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Note

Finance durable : un enjeu essentiel pour la transition écologique, bilan du quinquennat et perspectives

Pour orienter nos économies vers un développement durable, il faudra mobiliser des financements importants. Où en sont les projets permettant de « verdir » la finance ? Une série de projets ont été développés depuis 2017, relayés par une forte dynamique européenne. Cependant, tous les engagements du candidat Macron n’ont pas encore été mis en œuvre.
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Lors de la campagne présidentielle de 2017, le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) avait adressé trois questions aux candidats :

  • Quel rôle souhaitez-vous que le secteur financier joue dans la mise en œuvre d’une économie durable ?
  • Quelles mesures comptez-vous prendre afin d’encourager une finance responsable qui prend en compte les enjeux environnementaux et sociétaux dans les décisions d’investissement ?
  • Quelles incitations envisagez-vous afin que l’épargne des Français s’oriente vers une économie intégrant résolument les enjeux du développement durable ?

Le candidat Emmanuel Macron avait répondu dans un courrier de trois pages[1] à ces questions, en donnant sa vision de la finance responsable. C’est donc notamment à cette aune qu’il faut évaluer le bilan du quinquennat sur cette question. Pour autant, il est essentiel de remettre ces objectifs en perspective, en prenant en compte le chemin parcouru par l’industrie financière et par la réglementation européenne au cours de ces cinq années, mais aussi la prise de conscience générale du rôle de la finance par les décideurs publics, les ONG, les citoyens. Ainsi, certains des objectifs de 2017 peuvent paraître aujourd’hui faibles voire anachroniques, ils n’en ont pas moins contribué à faire bouger les lignes.

De façon générale, la dimension européenne apparaît désormais essentielle. Alors qu’il y a 5 ans, la France pouvait apparaitre en avance, grâce notamment aux mesures prises dans la loi pour la transition énergétique et la croissance verte (LTECV), le plan d’actions finance durable de la Commission européenne a repris depuis les principales avancées françaises et inversé la dynamique. C’est donc un point de départ différent que devra prendre en compte le nouvel exécutif, en se concentrant sur la mise en œuvre nationale des mesures européennes, sans abandonner la volonté d’être de nouveau à l’avant-garde.

Cette note reprend dans un premier temps les points clés de la réponse d’Emmanuel Macron au FIR en 2017 afin de mesurer les principales avancées du quinquennat, avant de tracer quelques perspectives et propositions pour le prochain mandat.

1. Un bilan aux couleurs européennes

Exigence et respect des engagements

En prenant volontairement le contre-pied de la « finance ennemie » de son prédécesseur, le Président de la République a toujours considéré la finance comme un outil essentiel à la réussite des objectifs climatiques et environnementaux. « Cette économie durable n’est pas un secteur ou une partie de l’économie, elle l’englobe en totalité, et c’est la raison pour laquelle le secteur financier est concerné au premier chef  », écrivait-il en 2017. Cette vision, maintenue tout au long du quinquennat, s’est notamment traduite par l’organisation des conférences « One Planet Summit » avec l’objectif assumé de mobiliser des financements publics et privés, par le soutien au plan finance durable de la Commission européenne[2] et par une présence forte du ministre de l’économie auprès de la place financière de Paris avec un discours volontariste : « la finance sera verte ou ne sera pas ».

Cette reconnaissance du rôle majeur du système financier va naturellement avec une exigence forte vis-à-vis du secteur. Ainsi, dans sa réponse au FIR, Emmanuel Macron déclarait : « J’attends du secteur financier qu’il joue son rôle, en mettant ses capacités de financement et sa créativité au service de la transition, en favorisant le long terme et en prenant conscience de sa responsabilité. »

