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Note

Grenelle de l’environnement, la révolution écologique n’aura pas lieu.

Le projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite « loi Grenelle 1 », a été adopté en Conseil des ministres le 11 juin et devrait passer en première lecture devant la Parlement avant l’été. Ce texte devait amorcer une véritable « révolution écologique » en concrétisant les décisions prises à l’automne dernier suite à une large concertation entre l’État, les syndicats, le patronat, les associations de défense de l’environnement et les collectivités territoriales.
Publié le 

I – Le projet de loi

Le projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement a été discuté et adopté en conseil des ministres le 11 juin 2008. Il devrait passer en première lecture devant le Parlement avant l’été, et être adopté à l’automne 2008. Il s’agit du premier des trois textes législatifs destinés à mettre en œuvre les conclusions du Grenelle, et donc à amorcer « la révolution écologique » que le gouvernement appelle de ses vœux. Cette loi d’orientation comporte 45 articles répartis en 6 titres :

– Titre I: Lutte contre le changement climatique

– Titre II: Biodiversité et milieux naturels

– Titre III: Prévention des risques pour l’environnement et la santé

– Titre IV: Etat exemplaire

– Titre V: Gouvernance

-Titre VI: Dispositions spécifiques aux départements et collectivités d’Outre-mer

Cette note explique pourquoi la révolution écologique n’aura pas lieu. Elle met en évidence les premiers reculs par rapport aux conclusions du Grenelle. Elle analyse les lacunes de ce texte qui privilégie souvent l’affichage de grands projets d’investissement au détriment de mesures structurelles moins médiatiques mais plus efficaces. Elle souligne enfin que la majorité des objectifs et mesures retenus, présentés comme des avancées censées « donner à la France quelques décennies d’avance en matière de développement durable » ne sont que la simple application de décisions européennes.

A – Bâtiment

– Les bâtiments neufs devront être « basse consommation », c’est à dire consommer 50 kWh/m2/an, au plus tard en 2010 et être « à énergie positive » au plus tard en 2020. Mais aucune mesure fiscale ou financière ne vient à l’appui de ces objectifs.

– La mise en place d’un plan ambitieux « Règles de l’art et formation » dans le domaine du bâtiment et son financement par des certificats d’économie d’énergie, qui faisaient pourtant consensus lors du Grenelle, ne sont que partiellement repris. Il s’agissait pourtant de réaliser une rénovation écologique ambitieuse et indispensable des règles de conception et de construction des bâtiments accompagnée d’un large effort de formation des praticiens de ce secteur.

– Le projet de loi manque singulièrement d’ambition en matière de bâtiments existants, alors qu’il s’agit de très loin du principal gisement d’économie d’énergie. L’objectif est de réduire les consommations de ce parc de 38% à l’horizon 2020, la moyenne actuelle étant de 240 kWh/m²/an. Pour cela, un « programme de rénovation accélérée du parc » est affirmé mais son financement et ses modalités de mise en œuvre sont absents et l’objectif de 80 kilowattheures par mètre carré et par an (kWh/m2/an) annoncé à l’issu du Grenelle a disparu. L’obligation de mise aux normes énergétiques des bâtiments lors des transactions immobilières sera « mise à l’étude ».


– Les bâtiments appartenant à l’Etat et à ses établissements publics devront faire l’objet d’un audit énergétique d’ici 2010, et un tiers devra être rénové d’ici 2012 afin de réduire de 40% les consommations d’énergie et de moitié les émissions de GES. Le coût des travaux de rénovation pour les 50 millions de mètres carrés des bâtiments de l’Etat et les 70 millions de mètres carrés des établissements publics est estimé à 28,9 milliards d’euros, sans aucune piste de financement, le projet de loi se contentant d’évoquer les partenariats public-privé

– Les 800 000 logements sociaux (sur 4.2 millions) qui consomment plus de 230 kWh/m2/an seront traités prioritairement afin de diviser par deux leur consommation énergétique d’ici 2015. L’Etat contribuera à cette rénovation à hauteur de près de 2 milliards d’euros, soit moins de 2.500 € par logement sur un coût total prévisionnel d’environ 20 000€.

