ils réduisent au maximum le coût de leurs substrats en privilégiant l’usage de leurs propres effluents d’élevage (ou ceux de leurs voisins sur la base d’un échange informel de type effluents contre digestat). Certains sont ainsi entièrement autosuffisants pour leurs intrants en effluents, et le dimensionnement de l’unité de méthanisation a précisément été pensé pour garantir cette autonomie.

Le deuxième type d’unité de méthanisation est constitué de petits collectifs d’agriculteurs céréaliers et d’éleveurs, qui se regroupent autour de ce projet collectif. Dans ce modèle, l’investissement est plus récent et date d’après 2015. Il peut s’agir d’unités en injection ou en cogénération. Le choix de la cogénération tient parfois d’une opportunité locale (possibilité de valorisation de la chaleur produite) ou d’une contrainte technique (absence de réseau). La filière de construction étant mieux constituée, l’investissement est plus lourd (notamment du fait des coûts de terrassement et de la présence quasi systématique de bureaux d’études, d’assistants à maître d’ouvrage, etc.), alors que les subventions perçues sont plus faibles que dans le modèle précédent. En conséquence, la charge de la dette pèse davantage sur le résultat d’exploitation. Dans le fonctionnement de l’unité de méthanisation, le travail rémunéré est plus présent que dans le modèle précédent, notamment parce que le projet est plus collectif. Parfois, la rémunération prend la forme d’une gratification pour l’un ou plusieurs des associés du projet, de l’ordre de quelques milliers d’euros par an et par personne. Ce modèle peut être créateur d’emploi salarié lorsque la partie méthanisation n’est pas gérée par l’un des associés. Enfin, la part plus importante des substrats achetés, généralement auprès des coopératives et plus rarement d’agro-industriels, vient peser davantage dans les charges. Dans ce modèle, tout est facturé, car l’unité de méthanisation est presque toujours séparée juridiquement des entités agricoles, même lorsqu’il s’agit formellement d’un échange entre l’unité et l’agriculteur membre du collectif (pour l’achat des cultures intermédiaires à vocation énergétique, le coût d’épandage, etc.).

Le troisième modèle d’unité de méthanisation, basé sur l’injection dans le réseau de gaz, est plutôt individuel ou fonctionne sur la base d’un tout petit collectif porté par un céréalier détenant la majorité du capital et pouvant inclure des éleveurs. Dans ce modèle, l’unité de méthanisation est presque systématiquement séparée de l’exploitation agricole sur le plan juridique. Cela génère des coûts d’achat de substrats très importants, mais qui, de fait, viennent rémunérer l’exploitant céréalier lui-même. En effet, une part importante des intrants est constituée de cultures intermédiaires à vocation énergétique. Le revenu dégagé est plus faible qu’il ne pourrait paraître et très variable d’une unité à l’autre, ce qui s’explique par des choix très variés de facturation des coûts directs et indirects de la méthanisation. Par ailleurs, les unités de méthanisation complètent le plus souvent leurs besoins en intrants via des accords auprès de leurs coopératives (pour des céréales très méthanogènes notamment) et des agro-industriels. Ce modèle est presque toujours créateur d’emploi salarié – souvent issu du monde industriel –, ce qui augmente la masse salariale plus significativement que dans les modèles précédents, car le travail, plus qualifié, y est mieux rémunéré. En contrepartie, les associés consacrent moins de temps à l’unité de méthanisation et se spécialisent dans la gestion administrative du projet.

