EDF : une nationalisation programmée

EDF : une nationalisation programmée
Publié le 6 juin 2022
  • économiste et directeur de recherche au CNRS
La transition énergétique fait désormais partie des priorités de l’action publique. Mais avons-nous les moyens technologiques et industriels de mener à bien les transitions nécessaires ? On peut en particulier s’interroger sur la situation d’EDF qui devra s’organiser en fonction de ces défis. Entre ses difficultés internes, les contradictions de l’Etat actionnaire, les contraintes européennes et les attentes du consommateur, l’entreprise est-elle en situation de lancer les projets d’avenir ?

Jean-Luc Mélenchon l’a inscrit à son programme, les syndicats d’EDF en ont fait leur mot d’ordre, les actionnaires la jugent inévitable, les autorités européennes la redoutent et pourtant la nationalisation d’EDF va se faire sous un Gouvernement centriste, non par idéologie ou par choix politique mais parce qu’elle sanctionnera un triple échec.

Echec industriel, EDF ne peut mener à bien le grand carénage, engagé depuis 2014, et le nucléaire nouveau dans sa configuration actuelle. Le nucléaire revient en grâce à la faveur de la flambée des prix de l’énergie et des ratés du modèle allemand de transition énergétique, et requiert un effort d’investissement conséquent. Le paradoxe est que cette réhabilitation révèle la dramatique insuffisance des acteurs industriels et l’incapacité d’EDF à maitriser les grands projets.

Echec financier, EDF porte une dette de 40 milliards d’euros, a détruit massivement de la valeur et ne peut lever les capitaux nécessaires auprès d’actionnaires privés. Le débat sur la taxonomie verte mené à Bruxelles avait cet intérêt de faciliter l’accès aux financements de marché, voire à émettre des green bonds pour financer le nucléaire. Les atermoiements actuels de certains pays européens sur cette taxonomie, dont l’Allemagne, rendent encore plus difficile un recours au nucléaire même comme énergie de transition. Plus grave encore, les risques portés au Royaume Uni avec l’aventure de Hinkley Point et en France avec Flamanville et la reprise d’Areva ont fragilisé EDF au point que le Directeur Financier d’EDF, Thomas Piquemal, en charge au moment de l’engagement d’Hinkley Point a démissionné.

Échec économique, EDF n’a pas trouvé de modèle économique durable ; monopole nucléaire, elle est contrainte de céder une partie de sa production à ses concurrents. Elle est soupçonnée de bénéficier d’aides publiques ce qui la rend suspecte aux yeux des autorités européennes ! Enfin majoritairement, contrôlée par l’Etat elle doit renoncer à 8 milliards de recettes pour soulager le consommateur. L’Etat agit, selon les circonstances, en puissance publique, en régulateur mais rarement en actionnaire cherchant la meilleure rémunération pour son investissement.

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Cette nationalisation à venir interviendrait de plus dans un contexte fortement dégradé. D’abord parce que le parc n’a jamais été à ce point défaillant avec près 12 réacteurs nucléaires à l’arrêt, ensuite parce que l’excellence de nos choix passés ne protège pas les Français de la hausse des prix, enfin parce que le coût du nouveau nucléaire ne cesse de monter, dégradant structurellement sa compétitivité par rapport aux énergies renouvelables et au gaz.

Si la nationalisation est l’horizon d’EDF, pour autant que le choix nucléaire soit maintenu, c’est aussi parce que la solution Hercule, longuement négociée, a échoué.

Bercy et Bruxelles ont longtemps essayé de concilier l’inconciliable : un nucléaire fortement régulé, les énergies alternatives financées en partie par la rente du nucléaire, des concessions hydroélectriques maintenues dans le giron EDF de même que les filiales de transport et de distribution. Le dispositif prévoyait la filialisation des activités, avec une structure faitière contrôlant l’ensemble pour préserver l’unité des personnels, le contrôle public a 100% de l’activité nucléaire, le maintien du renouvelable dans une société cotée, la réforme de l’ARENH.  La somme de ces contraintes n’a pas permis l’émergence d’une solution.