B – Transports et amenagements

B.1 – Urbanisme et mobilité

Le projet de loi stipule que « la lutte contre le changement climatique et l’adaptation au changement climatique font partie des responsabilités des collectivités publiques en matière d’urbanisme ». Les collectivités de plus de 30 000 habitants devront donc établir des plans territoriaux Climat-énergie avant 2012.

L’Etat se contentera de promouvoir des « opérations exemplaires d’aménagement durable des territoires » (10 à 15 agglomérations seront retenues), ainsi que le développement d’éco-quartiers.

Il est prévu de nouveaux financements pour les transports collectifs, avec l’objectif de développer les modes de transport doux en ville (bus, tram) de 329 à 1 800 km en 10 ans.

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Si l’Etat « détermine le cadre général dans lequel s’inscrivent les règles d’utilisation de l’espace », le projet de loi ne comprend aucun nouvel outil de lutte contre l’étalement urbain et aucun objectif national chiffré de réduction de la consommation d’espace.

Ces différents éléments ne constituent pas une action de fond en faveur d’une manière nouvelle de « faire la ville » mais un saupoudrage d’actions aux impacts limités. Il est particulièrement regrettable que le projet de loi s’arrête à ce traitement symptomatique, dans des agglomérations où rien ne freine l’étalement urbain. A cet égard, les politiques fiscales menées sont un soutien très important à

l’étalement urbain et une  refonte de ces politiques aurait un impact structurel beaucoup plus important que la construction de tramways dans les villes-centres.

Une telle réforme, dont l’objectif serait de densifier les agglomérations existantes, devrait aborder les points suivants :

l’abondance du foncier non bâti en zone urbaine dense ou semi-dense : les montants très faibles de la taxe sur le foncier non bâti n’incitent pas à bâtir ces terrains non utilisés à proximité directe des centres-villes ; une révision des bases cadastrales (la dernière remonte à 1961) apparait en particulier nécessaire pour taxer la valeur de marché réelle de ces terrains ;

le montant de la taxe professionnelle, bien supérieur à celui de la taxe d’habitation, incite les communes à attirer les emplois (qui rapportent) en repoussant les logements et les services publics (qui coûtent), renforçant ainsi la polarisation des richesses et accroissant les distances domicile-travail ;

les dispositifs fiscaux incitatifs (prêt à taux zéro, loi Robien, loi Borloo…) incitent directement à l’accession à la propriété et à la construction dans des zones peu denses.

L’ensemble des dispositifs fiscaux actuels constituent un soutien puissant à l’étalement urbain, facteur de non-durabilité du développement que les quelques infrastructures envisagées ne contribueront pas à freiner. Une réforme ambitieuse de la fiscalité locale constituerait, à un coût très limité pour les finances publiques, un signal beaucoup plus clair en faveur d’une re-densification des villes.


B.2 – Transport et infrastructures

Les transports sont le seul domaine où un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre est mentionné, soit 20% d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990.

– Pour le parc automobile particulier, le projet de loi vise à ramener la moyenne actuelle de 176 grammes de CO2/km à 130 g en 2020 « grâce à la mise en place d’éco-pastilles ».

– Si l’on peut saluer la mise en place en 2011 d’une redevance kilométrique pour les poids lourds hors autoroutes, la « taxe pour les avions sur les lignes intérieures lorsque existe une alternative ferroviaire de même qualité », qui aurait pu porter sur les « passagers, les rotations ou le kérosène », proposée à l’issu du Grenelle, a complètement disparu.