Comme sur d’autres sujets, la confiance dans les acteurs économiques pour se mobiliser et la volonté d’innovation ont constitué le cadre de l’action du gouvernement. Pour autant, cette confiance ne se décrète pas, elle se gagne. C’est ainsi que des tensions sont apparues entre l’exécutif et le secteur financier. En décembre 2018, lors du Climate Finance Day (CFD), grand événement annuel de la finance verte à Paris, Bruno Le Maire, réagissait à la publication d’un rapport d’OXFAM sur la manière dont les acteurs de la finance continueraient à financer des énergies fossiles en disant : « les engagements pris par le secteur financier en matière de lutte contre le réchauffement climatique doivent être tenus et j’y veillerai, parce que si la finance ne joue pas le jeu de la lutte contre le réchauffement climatique, nous n’y arriverons pas (…) Je compte donc aller plus loin pour convaincre le secteur financier d’avancer dans cette direction et pour veiller à ce qu’il respecte ses engagements. »[3]

Plusieurs initiatives structurantes découleront de cette déclaration et la France dispose du cadre le plus ambitieux en Europe de contrôle des engagements climatiques du secteur financier. Deux commissions ont été créées à cet effet, au sein de l’AMF (l’Autorité des marchés financiers) d’une part, de l’ACPR (l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) d’autre part. Elles ont publié en décembre 2020 un premier rapport conjoint sur « les engagements climatiques des institutions financières françaises »[4]. On pouvait y lire en préambule : « Les autorités constatent la mobilisation croissante de la Place financière en faveur de la lutte contre le changement climatique et de l’objectif de décarbonation des portefeuilles, même si le niveau d’ambition et le degré d’exigence varient d’un acteur à l’autre. »

Ce rapport s’appuyait sur des données fournies par l’Observatoire de la Finance Durable[5], créé également en 2019, au sein de l’initiative Finance for Tomorrow de Paris Europlace[6]. Toutefois, on peut remarquer que cet Observatoire est dirigé par un Comité de pilotage qui comprend l’ensemble des fédérations du secteur financier, ce qui rend son indépendance discutable. De fait, la création de ces institutions n’a pas apporté la crédibilité nécessaire, ni empêché les ONG de continuer à critiquer le comportement des banques françaises. Ainsi, lors du CFD 2021, l’ONG Reclaim Finance publiait un rapport dans lequel on pouvait lire : « Les banques françaises (…) revoient à la marge les mesures qu’elles avaient déjà prises pour la plupart et semblent s’aligner sur le plus petit dénominateur commun (…) Contrairement à la Banque Postale et dans une certaine mesure à Crédit Mutuel, les autres banques françaises s’opposent à l’impératif scientifique relayé par l’Agence internationale de l’énergie d’arrêt de l’expansion pétro-gazière. »

L’objectif de transparence est donc encore loin d’être atteint. Pour preuve, le ministre de l’économie Bruno Le Maire vient de confier une mission de « coordination » à Yves Perrier, Président de la principale société de gestion française (Amundi), afin de supprimer progressivement l’exposition des acteurs de la place de Paris à l’ensemble des énergies fossiles. Dans sa lettre de mission, le ministre souhaite que « cette trajectoire [soit] objectivable et mesurable, efficace et transparente et accompagnée d’un échéancier graduel contraignant. »

Investissement public et effet de levier

L’objectif affiché par Emmanuel Macron était de tirer profit du secteur financier privé, en l’articulant intelligemment avec la dépense publique. Il écrivait ainsi : « Nous savons que les investissements publics ne suffiront pas à répondre à tous les besoins. Le rôle du secteur financier est donc essentiel. L’un des objectifs majeurs du plan d’investissement public sera de créer un effet de levier et de mobiliser l’investissement privé. » Devenu Président de la République, il réaffirmait cette philosophie dans son discours de Bruxelles en souhaitant « rendre le profil de risque de ces investissements acceptables pour les financeurs privés », précisant sa pensée : « les acteurs publics doivent porter les risques plus complexes et l’argent public doit être investi aux côtés des ressources privées sur des enjeux d’intérêt public. »