Un quatrième type d’unité de méthanisation est constitué d’agriculteurs souvent seuls ou en tout petit collectif, éleveurs pour la plupart, ayant investi plus tardivement dans la méthanisation (après 2015). Le résultat d’exploitation est très variable et souvent négatif. Le coût de l’investissement est plus élevé que dans le premier modèle en raison d’un plus grand nombre d’acteurs et de métiers intervenant dans la construction des méthaniseurs, laquelle implique désormais des assistants à maître d’ouvrage, des maîtres d’œuvre, des cabinets de conseil, etc. Parallèlement, l’arrivée de nouveaux « constructeurs » a réduit la fiabilité de la technologie : plusieurs cas de constructeurs ayant fait faillite ont été observés notamment dans l’ouest de la France ainsi que des casses du matériel du fait d’une inadaptation de la technique aux caractéristiques des substrats. D’autres agriculteurs ayant un résultat faible témoignent d’un problème lié au surdimensionnement initial du moteur ou du digesteur de l’unité de méthanisation par rapport au gisement disponible. En conséquence, les coûts de maintenance sont plus élevés. Dans le cas de petits collectifs, le choix d’employer de la main-d’œuvre salariée permet certes de créer des emplois, mais génère des coûts supplémentaires parfois difficiles à supporter pour des unités de taille relativement modeste. Parallèlement, la baisse des subventions conduit à une augmentation de la charge de la dette. Enfin, la volonté d’une partie des agriculteurs appartenant à ce groupe d’optimiser le pouvoir méthanogène des substrats les conduit à inclure davantage d’intrants achetés auprès de leurs coopératives (issus de céréales) et d’agro-industriels. Ce choix vient peser sur le résultat d’exploitation. Globalement, ce dernier modèle combine les défauts (coût élevé des substrats, masse salariale élevée, investissement lourd).

Enfin, même si l’étude du ministère ne couvre pas ce type d’unité de méthanisation, un dernier type d’unité est constitué de projets plus importants, souvent portés par des industriels adossés à des énergéticiens (Engie pour Vol-V, Total pour Fonroche). Ces unités de grandes tailles reposent alors sur des accords pour les intrants comme pour l’épandage du digestat sur un personnel rémunéré ad hoc et bénéficient des économies d’échelle permises par l’industrialisation de la filière.

Les chercheurs s’inquiètent alors de la place insuffisante donnée aux éleveurs dans les modèles qui se développent récemment comme de la place croissante que pourraient prendre les acteurs industriels au détriment de la capacité du monde agricole à capter une part de la valeur par les unités de méthanisation.

2.2. Le soutien public au biomÉthane est dÉfini en fonction d’un objectif de maÎtrise de la facture Énergétique et d’encouragements aux gains de productivitÉ

À rebours de cet intérêt pour la capacité de la méthanisation à servir une rémunération complémentaire aux agriculteurs et à diversifier leurs revenus, la politique publique de l’énergie vise d’abord à la production au plus bas prix d’énergie renouvelable. Le niveau des subventions publiques n’est donc plus conçu comme un moyen de soutenir le complément de revenus des agriculteurs et des éleveurs, mais comme une variable à réduire autant que possible pour obtenir le développement des énergies renouvelables au meilleur coût.

Les acteurs de la filière eux-mêmes, soucieux d’afficher les leviers de réduction des coûts qui feront de leur énergie renouvelable une énergie au prix décroissant dans le futur, ont commandé des travaux pour documenter la baisse possible des coûts. Les principaux leviers s’avèrent basés sur l’extension de la taille des unités, l’industrialisation de la construction et de la maintenance des unités, la réduction du coût des intrants comme l’optimisation de leur pouvoir méthanogène par l’amélioration du pouvoir méthanogène des cultures intermédiaires. Cette vision industrielle s’avère donc à bien des égards, elle aussi, éloignée de celle des chercheurs missionnés par le ministère de l’Agriculture.

Figure 1 : Leviers de productivité identifiés par la filière biométhane

Source : Enea, mars 2019

Cette préoccupation de réduction du coût du gaz renouvelable se retrouve naturellement dans les travaux de la Commission de régulation de l’énergie. Légitimement soucieux de ne pas générer de sur-rémunération des producteurs d’énergie, le régulateur de l’énergie, dont c’est la mission, vise avant tout une baisse des coûts de la filière pour maîtriser l’impact sur la facture des consommateurs et limiter les soutiens publics à mesure que la filière s’industrialise. Les objectifs agricoles de la méthanisation, l’intérêt du maintien d’un tissu d’installations à taille humaine liées à des exploitations agricoles et leur apportant un complément de revenu, le bénéfice climatique de l’épandage du digestat en lieu et place d’engrais de synthèse disparaissent au profit d’une attente d’industrialisation, source de gains de productivité donc de modération des coûts.