– La réalisation concertée d’un schéma national des nouvelles infrastructures de transport, arrêtée à l’issue du Grenelle, a disparu. Ce schéma devait annoncer une nouvelle politique des transports permettant enfin un véritable report modal vers le rail et le transport maritime. Le projet de loi prévoit seulement dans l’article 14 la mise en place, à titre expérimental, d’un groupe de suivi des projets d’infrastructures majeurs. Cela est d’autant plus regrettable que le texte est notablement en retrait par rapport aux conclusions des tables rondes d’octobre 2007. Alors que le Grenelle affirmait que « la capacité routière globale du pays ne doit plus augmenter », le projet de loi indique que « réalisée avec discernement, l’augmentation des capacités routières sera limitée au traitement des points de congestion et des problèmes de sécurité ou des besoins d’intérêt local ». Cette formulation très floue autorise à peu près tous types de projets routiers et autoroutiers, ce qui a été confirmé par le feu vert du gouvernement au projet d’autoroute A65 Pau – Langon.

B.3 – Transport ferroviaire

– Des moyens seront « mobilisés pour atteindre une croissance de 25% de la part de marché du fret non routier d’ici 2012 ». Initialement cet objectif ne concernait que le fret ferroviaire, ce qui représente une différence significative dans un contexte de fort développement du fret fluvial et du cabotage maritime.

– Le projet de loi propose en outre un véritable saupoudrage d’investissements (autoroutes ferroviaires, trains longs, opérateurs de proximité) qui n’est absolument pas à la hauteur de l’enjeu. Le principal problème aujourd’hui est en effet la fiabilité du rail plus que son coût. Cette fiabilité passe par une refonte des relations RFF-SNCF (coût nul pour les finances publiques), et une refonte totale des subventions au fret ferroviaire (1 Md€ aujourd’hui, saupoudrés sur tous les trafics, rentables ou non, et donc sans aucun effet de levier sur les trafics).

– D’ici 2020, 2 000 km de lignes ferroviaires nouvelles à grande vitesse seront lancées, et 2500 supplémentaires « dans une perspective de long terme ».

Or sur les déplacements de longue distance, les reports modaux à attendre de la construction de ces nouvelles lignes TGV sont minimes, mis en regard des coûts. Les coûts de la tonne de CO2 évitée sont gigantesques, souvent supérieurs à 500 €/t (contre une valeur couramment admise de 30 €). Le vrai levier pour le report modal de la route ou de l’avion vers le train est le prix du transport ferroviaire, qui est de plus en plus coûteux, au détriment des consommateurs et de l’environnement. Ainsi, la marge de la SNCF sur le TGV est aujourd’hui de l’ordre de 25%. Un meilleur contrôle de l’évolution du prix des billets permettrait donc, à coût quasi nul pour l’Etat, d’augmenter significativement la part modale du transport ferroviaire.

A l’inverse, les projets pharaoniques mentionnés (Lyon-Turin, canal Seine-Europe) ont un impact environnemental faible (report modal quasi nul) mais un coût exorbitant : la ligne TGV Lyon-Turin est à elle seule aussi chère que l’ensemble des lignes TGV construites à ce jour en France, pour un trafic comparable à la ligne Angers-Nantes.

L’impression dégagée du volet transport et aménagement de la loi Grenelle 1 est celle d’une occasion manquée d’engager les réformes structurelles nécessaires à une modification radicale des comportements et des inerties. Pour des raisons d’opportunisme et d’affichage, la priorité est donnée à la réponse par l’investissement, là où les problèmes se posent sur le fonctionnement.

C – Energie et recherche


Ces deux thèmes sont traités dans le projet de loi de manière très superficielle, en moins d’une page chacun.


– En matière d’énergie, le texte prévoit « [d’]adosser aux réseaux centralisés des réseaux décentralisés plus autonomes » et rappelle l’objectif pour 2020 d’atteindre une part d’énergies renouvelables d’au moins 20% dans la consommation finale d’énergie (contre 10,3% en 2005). Les engagements du projet de loi en matière d’énergie ne sont que la mise en œuvre d’objectifs adoptés dans le cadre de la directive pour la performance énergétique des bâtiments de 2002, du plan d’action pour l’efficacité énergétique de 2006 (qui vise à réduire les consommations moyennes du bâtiment de 20% d’ici 2020 par rapport à 1990), et surtout du paquet Climat-énergie. En outre, alors que Nicolas Sarkozy s’est engagé à aller au-delà de 20% d’énergie renouvelable en 2020 lors de son discours de clôture du Grenelle, il a contesté l’objectif de 23% récemment attribué par la Commission à la France.