Sur ce plan, le bilan du quinquennat est en demi-teinte. Au niveau européen, la France a soutenu l’évolution de la doctrine de la BEI ainsi que le plan Juncker qui avait mis l’effet de levier au cœur de sa stratégie. Au niveau national, en revanche, peu d’initiatives ont été prises[7] dans ce domaine. Le Grand Plan d’Investissement (GPI) annoncé pendant la campagne de 2017 n’a jamais eu la traction souhaitable, n’apportant pas de financement nouveau et pêchant par une gouvernance complexe. Finalement, il aura fallu attendre la crise sanitaire pour qu’un vrai plan d’investissement soit lancé, avec le plan France 2030, incluant une partie significative de projets en faveur de la décarbonation de l’économie.

Par ailleurs, à l’exception notable de Bpifrance, notamment à travers son activité fonds de fonds, les institutions financières publiques sont encore loin de favoriser le partenariat avec la finance privée. La doctrine publique ne dispose toujours pas d’indicateur clairs d’effet de levier ou d’additionalité de l’argent public. Le concept de blended finance[8], souvent mis en avant dans les conférences environnementales comme un outil essentiel, peine à passer à l’échelle. Le One Planet Lab, sorte de think tank créé par Brune Poirson  au sein du ministère de l’environnement pour apporter des idées au Président de la République, a publié récemment un rapport intitulé « Blended finance for scaling up climate and nature investments »[9] qui, malheureusement, n’apporte pas de réponse concrète.

La bataille des normes

Dans sa réponse aux questions du FIR, Emmanuel Macron identifiait, comme beaucoup d’autres, le sujet des définitions et des normes comme un enjeu clé : « Les barrières au développement de la finance responsable résident en partie dans le fait que l’on manque d’une définition claire de ce que sont les actifs verts ou durables.  » Il faut remettre cette déclaration dans le contexte de l’époque : la Commission européenne venait de mettre en place son Groupe d’Experts de Haut-Niveau (HLEG) sur la finance durable et la notion de taxonomie, conçue au sein de ce groupe de travail, était encore peu présente dans le débat public.

Depuis, la définition de « ce qui est vert » est devenu un enjeu éminemment politique. La publication du projet de taxonomie européenne début 2021 a été largement saluée par les acteurs de la finance durable, mais elle a entrainé des débats intenses, notamment sur la question de l’inclusion du nucléaire et du gaz. La France, qui a soutenu le projet de taxonomie depuis le début, n’entend pas renoncer à ce que le nucléaire – énergie décarbonée – y soit inclus, ce qui est compréhensible. De son côté, l’Allemagne et d’autres pays européens souhaitent que le gaz soit reconnu comme une énergie de transition. La tentative française de négocier un accord « nucléaire contre gaz » est fortement critiquée et met en péril la pertinence d’une taxonomie qui s’appuie sur la science. Quoi qu’il en soit, on peut constater qu’être reconnu comme un actif vert au sens de la taxonomie a désormais de la valeur, tel un passeport vers des financements plus sûrs et plus abondants dans le futur.