« En plus d’un recalage du tarif […], la CRE recommande la mise en œuvre d’un dispositif de tarification dégressive similaire à celui applicable à la filière photovoltaïque. Une telle dégressivité, qui serait fondée sur des indicateurs représentatifs du rythme de développement de la filière […], permettrait de répercuter, le cas échéant, les effets des baisses attendues de coûts d’investissement résultant de l’effet d’apprentissage et de l’amélioration de la structuration industrielle de la filière tout en assurant une évolution progressive et transparente du niveau des tarifs [6] . »

La concurrence des méthaniseurs pour les intrants paraît une source possible de dérive des coûts plutôt que de rééquilibrage de la relation entre agriculteurs fournisseurs de cultures intermédiaires et producteurs de biométhane, donc de meilleure rémunération du travail agricole indispensable à la production de biométhane. L’objectif du régulateur est alors bien de limiter le coût de production du biométhane plutôt que de rémunérer le travail nécessaire à la production d’un couvert végétal entre deux cultures nécessaire au développement de l’agroécologie et valorisé sous forme de méthanisation agricole.

« Les intrants se différencient par leur potentiel méthanogène – les variations portent sur un facteur allant de 1 à 30 – leurs propriétés chimiques ou biologiques ; des intrants peuvent stabiliser ou améliorer un mix, ainsi que par leur commodité de transport et de stockage. En conséquence, certains intrants sont particulièrement recherchés et peuvent faire l’objet d’une concurrence entre producteurs. Cette dernière peut entrainer la mise en péril de certaines installations par manque d’intrants, par la baisse de la production de gaz ou par la perte des recettes pour le traitement de déchets. L’augmentation du nombre d’installations a un effet inflationniste sur le prix des intrants dès lors qu’un producteur de déchets a la possibilité de mettre en concurrence différentes installations de méthanisation. En effet, la CRE constate la baisse des recettes liées au traitement de déchets ainsi que la création d’un prix pour des matières qui constituaient auparavant un déchet dont le traitement représente une charge pour son émetteur [7] . »

Que des unités de méthanisation achètent les biodéchets illustre bien la concurrence entre filières, la méthanisation pouvant apparaître comme une source de réduction des coûts pour la filière déchets grâce aux revenus qu’elle procure ou au contraire comme une activité de valorisation d’un déchet qu’il convient d’apporter gratuitement pour la CRE.

Si la CRE retient l’idée qu’il convient d’éviter la rémunération des intrants-déchets, elle s’avère moins sensible aux enjeux de rémunération des filières agricoles et d’élevage et se borne à constater que, le pouvoir méthanogène des effluents d’élevage étant faible, les revenus des installations appuyés sur ces effluents sont structurellement pénalisés, ce qui peut justifier un tarif (un peu) plus élevé pour ces installations.

3. InsÉrer le soutien au biomÉthane dans la transition de l’agriculture vers l’agroÉcologie

Si légitimes soient ces deux approches, les externalités positives de la production de biométhane ne s’avèrent finalement qu’imparfaitement prises en compte : le ministère de l’Agriculture ne fait qu’insuffisamment du biométhane un levier de développement de l’agroécologie tandis que celui en charge de l’énergie ignore les bénéfices agricoles de la production de biométhane et son insertion dans la transition écologique de l’agriculture.

3.1. La bascule de l’agriculture vers l’agroÉcologie pourrait irriguer le financement de la mÉthanisation

Afin de répondre aux enjeux propres à deux politiques publiques, un financement à deux étages pourrait être imaginé.

3.1.1. Insérer le soutien de la méthanisation dans une dynamique de contractualisation agroécologique

Si la méthanisation n’épuise naturellement pas la transition écologique de l’agriculture [8] , elle s’appuie sur plusieurs éléments favorables à cette transition : la décarbonation des effluents d’élevage, le recours à un couvert végétal entre deux cultures favorable au stockage de carbone dans les sols et à la biodiversité, la substitution aux engrais minéraux très énergivores d’un apport d’azote sous forme de digestat, qui protège par ailleurs le grand cycle de l’eau.