– Quant à la taxe carbone, rebaptisée « contribution climat-énergie » depuis la clôture du Grenelle par le président de la République, elle sera « étudiée par l’Etat » alors qu’elle est déjà à l’étude depuis la fin du Grenelle et que les résultats devaient être présentés en mars 2008.


– En matière de recherche, le projet de loi dresse un véritable inventaire à la Prévert des thèmes de recherche à privilégier : « les énergies renouvelables, le stockage de l’énergie, les piles à combustible, la maîtrise de la captation et du stockage du CO2, l’efficacité énergétique des bâtiments, des véhicules et des systèmes de transports terrestres, maritimes et aériens, les biocarburants de deuxième génération, la biodiversité, la compréhension des écosystèmes, l’analyse des déterminants comportementaux et économiques de la protection de l’environnement, l’observation et la compréhension des changements climatiques et l’adaptation à ces changements ». La liste n’est pas exhaustive…

– On peut saluer en revanche le principe réaffirmé du rattrapage en 4 ans des dépenses de recherche pour les « nouvelles technologies de l’énergie » sur celles consacrées au nucléaire.

D – Biodiversité

En matière de biodiversité, le projet de loi est globalement conforme aux conclusions du Grenelle, mais présente plusieurs glissements par rapport aux engagements d’octobre 2007 et un flou entretenu sur les échéances et la mise en œuvre des objectifs.

– Ainsi, l’objectif général affiché de « stopper la perte de biodiversité » n’est placé face à aucune échéance. La France s’est pourtant engagée dans le cadre de l’Union européenne à stopper l’érosion de la biodiversité d’ici 2010.

– L’outil majeur de préservation de la biodiversité inscrit dans la loi est la mise en œuvre d’une trame verte et bleue. Il s’agit de repérer et de caractériser les écosystèmes terrestres et aquatiques puis à assurer leur pérennité et leur continuité en restaurant et préservant ces milieux et les corridors biologiques qui les relient. La trame ainsi constituée à vocation à s’inscrire dans l’ensemble des documents d’urbanisme et de gestion des espaces. Mais là encore, si le principe est acté, le projet de loi ne précise aucune étape intermédiaire de mise en œuvre entre 2008 et 2012, contrairement aux conclusions du Grenelle, et les moyens financiers inscrits dans la loi pour le déploiement de la trame verte et bleue sont très limités. Cet outil a en outre perdu sa principale force puisqu’il n’est plus précisé que la trame verte et bleue sera opposable aux grands projets d’infrastructure.

– Le projet de loi donne un objectif de 2% du territoire placé sous protection forte dans dix ans, citant 3 nouveaux parcs nationaux dont la création avait été décidée avant le Grenelle, et la mise en place de 10 aires marines protégées d’ici 2012.

E – Eau et milieux aquatiques

– Le texte envisage également l’acquisition de 20 000 hectares de zones humides mais aucun financement pour l’acquisition et la gestion de ces espaces n’est précisé.

– Alors que le Grenelle prévoyait de « protéger l’aire d’alimentation des 500 captages [d’eau potable] les plus menacés d’ici 2012 », la loi prévoit seulement la définition de plans d’action sur ce sujet d’ici 2012.

– La loi ne fait pas mention de mesures de prévention des pollutions diffuses d’origine agricole, qui faisaient pourtant partie des engagements retenus à l’issu du Grenelle.

– Le rétablissement des continuités écologiques des écosystèmes aquatiques d’eau douce est évoqué sans objectifs généraux de réelle portée nationale, et sans mention du cas particulièrement critique des estuaires, où l’indispensable retour à l’équilibre entre enjeux industriels et portuaires et préservation des écosystèmes estuariens reste à amorcer.