Cette taxonomie verte est aussi un message fort que passe l’Europe sur la question des normes extra-financières. En 2017, Emmanuel Macron constatait que « le reporting de la part des entreprises sur leurs impacts environnementaux reste insuffisant ». Définir précisément la façon dont les entreprises devront rendre compte de leurs risques et de leurs impacts environnementaux et sociaux est donc stratégique. En juin 2019, le Président de l’Autorité des normes comptables, Patrick de Cambourg, remettait au ministre de l’économie son rapport « Garantir la pertinence et la qualité de l’information extra-financière des entreprises : une ambition et un atout pour une Europe durable »[10]. La France entendait ainsi jouer un rôle majeur dans la stratégie de l’Europe dans ce domaine. La secrétaire d’Etat à l’économie sociale, solidaire et durable, Olivia Grégoire, défend l’idée que ce sujet est une question de souveraineté. Ces efforts se situent en effet dans un contexte de bataille des normes au niveau international, avec des conceptions fort différentes entre l’Europe et le monde anglo-saxon. L’Europe met en avant sa philosophie de la « double matérialité », autrement dit la prise en compte des risques (conséquences du climat et de la nature sur les entreprises) et des impacts (conséquences des entreprises sur le climat et la biodiversité). La Fondation IFRS, qui régit déjà les normes comptables financières au niveau mondial, a annoncé lors de la COP26 la création de l’International Sustainability Standard Board (ISSB), avec pour objectif d’édicter des normes, en ne prenant en compte que les seuls risques financièrement matériels pour les entreprises. Cette bataille ne fait que commencer, l’Europe a les moyens de la gagner. A plusieurs reprises, elle a prouvé qu’elle pouvait fabriquer de la norme mondiale. La Directive sur les fonds d’investissement (UCITS), la Directive sur la sécurité des données (RGPD) ou encore le système d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation des substances chimiques (REACH) ont inspirés de nombreuses régulations partout dans le monde et sont devenus de fait des normes internationales. Dans le domaine comptable et financier, nous devons faire de même et dépasser une sorte de complexe d’infériorité vis-à-vis du monde anglo-saxon.

Les labels

En aval des normes comptables et de la taxonomie, on trouve les labels, objets indispensables pour assurer une transparence vis-à-vis de la société civile et des épargnants. La France a longtemps été pionnière en matière de labels de finance durable, depuis la création du label Novethic en 2009, jusqu’au lancement des labels ISR et TEEC (devenu Greenfin) par le gouvernement en 2015. Emmanuel Macron déclarait dans son courrier au FIR : « Quant aux labels ISR et TEEC, je souhaite qu’ils deviennent des références, en leur assurant notamment des moyens de promotion suffisants. »

On ne peut que constater, si ce n’est un échec, du moins un important retard pris sur ce sujet par le gouvernement. Le label ISR, qui reste l’un des plus importants en Europe par les volumes des fonds labellisés avec le label belge Towards Sustainability, est sous le feu des critiques depuis de nombreuses années. Sa gouvernance a été défaillante et son cahier des charges n’a pas su évoluer au rythme des pratiques de marché. En décembre 2020, l’Inspection Générale des Finances remettait son rapport « Bilan et perspectives du label Investissement socialement responsable (ISR) »[11] et proposait une refonte complète du dispositif. Suite à ces recommandations, un nouveau Comité du label, présidé par l’ancienne Commissaire au développement durable, Michèle Pappalardo, a été installé il y a quelques semaines seulement. Tout le travail reste à faire.

Quant au label TEEC (devenu Greenfin), il reste à la fois peu utilisé et souvent trop rigide. Il est difficile de comprendre pourquoi l’Etat promeut deux labels, piloté par deux comités, sans créer de passerelles ou de cohérence entre eux. Le label Greenfin a par ailleurs vocation à être remplacé par le futur eco-label européen, dont les travaux avancent très lentement. A ce stade, le projet présenté par la Commission ne parvient pas à concilier l’exigence et la flexibilité permettant une adhésion suffisante par les acteurs financiers. Le risque est fort que cet éco-label demeure une niche et soit loin de créer le « label bio » de la finance dont nous avons besoin.

Le champ européen

Cet échec relatif sur les labels au niveau européen ne remet pas en cause le bilan très positif de la Commission européenne ces dernières années, avec un soutien constant de la France. Emmanuel Macron écrivait en 2017 : « Je souhaite désormais porter ces sujets au niveau européen. » C’est précisément ce qui a été fait. Les règlementations européennes sur la transparence, les standards de marché, le reporting des acteurs financiers ont été directement inspirés des lois françaises. Comme un symbole de ce mouvement, Pascal Canfin qui fut l’un des membres influents du HLEG est désormais Président de la Commission environnement du Parlement et continue de s’intéresser de près aux questions de finance durable.