Le revenu tiré de la production du biométhane devant couvrir les coûts d’investissement des producteurs (qui représentent de l’ordre de 45 % du coût du biométhane), cette part des dépenses pourrait être couverte autrement, dans le cadre de la politique de transition agroécologique des exploitations ou de territoires en contractualisant le soutien au biométhane en l’échange d’engagements agroécologiques dans le cadre d’un contrat de transition d’une exploitation ou d’un groupe d’exploitations, incluant celles qui apportent de la matière à méthaniser et assurant leur juste rémunération.

L’insertion de subsides dans le cadre de contrats n’est pas une nouveauté dans le monde agricole. Des contrats territoriaux d’exploitation, mis en œuvre entre 1999 et 2005, couvraient des objectifs économiques (investissements, signes de qualité), des objectifs environnementaux (réduction des intrants, lutte contre la déprise…) et territoriaux (transformation locale et circuits courts). Cet outil très complet s’appuyait déjà sur une réflexion collective débouchant sur des contrats individuels de cinq années, durée minimale pour assurer la transition des systèmes de production et d’activité sur une exploitation.

Le groupe Politique agricole commune de l’Académie d’agriculture [9] propose de réhabiliter cet instrument pour mettre en œuvre des contrats de transition agroécologique et alimentaire qui mettraient en synergie les soutiens du second pilier de la Politique agricole commune. Les priorités des contrats pourraient être définies collectivement et localement au niveau des territoires pertinents, leur mise en œuvre pouvant être envisagée sous des formes individuelles et/ou collectives.

De tels contrats permettraient alors d’articuler diagnostic de territoire et engagements des exploitations. L’insertion de soutiens publics dans ces contrats permettrait donc à la fois de faire de la méthanisation agricole un levier de transition agroécologique et de l’engagement de l’État à assurer le complément de rémunération du producteur agricole l’occasion d’une réflexion globale sur la transition agroécologique.

Proposition 1 : contractualiser les soutiens nécessaires à la méthanisation agricole dans le cadre de contrats de transition agroécologique et alimentaire. En déterminer le montant en fonction de paramètres agroécologiques.

Dans ce cadre, une différenciation des soutiens en fonction des intrants pourrait être prévue pour favoriser la stabilisation des revenus des éleveurs, par exemple en prévoyant un paiement pour les intrants d’élevage destiné à internaliser le coût de la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’élevage. De même, un système de paiements pour services environnementaux permettrait par ailleurs de rémunérer les cultures intercalaires entre deux cultures comme l’épandage du digestat en substitution des apports d’engrais minéraux de synthèse.

3.1.2. Le droit à l’injection pourrait être prolongé par un droit à une rémunération correspondant au verdissement de l’énergie

Pour autant, le développement des gaz renouvelables, et particulièrement de la méthanisation, apporte une valeur indiscutable à plusieurs acteurs économiques du monde de l’énergie. Il est alors tout à fait légitime de les faire contribuer aux pratiques favorables à la pérennisation de leurs activités.

Les premiers acteurs concernés par la transition d’un gaz fossile vers un gaz renouvelable sont les gestionnaires des réseaux gaziers : le maintien de la valeur de leurs infrastructures dépend de leur viabilité à long terme, donc du verdissement significatif de l’énergie qu’ils transportent.