Il faut donc repenser à nouveaux frais le nouvel EDF. Et des choix cohérents doivent être faits ou réaffirmés par la puissance publique.

Après moult tergiversations, le Gouvernement a fait son choix. Le mix électrique restera à dominante nucléaire. L’Etat vient de réaffirmer que la base de la fourniture se fera en nucléaire et pas en gaz ou en charbon comme en Allemagne. EDF devra donc investir pour prolonger la durée de vie des centrales qui peuvent l’être et investir dans le nouveau Nucléaire (50 milliards sont prévus pour les 6 tranches programmées). Comment traduire cette politique en choix opérationnels ? On pourrait certes envisager une solution à l’anglaise, où l’Etat garantit sur 35 ans un prix de rachat de l’énergie produite permettant de rentabiliser l’investissement d’EDF. Mais les dérapages financiers des projets britanniques et l’appel aux garanties sur les emprunts font que la solution n’est pas vraiment soutenable. Dès lors la nationalisation pure et simple de l’activité nucléaire s’imposera en France, ne serait-ce que parce que le Gouvernement aura du mal à justifier des injections de capital et l’apport de garanties à une société privée cotée même majoritairement détenue par l’Etat.

Le choix d’un mix Nucléaire-Renouvelables emporte quelques conséquences.

Le 100% renouvelable, souvent promu par Mme Pompili, doit être écarté comme irréaliste. Il faut également mettre un terme à la tutelle du ministère de l’Ecologie sur les activités d’EDF, notamment nucléaires. L’accord préalable de l’Autorité de Sûreté Nucléaire est requis, et une évaluation rigoureuse du coût du nucléaire doit être menée par la Cour des Comptes. Les révisions permanentes à la hausse du coût du nucléaire par celle-ci, et les prises de positions hostiles au nucléaire au sein même du gouvernement, délégitiment progressivement le choix politique fait par Emmanuel Macron.

L’ampleur de l’effort d’investissement et les difficultés probables d’EDF à optimiser son bilan justifient une filialisation des activités en énergies renouvelables et des activités de transport et de distribution. S’agissant des renouvelables, on connaît les succès de ces sociétés en Bourse . Une filialisation et une cotation de ces activités permettrait de lever des fonds et d’alléger la contrainte de financement de l’Etat. On sait enfin que les fonds d’infrastructures ont un grand appétit pour les investissements dans les réseaux, il faut donc les associer aux financements. La Caisse des Dépôts a déjà commencé à jouer un rôle dans ce domaine.

Au total, le retour sous une forme ou sous une autre du projet Hercule, est inévitable et il suscitera fatalement des oppositions. Que le projet soit libellé « Grand EDF » ou Hercule, le résultat sera le même. Des activités relevant de régimes de régulation différents ne pourront coexister dans la même entité pour éviter les subventions croisées. L’activité nucléaire d’EDF étant considérée comme une rente par Bruxelles, le système de l’ARENH qui permet aux concurrents d’EDF de bénéficier dans des conditions exorbitantes de droit commun d’un accès à cette « rente » sera maintenu et suppose donc qu’une contrainte réglementaire continuera à peser sur EDF. Tout au plus peut-on espérer que Bruxelles cessera d’encourager les subventions actuelles que verse EDF à ses concurrents. Enfin Bruxelles n’aura pas son mot à dire sur une éventuelle filialisation/cotation des activités renouvelables.

Les syndicats s’opposeront bien sûr à ce qui s’apparente de fait à un démantèlement d’EDF, mais la France ne reniera pas ses engagements passés et ne défiera pas Bruxelles, même si la libéralisation du marché de l’électricité n’a pas été une réussite. La nationalisation se fera parce que c’est la moins pire des solutions.

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