Parmi les sujets qui restent en revanche inachevés figure la proposition de Green Supporting Factor[12], portée en 2017 par les banques françaises. Dans son courrier au FIR, Emmanuel Macron s’y déclarait intéressé : « Je crois que cette question mérite d’être posée.  » Il précisait plus loin : « Nous savons que le changement climatique fait peser un risque systémique à long terme sur la sécurité du système financier. Il faudra trouver des moyens pour mitiger ce risque. Cela pourrait se traduire par un système de bonus/malus en fonction du type d’actifs pour les exigences en capital des banques et des assurances.  »

Les banques centrales se sont toujours déclarées opposées à cet outil, arguant que les règles prudentielles ne devaient pas être détournées de leur objectif de limitation du risque. Pour autant, la prise de conscience du risque climatique est désormais beaucoup plus forte au sein des régulateurs. Lors du premier OPS à Paris en 2017, une dizaine de banques centrales réunies autour de la Banque de France annonçaient la création du Network for Greening the Finance System (NGFS)[13]. C’est notamment sous l’impulsion de ce NGFS que plusieurs banques centrales et superviseurs ont entrepris depuis de réaliser de premiers exercices de stress-tests climatiques afin de déterminer la vulnérabilité des institutions financières face aux risques liés au climat. Pour ce qui concerne la France, les premiers résultats ont été publiés par la Banque de France en avril 2021.

La place de Paris

La finance durable est aussi un enjeu de compétitivité national. Emmanuel Macron écrivait ainsi : « La finance durable est aussi une chance pour le développement de la place de Paris. » Il exprimait alors sa conviction que « La France peut et doit devenir un leader de la finance durable. » Ce soutien à la place financière de Paris ne s’est pas démenti tout au long du quinquennat. Il s’est traduit par une participation continue des ministères à l’initiative Finance for Tomorrow (F4T), par la poursuite du plan d’émission d’obligations vertes publiques par l’Etat, par le lancement plus récemment de l’initiative « finance à impact » par Bruno Le Maire et Olivia Grégoire.

En juillet 2020, le député Alexandre Holroyd a rendu son rapport, commandé par Barbara Pompili et Bruno Le Maire, sur l’évaluation des meilleures pratiques en matière de finance verte dans l’Union européenne. Il y faisait plusieurs propositions pour muscler l’organisation de la place de Paris, notamment en suggérant la transformation de l’initiative F4T de Paris Europlace en un Institut indépendant de la finance durable, à l’image de la Green Finance Initiative de la City. Le rapport notait que l’avance initiale de Paris en matière de finance durable était remise en cause par l’accélération des places financières européennes comme Londres, Amsterdam, Luxembourg ou Francfort. Les annonces récentes de localisation à Londres de la TNFD[14] et à Francfort de l’ISSB déjà mentionnée plus haut, sont des signes de cette compétition accrue et de la difficulté de Paris de s’imposer. Les recommandations du rapport Holroyd ont malheureusement été peu suivies.

L’épargne des Français

Enfin, l’un des sujets essentiels au niveau macroéconomique est évidemment le fléchage de l’épargne des Français. Comme les sondages réalisés par le FIR le montrent chaque année, Emmanuel Macron notait dans son courrier que « les Français sont attachés à l’impact environnemental et social de leur épargne, autrement dit à donner du sens à leur épargne. » Il souhaitait répondre à ce besoin de deux façons, d’abord en simplifiant la fiscalité de l’épargne, ensuite en donnant aux investisseurs un accès facilité aux produits d’épargne verts et durables.

Sur la fiscalité, le futur Président déclarait : « La stabilité retrouvée des règles du jeu favorisera la mobilisation des capitaux privés pour la transition écologique. » La simplification (flat tax sur les plus-values) était sensée redonner aux épargnants la liberté de choix de leur supports d’investissement, en évitant toute distorsion fiscale. Force est de constater que ces mesures n’ont eu aucun impact significatif sur la ré-allocation des actifs vers la finance durable.