– Quant à l’objectif d’achèvement des travaux de mise aux normes des stations d’épuration d’ici 3 ans, il correspond à la mise en œuvre extrêmement tardive des obligations liées à la directive européenne « Eaux résiduaires urbaines » de 1991 ! Ce calendrier ne permettra d’ailleurs sans doute pas d’éviter à la France une condamnation et de lourdes pénalités financières en 2009, comme le soulignait récemment Mme la Sénatrice Keller (UMP) dans son rapport sur l’application du droit communautaire.

– La mer est abordée dans le titre II – chapitre 4 de la loi alors que le Grenelle prévoyait qu’un titre entier serait consacré à cette question. Il s’agit de l’un des passages les plus vagues du texte à la fois sur les objectifs, les moyens et les échéances. Deux engagements du Grenelle particulièrement structurants ont disparu de la loi : le principe de gestion écosystémique et la mise en place d’unités d’exploitation et de gestion concertées des stocks halieutiques.

F – Agriculture

– La plupart des mesures en matière agricole sont à échéance 2012 ou plus tard : augmentation des surfaces en agriculture biologique (objectifs repoussés de 2010 à 2013), dépendance énergétique des exploitations réduite à l’horizon 2013, réduction de moitié de l’usage des pesticides à l’horizon 2018… Les moyens de financement de ces mesures restent très imprécis : aucun montant ni aucun outil ne sont mentionnés dans le projet de loi.

– Le projet de loi fixe comme objectif d’atteindre d’ici 2012 20% de produits agricoles biologiques et 20% de produits agricoles saisonniers ou à faible impact environnemental dans la commande publique. Pour être efficace, cet objectif aurait dû être accompagné de mesures de structuration de la filière biologique et d’accompagnement des agriculteurs qui s’y engagent. Or le montant annoncé pour ces mesures (75 M€) n’est pas du tout à la hauteur de l’enjeu et l’important levier que constitue la modulation, c’est à dire la possibilité de prélever une partie des aides du premier pilier de la Politique Agricole Commune (soutien à la production) pour soutenir l’agriculture biologique et de qualité, n’est pas mobilisé.

G – Santé et environnement

En matière de santé et environnement, la reprise des engagements du Grenelle dans le projet de loi est très variable selon les thèmes.

– Il convient de saluer le projet d’élaboration en 2008 d’un 2 ème Plan national santé environnement pour la période 2009–2012 et la reprise des conclusions des tables rondes du Grenelle concernant les thèmes à y inclure.

– Les mesures d’interdiction des substances chimiques les plus préoccupantes et la résorption dans un délai de 7 ans des points noirs de bruits les plus préoccupants pour la santé vont également dans le bon sens.

– Le projet de loi est en revanche très en dessous des conclusions du Grenelle en matière de qualité de l’air extérieur et intérieur. Parmi la dizaine de mesures proposées en la matière à l’issue du Grenelle, seule la réduction de la pollution par les particules fines, l’obligation d’étiquetage sur le contenu en polluants volatils, l’interdiction des substances cancérigènes dans les produits de construction et de décoration et le renforcement des contrôles ont été retenus.

– Le projet de loi est également très peu ambitieux concernant l’impact sur la santé des radiofréquences et le développement des nanotechnologies. Ces sujets émergents, porteurs de risques potentiels importants et mal connus pour l’homme et pour l’environnement, ne font l’objet que de mesures faibles d’élaboration et de suivi. Les propositions du Grenelle en la matière, par exemple le bilan coût/avantage systématique avant la mise sur le marché de produit contenant des nanomatériaux, n’ont pas été retenues.