Les infrastructures gazières disposent d’une capacité d’adaptation à des variations fortes de la consommation du gaz, en particulier inter-saisonnières. À titre d’illustration, la capacité de stockage de gaz installée en France représente près du tiers de la consommation totale de gaz annuelle, ce qui permet à ces infrastructures de gérer les pics de consommation. La méthanisation remet en question le caractère gravitaire de ces réseaux, c’est-à-dire l’acheminement du gaz en partant de grandes infrastructures de transit aux infrastructures de distribution qui acheminent l’énergie à chaque client final. L’instauration en 2019 du droit à l’injection, issu de l’article 94 de la loi « EGAlim » du 30 octobre 2018, permet de s’assurer que les gestionnaires adapteront leurs réseaux à l’injection continue de gaz renouvelable. Les gestionnaires doivent dorénavant prendre en charge les renforcements nécessaires pour maximiser les quantités injectées produites par méthanisation. Ces investissements s’avèrent toutefois limités au regard de la valeur ajoutée qu’apporte la méthanisation, puisqu’ils représentent moins de 10 % de l’investissement des différents gestionnaires, sans commune mesure avec les travaux de raccordement et de renforcement des infrastructures électriques indispensables à l’accueil du développement des énergies renouvelables électriques : RTE, l’opérateur de transport d’électricité, a annoncé une hausse de 50 % de ses investissements annuels pour atteindre 33 Mds€ d’ici 2035, et ENEDIS, le gestionnaire de réseau de distribution, prévoit d’investir près de 70 Mds€ d’ici 2035, soit une hausse de 23 %.

Le service rendu par l’injection de gaz renouvelable aux réseaux pourrait donc justifier d’aller plus loin encore dans le droit à l’injection, en y intégrant le droit à un revenu de décarbonation des réseaux de gaz.

Cette valeur pourrait être calculée pour correspondre globalement aux externalités positives évoquées et couvrir les coûts d’exploitation des unités de méthanisation. Les gestionnaires d’infrastructures devraient ainsi rémunérer l’injection de biogaz à un tarif fixe et répercuteraient ces coûts supplémentaires en totalité sur le tarif de transport ou de distribution du gaz.

Proposition 2 : Prolonger le droit à l’injection par le droit à un revenu pour tout gaz vert injecté correspondant aux effets positifs du verdissement du réseau de gaz.

Ce revenu permettrait de contribuer au financement de toutes les installations, ce revenu pouvant être complété selon les secteurs en fonction des politiques publiques – agricole ou de valorisation des déchets pour la gazéification issue des installations de stockage des déchets non dangereux, des stations d’épuration, des boues de dragage, des résidus de combustibles solides de récupération ou de bois-déchet.

Complété du contrat de transition agroécologique et alimentaire qui prendrait en charge les coûts d’investissement comme des primes déterminées en fonction de la transition agroécologique, ce revenu permettrait d’assurer une répartition équilibrée entre le financement par le contribuable et celui par le consommateur.

3.2. D’autres financements, extrabudgÉtaires, permettraient de financer ce verdissement de l’approvisionnement en gaz

3.2.1. Le développement d’une obligation de financement, actuellement en discussion, pourrait être modulée en fonction de critères agroécologiques

Étudiée par l’administration qui a lancé le 1 er février 2021 une consultation sur le sujet, une obligation de financement du développement du gaz renouvelable pour les fournisseurs d’énergie, donc une obligation d’une part minimale de gaz vert dans la consommation de gaz, est actuellement en discussion. Cette obligation de financement conduirait les fournisseurs d’énergie à prendre le relais de l’État et à soutenir le verdissement des usages du gaz. En l’absence de résultat, une pénalité fiscale leur serait appliquée.

Les fournisseurs, qu’ils agissent seuls ou en se regroupant, seraient alors conduits à acheter par priorité le biométhane le moins onéreux. Cette approche pourrait conduire à un biais évident dans le développement des installations en faveur de la prolongation d’installations en fin de contrat d’achat, ce qui est favorable aux agriculteurs ayant déjà mis en service une installation, comme à la méthanisation issue d’installations de stockage de déchets non dangereux et aux unités de méthanisation disposant d’une taille industrielle donc bénéficiant d’effets d’échelle, qui sont les installations aux coûts les plus bas.

Proposition 3 : si un mécanisme de financement extrabudgétaire se développe, moduler les certificats verts octroyés en fonction des bénéfices agroécologiques de l’installation.