En revanche, les produits durables sont aujourd’hui nettement plus accessibles au sein des réseaux bancaires et dans les contrats d’assurance-vie. Emmanuel Macron déclarait en 2017 : « Il est essentiel de rendre les produits de finance verte et durable plus facilement disponibles pour les épargnants. Je suis favorable à une obligation de proposer au moins un fonds labellisé dans toute offre bancaire ou d’assurance-vie.  » C’est effectivement ce qui a été fait à travers la Loi Pacte en 2019. En revanche, la date de mise en application tardive de cette disposition (1er janvier 2022) a entrainé un retard à l’allumage. A peine mise en œuvre, cette obligation d’offre est déjà anachronique. C’est encore une fois de la Commission européenne qu’est venue la démarche la plus structurante en la matière avec la modification de la directive MIFID qui demande désormais à tous les conseillers financiers de s’enquérir des préférences environnementales et sociales des épargnants avant de leur proposer un produit de placement.

2. Quelques perspectives pour le prochain quinquennat

Le bilan du quinquennat en matière de finance durable est donc plutôt positif si on le mesure à l’aune des objectifs initiaux, l’essentiel des engagements pris ayant été tenus. Il bénéficie surtout d’une dynamique européenne majeure, grâce au plan d’actions finance durable de la Commission européenne. Il pèche en revanche sur certains sujets comme l’absence d’évolution des labels, l’organisation de la place de Paris ou les critiques qui mettent en danger la taxonomie.

Au cours de ces cinq dernières années, la finance durable est passée d’une pratique minoritaire à une généralisation, au moins dans les discours. En Europe, un fonds d’investissement sur trois s’est déclaré « responsable » dans le cadre des nouvelles exigences de transparence européennes. Malheureusement, la finance évolue à un rythme insuffisant pour répondre aux enjeux du climat et de la perte de biodiversité. L’implication de la finance privée reste essentielle compte tenu du besoin massif d’investissement pour atteindre les objectifs de réduction des émissions. Les grandes thématiques n’ont donc pas fondamentalement changé par rapport à 2017, c’est l’intensité des mesures qu’il faut adapter à l’urgence de la situation. Dans ce contexte, quelles perspectives peut-on tracer pour les cinq prochaines années ?

Voici quelques propositions :

  • d’abord poursuivre la bataille des normes et imposer au niveau mondial la vision de double matérialité qui est fondamentale ; cela passe par une réforme ambitieuse des normes de reporting des entreprises dans la Directive européenne CSRD, un soutien au développement de la taxonomie avec l’extension de celle-ci aux autres sujets environnementaux au-delà du climat (pollution, gestion de l’eau…), puis aux questions sociales, enfin la création d’une taxonomie brune qui doit cibler les activités économiques incompatibles avec la trajectoire de neutralité carbone et conduire à un arrêt progressif de leur financement ;
  • relancer la discussion sur les mesures incitatives pour les banques puisque les études des ONG montrent clairement que les bilans bancaires évoluent trop lentement ; la solution du Green Supporting Factor doit être étudiée de nouveau, à défaut il faudra trouver d’autres moyens, plus effectifs que les stress tests climatiques, cela pourrait passer par une modulation de la politique d’octroi de liquidité de la part de la banque centrale européenne ;
  • la mobilisation des banques et des investisseurs privés reste une priorité, le plan de relance et le plan d’investissement France 2030 gagneraient à formaliser la recherche d’un effet de levier dans le cadre d’une gouvernance à réinventer ;
  • l’Etat ayant annoncé lors de la COP26 la fin des garanties exports pour les nouveaux projets d’exploration d’énergies fossiles, il parait légitime d’étendre progressivement cet arrêt de financement aux banques ; cet engagement pris par les banques pourrait être contenu dans un « contrat de filière » avec le secteur financier et devrait être contrôlé par un Observatoire des engagements indépendant ; plus globalement, cet Observatoire devrait préciser en quoi consistent les engagements de neutralité carbone des banques et des investisseurs ;
  • finaliser le travail sur les labels est indispensable, ces labels doivent être rendus cohérents avec la classification européenne des fonds d’investissement (Directive SFDR) ; il faudra leur donner l’ambition et les moyens de promotion pour en faire de véritables outils de choix pour les épargnants ; cette transparence exige aussi un effort conséquent de formation des conseillers financiers et métiers de conseils liés à la finance, une obligation de formation sur les enjeux climatiques devrait être rendue obligatoire pour ces professionnels ;
  • enfin, la crédibilité de la politique publique implique que les avantages fiscaux des produits d’épargne (assurance-vie, PER, PEA) soient progressivement assortis de conditions de fléchage partiel ou total vers les investissements verts et durables ; il faudra sortir également de la situation absurde et mise en cause régulièrement du  Livret Développement Durable et Solidaire (LDDS) en imposant un réel fléchage de la partie conservée dans le bilan des banques.