– Sur la question des déchets enfin, le projet de loi est particulièrement timide. L’objectif de réduction de la production d’ordures ménagères de 5 kg par an et par habitant pendant 5 ans est purement incantatoire, faute de tout mécanisme de réduction à la source. La priorité affirmée au recyclage sur l’incinération ne fait que confirmer la hiérarchie des modes de traitement des déchets fixée dès 1975 par la première directive-cadre sur les déchets, actuellement en révision. Quant à l’objectif de recyclage matière et organique de 35% en 2012 et de 45% en 2015, il se rapproche de l’objectif actuellement en négociation au sein de l’UE.

H – Etat exemplaire

Les objectifs en matière d’exemplarité de l’Etat vont dans le bon sens, pourvu que l’on se donne les moyens de les mettre en œuvre.

– Il est ainsi prévu une réforme du code des marchés publics (promotion des achats vertueux, insertion de critères environnementaux dans les appels d’offre), une réduction de 50% de la consommation de papiers des administrations d’ici 2012, l’achat de bois certifié, la réalisation de bilan carbone et l’intégration de modules sur le développement durable dans les formations initiales ou continues des agents.

– Quant à l’évaluation systématique d’un projet au regard de son impact sur le climat et la biodiversité, elle n’est que très partiellement reprise dans le projet de loi, contrairement aux engagements d’octobre 2007 et bien qu’elle soit exigée par deux directives européennes (directives 97/11/CE et 2001/42/CE).

I – Gouvernance

La force du Grenelle résidait dans une nouvelle façon de concevoir la réflexion et la décision collective sur les questions de développement durable en intégrant de façon large les acteurs de la société française : patronat, syndicat, ONG, collectivités territoriales, administration. C’est la fameuse « gouvernance à 5 » dont il faut noter au passage qu’elle est tout à fait souhaitable mais bien moins novatrice que le gouvernement l’a présentée, puisqu’elle correspond à une application, médiatisée et partielle, des obligations liées à la convention d’Aarhus ratifiée par la France en 2002 (convention sur l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice en matière d’environnement).

– Nicolas Sarkozy s’était engagé à l’issu du Grenelle à généraliser la décision à 5 pour tous les projets soumis à enquête publique. Cet engagement a disparu du projet de loi qui se contente d’une expérimentation timide en matière de transports et d’indicateurs de développement durable.

– L’élargissement des conditions de saisine et la rénovation des modalités d’organisation et de suivi des débats publics a également été abandonné.

– La réforme de nos institutions, nécessaires pour garantir la prise en compte des enjeux environnementaux, ne saurait se limiter à la réforme du Conseil économique et social, pourtant la seule piste évoquée par le texte.

– Il est en outre savoureux de noter qu’au moment où le projet de loi Grenelle 1 prévoit que « les instances d’observation, d’expertise, de recherche, d’évaluation seront multidisciplinaires et impliqueront les parties prenantes du Grenelle Environnement », le Gouvernement a fait voter une loi OGM qui institue un Haut Conseil des biotechnologies dont la société civile a été exclue…

II – trois propositions pour sauver le Grenelle

Face aux lacunes et aux reculs du projet de loi Grenelle 1, nous formulons trois propositions majeures destinées à lui redonner une véritable ambition écologique :

A – Amorcer une révolution en matière de transport

Compte tenu de son fort impact sur la biodiversité et de sa contribution majeure au réchauffement climatique, le secteur des transports doit faire l’objet d’une politique beaucoup plus ambitieuse que ce que propose en l’état le projet de loi. La mise en œuvre dans les meilleurs délais d’une taxe carbone doit donner l’impulsion de ce vaste chantier. Elle doit s’accompagner des réformes nécessaires à un véritable report vers les modes de transport faiblement émetteur de gaz à effet de serre : remise à plat des relations entre RFF et la SNCF, refonte des subventions au fret ferroviaire, meilleur contrôle de l’évolution des tarifs SNCF, mise en œuvre d’une taxe sur les lignes aériennes en concurrence avec le rail, effort soutenu d’investissements dans les transports en commun et les infrastructures de transport alternatives à la route et à l’aérien, etc. Le projet de loi se limite à aborder le volet investissement, il faut en démultiplier l’impact en lançant les réformes structurelles. A ces réformes doit s’ajouter une mise en cohérence nationale et une clarification des compétences locales. Pour cela, il est indispensable que le schéma national des nouvelles infrastructures de transport, dont la réalisation avait été annoncée à l’issue du Grenelle, soit effectivement élaboré dans une perspective de stabilisation de la capacité routière globale du pays. En parallèle, il convient de mettre en oeuvre la proposition issue du Grenelle non reprise dans le projet de loi de créer un bloc de compétences cohérent dans la lutte contre le changement climatique au bénéfice des intercommunalités : urbanisme, transports, voirie, énergie.