Si un mécanisme d’obligation de financement permet de verdir efficacement les usages du gaz au meilleur coût, en faisant reposer le coût du verdissement sur le consommateur plutôt que sur le contribuable, les exploitations agricoles de petite taille pourraient s’en trouver exclues et l’intérêt agroécologique des pratiques développées pourrait être oublié. Une modulation des obligations des fournisseurs, favorisant les meilleures pratiques agroécologiques de la méthanisation agricole, serait alors nécessaire. En pratique, le nombre de certificats verts attribué par volume de gaz renouvelable injecté varierait donc en fonction du type d’installation et des pratiques agricoles. Si un critère de taille d’unité de méthanisation pouvait alors servir pour éviter de favoriser les seuls projets industriels, une modulation en fonction de critères agroécologiques permettrait également d’organiser la contribution de ce mécanisme à la transition écologique de l’agriculture.

3.2.2. De même, le développement d’un label pour les mécanismes de compensation pourrait justifier de le flécher vers les installations aux meilleures pratiques agroécologiques .

De même, le ministère de la Transition écologique, avec l’aide d’I4CE et de l’ADEME, organise la création d’un label bas carbone permettant de financer en France des projets exemplaires dans le cadre de projets de compensation carbone plutôt qu’à l’étranger, comme cela existe depuis le protocole de Kyoto [10] . Si la compensation carbone demeure à juste titre controversée chaque fois qu’elle déresponsabilise des acteurs qui pourraient réduire leur empreinte environnementale et en font l’économie, cette source de financement nouvelle, qui est prévue par les textes internationaux, gagne néanmoins à être organisée pour financer l’excellence écologique et drainer des financements nouveaux vers l’agriculture et la forêt. Le label bas carbone, qui vise déjà le boisement, l’élevage et bientôt les grandes cultures, pourrait ainsi utilement favoriser des projets de méthanisation exemplaires du point de vue agroécologique et qui n’auraient pas été financés par ailleurs pour éviter les effets d’aubaine.

Proposition 4 : les utilisateurs de compensations carbone pourraient également financer des installations qui ne sont pas soutenues par l’État et disposent d’un fort potentiel agroécologique.

Dans le cadre d’un éventuel mécanisme extrabudgétaire assis sur une obligation de financement du verdissement du gaz par les fournisseurs d’énergie ( cf. supra ), des financements additionnels par les acteurs souhaitant financer des projets exemplaires en matière agroécologique au titre de la compensation carbone pourraient ainsi être prévus.

Afin de rassurer les exploitants agricoles sur la solidité de la signature de leur cocontractant privé et de s’assurer que, dans la durée, l’exploitation répond au cahier des charges, un tiers de confiance public, qui pourrait être issu du conseil régional, collecterait les financements, s’assurerait de la fidélité au cahier des charges du projet et paierait le gaz vert injecté. Il pourrait de même assurer la levée de fonds en organisant le financement participatif des acteurs intéressés par un projet exemplaire de grande taille.

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  1. ADEME, « Un mix de gaz 100 % renouvelable en 2050 », 2018.

  2. Pellerin et Bamière (2013) par exemple.

  3. Décret 2016–929 du 7 juillet 2016 instaurant les articles D543–291 à D543–293 du code de l’environnement.

  4. Rapport du comité Prospective de la Commission de régulation de l’énergie, juillet 2019.

  5. Grouiez P., Berthe A., Fautras M., Issehnane S. (2020), « Déterminants et mesure des revenus agricoles de la méthanisation et positionnement des agriculteurs dans la chaîne de valeur “biomasse-énergie” », rapport scientifique pour le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 84 pages.

  6. « Bilan technique et économique des installations de production de biométhane », rapport de la Commission de régulation de l’énergie du 19 décembre 2018.

  7. Ibid.

  8. Voir François Kirstetter, « Pour une politique du carbone vivant », Terra nova, juin 2020.

  9. Par exemple, G. Bazin, « PAC et transition agro-écologique et alimentaire, Bilan et perspectives dans quatre États de l’Union Européenne (Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Roumanie) », 20 février 2019.

  10. https://www.i4ce.org/go_project/label-bas-carbone/

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