[1] Voir le courrier publié sur le site du FIR : https://www.frenchsif.org/isr-esg/wp-content/uploads/LettreOuverteFIR_Re%CC%81ponseMacron.pdf

[2] Dans son discours prononcé à Bruxelles le 22 mars 2018, Emmanuel Macron déclare : « (je veux) redire ici tout le soutien que je veux apporter au travail de la Commission européenne et, vous l’avez compris, l’ambition maximale que je veux que nous ayons sur ce sujet. » Lire l’intégralité du discours sur le site de l’Elysée : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/03/22/discours-du-president-de-la-republique-a-la-conference-sur-la-finance-durable-bruxelles

[3] Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, sur les aspects économiques de la lutte contre le réchauffement climatique, à Paris le 26 novembre 2018 : https://www.vie-publique.fr/discours/207382-declaration-de-m-bruno-le-maire-ministre-de-leconomie-et-des-finances

[4] Voir le rapport complet sur le site de l’AMF : https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/publications/rapports-etudes-et-analyses/rapport-commun-acpr-amf-les-engagements-climatiques-des-institutions-financieres-francaises

[5] https://observatoiredelafinancedurable.com/fr/

[6] Créée en juin 2017, l’initiative Finance for Tomorrow réunit l’ensemble des acteurs privés, publics et institutionnels de la Place de Paris désireux de s’engager pour une finance durable.

[7] En décembre 2018, le rapport Canfin-Zaouati proposait un plan Juncker vert à la française, avec la création d’une nouvelle entité dénommée « France Transition » dédiée à la mise en place de partenariat public-privé pour financer la transition. Lire le rapport complet : https://financefortomorrow.com/app/uploads/2018/12/Rapport_Canfin_Zaouati_Synthese_VFINAL.pdf

[8] La blended finance, ou finance mixte, consiste à utiliser de l’argent public pour dé-risquer des projets et permettre ainsi de mobiliser des investissements privés dans des secteurs où ils ne seraient pas intervenus spontanément.

[9] Lire le rapport sur le site de LSE : https://www.lse.ac.uk/granthaminstitute/wp-content/uploads/2021/11/Blended-Finance-for-Scaling-Up-Climate-and-Nature-Investments-1.pdf

[10] Lire le rapport de Cambourg : https://www.vie-publique.fr/rapport/267813-linformation-extra-financiere-des-entreprises-une-ambition-et-un-atout

[11] Lire le rapport de l’IGF : https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2021/2020-M-038–03%20Rapport%20label%20ISR.pdf

[12] Le Green Supporting Factor consiste à moduler les exigences en capital réglementaire des banques en fonction du type de projet qu’elles financent, autrement dit à favoriser le financement des projets « verts » en réduisant le capital réglementaire nécessaire.

[13] La Banque de France assure le secrétariat exécutif du réseau NGFS.

[14] Task Force for Nature related Disclosure, entité ayant l’objectif de définir les standards de reporting des entreprises sur la nature et la biodiversité.

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