B – Changer radicalement notre façon d’aménager et d’organiser les territoires

Les profondes réformes sectorielles rendues nécessaires par la crise environnementale ne seront possibles et efficaces que si elles s’accompagnent d’un changement radical de notre façon d’aménager et d’organiser les territoires. Cela est particulièrement clair en ville où la lutte contre l’étalement urbain est indispensable. Pour cela, une réforme ambitieuse de la fiscalité locale doit être menée en faveur d’une re-densification des villes. La mise en œuvre de la trame verte et bleue doit également être une priorité, et son caractère opposable aux projets d’infrastructures garanti car indispensable à son efficacité. Une taxe sur la consommation d’espaces naturels et de ressources vivantes doit être mise en œuvre à pression fiscale constante. Les territoires ruraux doivent également prendre le virage de la durabilité. Les pratiques agricoles constituent à cet égard un élément majeur et doivent profondément évoluer : réduction drastique de l’usage des pesticides, réduction de la consommation d’eau et d’énergie fossile, effort soutenu de développement et de structuration de l’agriculture biologique. Pour accompagner ces évolutions, le levier majeur que constitue la modulation doit être pleinement utilisé.

C – Réaliser un véritable aggiornamento écologique de nos institutions et schémas de décision

Nos institutions et nos schémas de décision sont fondamentalement inadaptés à la bonne prise en compte des questions nouvelles, complexes et à long terme que sont les enjeux du développement durable. Il faut donc mener en la matière un véritable aggiornamento écologique qui passe par l’affirmation de la gouvernance à 5, une participation accrue du public et l’intégration systématique du développement durable dans les politiques publiques. La co-construction des décisions en matière de développement durable par l’Etat, les syndicats, le patronat, les collectivités territoriales et les ONG, constitue en effet une innovation saluée par la grande majorité des parties prenantes et par Nicolas Sarkozy lui-même lors de son discours de conclusion du Grenelle en octobre 2007. Elle doit être généralisée bien au-delà de la mise en œuvre timide et expérimentale du projet de loi. En parallèle, il est indispensable que l’ensemble des Français se sentent partie prenante des évolutions envisagées, et donc d’aller beaucoup plus loin en matière de participation du public pour la mise en œuvre de l’ensemble des mesures. Enfin, une politique de développement durable n’a pas de sens si elle se résume à la superposition d’une couche de bonnes intentions à des politiques sectorielles inchangées. Il est donc impératif de veiller à ce que le développement durable soit intégré de manière effective dans l’ensemble des politiques publiques. Cela passe notamment par la mise en œuvre de deux principes affirmés par Nicolas Sarkozy dans son discours du 20 mai 2008 mais absents du projet de loi : l’évaluation systématique des projets et décisions publics au regard de leur coût pour le climat et la biodiversité, et l’inversion de la charge de la preuve qui consiste à n’accepter des projets ou décisions à fort impact environnemental que comme ultime recours. Ces principes doivent non seulement être consolidés par la loi mais leurs conditions de mise en œuvre doivent être précisées en cohérence avec les objectifs nationaux et internationaux de la France (diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 et stopper la perte de biodiversité à l’horizon 2010).

  1. * Jule Vertin et Julien Ollivier sont les pseudonymes de deux hauts fonctionnaires spécialistes des questions d’écologie et de développement durable.

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